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Introduction

La littérature en management mobilise de façon croissante le concept d’écosystème (Adner, 2017). Les membres de l’écosystème sont liés par des objectifs similaires, le besoin de partager des connaissances et par un principe de coévolution afin d’atteindre ces buts (Nambisan et Baron, 2013). Au sein du champ entrepreneurial, il est utilisé pour parler d’écosystème entrepreneurial (dorénavant « EE ») (Isenberg, 2010 ; Voelker, 2012 ; Mason et Brown, 2013 ; Cloutier, Cueille et Recasens, 2014 ; Boutillier, Levratto et Carré, 2016 ; Acs, Stam, Audretch et O’Connor, 2017 ; Brown et Mason, 2017 ; Theodoraki, Messeghem et Rice, 2018). Notion issue de l’écologie, l’écosystème (entrepreneurial) supposera l’étude d’une communauté d’acteurs (biocenose, du grec coenose, communauté) au sein d’une zone géographique (biotope, du grec topos, lieu, endroit) afin de favoriser l’entrepreneuriat. Ainsi, il va correspondre à un ensemble d’acteurs hétérogènes interconnectés (entreprises, businessangels, universités…) et de processus entrepreneuriaux (taux de création, esprit entrepreneurial) qui vont se conjuguer afin de favoriser la performance entrepreneuriale au sein d’un environnement local (Mason et Brown, 2013).

La littérature sur le sujet, encore jeune (Acs, Autio et Szerb, 2014 ; Autio, Kenney, Mustar, Siegel et Wright, 2014 ; Stam, 2015 ; Audretsch et Belitski, 2017), cherche à identifier les acteurs constitutifs d’un EE (Isenberg, 2011 ; Feld, 2012 ; WEF, 2013 ; Stam, 2015 ; Leyden, 2016 ; Audretsch et Beliski, 2017 ; Spigel, 2017 ; Brown et Mason, 2017). Parmi ces acteurs, les associations qui ont pour objet d’aider la création d’entreprise sont régulièrement citées (non profit ou associations dites loi 1901 en France, organisation sans but lucratif au Québec). Ainsi, Mason et Brown (2013), Mack et Mayer (2016), Audretsch et Belitski (2017) ou McMullen (2018) soulignent la présence d’organisations à but non lucratif comme acteurs des EE. Cependant, si les missions des acteurs des EE sont fréquemment identifiées (Isenberg, 2011 ; Feld, 2012 ; Leyden, 2016 ; Brown et Mason, 2017 ; Spigel, 2017) il n’existe pas, à notre connaissance, de travaux dédiés à l’identification des missions de ces associations ou à l’analyse des facteurs qui influencent ces missions. Or, les associations s’avèrent spécifiques du fait de leur dimension sociale, de l’absence de propriétaires, et d’une vision relative de la performance économique ou financière (Meier et Schier, 2008). Notre objectif de recherche est ainsi d’apporter de nouvelles connaissances en ce qui concerne les conditions d’apparition des acteurs au sein d’un EE, en nous concentrant sur le monde associatif.

L’étude des associations (loi 1901 en France) à travers le thème de l’entrepreneuriat est envisagée sous un prisme parcellaire dans la littérature. On retrouvera, par exemple, les associations en ce qui concerne l’entrepreneuriat social (Valéau et Boncler, 2012), l’entrepreneuriat étudiant (Barès, Houé et Jacquot, 2011) ou des dispositifs d’aide (Condor et Hachard, 2014). Valéau et Boncler (2012) soulignent que les associations, dans la perspective des économistes, s’intéressent à des problèmes minoritaires et non solvables, laissés de côté tant par les pouvoirs publics que par les entreprises. Il apparaît également que les associations contribuent à la transformation du territoire au sein duquel elles évoluent. Une littérature plus managériale met régulièrement en avant l’importance des formes associatives (ateliers collaboratifs, business angels, transfert de technologies, regroupement d’entrepreneurs, promotion de l’entrepreneuriat, dédiées au numérique, à l’entrepreneuriat féminin, social…) dans l’écosystème des start-up (Ezratty, 2017). Pour autant, peu de travaux s’intéressent spécifiquement aux associations constitutives d’un EE alors que « le monde de l’entrepreneuriat en France regorge d’associations diverses qui font la promotion de l’entrepreneuriat et des start-up, notamment vis-à-vis des pouvoirs publics » (Ezratty, 2017, p. 326). Un premier apport de notre recherche sera de dresser un état des lieux global de ce tissu associatif et d’en comprendre les grandes dynamiques afin de favoriser les décisions qui peuvent impacter les EE.

Stam et Spigel (2016) considèrent que les recherches sur les EE ne sont pas assez développées et demeurent trop souvent basées sur une généralisation superficielle à partir d’une étude de cas portant sur une réussite (Silicon Valley, Boston, Ottawa, Oxford, Londres, Aalto, Israël…) sans chercher à comparer les territoires entre eux (Alvedalen et Boschma, 2017). De plus, l’étude des EE demeure trop souvent statique sans tenir compte de l’évolution dans le temps (Mack et Mayer, 2016 ; Alvedalen et Boschma, 2017 ; Acs et al., 2017). Ainsi, en partant du postulat que les associations à visée entrepreneuriale sont des acteurs importants des EE, nous chercherons à comprendre la réalité du tissu entrepreneurial associatif en France et à le quantifier.

Notre recherche vise, d’un point de vue managérial, à favoriser une meilleure prise en compte des acteurs (associatifs) dans les politiques publiques territoriales (Brown et Mason, 2017). En effet, les politiques publiques financent les aides à la création d’entreprise et soutiennent les associations qui sont liées, et les acteurs politiques portent un intérêt grandissant à la notion d’EE (Alvedalen et Boschma, 2017). Or, ces politiques publiques peuvent être jugées comme trop diverses et manquant d’efficacité (Gu, Karoly et Zissimopoulos, 2008). Le secteur privé et les organisations sans but lucratif vont façonner l’EE en complément des actions publiques (Isenberg, 2010). Acs et al. (2017) constatent d’ailleurs la place prépondérante des pouvoirs publics dans le fonctionnement des EE. Le fait de mieux identifier les missions de ce type d’acteur revêt donc un intérêt en ce qui concerne les décisions des institutions publiques dans le développement des EE. Les missions vont correspondre aux grands buts généraux poursuivis par les associations ; ces missions sont identifiables à travers l’analyse des objets associatifs.

Notre travail cherche ainsi à identifier et catégoriser les missions des associations constitutives des EE. Les caractéristiques du territoire de l’EE et l’évolution dans le temps sont mobilisées afin de mieux expliquer l’apparition de ces missions (Acs et al., 2017). Nous faisons la thèse que les caractéristiques d’un territoire qui favorisent les créations d’entreprises (la taille du territoire, le niveau de capital humain et le taux de chômage) peuvent aider à comprendre pourquoi des acteurs qui appuient la création d’entreprise vont apparaître (Armington et Acs, 2002 ; Naudé, Gries, Wood et Meintjies, 2008 ; Lasch, Robert et Le Roy, 2013). Ainsi, notre question de recherche repose sur l’interrogation suivante : quelles caractéristiques spatiales et temporelles vont influencer les missions des acteurs de l’EE (dans notre cas les associations) ? La délimitation géographique des EE est faite sur la base des départements administratifs français. Nous intégrons des caractéristiques territoriales (taille, emploi, capital social) et adoptons une perspective longitudinale afin de contextualiser l’existence de ces associations en fonction de leurs missions. Notre recherche étudiera donc la population des associations loi 1901, en France entre 1997 et 2016, qui font, dans leur objet social, mention de la création d’entreprise et/ou de l’entrepreneuriat ; soit 1 985 cas recensés. Nous utilisons une méthode d’analyse des corpus textuels.

Dans un premier temps, nous définissons les EE afin de mettre en avant l’importance des acteurs qui existent afin d’accomplir des missions dédiées à l’EE. Nous évoquons, ensuite, les contributions des associations afin de mieux contextualiser notre question de recherche. Dans un second temps, et après avoir présenté notre base de données et notre démarche méthodologique, nous mettons en évidence des classes d’objets associatifs pouvant caractériser les grandes missions des associations. Cela nous permet de discuter desdites classes en regard de la dimension temporelle et des caractéristiques territoriales.

1. Les associations, acteurs des écosystèmes entrepreneuriaux

La compréhension des EE repose fréquemment sur la caractérisation des acteurs qui le composent : il s’agit d’une communauté dynamique d’acteurs interdépendants (entrepreneurs, fournisseurs, clients, gouvernement…), d’institutions et d’un contexte informationnel et socioéconomique ; l’étude des EE passe par la prise en compte des autorités locales et régionales, des chercheurs, des universités, des établissements d’enseignement, mais aussi des organisations à but non lucratif orientées vers l’entrepreneuriat (Audretsch et Belitski, 2017). L’EE peut être envisagé comme un ensemble d’acteurs entrepreneuriaux interconnectés (potentiels et existants), d’organisations entrepreneuriales, d’institutions et de processus entrepreneuriaux qui, de manière formelle et informelle, s’unissent pour créer des liens, servir de médiateurs et régir la performance au sein de l’environnement entrepreneurial local (Mason et Brown, 2013). L’EE est également vu comme une interaction dynamique et institutionnalisée entre les attitudes, les capacités et les aspirations entrepreneuriales des individus, qui conduit à l’allocation de ressources à travers la création et le fonctionnement de nouvelles entreprises (Acs, Autio et Szerb, 2014). Stam et Spigel (2016) parlent d’un ensemble d’acteurs et de facteurs interdépendants coordonnés de manière à favoriser un entrepreneuriat productif dans un territoire donné. Cette finalité se retrouve chez Mack et Mayer (2016) pour qui l’EE est constitué de composants interdépendants, qui favorisent la création de nouvelles entreprises et les activités entrepreneuriales au sein d’une région. L’intérêt des EE repose sur une combinaison d’éléments sociaux, politiques, économiques et culturels au sein d’une région qui soutient le développement et la croissance de jeunes pousses innovatrices et encourage les entrepreneurs naissants et d’autres acteurs à prendre le risque de lancer, de financer et d’aider autrement des entreprises (Spigel, 2017).

Ces différentes définitions permettent de mettre en relief les éléments cruciaux de l’EE : au sein d’un territoire (le biotope), des acteurs hétérogènes dans leur forme et leurs missions interagissent (la biocénose) de façon à favoriser l’activité entrepreneuriale de cette zone géographique. Ces interactions sont conditionnées par la présence de facteurs immatériels (processus, culture, histoire). L’émergence de la réflexion concernant les EE repose donc sur une vision plus centrée sur les acteurs et intégrant la dimension locale (Audretsch et Belitski, 2017). Les EE ont en commun avec les clusters, les districts industriels, les systèmes d’innovation, les régions apprenantes une approche qui met en relief l’importance de l’environnement externe (Acs et al., 2017). Toutefois, ils s’en distinguent, car c’est l’entrepreneur, plus que l’entreprise, qui est le point focal (Brown et Mason, 2017).

Les acteurs des EE n’ont de sens qu’en regard de leurs missions, leurs contributions. Isenberg (2011) propose six domaines : le politique (avec les institutions publiques), la finance (acteurs privés ou publics investissant dans les start-up), la culture (normes sociales et réussites d’entreprises), le support (pépinières, clusters, incubateurs), le capital humain (établissements d’enseignement et de recherche), le marché (consommateurs, réseaux d’entrepreneurs, multinationales). Feld (2012) ou Stam (2015) parlent de leaders, d’intermédiaires (mentors, incubateur), de la densité du réseau, du rôle du gouvernement, des talents, des services support, de l’existence d’événements/rencontres, des grandes compagnies, de ressources financières. Leyden (2016) envisage un environnement entrepreneurial comme un ensemble constitué de cinq parties : les fournisseurs de ressources (marché de capitaux, lois), un environnement créatif (réseau social), un environnement d’échange (clients, citoyens), un système d’incitations/récompenses et de rétroactions. Ces acteurs peuvent supporter l’entrepreneuriat (incubateurs, accélérateurs), fournir des ressources entrepreneuriales (business angels, liens avec les universités), permettre la rencontre (associations professionnelles, clubs d’entrepreneurs) ou favoriser la culture entrepreneuriale (Brown et Mason, 2017). Dans un souci de synthèse, Spigel (2017) évoque trois catégories d’attributs : matériels (infrastructure, service support), sociaux (réseaux, mentors, capital investissement), culturels (culture, histoire entrepreneuriale).

Dans de nombreux cas, des dirigeants d’entreprise, des propriétaires d’entreprises familiales, des universités, des organisations professionnelles, des fondations, des organisations syndicales, des bailleurs de fonds ou des entrepreneurs eux-mêmes ont favorisé l’éducation à l’entrepreneuriat, des conférences, des recherches et la promotion de politiques (Isenberg, 2010). La création d’institutions (au sens large), qui favorise le renforcement des capacités entrepreneuriales afin de soutenir le développement économique local, devient cruciale (Audretsch et Belitski, 2017). Les associations se retrouvent dans les différentes missions des acteurs des EE pour Brown et Mason (2017). Elles sont souvent citées dans la littérature sur les EE (Isenberg, 2010 ; Mason et Brown, 2013 ; Mack et Mayer, 2016 ; Audretsch et Belitski, 2017 ; Brown et Mason, 2017), mais sont peu étudiées de façon directe et empirique. En conséquence, leurs missions n’ont pas été encore mises à jour par la littérature de façon empirique. Ces missions peuvent être diverses et nous pensons que l’une de leur mission est de favoriser la culture entrepreneuriale.

En effet, les travaux consacrés aux EE mettent en avant des acteurs motivés par la promotion de l’idéologie entrepreneuriale. Dejardin et Luc (2017) vont parler d’entrepreneurialisme pour envisager l’entrepreneuriat comme une idéologie où la notion d’entreprendre est placée au centre d’un système de pensée et d’action. Par exemple, Feld (2012) envisage l’émergence de communautés de start-up au sein des villes. Ces communautés se constituent d’individus qui interagissent afin de favoriser l’entrepreneuriat au sein de territoires avec des rôles différents permettant d’aider, de conseiller, d’organiser des événements en lien avec les start-up. Cette vision de l’émergence de l’esprit entrepreneurial sur la base d’acteurs à fort capital humain et social s’inscrit dans la continuité des travaux sur les classes créatives (Florida, 2002). L’importance de l’environnement social favorable à l’entrepreneuriat et le recours à des associations contribuent directement à un environnement social porteur Bahmani, Galindo et Méndez, 2012). L’entrepreneuriat peut également être envisagé comme une activité où la recherche du profit n’est pas prédominante et peut se retrouver dans les sphères associatives (Benz, 2009). Mack et Mayer (2016) considèrent l’importance des structures associatives dès la naissance d’un EE. Au fil du temps et de l’évolution de l’EE, ces associations vont se diversifier au-delà de leur mission initiale. L’étude de Wolf-Powers et al. (2017) sur les maker movement de différentes villes américaines met en relief l’importance des organisations à but non lucratif dans les écosystèmes localisés.

La compréhension de l’existence des associations loi 1901 ou organisations sans but lucratif peut reposer sur une argumentation économique (Bahmani, Galindo et Méndez, 2012). En effet, deux théories expliquent l’existence des associations (Nyssens, 2008). D’une part, la théorie du rendement social envisage l’imperfection des marchés en ce qui concerne l’allocation optimale des ressources. Des organisations à but non lucratif vont exister, car des entreprises vont mal se positionner sur certaines activités. D’autre part, la théorie économique des organisations (notamment la théorie des couts de transaction) envisage l’imperfection des marchés qui peut conduire à la non-internalisation de certaines activités de la part des entreprises (à but lucratif). Les organisations à but non lucratif vont exister en raison de l’absence des entreprises sur ces activités. Pour résumer, les associations existent afin de pallier des insuffisances du marché (Bahmani, Galindo et Méndez, 2012). Toutefois, il est important d’envisager les motivations des acteurs (Nyssens, 2008). En effet, la littérature sur les associations met en avant l’importance des groupes sociaux sur la base d’une forte idéologie. Ces groupes cherchent à maximiser une performance qui ne sera pas forcément financière et repose sur des motivations altruistes. Ces associations favorisent le capital social nécessaire au développement d’une activité (Bahmani, Galindo et Méndez, 2012). Pour autant, les recherches portant sur les associations qui ont pour objet de favoriser la création d’entreprise semblent lacunaires alors qu’il peut s’agir d’acteurs intéressant le développement entrepreneurial au sein d’un territoire (Isenberg, 2010 ; Mason et Brown, 2013 ; Mack et Mayer, 2016 ; Audretsch et Belitski, 2017). L’offre de service concernant la création d’entreprise peut être desservie de façon insatisfaisante par les entreprises et les instances publiques. De ce fait, des associations peuvent s’y intéresser. De plus, le développement d’un esprit entrepreneurial, qui dépasse le seul intérêt économique, contribue au développement de groupes sociaux promouvant une idéologie entrepreneuriale (Ezratty, 2017).

2. Le contexte de l’EE comme facteur explicatif de l’apparition des associations

La littérature sur les EE montre la diversité de ses acteurs que cela soit en termes de forme ou de mission (Isenberg, 2010 ; Mason et Brown, 2013 ; Mack et Mayer, 2016 ; Audretsch et Belitski, 2017 ; Brown et Mason, 2017). Ainsi, les associations, qui correspondent à un type donné de forme juridique, devraient avoir des missions différentes. Cette littérature est encore lacunaire en regard de la question des associations et nous souhaitons explorer les buts poursuivis par ces acteurs et comprendre leur origine. Le contexte des créations d’associations contribuant à l’EE local (Wolf-Powers et al., 2017) sera donc étudié en essayant de catégoriser leur but.

Nous pensons que la diversité des buts des acteurs s’explique par des caractéristiques territoriales et temporelles. Comme le suggèrent Johannisson (2003) ou Thornton et Flynn (2005), l’entrepreneuriat est par essence un phénomène collectif liant de façon déterminante l’entrepreneur et/ou la start-up aux ressources locales. L’entrepreneuriat au sein d’un écosystème est contraint (ou facilité) par les conditions de l’environnement et donc de l’écosystème (Voelker, 2012). La dimension locale est centrale, car les conditions initiales favorisent le développement de l’EE en façonnant la communauté (Isenberg, 2010 ; Voelker, 2012) et donc les missions des acteurs. Il nous semble opportun d’étudier la façon, dont le contexte, spatial et temporel, joue sur l’EE à travers l’apparition de certains de ses acteurs : les associations à but non lucratif. En effet, les recherches sur les EE prennent insuffisamment en compte les perspectives temporelles, les facteurs sociaux ou culturels (Brown et Mason, 2017). En d’autres termes, les caractéristiques du territoire et la période vont favoriser certaines missions des associations. En intégrant les spécificités du territoire qui accueille l’EE, la dimension temporelle, et en effectuant une comparaison entre EE, nous suivons les recommandations de Acs et al. (2017) ou Alvedalen et Boschma (2017) en ce qui concerne le futur des recherches sur les EE.

L’importance du contexte nous semble déterminante dans la compréhension de l’émergence de ces acteurs (Isenberg, 2010 ; Voelker, 2012 ; Audretsch et Belitski, 2017) et nous souhaitons comprendre de quelle façon il est en relation avec l’apparition de ces associations. Elles existeront afin de pallier une insuffisance en termes d’appui entrepreneurial sur le territoire (Bahmani, Galindo et Méndez, 2012) ou parce que des individus souhaitent s’organiser afin de favoriser le développement d’une plus grande culture entrepreneuriale (Nyssens, 2008). Toutefois, nous n’avons pas pu identifier de travaux qui envisageaient spécifiquement les déterminants de l’apparition d’acteurs dans les EE, a fortiori les associations à but non lucratif. De ce fait, nous nous sommes orientés vers une littérature proche : celle concernant les déterminants régionaux de la création d’entreprises. Armington et Acs (2002), Naudé et al. (2008) ou encore Lasch, Robert et Le Roy (2013) se rejoignent sur l’importance de deux grands facteurs expliquant une différence en termes de création d’entreprise au sein d’une région : l’importance du chômage (mesurée par le taux de chômage) et celui du capital humain (mesuré par le niveau d’éducation).

Le taux de chômage présent au sein d’un territoire donné a une influence sur le nombre de création d’entreprises (Evans et Leighton, 1990 ; Armington et Acs, 2002 ; Shane, 2003 ; Naudé et al., 2008 ; Westhead, Wright et McElwee, 2011 ; Breitenecker, Harms, Weyh, Maresch et Kraus, 2017). Toutefois, indiquons que cette relation peut s’avérer ambigüe (Carree et Thurik, 2005) d’autant plus qu’il peut exister trois niveaux d’analyse : le niveau personnel, régional et national (Ritsilä et Tervo, 2002). S’il est élevé, les individus auront tendance à chercher à devenir leur propre employeur et il existera alors un lien positif entre taux de chômage et création d’entreprise (Evans et Leighton, 1990 ; Reynolds, Storey et Westhead, 1994 ; Ritsilä et Tervo, 2002 ; Shane, 2003 ; Deli, 2011). Toutefois, si le taux de chômage est élevé cela peut vouloir dire également que le contexte économique n’est pas favorable et donc cela n’incitera pas à créer son entreprise (Lasch, Robert et Le Roy, 2013). De ce fait, la distinction entre l’entrepreneuriat de nécessité (des circonstances adverses conduisent à créer l’entreprise) et l’entrepreneuriat d’opportunité (on crée, car on veut poursuivre une idée prometteuse) prend tout son sens. Un entrepreneuriat de nécessité est favorisé par un taux de chômage fort tandis que l’entrepreneuriat d’opportunité est négativement relié au taux de chômage (Deli, 2011 ; Lasch, Robert et Le Roy, 2013). La relation est d’autant plus ambigüe et difficile à analyser que le taux de chômage peut entraîner des créations d’entreprises et qu’ensuite les créations d’entreprises vont contribuer à une diminution du taux de chômage dans une zone donnée (Carree et Thurik, 2005). Nous nous attendons donc à ce qu’un EE caractérisé par un fort taux de chômage se distingue par la présence d’associations qui s’inscrivent dans un entrepreneuriat de nécessité.

L’éducation des individus favorise les créations d’entreprise (Shane, 2003 ; Naudé et al., 2008 ; Deli, 2011) comme leur réussite (Unger, Rauch, Frese et Rosenbusch, 2011) ou leur survie (Huggins, Prokop et Thompson, 2017). En effet, un individu disposant d’un capital humain, à savoir un bon niveau d’éducation, détectera et exploitera mieux des opportunités. En d’autres termes, le capital humain est à relier à l’entrepreneuriat d’opportunité. Le niveau d’éducation apparaît assez clairement en lien avec un plus fort taux de création (Naudé et al., 2008 ; Deli, 2011) bien que la présence d’une population non diplômée du supérieur peut également être vue comme un moyen pour les jeunes entreprises d’avoir des salariés « bon marché » (Armington et Acs, 2002). Ainsi, un EE qui se caractérise par un fort capital humain devrait connaître la présence d’associations en lien avec un entrepreneuriat d’opportunité.

D’un côté la pénurie d’emploi favorise la création d’entreprises, de l’autre, le capital humain va favoriser la détection d’opportunité et susciter des envies en termes de création d’entreprise. Nous retrouvons là les traditionnels arguments envisageant un entrepreneuriat push et pull (motivations de nécessité versus d’opportunité) (Giacomin, Janssen et Guyot, 2016) mobilisé par exemple dans les études GEM au niveau d’un pays ou l’effet « réfugiés » versus « schumpeterien » au niveau d’une région (Aubry, Bonnet et Renou-Maissant, 2015).

En outre, des effets d’agglomération (mesurés notamment par la taille de la population ou la densité) sont à intégrer afin de comprendre le taux de création d’entreprise. La densité de la population d’un territoire est également à relier positivement à la création de nouvelles entreprises (Reynolds, 1991 ; Armington et Acs, 2002 ; Brixy et Grotz, 2007). Une forte population entraîne des effets d’agglomération, l’existence d’une demande locale et favorise l’apparition d’entrepreneurs. Nous nous attendons à observer un effet similaire en ce qui concerne les associations et leurs missions. L’intérêt de ces déterminants est réel tout comme l’existence de facteurs sociologiques (Breitenecker et al., 2017) voire historiques (tradition, passé industriel, racines culturelles).

La dimension temporelle est sous-estimée dans les travaux sur les EE. Mack et Mayer (2016) estiment qu’un EE évolue selon un cycle de vie de quatre phases : naissance, croissance, maintien, déclin avec des évolutions en ce qui concerne les acteurs impliqués et mis en avant par les six domaines d’Isenberg (2011). De ce fait, il nous semble important d’intégrer à notre analyse un questionnement concernant la dimension temporelle pouvant modifier la nature des acteurs au sein de l’EE.

Nous envisagerons ainsi comment la population, le capital humain, le taux de chômage d’un territoire sont liés aux types d’associations dédiées à la création d’entreprise en intégrant également une dimension temporelle. Toutefois, il nous faudra déterminer l’étendue de l’EE que nous prendrons en considération. Bruns, Bosma, Sanders et Schramm (2017) ont effectué une analyse des EE pour 16 pays européens en fonction d’un découpage NUTS 1-2 (ce qui peut correspondre à une région administrative étendue). Ils estiment que leur unité d’analyse est trop large pour bien envisager la spécificité des EE. Le choix de retenir le département (NUTS 3) semble un bon compromis en termes de taille tout en permettant d’obtenir des données pertinentes.

3. Démarche méthodologique

La France compte 1,3 million d’associations loi 1901 actives (Insee, 2016). La plupart opèrent dans le domaine du sport (24 %) ou dans celui des loisirs (22 %), les associations culturelles (18 %), puis celles de défense de causes, de droits ou d’intérêts (17 %). Si seuls 12 % d’entre elles ont recours aux emplois salariés, ce chiffre peut dépasser les 30 % pour celles qui s’apparentent à la gestion des services économiques ou du développement local. Leur action concerne principalement un niveau local (ville ou département). L’importance de l’étude du secteur associatif semble réelle en raison du poids grandissant de ces formes juridiques (Nyssens, 2008) et de l’impact positif sur la croissance économique, notamment en favorisant l’entrepreneuriat et le capital humain (Bahmani, Galindo et Méndez, 2012).

Toute association loi 1901 est tenue d’être déclarée à la préfecture de son département de domiciliation (article 5 de la loi du 1er juillet 1901). La publicité de cette création se fera en regard de la publication au journal officiel : « l’association n’est rendue publique que par une insertion au Journal officiel, sur production de ce récépissé ». Toutefois, il peut exister des exceptions pour les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle ou d’outre-mer. En 1985, le Journal officiel des associations (JOAFE, Journal officiel des associations et fondations d’entreprise) voit le jour. En date du 25 décembre 1996, les annonces publiées dans le JOAFE sont disponibles en ligne[1]. De ce fait, les données disponibles en open data (données libres) débutent par l’année 1997. Depuis le 1er janvier 2016, le JOAFE (comme le JO) est uniquement publié sous format numérique. Selon les données de la base du JOAFE et depuis 1997, 66 676 associations sont créées en moyenne en France (de 56 988 en 1999 et à 72 734 en 2014). Bazin et Malet (2014) estiment que plus de la moitié des nouvelles créations d’associations concernent l’animation (culturelle, sportive ou de loisirs). En utilisant la base de données du Journal officiel des associations et fondations d’entreprise, nous avons pu recenser, sur la période 1997-2016, toutes les associations loi 1901 qui ont été déclarées en France avec le terme « création(s) d’entreprise(s) » et/ou « entrepreneuriat » dans leur objet. Nous avons également recensé le département de déclaration et l’année.

Sur la base des données de l’Insee, nous avons pu identifier année après année pour les départements pris en considération, leur population, le taux de chômage et la part des 16 ans et plus non scolarisés ayant un diplôme du supérieur. Ces données nous permettront donc de caractériser le département par sa population, son taux de chômage et son capital humain. Précisons qu’en ce qui concerne le capital humain, ces chiffres sont obtenus à travers le recensement de la population. Sur la base des années disponibles (1990, 1999, 2008 et 2013), nous avons procédé à une extrapolation linéaire afin d’indiquer les niveaux respectifs chaque année. L’évaluation du taux de chômage dans les DOM a dû être estimée de la même manière pour la période 1997-2002. Pour chacune de ces trois variables (population, chômage, capital humain), nous avons élaboré quatre catégories équivalentes basées sur la moyenne des périodes (très élevé, élevé, faible, très faible). Les années sont également regroupées en quatre périodes égales (1997-2001 ; 2002-2006 ; 2007-2011 ; 2012-2016). En complément, nous avons, sur la base des objets associatifs, identifié les associations qui ont pour but unique de s’intéresser à l’entrepreneuriat/création d’entreprise (exclusif) de celles qui s’y intéressent parmi d’autres motivations (partiel). Ces différentes variables correspondent, selon la méthode d’analyse textuelle, à des variables illustratives permettant de caractériser le contexte de l’objet associatif en fonction du lieu (département) et du moment (année).

Afin d’identifier les différents types d’association selon leurs missions et en l’absence de travaux antérieurs, nous avons utilisé une démarche exploratoire sur la base de l’analyse des objets des associations. À l’aide du logiciel d’analyse de données textuelles IRAMUTEQ (« Interface de R pour les analyses multidimensionnelles de textes et de questionnaires »), proche d’Alceste, nous avons travaillé sur une classification descendante hiérarchique, après lemmatisation, selon la méthode de Reinert. Comme l’indique Reinert (2007), l’objectif est d’identifier des « mondes lexicaux » à savoir des termes qui se retrouvent fréquemment associés au sein de sous-segments de texte composant un large corpus. Le regroupement des termes les plus proches permet ainsi de mettre en avant des classes, sur la base du chi-2, qui peuvent alors faire l’objet d’une description et d’une analyse. Ainsi, ce sera l’environnement des mots qui permettra de donner du sens aux textes. Ce type de méthode est reconnu en sciences sociales, que cela soit dans les phases exploratoires ou dans l’interprétation des contenus (Gauzente et Peyrat-Guillard, 2007 ; Artis et Cornée, 2016). Les intérêts d’une telle méthode d’analyse des cooccurrences sont nombreux (Illia, Sonpar et Bauer, 2014). L’analyse lexicale par contexte permet de traiter, afin d’identifier des représentations, une large base de données textuelles sans avoir besoin de construire de dictionnaire (Helme-Guizon et Gavard-Perret, 2004). Cette analyse peut donc être menée sans imposer les vues du chercheur et permet de limiter le biais humain. Par ailleurs, comme la signification vient du contexte d’usage, il n’y a pas de définition a priori des mots.

Une analyse lexicale automatisée, du type Alceste, porte fréquemment sur des segments de texte, à savoir des morceaux de texte composés d’un nombre fixe de mots. Du fait de la spécificité de notre objet d’étude qui consiste à analyser des descriptifs de mission nécessairement courts, nous avons fait le choix de travailler directement sur les paragraphes à savoir les objets d’associations sans chercher à les découper, partant du postulat que chaque objet constitue un monde lexical homogène. Cette méthode suppose que le corpus présente une certaine cohérence thématique (Delavigne, 2003). Comme le but est de comparer les distributions des formes, il est important que les différentes parties du corpus aient des mots en commun. Ensuite, l’identification des classes va reposer sur une classification descendante hiérarchique à l’aide du logiciel d’analyse textuelle IRAMUTEQ. Cette méthode de classification permet de grouper les formes, mais aussi les variables illustratives, au sein de classes de formes regroupées selon leur indépendance mesurée par un test au chi-2 (Pélissier, 2017). Ce type de classification suppose de nombreux allers-retours entre l’élaboration des classes et leur interprétation afin de tendre vers un découpage pertinent du corpus. Ainsi, et comme le suggère Reinert (2007), différentes analyses successives ont été menées avec des paramétrages différents afin de tendre vers des classes suffisamment compréhensibles.

4. Résultats

4.1. Description de la base de données

Concernant les associations considérées dans notre étude (celles, dont l’objet mentionne explicitement le terme « création(s) d’entreprise(s) » et/ou « entrepreneuriat » et après suppression des associations redondantes), depuis 1997 et en moyenne, ce sont un peu moins de 100 associations qui sont créées chaque année (minimum 63 en 2004, maximum 209 en 2016). Nous avons donc identifié 1 985 associations loi 1901. En d’autres termes, les associations se référant explicitement à la création d’entreprise représentent en moyenne 1,9 ‰ des associations créées en France. La figure 1 permet de constater un accroissement dans le temps du nombre d’associations qui mentionnent la création d’entreprise/entrepreneuriat dans leur objet.

Figure 1

Évolution dans le temps selon l’identifiant

Évolution dans le temps selon l’identifiant

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Un accroissement est constatable à partir de 2008 puis une accélération en 2012. Nous pouvons identifier une évolution différente selon que l’association mentionne uniquement « création d’entreprise » ou « entrepreneuriat » ou les deux en même temps. Le recours à « création d’entreprise » est historique : les premières années étudiées indiquent un recours quasi exclusif à cette forme au sein des objets des associations. Le mot « entrepreneuriat » reste confidentiel jusqu’en 2007, puis progresse d’année en année. À partir de 2014, il y a plus d’associations qui mentionnent « entrepreneuriat » que « création d’entreprise ». Le terme entrepreneuriat, par sa dimension culturelle plus vaste, par sa déconnexion possible par rapport à la seule création ex nihilo, prend le pas sur une vision plus restrictive de la création d’entreprise. Le nombre d’associations qui mentionne « création d’entreprise » reste assez stable dans le temps. Les associations qui recourent simultanément à « création d’entreprise » et « entrepreneuriat » dans leur objet sont assez peu nombreuses.

Cette « diffusion sociétale » de l’entrepreneuriat se trouve renforcée lorsque nous envisageons le focus de l’objet de ces associations. La figure 2 représente l’évolution dans le temps en fonction de l’objet : s’agit-il exclusivement de s’intéresser à la création d’entreprise/l’entrepreneuriat ou est-ce que le recours à ces termes correspond à une mission partielle parmi d’autres ? Nous constatons un développement plus important du nombre d’associations qui ont recours à ces termes de façon partielle dans leurs missions. Ainsi, il semble que l’entrepreneuriat est maintenant inséré comme une action parmi d’autres afin d’améliorer une situation. L’aide entrepreneuriale peut être envisagée comme faisant partie du portefeuille d’actions des associations, en France.

Figure 2

Évolution dans le temps selon le type d’objet

Évolution dans le temps selon le type d’objet

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En termes de répartition géographique et de façon cumulée, tous les départements ne sont pas équivalents. L’annexe 1 permet de visualiser ces différences. Les départements les plus peuplés avec de grandes villes ont plus tendance à accueillir des associations en lien avec l’entrepreneuriat. Paris est le « département » qui connaît le plus d’associations de ce type (313 associations) suivi par les Bouches-du-Rhône (110) les Hauts-de-Seine (105), le Rhône (92) et le Nord (91). Certains départements sont absents de notre recensement (Cantal, Haute-Saône, Haute-Vienne, Jura, Lot, Meuse). Ces départements se caractérisent par une population parmi les plus basses de France.

4.2. Analyse des objets associatifs et identification des classes

Du fait des traitements opérés (suppression des associations qui oeuvrent à l’identique, en termes d’objet, dans différents départements, suppression des associations de Mayotte par manque de statistiques, absence des départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle), nous avons travaillé sur 1 985 objets d’associations. Précisons que nous avons supprimé les associations identiques sur plusieurs départements afin de ne pas surpondérer leur rôle et biaiser l’analyse de leurs missions (4 % des associations étaient dans ce cas). Nous recensons 143 885 occurrences (mots) qui se regroupent en 5 428 formes (mots différents). En moyenne, chaque objet est composé de 72 occurrences, ce qui est sensiblement supérieur à la taille classique de découpage en segments de texte (40 occurrences). Le vocabulaire le plus présent peut s’envisager en fonction de sa nature grammaticale : nom, verbe, adjectif. L’annexe 2 présente les 20 formes les plus citées.

Nous remarquons (outre la présence de « création d’entreprise » et « entrepreneuriat » qui sont constitutifs du recensement effectué) l’importance de « développement », « projet », « entreprise », formes qui correspondent à des noms attendus lorsqu’on s’intéresse à des associations en lien avec l’entrepreneuriat. Le développement de l’entrepreneur est bien présent (« formation », « emploi »), tout comme la finalité desdites associations : « aide », « accompagnement », « promotion », « conseil », « service ». En termes de verbes, un vocabulaire de soutien apparaît de façon majeure : « promouvoir », « favoriser », « aider », « développer », « accompagner », « soutenir », « faciliter », « encourager ». L’association apparaît donc comme un appui à l’entrepreneur et/ou l’entrepreneuriat. En ce qui concerne les adjectifs, nous avons des formes en lien avec la sphère de l’entreprise : « économique », « financier », « commercial », « administratif ». Il existe également la présence de formes plus en phase avec le monde associatif en termes généraux : « social », « jeune », « culturel », « solidaire ». De façon transverse, il apparaît que ces associations vont aider des projets de création d’entreprise dans une logique pouvant inclure des dimensions sociétales.

L’analyse des textes sur la base d’une classification descendante hiérarchique selon la méthode de Reinert permet de classer 1 704 objets associatifs sur les 1 985 de départ, soit 85,84 %. Les objets associatifs non retenus au sein des classes sont supposés trop éloignés de la cohérence d’ensemble du corpus (Delavigne, 2003). Nous avons identifié cinq classes permettant de dégager des logiques de sens claires. Le dendrogramme de classification permet de constater une proximité de la classe 1 avec la classe 3 tandis que la classe 2 est plus proche de la classe 4. La classe 5 se retrouve alors plus en lien avec le regroupement classe 1-classe 3. Remarquons que les classes 2 et 4 ont en commun d’avoir été identifiées par le recours au terme « création d’entreprise » et par un objet associatif qui mentionne l’entrepreneuriat/la création d’entreprise de façon partielle. Indiquons également que notre démarche exploratoire suppose d’appréhender nos résultats dans le contexte spécifique de notre recherche.

Une AFC (analyse factorielle des correspondances, figure 3), permettant de recenser les formes les plus fréquentes et les plus significatives, est proposée afin de faciliter la compréhension et la lecture de ces classes. Le facteur 1 correspond à une distinction entre des formes assez générales (à gauche : collecter, séjour, négociation, contrat…) et d’autres formes plus précises en lien, soit avec des institutions du supérieur, soit avec des termes techniques/technologiques (vidéo, média, incubation, ingénieur, mécanique, simulation). Le facteur 2 met en opposition un vocabulaire très lié au monde de l’entreprise et à son fonctionnement (en haut : facture, secrétariat, comptabilité, fiscal, logiciel…) à un vocabulaire plus en lien avec des dimensions culturelles et sociales (en bas : musique, peuple, théâtre, discrimination, santé…) ; en d’autres termes, il s’agit d’une opposition économique/sociale. L’annexe 3 propose des exemples d’objet associatif pour chacune des classes.

Figure 3

AFC des principales formes et identification des classes

AFC des principales formes et identification des classes

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4.2.1. Classe 1 : l’échange entrepreneurial

Cette classe 1 est la plus représentée avec 26 % des descriptifs d’associations. Les termes les plus significatifs sont entrepreneur, expérience, entrepreneuriat, réseau, réflexion, réunion, débat, événement, communauté. En termes de verbes, nous retrouvons partager, développer, échanger, fédérer, organiser, promouvoir. Notons également la présence d’un vocabulaire en lien avec les femmes (féminin, femme) et un vocabulaire concernant la direction de l’entreprise (chef, dirigeant). Cette classe s’oppose à un vocabulaire plus fonctionnel et plus immédiat : création d’entreprise, aide, formation, emploi, assistance, réinsertion, gestion, administratif…

Nous intitulons cette classe « l’échange entrepreneurial » correspondant aux missions de culture (Isenberg, 2011 ; Spigel, 2017 ; Brown et Mason, 2017), d’échange social (Leyden, 2016 ; Spigel, 2017), de rencontres (Feld, 2012 ; Stam, 2015) qui caractérisent les acteurs de l’écosystème entrepreneurial. Des termes constitutifs de cette classe, nous pouvons nous rendre compte qu’il s’agit d’associations qui vont promouvoir un état d’esprit entrepreneurial à travers des actions de rencontre et de discussion. Ces rencontres s’appuient sur l’expérience de dirigeants ayant créé et peuvent s’adresser à un public féminin. L’opposition des termes constatés indique une phase d’approche de l’entrepreneuriat, d’initiation culturelle. Le vocabulaire managérial est absent de cette classe sauf en ce qui concerne des termes assez généraux comme « investisseur » ou « croissance ». Il s’agit surtout de proposer un retour d’expérience sur une situation globale en lien avec l’entrepreneuriat. L’EE doit être porté par une culture de l’esprit d’entreprendre et ces associations y correspondent.

En ce qui concerne les variables illustratives, nous constatons qu’il s’agit d’associations qui se caractérisent par la mention « entrepreneuriat » plutôt que la mention « création d’entreprise ». Cela nous semble logique en regard de l’aspect diffusion de l’état d’esprit entrepreneurial qui semble ressortir de cette classe et qui nous semble proche de la notion d’entrepreneurialisme (Dejardin et Luc, 2017). Nous constatons également que cette classe se retrouve dans des objets associatifs exclusivement consacrés à l’entrepreneuriat/création d’entreprise. L’objet unique de ces associations est donc la diffusion de l’expérience entrepreneuriale. Ces associations vont se retrouver dans des zones où le capital humain est le plus élevé avec un taux de chômage inférieur à la médiane (notamment la région parisienne). Il semble également que ces associations sont remarquables dans les départements très peuplés. L’importance de Paris au sein de cette classe conditionne la nature en termes de population, de capital humain et de chômage pour cette classe. Nous pouvons également noter l’importance de la période 4 pour caractériser cette classe. En effet, les années 2013, 2014, 2015 sont significativement présentes. Les années récentes témoignent donc d’un intérêt pour ce type de missions.

4.2.2. Classe 2 : l’aide à la gestion

La classe 2 a une fréquence proche des classes 3 et 4 (22 % des associations). Les noms les plus significatifs sont : création d’entreprise, aide, gestion, conseils. Elle se constitue d’un vocabulaire managérial assez opérationnel : administratif, comptable, comptabilité, juridique, secrétariat, informatique, fiscal, bureautique. Ainsi nous retrouverons, par exemple, des formes liées comme rédaction, étude, dossier, contrat, devis. Il va également exister un vocabulaire en phase avec l’accès à l’emploi : réinsertion, insertion, formation, emploi, recrutement, portage, reclassement, cv, bilan, demandeur, stage. Cette classe s’oppose à un vocabulaire moins immédiat et utile, mais peut-être plus ambitieux en ce qui concerne l’issue de la création : entrepreneuriat, étudiant, projet, esprit, réseau, innovation, innovant.

De par ses aspects fonctionnels, nous dénommerons cette classe « l’aide à la gestion ». Cette classe se retrouve dans la littérature dans les missions de support fonctionnel (Brown et Mason, 2017) ou matériel (Spigel, 2017). Toutefois, il s’agira là d’un support fonctionnel plus individuel et partiel ; à l’inverse de ce qu’un incubateur ou un accélérateur pourraient proposer (Theodoraki, Messeghem et Rice, 2018). En effet, il s’agit d’associations qui vont proposer des solutions factuelles au montage et à la gestion de la création d’entreprise. Nous ne sommes pas dans un registre hypothétique ou en lien avec des aspects liés à la culture entrepreneuriale. Il s’agira avant tout de permettre une création effective en proposant des conseils, des services nécessaires de façon opérationnelle. Une partie de ces associations peut être envisagée sous l’angle d’un recours à la création d’entreprise comme moyen de créer son propre emploi. Ainsi, l’EE va se composer d’entreprises aux ambitions modestes et ces associations leur apporteront des conseils.

Ces associations se retrouvent de façon significative sur les périodes 1 et 2 (1997-2006). Nous ne les retrouvons plus de façon significative sur des périodes plus récentes. Il s’agit d’associations, dont l’intérêt pour l’entrepreneuriat/la création d’entreprise, n’est que partiel. Ces associations ont donc des missions diverses et l’une d’entre elles touche la création d’entreprise. Ces associations ont été identifiées, car elles mobilisent le terme « création d’entreprise » plutôt que « entrepreneuriat ». Ces associations sont davantage représentées dans des départements qui se caractérisent par un taux de chômage très élevé, ce qui est en phase avec la dimension de retour à l’emploi que nous avons constatée, bien que cette dimension ne soit présente que pour certaines associations de cette classe. Nous constatons également que cette classe se retrouve dans des départements disposant d’un capital humain très inférieur à la médiane et une population moins nombreuse.

4.2.3. Classe 3 : l’accompagnement du projet

Cette classe 3 regroupe 21 % des associations classées. Elle se singularise par la présence des termes tels que porteur, projet, innovant, création. Les verbes les plus significatifs seront accompagner, détecter, générer, émerger, implanter, concevoir. Un vocabulaire lié à de nouvelles technologies est remarquable : innovant, innovation, laboratoire, outil, technologique, essaimage. On retrouve également des formes typiques de l’accompagnement de start-up : pépinière, incubateur. Cet accompagnement se fait dans un cadre territorial bien identifié avec des mots comme territorial, territoire, pôle, cluster, régional. Cette classe s’oppose à aide, culturel, monde, femme, communauté, échange, réinsertion. Remarquons toutefois qu’un vocabulaire moins technologique est présent (de façon plus mesurée) au sein de cette classe : solidaire, participatif, sociétal.

Cette classe correspond à « l’accompagnement du projet » qui peut être à connotation technologique et ancré dans un espace géographique donné. Cette mission se retrouve dans la perspective du support (Isenberg, 2011 ; Feld, 2012 ; Stam, 2015 ; Spigel, 2017 ; Brown et Mason, 2017) afférent aux incubateurs (Theodoraki, Messeghem et Rice, 2018). Les associations de cette classe vont proposer un accompagnement global à des projets, ce qui suppose une phase ante création. Elles semblent destinées à s’adresser à de futures start-up qui peuvent faire l’objet d’une attention accrue de la part des pouvoirs publics, car pourvoyeuses de valeur ajoutée pour un territoire donné. Les objectifs ne s’envisagent pas dans une dimension socioculturelle traditionnelle des associations loi 1901 (Bazin et Malet, 2014), mais plutôt dans une orientation visant à faciliter le développement d’un projet basé sur une technologie, un savoir-faire. Il va donc s’agir d’associations visant à favoriser le développement de projets de création au sein de l’EE.

Cette classe ne se caractérise pas par la présence significative d’une période. Nous pouvons donc supposer que depuis 1997 jusqu’à 2016, l’ambition de favoriser des start-up a été à l’ordre du jour de façon constante. De la même façon, nous ne pouvons identifier des caractéristiques des départements qui permettraient de singulariser cette classe si ce n’est une présence plus marquée dans les départements disposant d’une population légèrement supérieure à la médiane. Nous constatons que ces associations ont tendance à avoir un objet exclusivement consacré à la création d’entreprise/l’entrepreneuriat. Elles apparaissent dans des départements où l’activité économique est assez peu marquée, preuve que ces associations peuvent être envisagées comme un instrument permettant de favoriser le développement économique du territoire.

4.2.4. Classe 4 : les préoccupations sociales

La classe 4 regroupe 20 % des associations de notre étude. Nous y retrouvons des termes habituels du monde associatif : culturel, éducation, santé, humanitaire, enfant, discrimination, solidarité, Afrique, famille, démuni, jeunesse, protection, sportif, culture, protection. Les verbes portent sur l’action d’aider, de lutter, de collecter. Cette classe s’oppose à des formes en lien avec le management de la jeune entreprise (entrepreneuriat, entreprise, réseau, porteur, business, accompagnement, marketing, affaire) qui se caractérise par le recours à un capital humain développé (innovation, innovant, supérieur, compétences).

Cette classe concerne donc des « préoccupations sociales » et nous n’en retrouvons pas de mention dans la littérature consacrée aux missions des acteurs des EE. Ce qui nous entraîne dans notre conviction de la spécificité du monde associatif. Il semble que l’aspect création d’entreprise ne soit qu’un aspect assez global parmi d’autres missions. D’ailleurs nous constatons qu’il s’agit d’associations, dont l’objet n’est que partiellement la création d’entreprise/l’entrepreneuriat. Ces associations ont été identifiées par le recours à la forme « création d’entreprise » plutôt qu’entrepreneuriat. La période 3 (2007-2011) est caractéristique de cette classe notamment sur 2011, à savoir la période qui a connu, comme nous l’avons vu, l’engouement pour le concept d’entrepreneuriat en France (Figure 1). Nous remarquons la présence de départements au capital humain légèrement inférieur à la médiane.

Cette classe apparaît atypique par rapport au vocabulaire d’ensemble (Tableau 1). Elle nous semble surtout témoigner du fait que la création d’entreprise est un moyen parmi d’autres d’aider des individus en difficulté. Elle témoigne du recours plus grand à la notion de création d’entreprise dans une perspective sociale. Il semble apparaître une contribution moins importante que les autres classes à l’EE tant par l’absence d’un vocabulaire lié au local qu’à une opposition à un vocabulaire spécifiquement entrepreneurial.

4.2.5. Classe 5 : l’entrepreneuriat étudiant

La classe 5 est la moins fréquente. Elle représente 11 % des associations. Nous retrouvons dans les descriptifs de mission des formes qui sont en lien avec le monde de l’enseignement supérieur : étudiant, université, supérieur, école, ancien, élève, ingénieur, ESC, master, school, alumni, campus… Des territoires connus pour leur dynamisme universitaire, comme Bordeaux, Lyon, Nantes, Languedoc-Roussillon, Nancy, Bretagne, Clermont, sont mentionnés de façon significative au sein de cette classe. Il s’agit surtout de lieux mentionnés explicitement dans l’objet associatif, car dédiés à un entrepreneuriat localisé au sein d’une institution du supérieur. Les verbes caractéristiques sont publier, tisser, relayer, entreprendre. Ils apparaissent assez généraux et nous apprennent assez peu sur les actions menées par ces associations. En termes de vocabulaire opposé (à savoir les mots rarement associés avec cette classe), il est intéressant de constater que nous retrouvons des formes en lien avec le socioculturel (emploi, social, culturel, insertion, aide, difficulté, durable, solidaire) ou avec la réalité managériale (création d’entreprise, développement, économique, administratif, finance).

Cette classe concerne donc « l’entrepreneuriat étudiant ». Elle tend vers les missions de capital humain (Isenberg, 2011), de talents (Feld, 2012 ; Stam, 2015), de ressources entrepreneuriales des universités (Brown et Mason, 2017) inhérents aux acteurs d’un EE. Cela concerne des associations, dont les buts sont assez généraux en regard de l’entrepreneuriat et pouvant être liés à l’institution d’origine des étudiants. L’opposition avec le vocabulaire managérial et économique indique un certain détachement par rapport à des actions visant à réellement développer un projet que l’on supposerait ambitieux, voire innovant en raison de l’origine (l’enseignement supérieur) de ses membres. Cette classe contient des associations permettant le développement d’une activité considérée comme entrepreneuriale au sein d’établissements du supérieur et permet donc de favoriser la culture de l’entrepreneuriat au sein de ces établissements constitutifs de l’EE local.

Cette classe se caractérise par la présence des termes « entrepreneuriat » et « entrepreneuriat + création d’entreprise » dans le libellé des missions. Il y a donc une dimension assez générale, on parlera de création d’entreprise en compagnie d’entrepreneuriat. Il s’agit également d’associations, dont l’objet est exclusivement dédié à l’entrepreneuriat sans autres missions annexes. En termes temporels, cette classe caractérise la dernière période de notre étude (2012-2016) laissant supposer une tendance récente. Ainsi, les efforts menés en France, par exemple, à travers le programme PEPITE ou le statut national étudiant-entrepreneur semblent se retrouver dans l’émergence de cette classe (Boissin, 2018). Cette classe se retrouve dans des départements au capital humain supérieur à la médiane et fortement peuplés, ce qui caractérise les territoires possédant plusieurs institutions du supérieur.

Le tableau 1 nous permet d’effectuer un récapitulatif de nos cinq classes en regard de la significativité des caractéristiques temporelles et territoriales. La colonne « objet » se réfère à une mission partiellement (partiel) en lien avec l’entrepreneuriat ou exclusivement (exclu) consacrée à cette thématique. Une case vide signifie qu’aucune variable n’est significativement liée à une classe (chi-2).

Tableau 1

Synthèse des classes et variables significatives

Synthèse des classes et variables significatives

Correspondance des variables significatives d’après le chi-2 : ++ très élevé, + élevé, – faible, – – très faible.

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5. Discussion

Nos résultats identifient des classes de missions sur la base du descriptif de l’objet des associations. Nous obtenons une certaine diversité de missions : certaines ont pour but de favoriser un esprit entrepreneurial, d’autres aident à la gestion des nouvelles entreprises. Enfin, dans une logique sociétale importante pour les associations (Bazin et Malet, 2014 ; Insee, 2016), nous identifions des associations, dont le but est d’aider à l’insertion. Un entrepreneuriat étudiant et un accompagnement au projet sont également mis à jour. Ces résultats confirment la diversité des acteurs au sein d’un EE (Isenberg, 2010 ; Mason et Brown, 2013 ; Mack et Mayer, 2016 ; Audretsch et Belitski, 2017 ; Brown et Mason, 2017).

L’échange entrepreneurial, l’entrepreneuriat étudiant apparaissent comme des classes assez globales permettant de promouvoir une culture de l’entrepreneuriat. L’accompagnement du projet et surtout l’aide à la gestion correspondent à des classes qui vont aider plus opérationnellement les individus qui souhaitent créer. Les préoccupations sociales peuvent s’envisager comme un intermédiaire entre un aspect global d’accès à l’entrepreneuriat et un appui pour les plus défavorisés dans la création d’entreprise à travers une assistance fonctionnelle. L’identification de ces cinq classes et l’examen de la littérature sur le sujet se rapprochent des propositions de Brown et Mason (2017) en ce qui concerne les missions des acteurs des EE : supporter l’entrepreneuriat à travers une aide factuelle (classes 2 et 3), permettre de fournir des ressources entrepreneuriales où la question du capital humain est importante (classe 5), permettre la rencontre et l’échange et favoriser la culture entrepreneuriale (classe 1). En revanche, notre classe 4 (« préoccupations sociales ») ne se retrouve qu’imparfaitement dans les catégories de Brown et Mason (2017). Toutefois, soulignons que Brown et Mason (2017) avaient retenu les acteurs entrepreneuriaux (incubateurs, accélérateurs), les fournisseurs de ressources entrepreneuriales (business angels, financeurs), les connecteurs entrepreneuriaux (CCI, centres d’entreprises, associations professionnelles) et les acteurs favorisant la culture entrepreneuriale (diffusion de la culture entrepreneuriale) sans particulièrement chercher à caractériser les acteurs associatifs.

Nos classes permettent également de retrouver la distinction « entrepreneuriat de nécessité versus d’opportunité » (Aubry, Bonnet et Renou-Maissant, 2015 ; Giacomin, Janssen et Guyot, 2016) qui existe en ce qui concerne les créations d’entreprise. Nous avons des associations, dont le but est de favoriser le recours à la création d’entreprise pour un public en attente rapide (« nécessité » ; classes 2 et 4) et des associations qui vont essayer de promouvoir une vision dynamique et à plus long terme de la création d’entreprise pour un public doté d’un fort capital humain (« opportunité » ; classes 1 et 5).

En ce qui concerne les caractéristiques des territoires, les critères traditionnellement identifiés comme facteurs associés à la création d’entreprise dans un territoire sont transposables aux associations, dont l’objet porte sur la création d’entreprise (Armington et Acs, 2002 ; Naudé et al., 2008 ; Lasch, Robert et Le Roy, 2013 ; Breitenecker et al., 2017). Taille, capital humain ou chômage d’un territoire sont liés à des types précis d’associations. Les départements les plus peuplés se caractérisent par des associations du type « échange entrepreneurial » et « entrepreneuriat étudiant ». Les départements qui ont un capital humain important se retrouvent tout autant dans ces deux grandes classes d’associations. À l’inverse, un département caractérisé par un niveau de capital humain faible et d’un taux de chômage élevé se retrouve dans des associations du type « aide à la gestion ». La question est de savoir si les associations à orientation plus « push » (entrepreneuriat de nécessité) sont créées pour aider au développement entrepreneurial de ces territoires ou s’il existe une désaffection pour les associations de type « pull » (entrepreneuriat d’opportunité) au sein de ces territoires. En ce cas, les pouvoirs publics pourraient agir afin d’équilibrer les actions.

La synthèse de la littérature menée par Giacomin, Janssen et Guyot (2016) permet d’associer à l’entrepreneuriat de nécessité un faible degré d’innovation, un besoin à court terme, la création d’entreprise comme seul moyen d’obtenir un emploi, un niveau d’éducation plus faible ou encore une rentabilité faible. L’entrepreneuriat d’opportunité se caractérise par l’innovation, une présence dans les secteurs technologiques, un capital humain supérieur à la moyenne, une volonté de créer des emplois ou encore la multiplicité des démarches menées, notamment en termes de construction de réseau.

Les résultats obtenus permettent d’envisager une dichotomie entre les facteurs explicatifs de la catégorie « aide à la gestion » (entrepreneuriat de nécessité) et « échange entrepreneurial » (entrepreneuriat d’opportunité). Un taux de chômage élevé et un faible niveau d’éducation favoriseront l’existence d’associations venant en aide à la gestion du démarrage d’une entreprise individuelle tandis qu’un taux de chômage faible et un fort niveau d’éducation favoriseront des associations dédiées à l’échange autour des thématiques en lien avec l’entrepreneuriat. Nous savons qu’il existe un lien en ce qui concerne le chômage et l’entrepreneuriat de nécessité (Reynolds, Storey et Westhead, 1994 ; Ritsilä et Tervo, 2002 ; Deli, 2011).

Figure 4

Évolution par période de l’effectif des classes (par période et en pourcentage)

Évolution par période de l’effectif des classes (par période et en pourcentage)

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D’un point de vue temporel, nous pouvons constater un accroissement du nombre d’associations, dont l’objet porte sur la création d’entreprise/l’entrepreneuriat. Ce décollage de l’entrepreneuriat peut s’expliquer par les efforts menés à partir de 2008 afin d’ouvrir et de « démocratiser » l’entrepreneuriat et sa culture en France (loi de modernisation de l’économie en 2008, statut d’autoentrepreneur en 2009). Cette dynamique est notamment liée à une plus grande utilisation du terme « entrepreneuriat » qui va devenir courant à partir de 2007 ; après 2013, il sera dominant. En complément, le développement des associations qui mentionnent parmi d’autres missions la création d’entreprise/entrepreneuriat semble témoigner d’une diffusion au sein de nos sociétés de l’intérêt de cet état d’esprit qui dépasse la seule sphère économique. Nous pouvons trouver dans ce résultat une diffusion de l’entrepreneurialisme (Dejardin et Luc, 2017). L’importance récente des missions d’échange entrepreneurial correspond à cette vision de l’entrepreneuriat comme une idéologie où le réseautage, les relations personnelles, la confiance sont majeurs. Le développement de ces associations est différent selon le type de classe. La figure 4 permet de visualiser les différences de répartition par périodes selon les classes.

Les associations relevant de la classe 1 (échange entrepreneurial) et 5 (entrepreneuriat étudiant) sont en croissance continue depuis 1997. À l’inverse les associations de la classe 2 (aide à la gestion) se retrouvent de moins en moins au fil des périodes. Les associations qui « accompagnent le projet » (classe 3) ont une répartition assez équivalente sur les quatre périodes. Enfin, les associations qui intègrent la création d’entreprise/entrepreneuriat au sein de préoccupations sociales ont connu un pic sur la période 2007-2011. Ce résultat montre une baisse d’intérêt en ce qui concerne des structures qui vont aider la gestion quotidienne des entreprises créées, voire son développement. Comme le soulignent Brown et Mason (2017), le problème des politiques publiques territoriales est de mettre l’accent sur la création d’entreprise en délaissant l’accompagnement de la croissance de l’entreprise (ce qui fait que la start-up en croissance risque de changer d’écosystème). En regard de nos résultats, nous constatons, dans un premier temps, l’existence de structures, dont le but est d’aider les volontés de création d’entreprises. La perspective est fonctionnelle et touche l’individu ou le projet individuel. Dans un second temps, l’offre d’appui va concerner des populations en difficulté. Il s’agit de préoccupations sociales qui concernent des problèmes de société. Enfin, dans un troisième temps, l’offre se fera plus dynamique en intégrant une dimension de projets à plus forte valeur ajoutée pour une population qui pourrait être attirée par l’entrepreneuriat. L’innovation, le développement sont les perspectives recherchées et semblent s’adresser à une communauté d’entrepreneurs ou de futurs entrepreneurs qui se constitue sur la base d’un réseau. La figure 5 synthétise cette analyse en intégrant l’aspect temporel (en pointillés). La perspective temporelle mise à jour pourrait être répliquée, dans des travaux futurs, afin de comprendre la structuration d’un EE donné en regard de ses différents acteurs et de leurs missions.

Figure 5

Dynamique des missions associatives et perspective temporelle

Dynamique des missions associatives et perspective temporelle

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Conclusion

Nos résultats permettent une classification des associations à but non lucratif qui s’intéressent à la création d’entreprise/entrepreneuriat. Cette démarche inédite se justifie par l’importance du monde associatif dans les économies occidentales (Nyssens, 2008 ; Bahmani, Galindo et Méndez, 2012) et notamment dans les EE (Mason et Brown, 2013 ; Audretsch et Belitski, 2017 ; Ezratty, 2017). Comme nous l’avons envisagé, les pouvoirs publics s’intéressent de près aux EE et ils peuvent avoir intérêt à favoriser la présence de ces associations au sein de ces EE (Brown et Mason, 2017 ; Alvedalen et Boschma, 2017). Cette analyse exploratoire semble donc utile dans la compréhension des EE (Stam et Spigel, 2016) tout en adoptant une perspective longitudinale (Mack et Mayer, 2016 ; Alvedalen et Boschma, 2017).

Cette recherche entraîne des implications à différents niveaux. Tout d’abord, la mise en avant d’une typologie des associations en lien avec la création d’entreprise peut orienter les politiques publiques en termes de subvention ou d’encouragement associatif sur cette thématique (Gu, Karoly et Zissimopoulos, 2008) d’autant plus que leur intérêt pour les EE se renforce (Brown et Mason, 2017). Ensuite, nos résultats permettent de constater un effet du contexte de l’EE sur le type des associations qui vont se retrouver au sein d’un territoire. Pour les politiques publiques, notre travail peut faciliter une analyse des associations en lien avec la création d’entreprise présentes dans un territoire. Les pouvoirs publics pourront identifier les missions absentes ou peu représentées de l’EE. De ce fait, nos résultats peuvent faciliter le suivi des acteurs (associatifs ou non) en lien avec la création d’entreprise. Notre travail est également utile pour les associations en lien avec l’entrepreneuriat qui s’interrogent sur leur mission. Il peut s’avérer pertinent de faire évoluer la mission de l’association afin d’être plus en correspondance avec les attentes de leur EE. L’idée n’est pas uniquement de correspondre aux attentes supposées de l’EE, mais de pouvoir également proposer des missions non encore desservies au sein de l’EE, voire nouvelles.

D’un point de vue théorique, notre recherche permet d’intégrer de façon frontale la question des associations comme élément constitutif des EE. Ces associations sont citées dans la littérature, mais demeurent peu étudiées sous cet angle (Isenberg, 2010 ; Voelker, 2012 ; Audretsch et Belitski, 2017). Nous avons mis à jour cinq grands types de missions, à travers une méthode originale, qui peut permettre de favoriser la discussion sur les missions des acteurs des EE (Isenberg, 2011 ; Stam, 2015 ; Leyden, 2016 ; Spigel, 2017). Ces classes se rapprochent des propositions de Brown et Mason (2017) tout en conservant la spécificité du monde associatif. Ces missions pourront se retrouver au sein d’autres acteurs et permettre de mieux comprendre leur rôle dans l’animation d’un EE. De façon complémentaire, notre travail s’inscrit dans un questionnement concernant l’étude de la dimension temporelle dans les recherches sur les EE (Alvedalen et Boschma, 2017 ; Acs et al., 2017) et nos résultats peuvent être envisagés en appui de la réflexion portant sur le cycle de vie des EE (Mack et Mayer, 2016).

En termes de limites, nous avons pris le parti de ne pas hiérarchiser les EE en fonction de leur réussite, notamment à travers la question du nombre de création d’entreprises sur le territoire considéré ou de la pérennité de ces créations. Nous pouvons supposer des effets différents selon nos classes : les classes 1 et 5 peuvent entraîner une augmentation de création d’entreprises tandis que la classe 2 peut favoriser la survie des créations, par exemple. Notre approche globale, concernant les associations qui supportent toute forme de création d’entreprise s’oppose à une vision plus « élitiste » que nous pouvons retrouver chez Stam (2015) qui envisage l’EE à travers la notion d’entrepreneuriat ambitieux. Toutefois, Brown et Mason (2017) considèrent aussi bien des EE en expansion que des EE embryonnaires. En outre, du fait des contraintes empiriques, nous avons pris en compte les associations créées sans enlever, pour des raisons de difficultés d’identification, celles qui n’ont plus d’activité ou qui ont modifié leur mission. Pour les mêmes raisons, nous n’avons pas pris en compte les associations créées avant 1997. Nos variables illustratives ont délaissé les variables de politiques publiques des territoires (budgets, subventions aux associations) afin de retenir les critères utilisés pour comprendre l’apparition de nouvelles entreprises au sein d’une zone géographique. Demeure, également, la question de l’étendue spatiale de l’EE. Le choix du département nous est apparu comme un bon compromis, mais des étendues moins larges et plus cohérentes (aires urbaines par exemple) peuvent s’avérer également pertinentes bien que statistiquement plus complexes. Au-delà de la simple entité administrative, la zone d’emploi, permettant de comprendre le fonctionnement économique d’un territoire, peut s’avérer intéressante à retenir. Nous sommes conscients que notre posture méthodologique, basée sur un découpage géographique, limite la richesse d’analyse d’un EE en regard des échanges qui le constituent (biens, services, personnes, connaissances…).

Toujours est-il que cette recherche, qui s’intéresse à des acteurs souvent mentionnés, mais peu étudiés dans la littérature sur les EE, doit permettre de mieux comprendre la situation des EE et leurs dynamiques. Le prolongement de cette recherche serait de répliquer la méthode sur d’autres acteurs des EE. Une comparaison de nos résultats, issus de la France, peut également être effectuée en travaillant sur d’autres pays. Un autre prolongement possible pourrait porter sur l’incidence des acteurs associatifs sur la réussite de la création d’entreprise au sein des EE comme de la pérennité des créations (Acs, Autio et Szerb, 2014). Ce travail se veut une étape dans la compréhension des efforts associatifs à orientation entrepreneuriale et peut permettre, par la suite, d’en juger l’impact sur la création effective d’entreprises. Nous souhaiterions, notamment, travailler sur l’approfondissement de cas qui se concentreraient sur quelques EE majeurs afin de comparer, de façon plus fine, les dynamiques, notamment en ce qui concerne l’apparition des différentes classes au fil du temps et suivre leur évolution.