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Les activités sportives chez les retraités

Notre société s’intéresse de plus en plus au « risque », et semble surtout l’associer aux jeunes. Les études sur ce thème, dans les domaines de l’anthropologie et de la sociologie, donnent des significations diverses à la recherche du risque chez les jeunes (Delignières, 1991 ; Le Breton, 1995). La « prévention des risques » est une priorité dans les établissements scolaires. La violence, la consommation de drogues, les idéations suicidaires, etc., sont identifiées comme des comportements à risque, et pour en réduire l’incidence les activités physiques et sportives figurent parmi les moyens privilégiés.

Qu’en est-il des activités physiques et sportives à la retraite ? Le discours sur les pratiques sportives après 60 ans est double : si elles favorisent la santé, elles sont aussi frappés « d’interdits ». Après cet âge, le corps témoigne de sa fragilité de diverses manières et le sport peut paraître « risqué ». Pourtant de nombreux individus, peu importe leur sexe, leur condition d’existence, leur âge, s’engagent dans la pratique sportive. Si les personnes de 60 ans sont celles qui pratiquent le moins de sport, c’est aussi dans cette tranche d’âge que le nombre de pratiquants augmente le plus (une augmentation de 70,3 % en 20 ans selon la Lettre de l’Économie du sport, nov. 1993).

Dans cette étude, il s’agit de cerner les perceptions du risque dans les investissements physiques des retraités engagés dans la résistance au vieillissement. Nous comparons la population des retraités sportifs aux retraités non sportifs pour mieux vérifier les effets des pratiques sportives sur la gestion du vieillissement au quotidien.

Plusieurs études font état de l’ampleur des pratiques sportives après 60 ans. En effet, les activités physiques et sportives des retraités sont en pleine expansion. Si seulement 3 % des retraités déclaraient pratiquer une activité sportive en 1965, ils étaient 53,8 % en 1985 (Irlinger Louveau et Métoudi, 1989) et en 1990 plus de 70 % des retraités déclaraient s’adonner à une pratique physique et sportive (SOFRES – Notre temps, 1990). Par ailleurs, une étude portant sur l’évolution de la gymnastique (INSEE, 1993) a révélé que, de 1973 à 1988, la proportion des pratiquantes s’est multipliée par 19. En effet, la pratique féminine est passée de 28,9 % en 1967 à 42,5 % en 1988, soit un gain de 47 %. La pratique et le niveau de pratique des femmes de plus de 60 ans diffèrent selon l’activité. Si les joueuses de tennis sont d’anciennes sportives, les pratiquantes de gymnastique sont majoritairement des pratiquantes récentes. Aussi, les femmes semblent être plus touchées par le « culte du corps » et leurs activités se rapprochent de celles des hommes. Cette explosion des pratiques féminines touche aussi les femmes âgées de plus de 60 ans en milieu rural (Malenfant, 1984).

D’autre part, la création de la Fédération française de la retraite sportive (FFRS) exprime une volonté de pratiquer un sport en y incluant le mode compétitif. La FFRS compte aujourd’hui 500 clubs dans toute la France et 16 380 adhérents sportifs (1994). Cette fédération, au même titre que les autres fédérations sportives, organise aujourd’hui des compétitions dans tous les sports, qui sont gérées par le ministère de la Jeunesse et des Sports. Les associations de la retraite sportive fleurissent, pour leur part, en milieu urbain et leurs adhérents sont principalement des cadres moyens et supérieurs. Dans un département breton on dénombre 700 licenciés vétérans seniors dans la Fédération française de lawn tennis (soit, 8 % de l’ensemble des licenciés). Les autres fédérations qui regroupent le plus de pratiquants de plus de 55 ans sont : le cyclotourisme (17 % de l’ensemble des licenciés), la randonnée pédestre (25 % du nombre des licenciés) et le tir (10 % du nombre des licenciés).

Cette augmentation de la pratique sportive chez les retraités est aussi visible ailleurs qu’en France. Ainsi, au Québec, 53 % des retraités (recensés) pratiquent une activité physique et sportive (Delisle, 1993). Depuis 1981, l’activité physique des retraités au Canada a connu une augmentation de 40 %. En revanche, bon nombre de personnes âgées déplorent le manque de possibilités offertes dans ce domaine. L’étude de Delisle rapporte que « le manque de compagnie, la peur de ne pas être capable de faire l’activité et la peur de se blesser » sont invoqués comme constituant des obstacles.

Tous ces exercices sportifs restent associés à des risques. Il est notoire que les exercices physiques constituent un facteur d’accélération du vieillissement ; par exemple, les sports de plein-air favorisent les rides, l’entraînement intensif conduit souvent à des traumatismes ostéo-articulaires irréversibles, sans oublier qu’une pratique performante après 50 ans augmente les risques cardiovasculaires et les chutes avec leurs conséquences sur l’ensemble de la vie quotidienne chez les plus de 60 ans. Par ailleurs, les exercices physiques sont aussi perçus comme un facteur de prévention du vieillissement, notamment lorsqu’ils sont modérés et liés à toute une hygiène de vie. Ainsi, « l’inactivité est perçue comme un facteur essentiel de vieillissement... le mouvement est le plus efficace régénérateur du corps, il faut craindre dix fois plus les excès de repos que les excès de dépense énergétique » (propos d’un médecin cité par Gaullier, 1988, p. 266). La vieillesse n’est alors plus une fatalité. Joffre Dumazedier (1988, p. 157) fait état de ce nouvel engouement pour les pratiques du temps libre, « cette expérience d’un temps libre dominant au troisième âge peut nous permettre de mieux approfondir le sens des activités volontaires de loisir pour la réalisation de soi-même ». De nos jours, les personnes de 60 ans et plus n’attendent pas la mort ; elles veulent au contraire vivre pleinement leur retraite. Même si elles ont conscience d’une certaine baisse de capacités physiques et / ou intellectuelles, cela ne suffit pas à les amener à vouloir une fin de vie en se protégeant au maximum. Vivre pleinement, c’est continuer à s’initier à des activités sportives nouvelles, dans des lieux nouveaux, mais aussi s’entraîner davantage dans des sports déjà pratiqués (Feillet, 1997).

Aux bienfaits physiques de la pratique s’ajoutent des bénéfices au plan psycho-social. Même si certaines pratiques comportent un risque, celui-ci peut même être recherché comme facteur de stimulation. Les pratiques de loisir représentent pour Elias et Dunning (1986) des activités « dé-routinisantes » au sens où elles permettent de vivre des émotions, et procure des formes d’excitation absentes des autres activités (professionnelles, contraintes). On peut alors supposer que les retraités cherchent à vivre à travers leurs pratiques sportives des émotions fortes, comme le plaisir, et que celles-ci participent d’une recherche de valorisation personnelle. Dans une étude sur le risque, Wilde (1988) souligne que la prise de risque peut avoir une signification pour les jeunes sportifs en quête d’une excitation dans leur loisir. Le niveau de risque accepté en relation avec la recherche de performance leur permet d’avoir un niveau d’activation élevé. Il est, en outre, associé à des facteurs externes, et en tant que moyen de gratification, il permet de satisfaire d’autres besoins. Si les jeunes et les hommes acceptent des niveaux de risque plus élevés, c’est parce que les bénéfices nets qu’ils en retirent, quels qu’ils soient, sont plus importants à leurs yeux qu’à ceux d’autres sous-groupes de population.

Le rôle des représentations sociales entre en jeu face à l’engagement dans les exercices, donc dans la prise de risque. Le discours institutionnel sur le vieillissement du corps contraint certains retraités à se protéger. Les pratiques sportives sont perçues comme des risques supplémentaires après un « certain » âge. En revanche, ce discours semble avoir l’effet contraire pour d’autres retraités. L’engagement dans la performance permet d’éviter les dégradations. Paillat et ses collaborateurs (1989) soulignent que la pratique d’activités physiques et sportives est un facteur positif dans la sensation de bien vivre sa retraite et d’être en bonne santé. Les retraités pratiquant une activité physique et sportive se positionnent dans les cadrans : activité – nouveauté – extraversion.

Aujourd’hui des personnes de plus de 60 ans, hommes et femmes, arment leur corps pour résister au vieillissement (Feillet, 1997 ; 2000). Nous nous intéressons aux représentations du vieillissement et à la perception du risque chez les retraités sportifs et les retraités non sportifs, au rôle de ces représentations sur les engagements sportifs (donc sur les prises de risque) et sur les effets différentiels des pratiques de loisir sur la vulnérabilité des retraités.

Ceci nous conduit à centrer notre étude autour du concept de risque et à tenter de répondre aux questions suivantes :

  • Si certaines pratiques sportives comportent un risque d’accident, qu’est-ce qui pousse certains à s’y adonner de plus en plus en vieillissant ?

  • Le plaisir éprouvé lors de la pratique sportive est-il supérieur à la peur de l’accident ?

  • Le comportement « risqué » est-il propre à certains groupes : les hommes plus que les femmes, les sportifs plus que les non-sportifs ?

  • En comparaison des jeunes sportifs, les retraités prennent-ils ou perçoivent-ils plus de risques ?

Le concept de représentation est pris au sens de « forme de connaissance socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social » (Jodelet, 1989, p. 36). Les représentations sociales du vieillissement témoignent des modèles culturels traditionnels de la vieillesse, donc renvoient à la fragilité, à la perte, et aux dégradations ces représentations sociales « en tant que systèmes d’interprétation régissant notre relation au monde et aux autres, orientent et organisent les conduites et les communications sociales » (ibid.). On peut alors s’interroger sur les représentations du vieillissement des deux groupes de retraités, pratiquants sportifs et non-pratiquants, les pratiquants sportifs se décomposant eux-mêmes en deux sous-groupes : les anciens sportifs et les nouveaux pratiquants.

Le risque est considéré ici sous ses deux aspects : lié à la fonction aléatoire de la situation et des enjeux. La prise de risque dépend des avantages et des désavantages qui découlent de la situation et doit être comparée avec le degré de danger qu’on se sent capable d’accepter (Wilde, 1988). Ainsi, dans la résistance au vieillissement, si pour certains retraités des bénéfices importants sont escomptés des pratiques sportives – en particulier, le plaisir, les émotions propres aux pratiques faites sur le temps de loisir (Elias et Dunning, 1994), la perception positive de leurs ressources physiques et de leurs compétences –, on peut supposer qu’ils accepteront des niveaux de risque plus élevés. Pour Guimelli (1994), le vécu des pratiques (sociales ou professionnelles) amènerait un changement des idées, un changement d’état des représentations sociales. Le facteur « pratiques » étant un différenciateur important des représentations. Nous formulons alors une hypothèse :

Les anciens sportifs ont conscience de leurs pertes physiques, néanmoins ils perçoivent positivement leur vieillissement comparé aux autres retraités. Corollairement, leur perception du risque diffère des retraités nouveaux pratiquants et non sportifs. De la même manière, les engagements physiques différents des hommes et des femmes créent des divergences dans la perception du risque.

Méthodologie de l’étude

Population et échantillon

La population se compose de retraités de 60 ans et plus issus de deux départements bretons. Cette population a été contactée par l’intermédiaire des Offices de retraités et de personnes âgées, des clubs de troisième âge, des clubs sportifs, de l’Université du Temps libre. Des résidents de foyer-logements ont aussi été retenus pour leur grand âge et la particularité de leur lieu de vie. Les institutions choisies ont accueilli les étudiants de la faculté du sport pour encadrer les activités physiques des personnes âgées.

Nous avons composé notre échantillon de manière diversifiée en tenant compte des variables et rapports suivants (annexe 1) :

  • Retraité vivant à la maison / Résident d’institutions gérontologiques

  • Pratiquant / non-pratiquant (dans le domaine sportif)

  • Homme / femme

  • Âge : 60-70 ans, 70-80 ans, + de 80 ans

  • Veuf / marié (vivant seul ou en couple)

L’âge de ces retraités se situe entre 60 et 96 ans avec une majorité deretraités entre 60 et 75 ans. Les personnes interrogées de plus de 80 ans résident principalement en foyer-logement. Une majorité de femmes ont répondu au questionnaire. Nous avons délibérément choisi des pratiquants sportifs (anciens et nouveaux) faisant de la gymnastique mais aussi du tennis de table, du tennis, du cyclotourisme de la randonnée pédestre, de la natation, du tir à l’arc et s’initiant à des nouvelles pratiques à l’occasion de journées « découvertes » ou « portes ouvertes »... pour vérifier si la prise de risque différait dans ces groupes.

Le dépouillement du questionnaire (231 réponses) donnent quelques informations sur l’échantillon : 151 retraités entre 60 et 75 ans vivent à la maison. Cette population se compose de 71,86 % de femmes et 28,14 % d’hommes (soit 65 hommes dont 6 en foyer-logement et 166 femmes dont 74 en foyer-logement).

Outils méthodologiques

Recueil des données

Nous avons eu recours à l’entretien même si cela exige l’utilisation de méthodes d’analyse de contenu qui sont encore aujourd’hui controversées (Abric, 1994). Au préalable, nous avons récupéré 231 questionnaires, utilisés comme préenquête pour construire un guide d’entretien thématique (Blanchet, 1987). Puis nous avons réalisé 40 entretiens approfondis (cf. répartition des retraités interrogés en annexe 1) ; en complément nous avons observé les 10 personnes résidant en institutions gériatriques et 15 retraités plus jeunes sur le terrain de leur pratique physique et sportive.

Les entretiens se sont échelonnés sur huit mois, le temps de permettre à des résidents de foyers-logements de participer à plusieurs séances d’activités physiques et sportives encadrées par des étudiants de la faculté du sport. Nous avons également tenté de recueillir des informations sur les comportements des résidents au cours de la vie quotidienne, auprès des personnels des foyers-logements. Nous avons choisi plus de pratiquants que de non-pratiquants, car nous voulions préférentiellement éclairer la relation risque / activités sportives). L’entretien nous a permis d’approfondir et de préciser certaines réponses du questionnaire et / ou certains comportements.

Les variables

Au début de l’étude, nous avons choisi le sexe et l’âge (moins de 75 ans et plus de 80 ans) comme variables indépendantes, sachant que l’âge était corrélé à une différence de lieu de vie : à la maison ou en institution pour personnes âgées. Puis une autre variable indépendante nous a paru déterminante : être pratiquant sportif (ancien et nouveau) ou non-pratiquant sportif. Les variables dépendantes retenues ont été les représentations du vieillissement des retraités, les représentations des activités sportives, la perception du danger et les conduites à risque.

Traitement des données

Nous avons utilisé le logiciel Excel pour effectuer l’analyse thématique des entretiens (Bardin, 1989 ; Tessier, 1993). Nous avons procédé à une analyse verticale et horizontale du contenu de ces entretiens pour approfondir les représentations du vieillissement et des pratiques sportives et les conduites à risque des retraités, comportant successivement :

  • une phase de découpage en unités significatives (sans grille de découpage) de tous les entretiens (analyse verticale) ;

  • une phase de regroupement de ces unités (analyse horizontale) dans des rubriques tendant à l’homogénéïté (Filloux, 1974). Nous avons constitué une grille d’analyse catégorielle, en privilégiant certains thèmes tels les suivants : le vieillissement négatif, le vieillissement positif, la pratique sportive des retraités et les types de risques. Chaque thème a donné lieu à un certain nombre d’indicateurs (p. ex., pour le vieillissement cinq aspects positifs et cinq aspects négatifs : amélioration des capacités ou pertes physiques (rides, embonpoint, douleurs, handicap, performance, puissance, ligne), psychologique (mémoire, apprentissage, tristesse, etc.), social (contacts, solitude, etc.). Pour le thème de la pratique sportive, nous avons répertorié certains indicateurs tels que : les techniques, l’environnement, les modalités, les relations, les objets d’inquiétude dans les pratiques : sur le plan physique (chute, défaillance cardiaque, traumatologie ostéo-articulaire, etc.) ; sur le plan moral (peur d’échouer, de perdre la face) ; et au plan social (être mis à l’écart par les plus jeunes, le niveau de conscience du danger [possibilités d’accidents ?], la perception de ses capacités et compétences [et / ou de ses pertes de capacité et de compétence], la conscience de l’enjeu du risque [la prise de risque, pour quoi faire ?] ).

Nous avons obtenu quelques repères quantitatifs (nombre d’occurrences dans l’analyse horizontale des unités). Le logiciel Excel permet de procéder à des tris à plat – le pourcentage obtenu a été calculé par rapport au nombre total de phrases (visible sous forme d’histogrammes dans les résultats) –, puis à des tris croisés entre variables indépendantes et dépendantes. Cette analyse thématique nous a permis d’utiliser le test du chi-carré, traitement statistique pour comparer deux répartitions ou deux distributions (Mialaret, 1991 ; Tessier, 1993), selon les hommes et selon les femmes, selon l’âge, puis selon le type de retraité : pratiquant (ancien ou nouveau) ou non-pratiquant sportif.

En complément (Abric, 1994), nous avons procédé à des observations directes des personnes âgées en institution (au début de la création des séances de gymnastique encadrées par des étudiants STAPS, soit en octobre 1997, puis trois mois plus tard, puis en fin d’année, en mai 1998) et des retraités vivant à la maison, en situation d’activités sportives (basket, volley, badminton, tennis de table, GRS, foot, gym’tonic, « step », etc.) encadrées aussi par des étudiants STAPS. Nos indicateurs portaient sur l’engagement dans la tâche (selon la tâche prescrite), la transformation de la tâche (redéfinition de la tâche), évitement total de la tâche (Famose, 1983). Cette méthode ne nous a pas permis de recueillir des données quantitatives, mais, nous a fourni un support complémentaire dans l’analyse qualitative.

Résultats

Les données quantitatives permettent de repérer des différences dans les représentations du vieillissement entre les nouveaux pratiquants et les non-pratiquants.

Les résultats du découpage du texte (annexe 2) montrent une différence de représentations positives entre les deux groupes formés par les nouveaux pratiquants et les non-pratiquants sportifs. Les nouveaux pratiquants ont une perception positive de leur vieillissement en ce qui concerne les ressources physiques (« je me sens capable de faire des mouvements… d’essayer des nouveaux sports »), les aspects psychologique (« je suis gaie, on s’amuse... ») et social (« j’aime bien les contacts, avec le sport, on rencontre toujours des personnes »). Les représentations négatives du vieillissement sont aussi différentes entre les nouveaux pratiquants et les non-pratiquants ( annexe 3).

Le calcul du chi-carré (21,94) révèle aussi une différence significative (avec une marge d’incertitude de 1 %) entre ces deux groupes. Le calcul du chi-2 (3,01) des représentations du vieillissement entre les nouveaux pratiquants et les anciens sportifs révèle aussi une différence significative.

Le calcul du chi-deux (5,39 > 3,84 avec une marge d’incertitude de 5 %) révèle aussi une différence significative des représentations du vieillissement entre les hommes et les femmes, les représentations positives des femmes étant plus nombreuses que celles des hommes ou au moins elles l’expriment davantage.

S’agissant de la perception du danger, le calcul du chi-carré (0,41) fait apparaître une différence non significative entre l’ensemble des groupes, pratiquants sportifs (nouveaux et anciens) et non-pratiquants, une différence significative (2,79 > 2,74 avec une marge d’incertitude de 10 %) entre les hommes et les femmes. Les dangers dans le rapport au vieillissement s’expriment à travers des indicateurs comme « peur de la phlébite », « être cardiaque », « faire beaucoup d’arthrose », « avoir des vertiges » et avoir peur de la chute, de l’accident ostéoligamentaire et musculaire. La chute, lors de la pratique sportive, représente le plus grand risque dans l’ensemble de l’échantillon.

La perception du danger en vieillissant entraîne-t-elle la suppression des comportements à risque ? Même si les nouveaux pratiquants perçoivent le sport comme une activité dangereuse, ils s’y engagent au moment de la retraite. Par contre, le calcul du chi-carré (7,44) révèle une différence significative entre les nouveaux pratiquants et les anciens sportifs.

Le calcul du chi-carré selon le sexe révèle aussi une différence significative dans l’ensemble de la population retraitée sportive (6,21 > 3,84 avec une marge d’incertitude de 5 %) et entre les nouveaux pratiquants et les anciens sportifs (14,81 avec une marge d’incertitude de 1 %). Des comportements à risque apparaissent chez les femmes anciennes sportives à travers des indicateurs comme, « aller au-delà », « s’entraîner davantage », « devoir avoir mal », « faire beaucoup plus que ce qui est demandé (par l’animatrice) », « continuer à faire du sport avec les jeunes, même si c’est dur ». Chez les hommes on trouve « faire le caïd », « courir en cachette », « se battre face à un jeune ». On retrouve aussi chez les hommes des indicateurs de non-prise de risque comme « faire doucement », « s’arrêter à temps », « avoir peur d’avoir mal », « faire moins qu’avant », « ne plus vouloir rivaliser avec les jeunes ». En prenant comme variable l’âge (et / ou le lieu de vie, maison ou institution), le calcul du chi-carré fait apparaître une différence significative (24 > 6,64 avec une marge d’incertitude de 1 %) entre les retraités ; chez les personnes de plus de 80 ans, on compte très peu d’indicateurs de prise de risque, sachant que « le sport avec les jeunes » correspond à de la gymnastique encadrée par un jeune et non à une confrontation sportive. (Principaux résultats sous forme de tableau en annexe 4).

Discussion

Rôle des représentations du vieillissement sur les pratiques sportives

Représentations du vieillissement des nouveaux pratiquants et non pratiquants sportifs

Les résultats montrent une différence de représentations entre les nouveaux pratiquants et les non pratiquants. On peut avancer que les représentations positives du vieillissement des nouveaux pratiquants jouent un rôle dans l’engagement sportif au moment de la retraite ou lorsque l’occasion se présente (p. ex., dans les foyers-logements). La perception positive de leur vieillissement les conduit à tenter des expériences. En revanche, pour les non-pratiquants de l’échantillon, la peur de la maladie est très prégnante. La conscience d’une sorte de fragilité nuit à leur engagement dans une activité physique au moment de la retraite. Leur manque de confiance en leurs ressources physiques et / ou en leurs qualités physiques agit en processus inhibiteur de la pratique. Comme dans l’étude de Delisle (1993), « la peur de se blesser » et « la peur de ne pas être capable de faire l’activité » représentent des obstacles insurmontables. Des indicateurs d’image sociale jouent aussi en leur défaveur (« que diraient « les autres » si on commençait à faire du sport à notre âge ? »). Les « autres » représentent les voisins mais aussi les enfants et le conjoint ou la conjointe. Selon l’étude de Paillat et de ses collaborateurs (1989), ces retraités sont plutôt introvertis, ont peur de l’activité et de la nouveauté (tant au plan physique que social).

Les résultats montrent aussi des variations selon l’appartenance sexuelle. Les femmes restent plus nombreuses à s’engager dans les activités physiques (et en particulier la gymnastique) au moment de la retraite. Elles « osent » davantage car la perception de leur vieillissement n’apparaît pas comme un frein à la pratique. Les femmes semblent pouvoir maîtriser leur santé en jouant sur certains facteurs. Elles semblent posséder une connaissance du corps qu’on ne relève pas chez les hommes interrogés. Même si cette connaissance est plus intuitive chez les femmes de milieu rural, chez celles qui pratiquent la gymnastique, cette connaissance issue de leurs sensations les a conduit à participer aux séances de gymnastique. L’attention au corps et l’attitude « préventive » diminuent la perception des risques. Pour les nouvelles pratiquantes, la gymnastique contribue à la prévention des risques liés au vieillissement.

Chez l’homme, la perte de « force » représente un grand danger. La solitude exacerbe la perception du risque. Ces hommes iraient volontiers dans un groupe pour rompre l’ennui et la solitude mais « ils n’osent pas ». Deux hommes de milieu rural s’engagent dans la gymnastique au moment de la retraite. Ils ont une perception positive de leur santé et de leur force. Pour les hommes âgés de plus de 80 ans et vivant en foyer-logement qui ne participent pas à la séance de gymnastique, la prise en charge médicale, sociale et psychologique assurée par l’institution est rassurante. Si la peur de la mort est présente, la peur de souffrir la dépasse.

La solitude et / ou l’isolement se révèle comme une dimension essentielle dans la perception négative du vieillissement. Le veuf, même sportif, exprime son angoisse quotidienne « quand on est seul, on a l’impression que tout s’écroule... chaque petit problème devient presque insurmontable » ; la solitude signifie l’ennui, la mort. Pour tous les retraités, la perte du conjoint représente une fragilisation par rapport à la santé, « à deux, tout était plus facile... chacun s’appuyait sur l’autre ». Être veuf, c’est avoir peur au quotidien, peur de tout, même de « soi ».

Pratique sportive et perception du danger : risque physique corrélé au risque affectif

Chez les pratiquants sportifs la crainte de la chute représente un danger important dans les activités comme le cyclotourisme, l’équitation, le ski, et aussi, pour certains, la randonnée (selon l’environnement de cette pratique). La chute est aussi citée en gymnastique où on peut avoir des « vertiges » dans des situations inhabituelles de recherche « d’équilibre ». La peur de la chute varie selon le vécu dans l’activité. Le degré de gravité varie selon la chute mais le coma, le handicap et la mort sont les plus cités. La « défaillance cardiaque », due aux « démarrages brutaux », représente un risque chez les retraités qui pratiquent le tennis sous forme compétitive, individuelle et contre des jeunes. Le tennis représente aussi un risque de « déchirure musculaire », « d’entorse », de « tendinite » et, à moindre degré, de fracture. Le tennis de table semble exempt de risque si ce n’est « l’entorse ». Chez les résidents de foyers-logements, la chute représente le handicap, donc l’obligation de garder la chambre et le début de la perte d’autonomie.

Vouloir continuer à rivaliser, ne pas lâcher prise accroît le risque d’infarctus. La pratique du tennis représente aussi un risque moral, soit celui de « perdre la face » si la fatigue due à l’âge nuit à la poursuite de l’activité. Ce risque-là est exacerbé dans le face-à-face avec le jeune sportif. Les anciens joueurs de tennis ont conscience de prendre ce double risque durant leur pratique. En cherchant à dépasser leurs limites, ils risquent l’accident physique, mais d’un autre côté, s’ils « laissent passer les balles », ils se feront traiter de « vieux ». Les pratiquants de tennis de table évoquent le « peu d’espace à couvrir », mais surtout ils « laissent la compétition de côté ». Même s’il arrive parfois que ces retraités se « lancent des défis » entre eux, le tennis de table reste « un jeu » où les différentes catégories d’âge ne s’affrontent pas (à l’inverse du tennis où les pratiquants de plus de 60 ans participent aux compétitions officielles : championnat départemental par équipe et individuel, corporatiste, tournois). Les joueurs de tennis de table préfèrent ne pas rencontrer les jeunes, « de toute façon, on n’a pas le même jeu... il y a des coups nouveaux ».

Si la gymnastique n’apparaît pas comme une pratique risquée, elle peut néanmoins engendrer de l’inquiétude selon les situations dans certains cas. Si la gymnastique « musclante » pratiquée par les anciennes sportives devient intéressante lorsque les muscles font « mal », car cela témoigne d’un réel travail sur le corps, pour les nouvelles pratiquantes, il ne faut « pas forcer » au risque de provoquer des douleurs et des traumatismes : « contractures », « claquages ». Ainsi, la gymnastique est à la fois une activité qui permet de repousser ses limites sans risque et qui peut provoquer un accident si l’on tente de forcer.

Effet des pratiques sportives sur les représentations du vieillissement et la perception du risque

Risque et pratique sportive

Les résultats révèlent que les anciens sportifs prennent des risques en tentant de reculer leurs limites, la douleur étant le signe du travail bénéfique du corps, alors que les nouveaux pratiquants évitent les risques. Dans une étude précédente (Feillet, 1997), nous avions montré que les pratiques sportives permettaient de résister au vieillissement tant sur les plans physique, psychologique que social. Ainsi, la sensation d’avoir gardé sa souplesse, sa rapidité, son énergie ou sa vivacité et son réseau relationnel était évoquée par tous les anciens sportifs, un peu plus par les femmes que par les hommes. La capacité à faire des apprentissages est exprimée par l’ensemble des pratiquants. En outre, le plaisir éprouvé lors de la pratique sportive reste une dominante chez tous, anciens et nouveaux sportifs.

Les prises de risque observées dans les résultats chez les anciens sportifs peuvent être corrélées à l’estimation des coûts et des bénéfices de l’investissement physique dans la résistance au vieillissement. Les pratiquants sportifs de plus de 60 ans évaluent leurs ressources et capacités physiques et les comparent au niveau de risque qu’ils se sentent capables de courir. Dans le rapport à leur histoire, ils perçoivent leur vieillissement en termes de perte de performance. Par contre, dans le rapport aux autres retraités leur vieillissement est plutôt perçu positivement. Le plus grand risque est d’être obligé de cesser toute pratique. Aussi, le retraité prend des risques, « va au-delà », « tente de gagner contre un jeune » pour éviter le plus grand risque : la mort physique et sociale, la vieillesse. En revanche, dans la situation d’affrontement avec les jeunes, si les représentations de perte dominent, le niveau de risque accepté diminue et corollairement le sentiment d’estime de soi, de confiance en soi. D’un autre côté, jouer avec des hommes de son âge n’est pas satisfaisant ; il n’y a pas de défi, « ce n’est pas du tennis ! ». Au foyer-logement, la gymnastique encadrée par les étudiants de la faculté du sport permet de faire des efforts. Les résidents ont pleine confiance dans les animateurs et même si la gymnastique peut représenter un risque, ils estiment avoir « tout à gagner ». La gymnastique, en développant la souplesse, la tonicité et les réflexes redonne confiance en soi. Lorsqu’on se sent « en pleine possession de ses moyens », les inquiétudes s’atténuent et les appréhensions au regard des risques aussi.

Pour les femmes, si toute activité physique et sportive peut présenter un risque, il est minime comparé au maintien de la santé, au « bien-être » et au « plaisir » procurés par la pratique. Ce bien-être et ce plaisir sont attribués tant aux sensations physiques comme telles qu’aux échanges sociaux. Les femmes sportives sont engagées dans le perfectionnement du corps. À travers la gymnastique, le tennis, le cyclotourisme... les résultats ont montré des indicateurs positifs de prise de risque. Ces femmes qui « connaissent leurs limites » veulent vivre pleinement leur corps sans le traumatiser mais en essayant « de faire toujours mieux... c’est excitant ». Voir son corps se transformer « c’est un vrai bonheur ». Pourtant, la pratique sportive peut aussi provoquer des douleurs intenses, notamment « aux cervicales, dans les genoux et dans les hanches », mais l’arrêt de la pratique accentuerait les douleurs et surtout ferait basculer dans la vieillesse. Aussi, comme le corps vieillit, il faut « redoubler d’efforts... s’entraîner davantage... faire beaucoup plus d’abdominaux », car avoir mal signifie que son corps travaille, qu’il peut encore progresser. Dans les séances de gymnastique où les anciennes sportives et les nouvelles pratiquantes se côtoient, les engagements diffèrent. Les nouvelles pratiquantes atténuent les mouvements en intensité, en rythme et en amplitude car elles « ne veulent pas se faire de mal ». Si les nouvelles pratiquantes ont une perception positive de leur vieillissement comparées aux non pratiquantes, face aux anciennes sportives, leur engagement physique renvoie à une perception plus fragile de leurs ressources physiques.

Pour les anciennes sportives, le niveau de risque accepté participe d’une recherche de gratification et la douleur acceptée permet de satisfaire un besoin d’estime de soi, visible dans le face-à-face avec les jeunes. Ces femmes veulent garder leurs compétences physiques et techniques pour continuer à affronter les jeunes, « avec les jeunes... c’est incomparable ». La pratique intergénération renforce leur confiance en elles-mêmes, « les jeunes sont parfois épatées... je fais plus d’abdominaux, je suis plus souple... ». Alors, les quelques douleurs articulaires et musculaires ne sont rien en comparaison du plaisir de la rencontre, de l’émotion qu’elle suscite : « Avec les jeunes, on oublie son âge ». Même si en présence des jeunes, elles oublient leur physique et « vont un peu loin », le plus grand risque serait de cesser toute relation avec les jeunes, de basculer dans la vieillesse.

Les femmes du foyer-logement sont prêtes à « tenter de nouveaux mouvements » s’ils sont proposés par les étudiants. Elles ont « entièrement confiance en eux » et ont le sentiment de les surprendre, « ils ne s’y attendaient pas ». L’observation des séances de gymnastique a révélé des prises de risques chez des personnes de 90 ans (accepter de descendre au sol, de s’allonger, de se relever). Après plusieurs séances, la réussite de cet exercice (réalisé sans aide) « a changé leur vie », elles n’ont « plus peur de se lever la nuit » (donc de tomber) et surtout « sont fières d’elles ». Si les femmes de plus de 80 ans résidentes de foyer-logement vont à la gymnastique pour rompre l’ennui, la plupart pratiquent pour conserver leur indépendance plus longtemps (pouvoir accomplir tous les gestes du quotidien, pouvoir aller en ville, pouvoir participer à la gestion collective, etc.) et pour continuer à avoir des relations avec les jeunes. Bien que le foyer-logement soit un lieu de « prise en charge » et de sécurité, ces femmes continuent de vouloir maîtriser leur existence.

Conclusion

Nous avons postulé que les représentations du vieillissement influençaient l’engagement dans les pratiques sportives et que les représentations du risque différaient selon l’engagement dans les exercices physiques. Qu’en est-il ?

Les représentations négatives du vieillissement sont exprimées par toutes les personnes interrogées. Cependant, elles n’ont pas le même sens selon le type de retraité, être homme ou femme, nouveau pratiquant, ancien sportif ou non-pratiquant crée des différences.

Les pratiques sportives comportent un risque d’accident, mais procurent aussi du bien-être. À la retraite, les pratiques physiques et sportives participent d’une recherche de valorisation de soi, d’accomplissement de soi. Chez les femmes la pratique sportive traduit aussi une recherche de convivialité. La pratique physique et sportive représente un moment où chaque personne vit une émotion forte. Le plaisir éprouvé lors de ces activités « dé-routinisantes » (Elias et Dunning, 1994), la sensation de maîtriser son corps mais aussi son environnement, son réseau relationnel (surtout avec les jeunes) donnent ou redonnent confiance en soi. Aussi, même si la prise de risque est accrue par la volonté de repousser ses limites physiques, elle participe d’un désir de vivre pleinement. Les séances de gymnastique encadrées par les étudiants en sport dans les foyers-logements ont influencé les attitudes des résidents durant la pratique et lors de la vie quotidienne ; la participation aux activités et les prises d’initiatives ont modifié la dynamique du foyer.

Notre échantillon est déséquilibré au regard du nombre de pratiquants et de non pratiquants sportifs, ce qui peut aussi signifier que les pratiquants sportifs restent plus « intéressés », plus « participants » que les non-pratiquants. Les entretiens, où nous avons respecté ce déséquilibre en interrogeant plus de sportifs que de non-sportifs, nous permettent d’avancer que la pratique sportive influence favorablement les représentations du vieillissement. Dans les foyers-logements, des personnes parfois très âgées (+ de 95 ans) ont la sensation qu’ils peuvent reculer le moment où ils se sentiront vieux ; leur participation « volontaire » à la gymnastique les aide en ce sens. Même si la gymnastique représente un risque, les bénéfices retirés sont plus importants (continuer à aller en ville seul, à voyager, à participer aux autres activités, etc.).

Il reste la situation cruciale de la solitude dans l’avance en âge, déjà souligné par Paillat (1989) comme une situation à risque. Si la pratique physique et sportive peut temporairement atténuer le sentiment de solitude, cette pratique ne lève pas l’inquiétude quotidienne, voire l’angoisse vécue par les personnes âgées seules, face à la maladie, au handicap, à la mort. Mais au-delà de ces risques ultimes, l’ensemble de la vie quotidienne se restreint comme si la personne se sentait en danger dans chaque situation. La solitude renvoie à l’isolement et le plus souvent au comportement dépressif. Le combat de la solitude de la personne âgée passe obligatoirement par les jeunes.

La prise de risque n’est pas l’apanage des jeunes ; elle s’observe chez tous les individus quels que soient leur âge, leur sexe et leur condition d’existence. Chez les retraités cette prise de risque dans les pratiques sportives leur permet de résister au vieillissement en leur procurant le sentiment d’estime de soi, d’accomplissement de soi et ce, en particulier, dans leur relation avec les jeunes. Si la solidarité intergénérationnelle est aujourd’hui plus présente entre les retraités et les jeunes (aides de toutes sortes), il y a encore des améliorations à apporter dans cette relation afin de diminuer les obstacles qu’ont à surmonter les personnes âgées qui désirent pratiquer des sports et avoir la sensation de maîtriser leur vieillissement.