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Dans le contexte de vieillissement de la population, l’Année internationale des personnes âgées (AIPA) organisée par l’ONU en 1999, attire l’attention des responsables politiques sur l’enjeu du vieillir en restant « actif ». Pour l’ONU, le vieillissement dit « actif » renvoie tout à la fois aux questions sociales et à celles de santé publique et de productivité. Il s’agit de définir un modèle de vieillissement propre aux sociétés contemporaines, en vue de favoriser la santé et l’intégration des personnes vieillissantes à la société. Cette intégration passe aussi par l’employabilité, et l’expression vieillissement « actif » tend alors à désigner « le fait de travailler plus longtemps, de prendre sa retraite plus tard et de rester actif après la retraite » (Jolivet, 2002 : 140).

Parmi l’ensemble des dispositifs permettant de mettre en oeuvre une telle politique, la formation tout au long de la vie apparaît pertinente. Déjà en 1973, le fondateur des universités du troisième âge[1] soulignait l’importance de la formation pour améliorer les conditions de vie et de santé des personnes vieillissantes (Chamahian, 2006). Au-delà des questions de santé et d’intégration sociale et culturelle, la formation aux âges les plus avancés est aujourd’hui envisagée comme un « pilier stratégique » pour la productivité et la compétitivité économique des pays de l’Union européenne (Jolivet, 2002). Il existe donc un lien étroit entre ce modèle de vieillissement et une certaine prise de conscience politique de la nécessité de se former à tous les âges, même aux plus élevés. Néanmoins, il faut noter la tension qui marque les notions de vieillissement « actif » et de formation tout au long de la vie entre d’une part, un pôle culturel et citoyen, et, d’autre part, un pôle fonctionnel et économique. Selon l’orientation et le sens que les individus donneront à la formation, le vieillissement « actif » aura des contours différents.

C’est dans ce contexte de promotion du vieillissement « actif » et de formation tout au long de la vie que nous souhaitons nous attacher à l’analyse des rapports différenciés des retraités à la formation, à partir d’une étude en cours sur l’engagement en formation dans le temps de retraite[2], au sein des universités traditionnelles et des UTA[3].

Le tableau 1 montre le poids des attentes culturelles des retraités à l’égard de la formation[4], mais aussi l’intérêt de celle-ci pour obtenir une qualification reconnue ou des responsabilités associatives ou syndicales. Ces résultats révèlent qu’ils ne sont pas animés par la seule consommation ostentatoire d’activités culturelles, ils sont également intéressés par le bénévolat et l’action politique (Caradec, 2003 ; Guillemard, 1993 ; Viriot-Durandal, 2003). Nous dirons avec J.-P. Viriot-Durandal que la transition vers la retraite et, à travers elle, l’engagement en formation, permet d’observer les « mécanismes de reconversion, les phénomènes de recomposition des rôles et des statuts de retraités dans différentes sphères (privées, publiques) et sur de multiples champs (social, politique, culturel…) » (2003 : 116). Parmi les types de reconversion observés, il apparaît que les retraités ne se limitent plus à vivre des « retraites utiles » (Legrand, 2004), et utilisent le temps de la retraite pour se reconvertir professionnellement par la formation (ce qui n’apparaît pas dans le tableau 1). En effet, même si les démarches de « reconversions professionnelles volontaires » sont marquées par un certain « âgisme » qui les limiteraient au-delà de 40 ans (Négroni, 2007 : 193), le temps de la retraite est apparu pour certains de nos enquêtés comme un moment propice pour se reconvertir par la formation.

Tableau 1

Attentes principales selon la situation professionnelle à la veille de l’entrée en formation (en %)

Attentes principales selon la situation professionnelle à la veille de l’entrée en formation (en %)
Source : Enquête « Formation continue 2000 » – Traitement Cereq

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Différentes logiques animent ainsi l’engagement en formation des retraités. Ceux-ci peuvent avoir un rapport culturel et intellectuel à la formation. Quelles que soient les structures d’inscription, il s’agit ici d’une « formation de soi pour soi » qui s’oppose à la formation comme « fin en soi », telle qu’elle peut être observée dans l’analyse des rapports des jeunes étudiants à leurs études (Dubet, 1994 ; Felouzis, 1997). Par ailleurs, au sein des UTA, le rapport à la formation des retraités peut être également « occupationnel ». Dans ce cas, soit la formation est vécue comme un « passe-temps », soit elle permet de prendre des responsabilités en tant que bénévole ou enseignant. Enfin, pour certains retraités, la formation peut être pensée comme un moyen de se reconvertir professionnellement ou socialement, par l’obtention d’une qualification reconnue. Au fil du développement, nous montrerons comment ces trois rapports à la formation participent de la vie de retraite. L’engagement en formation apparaît dans cette période de l’existence comme un vecteur fondamental de redéfinition identitaire pour se tenir face au monde (Caradec, 2004). C’est donc l’expérience du vieillissement individuel, en lien avec le modèle du vieillissement « actif », que nous souhaitons interroger à travers l’analyse des retours en formation dans cette période de l’existence.

Se former : logiques culturelle et citoyenne

Quel que soit le type de motif qui conduit les retraités à s’inscrire dans une structure éducative, la volonté de s’ouvrir culturellement et intellectuellement justifie le plus souvent la démarche d’engagement. Comme le souligne Y. Lorvellec, le terme culture signifie à la fois « cultiver quelque chose » et « se rapporter à quelque chose avec soin ». De ce point de vue, il propose de penser la culture comme « souci de soi » (2002). La formation de soi, dans le sens d’un intérêt personnel à se former et étudier (Dubet, 1994), est au coeur de ce rapport à la formation. Celui-ci permet d’observer l’attachement des retraités pour les oeuvres de la culture humaine, mais aussi la dimension citoyenne de l’activité de formation investie.

S’ouvrir aux oeuvres de la culture humaine

Les oeuvres de la culture humaine, c’est tout à la fois les lettres, les arts et les sciences. Les étudiants retraités trouvent un intérêt particulier dans les enseignements en arts, civilisations et philosophie. De plus, au sein des UTA, les conférences en sciences visent à dépasser leur dimension proprement technique, pour permettre une ouverture sur l’histoire et la philosophie des sciences, la biographie de certains inventeurs ou chercheurs, ou encore, pour établir des liens entre la science et la religion.

À travers cet intérêt porté aux oeuvres de la culture humaine, les étudiants retraités souhaitent atteindre une réflexion plus globale sur le sens de la vie et le monde, c’est-à-dire se situer dans le monde en tant que sujet humain (Lorvellec, 2002). Ainsi, s’ils attachent une importance au fait de « se former » à l’université ou dans les UTA, ils ne se positionnent pas tous dans une démarche de formation « traditionnelle ». À la différence de la plupart des jeunes étudiants, leur engagement en formation ne vise pas une dimension utilitariste. Au contraire, cet intérêt pour les oeuvres de la culture humaine est à relier à leur position dans le cycle de vie. Se former dans le temps de retraite n’est pas lié à un enjeu professionnel, mais à un moment propice à la réalisation d’une sorte de bilan (Caradec, 2004 ; Lalive d’Epinay, 1996). Il existe en effet un lien entre les disciplines étudiées et leurs dimensions existentielles et identitaires, ce qui conduit ces retraités à dépasser le caractère strictement disciplinaire des enseignements ou conférences pour accéder au sens et au sensible (Lorvellec, 2002). Christina (76 ans) nous explique ainsi : « Je veux savoir ce qu’ils pensent pour avoir aussi des idées pour ma vie, réfléchir sur ma vie. Vous savez, c’est important pour moi aujourd’hui, on fait quand même un certain bilan de sa vie ». Dans la même perspective, il s’agit pour Paule (69 ans) de « toucher à l’humain et je crois que mon principal intérêt c’est l’Homme avec un grand H. C’est comme un puzzle que j’aborde par différentes approches, je cherche à relier en faisant des synthèses ». De manière générale, les UTA proposent des conférences propices au développement de telles réflexions personnelles et existentielles, mais ce lien entre culture et dimension existentielle du savoir a également été observé dans les universités. La philosophie, l’histoire de l’art, l’anthropologie, la sociologie, la théologie, etc., sont autant de disciplines permettant de réfléchir à la vie humaine, et, ce faisant, à sa propre existence.

Cette volonté d’ouverture culturelle permet une certaine « évaluation existentielle » (Caradec, 2004 ; Martuccelli, 2006) de la trajectoire accomplie pour négocier positivement son vieillir. De ce point de vue, certes la formation n’est pas envisagée dans sa dimension instrumentale, mais ce rapport n’est pas pour autant désintéressé, car il constitue un « support » au travail du vieillir mis en oeuvre par le retraité.

D’autres disciplines participent de ce sentiment de se situer dans le monde, comme l’histoire ou les conférences en géopolitique. Il s’agit alors pour le retraité de se former pour se construire à travers la figure du « citoyen éclairé ».

Conscience historique et figure du « citoyen éclairé »

En quittant l’activité professionnelle et en avançant en âge, l’une des craintes majeures de l’individu vieillissant est de se situer en dehors du monde et de la vie de la Cité. La formation devient alors un vecteur pour rester aux prises avec le monde, car elle permet à la fois de se situer dans le passé et de penser le présent. L’histoire contemporaine, les cours de civilisation, la géopolitique, mais aussi, dans les UTA, les cycles qui portent sur l’Europe, la mondialisation et certains conflits récents, donnent des clés de lecture permettant au retraité de se construire en tant que « citoyen éclairé », c’est-à-dire un citoyen qui réfléchit à ce qui est en acte, aux principes actifs qui orientent la réalité sociale, politique, économique, morale. La discipline historique joue un rôle conséquent dans la formation de soi, car les retraités ont été des acteurs directs ou indirects de certains grands évènements historiques, notamment la Seconde Guerre mondiale. Les entretiens rendent compte de l’importance de la dimension historique des trajectoires individuelles des retraités rencontrés. : « Approfondir l’histoire, c’est approfondir mon histoire hein, c’est de comprendre dans quel monde je vis, on en a jamais fini de comprendre dans quel monde on vit […]. Voilà des cours qui au niveau de la conscience historique m’ont aidé » explique Charles (66 ans). Nés entre 1915 et 1950, leur appartenance générationnelle peut être un facteur explicatif de cet attachement aux évènements marquants de l’histoire (la Seconde Guerre mondiale, la guerre d’Algérie, etc.). Les évènements sociopolitiques plus récents les préoccupent tout autant. Mireille (59 ans) suit ainsi les conférences de l’UTA pour mieux comprendre les conflits actuels : « Par rapport aux Américains, à la guerre en Irak, là je comprends mieux pourquoi ça se passe, comment ça se passe, et je l’accepte mieux ». Les propos d’Odette (57 ans) rendent compte également de ses préoccupations autour de la construction européenne : « La géopolitique, quand on parle de l’entrée de la Turquie dans l’Europe, et bien c’est quand même important… quand on voit l’histoire… y a quand même un lourd passé : qu’est-ce qui fait que la Turquie est rejetée par tant d’Européens ? Pourquoi les gens n’en veulent pas ? ». Les récits recueillis témoignent d’un effort à se situer dans un monde que ces retraités ne saisissent pas toujours, parce qu’il s’accélère, mais aussi parce qu’il se complexifie (Martuccelli, 2006). La formation permet de se construire une réflexion éclairée sur la situation contemporaine à travers laquelle l’action citoyenne peut s’exprimer de façon plus réfléchie. La formation de soi consiste ainsi à former son jugement, à prendre des positions objectivées qui se distinguent des représentations de sens commun, et, de ce fait, à prendre une distance critique vis-à-vis des médias. Les étudiants retraités développent ainsi un « doute structurel et ordinaire envers le monde » (Martuccelli, 2006 : 247) alimenté par leur rapport aux médias. Marcel (66 ans) estime que sa formation lui permet précisément de « se dépolluer » des médias. Les propos de Giselle (57 ans) sont également emblématiques de ce rapport suspicieux aux médias : « Je me suis inscrite à l’UTA pour essayer de… de comprendre le monde dans lequel on vit aujourd’hui, parce que j’ai vécu dans ce monde, mais… en ne comprenant pas toujours ce qui se passait, et en particulier, avec la nette impression que les médias nous baladent, donc j’ai besoin d’avoir d’autres références pour me faire ma propre opinion ».

Que ce soit dans le cadre universitaire, qui encadre la formation de façon rigide et positionne le retraité dans la dynamique universitaire, ou dans le cadre des UTA, qui présentent un mode de fonctionnement beaucoup plus souple, avec une offre de formation qui n’est pas limitée dans le temps, les étudiants retraités cherchent à dépasser le caractère disciplinaire des enseignements. Accéder au beau, au sensible, à une réflexion philosophique, existentielle, mais aussi, comprendre le monde, l’histoire, la situation politique actuelle est au coeur de ce rapport à la formation. La formation de soi est ici possible en raison de la position de ces étudiants dans le cycle de vie. Ceux-ci mettent en avant le plaisir qu’ils ont à se former, à s’ouvrir intellectuellement et culturellement, néanmoins, cette activité ne revêt pas un caractère dilettante et distractif. Le temps de formation se confond au contraire avec le temps de retraite, par la centralité qui lui est accordée. Il constitue une activité pivot autour de laquelle la vie quotidienne s’organise.

Ce type de rapport est prédominant dans notre étude, mais tous les enquêtés n’accordent pas une telle place à l’activité de formation. Lorsque le rapport à la formation se veut occupationnel, c’est une autre expérience que font les retraités.

« Emploi » du temps et volonté d’être utile dans les UTA : la formation de soi en question

Il arrive que le projet d’ouverture culturelle et intellectuelle qui anime les retraités soit supplanté par sa dimension occupationnelle. Celle-ci se décline en deux grandes figures. D’un côté, la formation est présentée comme le moyen d’occuper son temps, au même titre que d’autres activités (sportives, associatives, culturelles, etc.). Elle est clairement associée à un « loisir » dans le sens d’un divertissement et concerne une minorité de retraités. D’un autre côté, la formation devient le vecteur par lequel un engagement plus participatif en tant que bénévole ou enseignant est possible et investi. Dans ce cas, malgré la volonté de se former, ces étudiants au « double statut » doivent concilier activité de formation et responsabilités.

Lorsque la formation est clairement pensée comme un moyen pour « employer » son temps et le meubler, elle ne prend pas une place centrale dans la vie quotidienne du retraité et est investie au gré des envies et des possibilités. Ainsi, même si ces retraités présentent un intérêt pour certaines thématiques, l’activité de formation est plutôt investie en fonction des divers engagements agendaires. Ce rapport à la formation est possible en raison du cadre institutionnel souple des UTA : aucune présence obligatoire, les conférences ne suivent pas nécessairement une progression et ne visent pas une spécialisation dans l’acquisition de connaissances. Par contre, les UTA ont un mode de fonctionnement qui invite les retraités à une démarche participative au sein même de la structure : devenir dirigeant, responsable de sites d’implantation et/ou de commissions de travail, construire les programmes de formation, prendre la responsabilité de certains enseignements. C’est sur ces « doubles statuts » d’étudiants bénévoles ou d’enseignants que nous souhaitons revenir à présent, car ils permettent d’observer comment la formation contribue à vivre une « retraite utile et active » (Legrand, 2004).

Être étudiant-bénévole : un « double statut » à concilier

À leur origine, les UTA étaient toutes des structures intégrées géographiquement et administrativement aux universités traditionnelles, mais le succès de ces structures les a conduites à sortir pour la plupart du monde universitaire, pour se constituer en associations liées par convention aux universités (Chamahian, 2006). D’autres, plus rares, comme l’UTA de Lyon, ont tout mis en oeuvre pour se maintenir dans le monde universitaire. Cette structure est aujourd’hui un service général de l’Université Lyon 2 et constitue une véritable « université » dans l’université, avec près de 10 000 étudiants retraités inscrits, répartis sur plus de 70 sites d’implantations, dans l’agglomération lyonnaise. Mais, dans tous les cas, ces structures ne peuvent se maintenir sans le soutien efficace de bénévoles.

Ce besoin institutionnel trouve une réponse auprès de retraités qui vivent la transition à la retraite de façon ambivalente : d’un côté, le départ en retraite est désiré, rarement vécu sur le mode de la « crise » (Caradec, 2004), de l’autre, l’expérience du vide social consécutif à la perte de l’activité professionnelle est difficile à combler. Cette transition ambivalente est alors compensée par l’engagement bénévole qui se couple à l’intérêt intellectuel et culturel. Jérôme (69 ans) se dit être un « participant direct » à l’UTA de Lyon et parle de son engagement bénévole comme un moyen de défendre l’apport culturel de cette structure.

Dans la plupart des cas, le désir d’apprendre précède l’engagement bénévole, mais très rapidement la volonté d’être un membre actif et de se rendre utile est éprouvée et mise en oeuvre. Pour Pierrick (72 ans) se former et être utile étaient indissociables : « Moi, c’était les deux choses, essayer d’apprendre quelque chose, mais aussi, en même temps pouvoir rendre service ». Selon les UTA, qui ont des modes de fonctionnement spécifiques, les étudiants bénévoles peuvent avoir différents statuts. À l’UTA de Lyon, ils sont le plus souvent responsables de sites d’implantation. La forte décentralisation de cette structure a pour conséquence une gestion « de l’intérieur », où les étudiants bénévoles deviennent en quelque sorte les « sous-dirigeants » du site dont ils ont la responsabilité : relations avec la municipalité, gestion de la salle de conférence, accueil de l’auditoire, diffusion d’informations, présentation du conférencier, vérification des cartes, mais aussi, choix du thème du cycle de conférences et « recrutement » du conférencier. Dans les UTA de Lille ou de Nice, les étudiants bénévoles peuvent être responsables de commissions, accueillir les étudiants, voire parfois devenir membres dirigeants. L’engagement bénévole rend malgré tout difficile la formation de soi, et des stratégies de conciliation des activités sont alors mises en place. Par exemple, à Lyon, les responsables de sites se forment personnellement grâce au travail mis en oeuvre pour constituer le programme de leur implantation et trouver un conférencier intéressant. Dans d’autres structures, ils travaillent par équipes et effectuent des roulements selon l’intérêt porté aux conférences proposées. Cependant, tous ces étudiants bénévoles ne parviennent pas à concilier les deux activités, et le plein engagement dans le fonctionnement de la structure efface leur formation personnelle. Leur présence aux conférences se justifie alors uniquement en raison de leur activité de responsables. Par exemple, Charlotte (64 ans) n’assiste qu’aux conférences pour lesquelles elle doit assurer l’accueil des étudiants : « des fois, il m’arrive d’y aller pour y aller, parce que la conférence ne m’intéresse pas, eh bien j’y vais quand même ». Son propos rend compte d’un effacement de son intérêt personnel pour la formation au détriment de l’activité bénévole vécue sur le mode d’une certaine routine. Il faut ici noter que dans ces structures, l’engagement bénévole et l’activité de formation sont à durée indéterminée, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas limités institutionnellement. En ce sens, au fil des années d’inscription, un désengagement progressif, lié à l’avancée en âge, apparaît. Le processus de vieillissement atténue le désir d’être utile socialement et vise à redonner une place à la formation de soi. Amélie (57 ans) estime ainsi, après plusieurs années de bénévolat, qu’il est temps pour elle de se recentrer sur sa formation personnelle. De la même manière, certains enquêtés soulignent qu’il est nécessaire de « laisser la place » à d’autres bénévoles : « il ne faut pas que je m’accroche indéfiniment à ça […], que les vieux, les anciens, ne s’accrochent pas à leurs fonctions » explique Pierrick (72 ans). Avec le temps, l’expérience du vieillir peut se faire plus prégnante en raison des « effets propres du vieillissement » ou d’une prise de « conscience de sa finitude » (Caradec, 2004). La formation est alors essentielle pour opérer un « retour sur soi » et tendre vers la complétude : « j’ai l’impression pour moi, de ne pas avoir eu au niveau de ma vie personnelle… de ne pas avoir été encore au bout des choses » précise Pierrick. Nous retrouvons ici la définition sociologique de l’individu, proposée par V. Caradec et D. Martuccelli, c’est-à-dire un individu en quête de lui-même, relationnel, pluriel et profondément inachevé (2004 : 13).

L’engagement en formation au sein des UTA peut ainsi être le moyen de donner un nouveau sens au temps de la retraite. Associé à la formation de soi, devenir un étudiant bénévole permet à ces retraités d’éprouver le sentiment qu’ils sont encore utiles et qu’ils ne vivent pas le temps de retraite comme de « simples » consommateurs.

Dans d’autres structures, comme l’UTA de Nice, une autre forme de participation à la vie de la structure est possible pour les retraités de l’enseignement supérieur, qui peuvent retrouver une activité en qualité de conférenciers.

Être étudiant et enseignant : un engagement original

Ce « double statut » est encore très peu répandu dans les UTA, mais son originalité mérite une attention particulière, car il permet à ces retraités d’investir une retraite « active » à distance de la « vraie retraite » : « Je suis en retraite active, c’est une transition, et la retraite, la véritable retraite, sera autour de 65 ans » explique Marc (61 ans), étudiant retraité qui enseigne la paléontologie à l’UTA de Nice. Ces étudiants enseignants sont retraités de l’enseignement supérieur et ne peuvent rompre définitivement avec leur activité professionnelle. La formation – entendue comme la formation de soi et celle des autres – est donc toujours au coeur de leur engagement. Florence (69 ans), maître de conférences en biologie, ne vit pas la transition à la retraite comme une rupture avec le monde universitaire et la formation, puisqu’elle s’est inscrite immédiatement à l’UTA de Nice. Elle souhaitait alors maintenir ses connaissances scientifiques, mais aussi saisir l’opportunité de s’ouvrir à d’autres disciplines, notamment les sciences humaines. Son objectif était de « compléter » ses connaissances à partir d’une réflexion transversale autour de l’Homme. Observant un manque de formation en biologie dans le programme de l’UTA, elle propose rapidement des enseignements qui seront acceptés par l’équipe dirigeante. Ce « recrutement » transforme sa vie de retraite et lui permet de retrouver le rythme qu’elle avait au cours de sa vie professionnelle. Ses semaines sont dès lors structurées par les activités qu’elle suit à l’UTA en tant qu’étudiante, mais aussi par les périodes de préparation de ses enseignements et la construction d’un programme cohérent sur quatre années présenté dans son cycle de conférences. Alors que le statut d’enseignant-chercheur n’avait de sens, pour elle, que dans un cadre universitaire strict, visant la préparation des jeunes étudiants à une vie professionnelle future, elle redécouvre l’enseignement à travers un « double statut » qui l’oblige à transformer la nature de la relation pédagogique. Elle est bien évidemment la conférencière qui partage son savoir, mais celui-ci se fait dans le souci d’apporter sa contribution aux réflexions qui animent l’auditoire, et auxquelles elle participe, par ailleurs, dans d’autres conférences ou ateliers, en qualité d’étudiante. Sa connaissance du programme de formation en qualité d’étudiante, lui permet ainsi d’orienter ses amis étudiants au cours de la séance, dans une perspective d’approfondissement. Par ce « double statut », le temps de la retraite se transforme en une période qui se distingue finalement peu de la vie professionnelle antérieure, et, au cours de laquelle, la pratique de l’enseignement est redécouverte : « ça m’amène à créer un cours qui n’a rien à voir avec un cours de fac » explique Florence. La situation pivot de ces étudiants enseignants permet d’envisager la diffusion des connaissances non plus de façon verticale, mais à partir d’une réflexion co-construite dans les cours et en dehors, avec les étudiants et les autres enseignants. Ce statut original intègre ainsi les relations d’amitié dans la relation pédagogique et induit des rapports horizontaux entre étudiants et enseignants : « Quand je fais ces activités avec les autres, eh bien ce statut, il est un peu perdu […]. Je ne suis pas qu’enseignant, je suis enseignant, et puis après, à côté, je suis autre chose, comme les autres. On passe d’un statut à l’autre et y a pas de différence entre les deux » souligne Marc.

L’engagement en formation au sein des UTA est donc porteur d’une grande hétérogénéité de pratiques qui ont des effets sur la manière de définir le temps de la retraite. Selon le rapport entretenu à la formation, les retraités se situent dans des retraites consommation, utiles, actives où une plus ou moins grande place est accordée à l’ouverture culturelle et intellectuelle et au plaisir d’apprendre. Par ailleurs, du point de vue des étudiants enseignants, il est intéressant d’observer leur attachement à la dimension « active » de leur engagement qui les pose à distance de la « vraie retraite ».

Observons un dernier type de rapport à la formation qui va nous permettre d’aller plus loin dans notre réflexion autour de l’enjeu de l’engagement en formation dans le temps de retraite, à travers une redéfinition de cette période de l’existence, et, plus globalement de ses implications sur la structuration ternaire des âges de la vie.

De la reconversion par la formation : l’enjeu des formations diplômantes

Lorsque la formation est investie pour se reconvertir, les trajectoires scolaires et/ou professionnelles sont essentielles à saisir, car elles orientent le sens de l’engagement. Ici, le temps de la retraite est de nouveau redéfini, parfois radicalement refusé, car il est le lieu d’une reconversion que nous avons qualifiée, selon les situations, de professionnelle ou de sociale.

Les reconversions professionnelles sont des expériences profondément subjectives, reflets d’une « démarche volontaire dont l’individu est le seul initiateur » (Négroni, 2007 : 13). Dans ces démarches, l’engagement en formation est un « acte transitif » qui caractérise « l’être en formation ». Il constitue un moment incontournable de l’analyse des reconversions, car il en est le « moteur » (Négroni, 2007 : 32-33).

La formation peut permettre également des reconversions dites sociales. Plus classiquement observées par les sociologues de la vieillesse à travers le modèle de la retraite solidaire, ce modèle envisage la retraite comme une période propice à la mise en oeuvre de ses compétences professionnelles dans le cadre « d’actions à vocation sociale » (Viriot-Durandal, 2003). Néanmoins, la retraite solidaire peut être investie dans des domaines éloignés du champ professionnel des retraités. Dans ce cas, l’engagement en formation peut avoir pour conséquence une reconversion sociale. La démarche apparaît nouvelle, car il ne s’agit pas de s’engager bénévolement pour occuper de façon utile le temps de la retraite, mais de s’engager dans une formation diplômante pour acquérir de nouvelles compétences et les faire valoir dans des activités dites de « travail libre » (Sue, 1982). La formation retrouve ici sa dimension instrumentale, c’est-à-dire une formation diplômante limitée dans le temps qui ouvre sur une qualification reconnue. Trois logiques permettent d’observer ces démarches de reconversion.

La logique de prolongement d’une trajectoire professionnelle inachevée

Dans cette logique, la démarche est de poursuivre l’activité professionnelle antérieure, grâce à la formation, par une autre approche. Il s’agit en quelque sorte d’« aller jusqu’au bout » de l’activité professionnelle antérieure, et, parfois, dans le même temps, de réparer une formation initiale contrariée.

Colette (63 ans) arrête son activité d’enseignante dans l’enseignement spécialisé avec un sentiment «  d’inachèvement », celui de ne pas avoir tout mis en oeuvre pour aider ses élèves en difficulté. Le moment de la retraite est propice pour un engagement dans un cursus de sciences de l’éducation, qui la conduit jusqu’en thèse, et au cours duquel elle réfléchit théoriquement à sa pratique professionnelle antérieure. Son entrée en thèse marque le début de sa reconversion professionnelle, par son statut de chargée de cours et son appartenance à un laboratoire de recherche. Elle devient ainsi enseignante-chercheuse en sciences de l’éducation, et poursuit ses recherches en didactique du français pour répondre différemment à ses préoccupations professionnelles antérieures : « je ne coupais pas les ponts avec mes racines professionnelles, je coupais pas les ponts, j’allais continuer à travailler pour aller jusqu’au bout de mes idées, à savoir pourquoi ces gamins ont des difficultés en écriture ».

« Aller jusqu’au bout », « continuer à » sont des termes qui reviennent souvent dans cette logique et révèlent le sentiment d’inachèvement qu’ils éprouvent. La formation de Clotilde (61 ans) joue ainsi un rôle de « réactivation » qui lui permet d’opérer un bilan de sa trajectoire professionnelle. Malgré l’intérêt porté à son activité dans le travail social, elle interrompt sa carrière professionnelle en raison d’un certain épuisement au travail et décide de passer le Diplôme universitaire de tutorat social (DUTS), proposé par l’UTA de Lyon[5]. Ce diplôme lui permet de passer du « professionnellement actif » au « socialement engagé » : « j’étais essoufflée, je crois que j’en pouvais plus. Le fait d’être passée par le DUTS, j’ai l’impression d’avoir réinvesti ». L’idée de reconversion sociale s’applique ici, car il ne s’agit pas pour elle de réinvestir totalement sa pratique dans le travail social, mais de renouveler ses connaissances et ses compétences par le DUTS pour revenir dans son secteur professionnel et l’investir à travers un nouveau statut. Elle estime ainsi aujourd’hui « se maintenir dans l’esprit de son ancien emploi ».

Pour d’autres, la formation diplômante vise une reconversion dans un nouveau domaine de compétences.

La logique de recherche de qualification dans un nouveau domaine de compétences

Cette logique se caractérise par une volonté de compléter un parcours scolaire et professionnel particulièrement marqué par sa dimension technique et/ou scientifique et de pouvoir investir un autre domaine – soit professionnel, soit dans le milieu associatif et social.

La trajectoire de Shirley (62 ans) est ici particulièrement significative. Dès sa formation universitaire en physique, elle est attirée par la psychologie. Son inscription en physique est pourtant vécue comme irréversible et son désir de réorientation absolument irrecevable pour ses parents. Cette trajectoire scolaire contrariée a été vécue comme une profonde frustration, qu’elle répare plus tardivement, en reprenant des cours de psychologie alors qu’elle était enseignante en sciences physiques. Ce parcours de formation lui permet, au moment de sa retraite, de faire un master professionnel pour s’installer comme psychologue en libéral. Elle cumule ainsi deux statuts : celui de retraitée de l’enseignement et celui de psychologue. Le temps de la retraite est profondément repensé ici : en fait elle l’occulte totalement. Loin d’être une période de libération de l’activité professionnelle, elle est vécue comme un moment propice à la réalisation de son projet professionnel : « pour moi, la retraite, c’était “Ah ! Enfin, faire le métier qui m’intéresse” ». D’où l’investissement d’un statut « hybride » – corrélatif de l’assouplissement des dispositifs de cumul emploi-retraite : « Je suis retraitée de l’Éducation nationale, mais je ne suis pas retraitée par rapport à tout ce monde là, puisque j’ai une activité professionnelle », précise-t-elle.

Pour d’autres, comme Solange (64 ans) et Simon (63 ans), cette logique vise l’acquisition de compétences et une qualification reconnue (le DUTS) pour mener à bien un projet de reconversion sociale : devenir médiatrice dans l’aide aux sans-papiers pour Solange, aider à l’insertion des chômeurs pour Simon. Dans les deux cas, le DUTS est présenté comme une attestation des compétences permettant une certaine reconnaissance sociale et un certain professionnalisme, qui effacent le statut de retraité. Solange se présente ainsi comme une « médiatrice » : « Moi, ce diplôme, il m’a permis souvent dans des négociations, etc., quand on me dit “qui êtes-vous ?”. Ben, je suis médiatrice, j’ai un DUTS, ça fait mieux que de dire “je suis retraitée”… là, j’ai un statut ». Ce diplôme est une « carte de visite » qui lui assure une certaine crédibilité. Simon insiste également sur le « travail » qu’il met en oeuvre et l’importance du DUTS pour garantir un certain professionnalisme et sortir de l’amateurisme : « Y me manquait plein de choses pour aider les chômeurs. Ce n’est pas un métier, mais il faut quand même faire ça avec un minimum de professionnalisme, quoi ! On est tous bénévoles, mais on a des capacités professionnelles ».

Cet attachement à faire valoir, grâce à la formation, son professionnalisme, son statut social (différent de celui de retraité) et ses connaissances, nous paraît tout à fait essentiel et nouveau dans ces démarches de reconversion sociale. L’obtention du diplôme est dès lors pour eux un enjeu important.

Enfin, il est une dernière logique qui se distingue quelque peu des deux précédentes en ce qu’elle associe la volonté de savoir au désir d’être utile.

La logique existentielle qui s’ouvre sur un engagement social

Le retour en formation diplômante vise ici une ouverture sur de nouvelles perspectives de vie. La formation permet d’investir de façon plus approfondie des activités jusqu’ici abordées dans le cadre des loisirs, hors temps de travail, ou encore, d’apprendre des langues. Les parcours de Muriel (57 ans) et Anna (64 ans) illustrent cette logique. Pour Muriel, l’engagement en histoire de l’art lui permet de prendre une « revanche sur la vie » et de dépasser les difficultés de fin de carrière qu’elle vit. La formation de soi est un moyen de « tourner la page » de sa vie professionnelle et de s’ouvrir à de nouveaux horizons. Pour Anna, l’engagement en formation se situe au moment de son entrée en retraite. Elle décide d’utiliser ce temps libéré pour apprendre le hongrois – la langue de ses parents – et, ainsi, renouer avec ses racines identitaires.

Ces démarches sont très proches de celles observées dans le rapport culturel et intellectuel à la formation. Les dimensions existentielle et identitaire que prend l’activité de formation sont essentielles, mais elles sont associées à un véritable désir d’acquisition de connaissances et de compétences solides pour « pratiquer » leurs disciplines. Le plaisir d’apprendre se lie ainsi à la volonté d’être utile : passer le concours de guide conférencier pour animer des conférences en histoire de l’art et assurer des visites pour Muriel ; devenir interprète et travailler auprès de l’ambassade de Hongrie à Lille pour Anna.

À la différence des deux autres logiques, le recouvrement de ces deux aspects (désir d’apprendre et besoin d’être utile) ne donne aucune limite à cette formation, qui peut être poursuivie malgré l’obtention d’un diplôme : « L’histoire de l’art n’a de sens que si je la partage. Parce que ça sert à quoi de m’en mettre plein la tête […] si je ne peux pas la partager » explique Muriel.

Conclusion

L’analyse du rapport à la formation dans le temps de retraite rend compte de l’hétérogénéité des situations de formation dans cette période de l’existence et, à travers elles, des enjeux existentiels, identitaires, sociaux et professionnels qui se dessinent. Ces derniers révèlent comment ces retraités font l’expérience du vieillir en restant « actifs ».

En effet, la formation permet de rester en prise sur le monde : de s’y sentir un membre actif par la compréhension qu’apportent les enseignements et, ainsi, de pouvoir y agir en tant que « citoyen éclairé ». Par ailleurs, au-delà de leur offre de formation, les UTA jouent un rôle social important par la dimension participative qu’elles promeuvent. Devenir un membre actif dans ces structures (dirigeants, responsables de sites, enseignants) fait entrer le retraité dans une « retraite utile et active » tournée vers la structure éducative de façon exclusive. Dans d’autres situations, l’activité de formation est pensée comme une « fin en soi » et vise la reconversion sociale et professionnelle. La formation est alors orientée vers d’autres sphères d’activité : le monde de l’emploi, le monde associatif, etc.

Vieillir en restant actif par la formation traverse ainsi les sphères culturelles, intellectuelles, civiques, sociales et économiques de la société. De ce point de vue, le principal enjeu de la formation dans ce temps de la vie est d’observer ses effets sur la structuration ternaire des âges de la vie. Dans l’ensemble des situations où la formation permet de vivre une retraite culturelle, citoyenne, utile et active, l’activité de formation a peu d’incidence sur le découpage ternaire des parcours. Par contre, dès lors que l’engagement en formation vise une reconversion, la tendance à la désinstitutionnalisation se dessine et le temps de la retraite se transforme. Du vieillissement « actif », la formation peut faire entrer le retraité dans une logique de vieillissement « productif » où le statut de retraité se mêle, et parfois même se fond avec un nouveau statut professionnel.