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Plusieurs réglementations ont en France ouvert, ces vingt dernières années, les processus décisionnels à des concertations, souvent dans le cadre de procédures ad hoc. Que ce soit pour les grands projets d’équipement avec le débat public, ou pour l’urbanisme et l’échelle de proximité avec, par exemple, les conseils de quartier, l’impératif délibératif (Blondiaux et Sintomer, 2002) gouvernerait l’évolution de notre démocratie technique. Toutefois, cette évolution ne parvient pas toujours, loin s’en faut, à apaiser les tensions entre acteurs, ou tout au moins à pacifier leurs rapports. Souvent cantonnée à des points secondaires, lorsqu’elle ne se résume pas à une fonction, pédagogique, de divulgation d’information, la participation instituée suscite de plus en plus de questions. Une littérature abondante des sciences humaines, sociales ou politiques analyse les effets de tels dispositifs institutionnels dans les portages de projets, dans les argumentaires de l’action, mais aussi dans les impacts pour les territoires ainsi concernés, particulièrement dans le champ de l’urbanisme (Bacqué et Gauthier, 2011) et de l’aménagement (Barbier et Larrue, 2011).

Ces questions valent particulièrement à ce jour dans le domaine des (grands) projets, alors même que l’« acceptabilité » sociale est devenue norme institutionnelle de pilotage de l’action aménagiste. Les mobilisations sociales et oppositions environnementales y sont croissantes. La procédure de débat public par exemple (cf. Revel, Blatrix, Blondiaux, Fourniau, Hériard-Dubreuil et Lefebvre, 2007) cadre le temps (8 mois) et les espaces (riveraineté) des débats, de même que dès lors redouble l’assignat des habitants : « experts » de l’immédiat et du local (Neveu, 2011). Ici, le décalage persistant impliquerait particulièrement un fossé croissant entre, d’une part, des revendications longtemps appuyées sur des conceptions techniques et normatives de l’environnement (Charvolin, 2003 ; Theys, 2010), donnant alors lieu à des débats orientés par les savoirs techniques et les expertises de l’écologie scientifique… Et, d’autre part, des mobilisations plus largement territoriales, impliquant d’autres prises en compte des situations sociales et milieux de vie, appréhendées sous l’angle d’espaces et de temporalités plus amples (Melé, Larrue et Rosemberg, 2003), incluant alors d’autres conceptions de l’environnement (Lolive, 2010).

Comme tôt proposé par l’analyse sociologique, il s’agit en fait d’en découdre par et sur des visions du monde, sur leurs ordres de justification (Boltanski et Thévenot, 1991), y compris territoriaux. Cela traduirait un changement important dans les épreuves de démonstration de la pertinence des projets au regard de grands enjeux de la crise écologique et de ses effets plus ou moins prévisibles sur les territoires.

C’est la raison première pour laquelle nous avons assisté ces dernières années à quelques démarches plus expérimentales en amont ou parallèlement à des procédures de grands projets, de transport, par exemple : ateliers de scénarios, conférences de citoyens, forums participatifs, groupes de discussion… Par ces démarches volontaires, la participation s’encastrerait dans des configurations territoriales et des systèmes d’action, aidant alors à reconsidérer les questions et les enjeux d’environnement, en développant des approches parfois renouvelées de l’environnement (par exemple habiter), de l’écologie (par exemple éthique) et des paysages (par exemple esthétiques). Tout cela non sans effet sur les démarches et outils professionnels, que l’on juge par exemple les « nouvelles » cartographies paysagères dites sensibles dans le cadre de diagnostics se voulant partagés (notamment les ateliers d’acteurs), de même que quelques initiatives d’évaluation par réalité augmentée avant les études d’impact.

Toutefois, cela se fait sans pour autant que les retours de telles expériences aient véritablement donné lieu à analyse, particulièrement sous l’angle d’autres conditions environnementales et paysagères de l’« acceptabilité » tant recherchée. RTE-Nord a souhaité en 2011 et 2012 mettre en place, en parallèle de la concertation obligatoire, une démarche présentée comme non « étiquetée » impliquant des habitants plus « libres et nuancés » dans leurs paroles et leurs attitudes, pour permettre des échanges potentiellement plus constructifs. Le projet de reconstruction de la ligne THT entre les postes de Lonny (nord-ouest de Charleville-Mézières) et de Vesle (est de Reims) s’inscrit dans un objectif de renforcement/sécurisation du réseau en Champagne-Ardenne. Les 80 kilomètres de la ligne de 400 000 volts datant de 1970 seront déposés après la construction à l’horizon 2016 d’un circuit de puissance double dont l’implantation restait à l’époque à fixer.

Or, comme tout grand aménagement, cette nouvelle ligne électrique aérienne aura des effets sur les milieux naturels et les paysages traversés. Mais le thème des paysages demeure assez rarement intégré dès l’amont des grands projets de lignes à haute tension, ou alors traité de manière strictement réglementaire (comme des paysages remarquables) et ponctuelle (comme le design des pylônes). Il en résulte des actions de rattrapage/compensation postérieures à leur réalisation (plan d’accompagnement de projet). Malgré quelques contre-exemples de cartes et croquis collaboratifs, de récits biographiques et de répertoires sensoriels – tel L’atlas pratique des paysages d’Auvergne mené en 2011-2012 par le collectif Alpage –, le paysage peine même à y être considéré comme enjeu premier et véritable sujet. Pourtant, les réactions et oppositions territoriales mettent très souvent en avant le patrimoine et sa protection comme ferments identitaires, la nature comme ensemble de services rendus aux sociétés locales, les paysages du quotidien comme facteurs d’attache, le bien-être environnemental et la qualité de vie territoriale comme sentiments d’appartenance et mondes communs.

Nous partons ici de quelques enseignements tirés d’un séminaire organisé en juin 2013 au ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie[1], et plus précisément de quelques grandes questions restées jusqu’à ce jour en suspens autour de la qualification des territoires et de l’environnement dans les grands projets d’équipement (voir à la page suivante), pour alors livrer dans les deuxième et troisième temps une expérience qui met en lumière la portée des savoirs dits habitants pour révéler d’autres réalités sociospatiales des territoires concernés. Si « la fiabilité et l’intérêt des savoirs qu’une société est susceptible de produire traduisent la qualité de son fonctionnement démocratique » (Stengers, 2002 : 8-9), alors les grands paysages apparaîtraient comme moyen de fonder autrement le commun et son agir (Faburel, Chevallier, Elli, Tartière et Battais, 2011). Se poserait donc la question de la dialogisation des savoirs environnementaux et paysagers impliqués dans les projets de grands équipements.

Les territoires, l’environnement et les paysages dans la participation : une multitude de savoirs

L’une des questions apparues centrales lors du séminaire de juin 2013 renvoyait aux échelles de temps et d’espace de la participation. Quel est, par exemple, le périmètre spatial pertinent de la concertation officielle lorsque l’équipement implique une disjonction croissante des espaces de la décision, du projet et de ses effets ? De même, quelles sont les échelles pertinentes de temps face à l’inadéquation reconnue entre durée de ces concertations et temps des rapports sociaux et des défis écologiques ? Par ces jeux et enjeux d’échelles, le territoire apparaît en fait selon nous comme une notion opératoire pour la révision des cadres de la participation. Certes, il est admis de longue date que tout conflit d’équipement et d’aménagement est d’abord un conflit pour l’usage des territoires (Subra, 2007). Les territoires ne sont d’ailleurs jamais très loin dans les registres, structures et trajectoires argumentatives des acteurs impliqués par les grands projets d’équipement. Surtout, tout territoire est d’abord aujourd’hui le construit de divers processus de territorialisation (Melé, 2007), donc implique plusieurs dimensions et composantes (Le Berre, 1995 ; Di Méo, 1998) :

  • certes, une entité spatiale aux dimensions concrètes, de composante géophysique, constituée du contexte géographique, naturel, et des aménagements matériels réalisés par l’homme pour leur dite maîtrise (comme les réseaux fonctionnels). C’est l’espace physique ;

  • mais aussi une composante affective/existentielle, nourrie des rapports sociocognitifs que les populations entretiennent avec leur cadre de vie, et composée de sentiments d’appartenance des habitants, de l’histoire et de la mémoire des lieux, de matérialités patrimoniales. C’est l’espace vécu ;

  • et une composante organisationnelle, constituée par les réseaux d’acteurs, institutionnels, marchands, civils, leurs interactions politiques à différentes échelles, les logiques territoriales qui guident leurs actions : un espace social, moins de luttes que d’enjeux socioculturels (notamment les valeurs et normes) projetés sur l’espace géographique.

Entremêlant ces trois familles de composantes, le territoire est alors l’expression globale du spatial, du social et des multiples vécus plus personnels. Il renvoie dorénavant à une construction collective de l’intelligibilité et d’une vision du monde, véritable représentation autoréférencée et identitaire du groupe qui l’a construit. Dès lors, plus que les concertations officielles et leurs espaces-temps contraints, les démarches plus expérimentales vont, par leurs desseins participatifs, brasser toujours plus des objets ressortant des composantes listées, mobilisant une diversité de figures spatiales, une multiplicité d’ancrages territoriaux, une pluralité d’acteurs et de formes démocratiques attachées à des lieux. Or faire du territoire le creuset des opérations d’assemblage de temps et d’espaces implique au premier chef d’autres manières de concevoir et d’aborder l’environnement et ses paysages, objets premiers des disputes.

Il est en fait, dans le même temps, à remarquer que les revendications des habitants se déplacent vers l’élaboration du commun par les attaches sensibles à des lieux, par des projections affectives sur des espaces. Nous sommes ici précisément dans la conception de l’environnement comme habiter d’un territoire (Roux, 2002 ; Paquot, Lussault et Younès, 2007). Les percepts et les expériences dont ces attaches et projections sont porteuses, singulières des vécus situés de l’environnement et des paysages, apparaissent alors comme des ressources, particulièrement pour les citoyens les plus éloignés de la vie politique, en manque de légitimité dans les arènes publiques. L’expérience des mondes proposée par Céfaï (2009) serait à ce jour « le réarmement des capacités morales et politiques des habitants ». Elle permettrait de comprendre les actions collectives touchant à la sensibilité, dessinant « de façon neuve des figures de la res publica » (Céfaï, 2009 : 261). Le jugement de pertinence des choix d’aménagement/équipement dépendrait bien plus aujourd’hui que par le passé de telles constructions, lorsque la seule technique pouvait tenir lieu de valeur partagée d’un progrès tendu vers un bien-être collectif, accompagné de ses mythes fondateurs.

Dans ce cadre, le paysage est souvent hissé au rang de véritable symbole, historicisé par les sociétés locales. À l’occasion des projets, la modification du « paysage-icône » va alors mettre en mouvement cette historicité, pour interpeller les espaces-temps officiels : du temps long de l’évolution paysagère et de la continuité culturelle (temps cycliques des rythmes géoclimatiques, biologiques) aux temps plus courts, parfois de rupture, des dégradations environnementales, de la construction de jugements esthétiques ; du périmètre local de la taxinomie (comme les espèces remarquables) ou de l’intégration paysagère dans l’emprise technique et juridique de l’équipement, jusqu’aux échelles plus amples des circonscriptions administratives ou des grandes entités paysagères, fonctionnements écosystémiques et dynamiques territoriales.

Or, si la place accordée aux problématiques paysagères dans l’action territoriale est, en France notamment, croissante depuis quelques décennies (Luginbühl, 2012 ; Donadieu, 2012), les larges territoires impliqués par les grandes infrastructures de transport terrestre sont encore peu étudiés sous l’angle des ressentis, pratiques et vécus, facteurs d’attache et sentiments d’appartenance, ainsi que du bien-être/mal-être suscité, procuré, projeté, voire fantasmé. Et ce, encore moins dans une approche impliquant des démarches collaboratives avec les habitants. Ces éléments vont pourtant participer de la réception sociale, voire fonder en partie le rapport social à l’équipement. « L’évolution des pratiques, matérielles et symboliques, de l’espace d’une part, et la mise en péril des territorialités politiques de l’autre, constituent, à nos yeux, les deux motifs principaux de la demande paysagère contemporaine » (Debarbieux, 2007).

S’il s’agit de dépasser la rationalité technique pour introduire expériences, émotions, affects en politique (Rancière, 2000), c’est ici que la question des savoirs est posée et que ceux dits habitants entrent selon nous en scène territoriale. Car expériences de l’ordinaire, habiletés du quotidien, aptitudes pratiques, voire virtuosités techniques et autres cognitions du local mêlent étroitement chez chacun visions du commun et opérations sensibles (Céfaï et Lafaye, 2001).

Pourtant, si l’environnement local est un puissant embrayeur de généralités, ouvert à des considérations et échelles plus larges, de tels attributs peinent à advenir comme catégorie d’analyse pour l’action. En fait, face à la pluralité des ressources et des compétences qui peuplent en théorie l’espace social en France, la littérature récente abordant cette pluralisation des savoirs rabat encore souvent hélas l’environnement au cadre physique et technique des lieux de vie, et l’habitant à un usager de ces lieux (cf. Introduction in Deboulet et Nez, 2013). Alors même que le quotidien se vit bien comme un continuum : « une expérience du temps caractérisée par la fusion des moments ternaires passé/présent/avenir dans le seul présent, “un lien vécu au présent éternel” qui annule l’axe syntagmatique de la narration, donc de l’action, et privilégie la synchronicité des affects et de la présence à soi et aux mêmes (ses pairs de l’actant collectif) » (Parouty-David, 2008).

Aussi s’agit-il d’élaborer une démarche chemin faisant, vers, à partir et par les habitants eux-mêmes, et ce, pour s’affranchir des découpages imposés par la concertation officielle, qui les dépossèdent globalement de leur habiter (Faburel, 2013). « Aucun savoir digne de ce nom ne peut se construire à propos des humains… si sont absents les groupes réels dont ce savoir nécessiterait l’existence » (Stengers, 2002 : 97).

Une démarche vers et à partir des habitants : diagnostics des signaux faibles et enquête socioenvironnementale

Diagnostic écosystémique et paysager : de quelques sens cachés du territoire

L’objectif de la démarche menée pour RTE en 2010 et 2011 a été de produire une autre géographie du territoire en articulant trois outils en deux grands temps méthodologiques. Le diagnostic écosystémique et paysager a représenté le premier outil d’analyse du premier temps. Dans ce cadre, trois grandes entités géographiques et paysagères se dégagent des diagnostics officiels. Elles opèrent une scission nord/sud des 80 kilomètres de l’aire d’étude : Dépression ardennaise et Crêtes préardennaises au nord (forêt réserve de biodiversité à forte valeur écologique et cynégétique, agriculture mixte), Champagne crayeuse au sud (openfields d’agriculture intensive et pelouses calcaires relictuelles, derniers témoins d’un écosystème jadis prédominant), et enfin Champagne humide et vallée de l’Aisne inondable au centre (privilégiée par l’avifaune).

Le diagnostic des écosystèmes à l’échelle du périmètre de la ligne et leurs interactions s’intègre quant à lui dans un champ plus large. Sur la base des éléments de ressources locales (inventaires des différentes zones de protection officielles, travaux des associations environnementales, études des acteurs de la recherche ou des collectivités territoriales sur les connexions écologiques), il déploie une lecture transversale des données. Révélant un carrefour biologique majeur (régional/national/continental), il permet alors de pointer la nécessaire mise en réseau/cohérence des connexions écologiques structurantes et le rôle potentiel des grands aménagements à cette fin. C’est sur cette double base que le choix de cinq services écosystémiques prioritaires a été proposé, sur les vingt et un que comporte le cadre international pour l’évaluation des écosystèmes pour le millénaire (2005). Le tableau 1 ci-dessous rend compte à la fois des types de services et des occasions qu’ils peuvent représenter dans ce contexte territorial.

Tableau 1

Services écosystémiques prioritaires pour la ligne THT (Aménités, 2011)

Services écosystémiques prioritaires pour la ligne THT (Aménités, 2011)

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Le diagnostic paysager croise quant à lui les données habituelles de l’étude paysagère avec des thèmes moins explorés des territoires comme la toponymie, les photos amateurs géolocalisées et les communications diverses. À l’échelle des trois grandes entités paysagères d’entrée, les liens entre hydrographie et habitat au sens large (corridors écologiques et installations humaines) sont mis en évidence par l’étroite superposition/cohabitation des habitats (naturels et écologiques ainsi qu’humains), donnant une épaisseur particulière (spatiale et temporelle) au territoire.

Passant à l’échelle du périmètre de l’infrastructure existante, l’exploration fine des points de contact entre ces habitats et l’espace du projet de reconstruction définit deux types d’interfaces théoriques : ce que le cabinet d’étude réalisant l’étude d’impacts dénomme « points durs », auxquels (sans les écarter ni les stigmatiser) s’ajoutent ce que nous dénommons « signaux faibles », de moindre visibilité immédiate, mais méritant d’être mis en lumière pour une meilleure com-préhension (« prendre avec soi ») du territoire dans sa diversité.

Des lieux parfois inédits naissent à la croisée d’enjeux souvent intimement imbriqués (notamment entre points durs et signaux faibles) et livrent des visages complémentaires des paysages concernés : poids de l’histoire à partir du patrimoine et de la toponymie, importance de l’eau et de la végétation, extension récente des villages, projets d’aménagement en cours… Porteurs de spécificités propres, susceptibles de figurer des sens pouvant être mis en mouvement/tension, ces lieux paysagers ouvrent d’autres perspectives aux débats relatifs au projet : épaisseur temporelle à intégrer, qualité des eaux à assurer, cohabitation des milieux à valoriser, enjeux des interstices et délaissés des grandes infrastructures à discuter…

La lecture transversale par le diagnostic écosystémique et paysager révèle ainsi non seulement des milieux et signaux faibles porteurs d’avenir, mais a permis également de définir en partie le protocole des phases suivantes.

Enquête socioenvironnementale chez les habitants : vers les paysages de l’habiter

En 10 jours de terrain pour 5 chercheurs-enquêteurs sur les 28 communes de l’aire d’étude présentant des lieux de vie à moins de deux kilomètres de la ligne THT existante, l’enquête qualitative a permis de mener 120 entretiens de 40 à 60 minutes chez les habitants, selon une grille de questions ouvertes (1/3) et semi-directives (2/3) centrées sur :

  • les rapports à la nature, aux lieux référents, aux usages des espaces, aux aménités et services du territoire ;

  • les sens territoriaux : symbolique, esthétique, pratique et donc identitaire ;

  • les jugements/croyances/aspirations que ces sens nourrissent dans la qualification de l’environnement et de ses paysages, mais aussi pour l’action ;

  • les représentations des évolutions environnementales, paysagères et territoriales ;

  • les rapports à l’action publique et perceptions de la ligne THT.

L’enquête a été menée auprès d’un échantillon représentatif de la population mère des communes concernées (cf. carte 2), selon des critères de profession et catégorie socioprofessionnelle, l’âge, le genre et la localisation de l’habitat par rapport à la ligne (intérieure ou extérieure à la bande réglementaire de 300 mètres, donnant lieu à un recours pour indemnisation).

L’analyse révèle un attachement fort et vif au nord (crêtes préardennaises, forêt des Ardennes, vallées de la Meuse et de la Semois) qui attire pour son cadre de vie « naturel » et « authentique », sa richesse écologique, ses lieux emblématiques et ses possibilités de balades/activités de pleine nature. Ailleurs, les espaces de pratiques récréatives sont fragmentés. En Champagne humide sont cités vallée de l’Aisne et marais de Corny (chasse et pêche). En Champagne crayeuse, l’horizon dégagé des cultures intensives est très peu facteur d’attache et, hors usages de proximité, les pratiques se tournent vers l’extérieur de l’entité (crêtes, montagne de Reims, ville de Reims pour les néoruraux). Partout, les volontés de préservation concernent les éléments d’intérêt patrimonial et les itinéraires remarquables, et surtout la forêt : au sud par défaut – « qu’ils ne coupent pas les arbres » (Commune de Pontfaverger-Moranvilliers, Entretien 1) –, au nord pour « préserver la nature par n’importe quel moyen » (Commune de Wagnon, Entretien 2) et le paysage comme cadre de vie. Mais au sentiment de « joyau » du nord s’adossent des attentes quant aux services de proximité : « Il nous manque une épicerie » (Launnois sur Vence, Entretien 2). Au centre, la demande de « faire quelque chose pour l’emploi » (Juniville, Entretien 3) est la plus prégnante. Enfin, la scission nord/sud entre entités paysagères est nuancée par des dynamiques territoriales observées ou craintes par les habitants : périurbanisation avec changement des modes de vie et recul des solidarités rurales, remembrement des parcelles en Champagne humide (modèle intensif du sud).

La force de jugement/proposition accompagnant le discours des habitants ressort notamment par le poids de l’environnement dans les vécus : évolution paysagère tangible et perspective écologique (équilibre agriculture/forêt, modes de vie écologiques, énergies durables…). Les emblèmes environnementaux/paysagers évoqués auraient donc comme ferment une volonté collective puisant dans des identités malmenées par des évolutions récentes et marquantes des territoires de la région.

De cette analyse très succinctement livrée, les lieux plus fréquemment cités sont croisés avec ceux issus du diagnostic écologique/paysager, conservant chaque fois les sens associés afin d’apprécier le niveau de correspondance avec les symboles plus institutionnels. Ce croisement a alors servi d’entrée pour l’étape suivante. Il montre le rôle pivot des analyses socioenvironnementales dans la compréhension fine des territoires, en amont de la production collaborative, comme base discursive et amorce méthodologique pour la conférence citoyenne.

Une démarche par les habitants : conférence citoyenne pour une prospective territoriale et une nouvelle géographie de l’aire d’étude

À partir de différentes ressources collectées ou produites, une conférence dite citoyenne a été organisée autour des enjeux, visions et projets du grand territoire de la ligne THT. Afin de tenter de construire une autre géographie de sens pour l’aire d’étude, représentative des visions que les habitants avaient du territoire, différents temps ont là aussi été articulés (figure 1) : moments de constat et de projection, phases de création et de négociation, mise en discours et autres modes d’expression (dessins, cartes, recueils photographiques, coupures de presse), le tout sur la base de méthodes individuelles et collectives de sciences humaines ou sociales (cartes mentales)

Figure 1

Conférence citoyenne, démarche emboîtée, outils mobilisés (Aménités, 2011)

Conférence citoyenne, démarche emboîtée, outils mobilisés (Aménités, 2011)

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Visant à confirmer/infirmer les résultats précédents, mais plus encore à fournir des éléments vifs de mise en dynamique collective (là où les étapes précédentes dressaient des constats plus individualisés et parfois statiques), cette étape a d’abord fait l’objet de réflexions sur le dispositif à adapter au contexte, s’appuyant à la fois sur la notion de forum hybride (Callon, Lascoumes et Barthe, 2001) et sur des retours d’expériences d’outils participatifs : conférences de citoyens, groupes de discussion, ateliers de production, cartes participatives. Chacun comporte des limites propres, la principale étant de contraindre la prise de parole des habitants par les sujets proposés ou le rôle donné à l’expertise officielle pour nourrir le contenu des discussions (Bourg et Boy, 2005).

Un dispositif hybride s’est donc imposé, combinant divers temps jugés utiles à la démarche d’ensemble, garantissant l’articulation des expériences individuelles et des constructions plus collectives. Cela, afin de définir une géographie de sens et d’attentes à l’échelle de l’aire d’étude, dans le respect des compositions et dynamiques plus amples du grand territoire, dans une prospective au long cours.

La conférence citoyenne se structure donc autour de quatre temps (six rencontres) pour faire de la parole habitante une force de proposition à échelle large ET réduite, dans un temps immédiat (mobilisation des ressentis) ET long (prospective) :

  • Premier temps : exposé des attendus personnels puis collectifs de la démarche, mise en commun des enjeux territoriaux (tableaux synthétiques d’enjeux et de défis) ;

  • Deuxième temps : thèmes et information d’expertise sur demande des participants (diagnostic partagé du territoire) ;

  • Troisième temps : coproduction (cartes mentales, carte collaborative, jeu de rôles) ;

  • Quatrième temps : synthèse entre les participants et le maître d’ouvrage (finalisation de la géographie de l’aire d’étude et bilan).

Les six rencontres sur six mois et les types d’exercices emboîtés nourrissent la démarche globale au fur et à mesure, produisant les éléments de sens d’une autre géographie à partir des paroles/volontés habitantes, conservant le cap de la production collective, adaptant chaque étape aux résultats antérieurs soumis à la validation des participants. Démarche inédite, l’itinérance du dispositif embrasse les sous-espaces de la région et oeuvre à une prospective mieux partagée. Les trois lieux de réunion choisis sont Reims et Charleville-Mézières, villes d’influence, et Signy-l’Abbaye au centre. Les douze participants volontaires (six issus des entretiens à domicile, les six autres recrutés par téléphone dans l’aire d’influence de la ligne THT, cf. tableau 2 pour les caractéristiques sociodémographiques) y ont abordé divers enjeux du grand territoire (environnementaux, paysagers, économiques, énergétiques, sociodémographiques, patrimoniaux…), par différentes productions collectives et natures d’échanges (évolution à moyen et long termes de l’environnement et des paysages, visions collectives de l’aménagement et des choix politiques).

Tableau 2

Données sociodémographiques et localisation des participants à la conférence citoyenne (Aménités, 2011)

Données sociodémographiques et localisation des participants à la conférence citoyenne (Aménités, 2011)

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Dans un premier temps, les tableaux synthétiques de défis sont hiérarchisés d’après une série d’affirmations vraies/fausses fondées sur les tendances extraites des 120 entretiens et du diagnostic territorial en quatre grands thèmes : population, services, équipement ; dynamisme territorial ; environnement et bien-être ; gouvernance. Argumentation, débat, vote et classement hiérarchique des affirmations permettent un premier regard sur les ressentis et représentations des participants, sur les connaissances ou envies de compléments d’information, et sont la base d’une dynamique de groupe pérenne, à partir de laquelle déployer les autres temps. Tous les thèmes confondus, la question principale concerne les disparités et la fragmentation territoriale nord/sud de la Champagne-Ardenne.

Le deuxième temps a réuni les connaissances jugées nécessaires par les participants, et ce, pour ne pas préorienter les débats. Trois thèmes ont été choisis pour nourrir la réflexion : énergie ; économie et dynamiques territoriales ; écologie et paysages. Au final, la carte de diagnostic partagé, loin de représenter la totalité des dynamiques recensées, rend compte des hiérarchies, imbrications et articulations sociospatiales des enjeux (métropolisation, espaces de développement, offres d’équipements, qualité environnementale et paysagère) en une représentation graphique validée par tous. Elle constitue un préambule aux propositions pour le devenir du territoire que les habitants ont imaginé et cartographié ensuite.

Le troisième temps, celui de la coproduction, a impliqué trois outils.

Des lieux d’attaches aux sens spatialisés, la carte mentale de chaque participant, à l’échelle de l’aire d’étude de la ligne et/ou du grand territoire (figure 2), constitue un exercice personnel de familiarisation avec la production cartographique, mais surtout une première expérience d’articulation des échelles en vue de garantir le local comme embrayeur de généralités. S’y révèle un imaginaire collectif à front renversé de l’image « officielle » du territoire : incontestable richesse environnementale/patrimoniale au nord, pauvreté de « grandes cultures, agro-industrie » et connectivité à l’emprise « urbaine » au sud. Disproportion accentuée par le vide de la bande médiane – Champagne humide – et la quasi-absence de liens est-ouest – pourtant prépondérants dans les cartes de diagnostics officiels.

Figure 2

Exemples de cartes mentales dessinées par les participants (Aménités, 2011)

Exemples de cartes mentales dessinées par les participants (Aménités, 2011)

Figure 2 (suite)

Exemples de cartes mentales dessinées par les participants (Aménités, 2011)

Figure 2 (suite)

Exemples de cartes mentales dessinées par les participants (Aménités, 2011)

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Ensuite, la carte prospective des propositions, spatialisées par les habitants selon leurs propres connaissances, a eu pour fil conducteur le scénario « nouveau modèle d’économie territoriale durable », retenu parmi les trois coconstruits en synthèse des étapes précédentes (les deux autres étant « préservation paysage/environnement/services écosystémique » et « amélioration des équipements/services »). Les supports : un fond de carte IGN (1/25 000 sur Ardennes et Marne) ; trois calques thématiques superposables (Environnement, paysages, écologie ; Infrastructures ; Taches urbaines et zones industrielles) ; les renseignements délivrés en phase d’information ; des photos, coupures de presse, cartes postales anciennes apportées par les participants ; un calque vierge pour leurs propositions d’aménagement (à l’aide de crayons de couleur, feutres, gommettes, Post-it, etc.).

Expression collective des intentions à l’échelle du grand territoire, la carte prospective collaborative spatialise des attentes projectives, vision transversale et intégrée du devenir du territoire à moyen et long termes qui vise à restaurer l’équilibre nord/sud.

Enfin, le jeu de rôles mis en place reproduit un système d’acteurs classique de réunion publique. À l’appui de la carte collaborative, par un argumentaire adossé au rôle choisi par chacun selon ses affinités avec le type d’acteur proposé (agriculteur, élu local, association environnementale ou de préservation du patrimoine, acteur économique, opérateur), s’est opérée une négociation dynamique de propositions concrètes où chacun défend une option d’insertion territoriale de la ligne THT. Ce dernier exercice cherchait à fixer plus clairement les critères d’adhésion ou de rejet du projet selon les enjeux locaux et logiques en présence, et à hiérarchiser thèmes/localisation de mesures possibles d’accompagnement dans l’aire d’étude. Partant de la liste de mesures classiques devant garantir la faisabilité de l’équipement (liées à ce dernier, aux bâtiments publics, à l’écologie, aux paysages, à la citoyenneté), les participants ont resserré leur choix sur l’économie territoriale, l’environnement/paysage/nature, et le patrimoine.

Au terme de cette troisième étape, ils proposent que la ligne THT constitue une infrastructure écopaysagère, dorsale verte nord/sud reliant différents milieux naturels et habitats pour une libre circulation/migration des espèces sur l’ensemble du territoire, redéveloppant un maillage écologique fin (haies) disparu en Champagne crayeuse, et mettant en lien les parcs naturels régionaux des Ardennes et de la montagne de Reims. En matière d’économie territoriale, ils défendent au nord/vallée de la Meuse une revitalisation par la reconversion industrielle de zones d’activités (Revin, Fumay, Vireux-Molhain) et un tourisme vert en réseau (fluvial, parc naturel régional, routes touristiques, patrimoine architectural). Pour le volet urbain de ce rééquilibrage nord/sud, ils imaginent la mise en place d’équipements/services à la personne (par exemple des centres d’insertion intergénérationnels répondant aux questions d’emploi des jeunes, de dépeuplement et d’isolement des personnes âgées), le soutien d’écoactivités stratégiques par des pôles de compétitivité en lien avec l’université et la recherche (bois et énergies renouvelables telles les éoliennes), et d’activités de l’économie sociale et solidaire par les formations adaptées à la demande territoriale (carte 1).

Carte 1

Carte prospective pour le grand territoire de la ligne THT (Aménités, 2011)

Carte prospective pour le grand territoire de la ligne THT (Aménités, 2011)

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Issus de trois temps de la démarche, des lieux de sens territoriaux jalonnent l’ensemble des contributions. La carte 2 en dresse la liste et représente également les volontés accolées, les milieux dès lors définis ou encore les objets géographiques impliqués.

Mis en perspective dans le respect des grandes orientations territoriales et visions communes (diagnostic partagé et cartographie prospective), ces lieux concrétisent ainsi l’inscription spatiale des perceptions, représentations, attentes dans le dialogue des échelles d’espace et de temps. Ils dessinent pleinement une nouvelle géographie du territoire de l’aire d’étude, sous la bannière de la reconstruction de lien(s).

Carte 2

Lieux de sens territoriaux emblématiques de l’aire d’étude (Aménités, 2011)

Lieux de sens territoriaux emblématiques de l’aire d’étude (Aménités, 2011)

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Des savoirs habitants… aux savoirs paysagers : quelques questions adressées aux productions cartographiques et à leur dialogisme

Telle qu’elle a été fixée comme hypothèse, l’expérience livrée (ré)évalue certaines opérations sociocognitives relatives aux percepts et affects, aux imaginaires et aux croyances, aux jugements et aux attentes territorialisés, pour coconstruire, par l’implication volontaire et directe, une vision globale des territoires de vie. Par la confrontation des trajectoires individuelles liée à l’exercice proposé, ces vécus sociaux ordinaires de l’espace local sont resitués dans leur portée au général territorial. Sous la bannière de la construction de liens, la force de proposition habitante fait ainsi du territoire le creuset d’attaches multiples et le vecteur d’un concernement qui puise dans un habiter d’abord composé de cognitions environnementales et paysagères. Mais également un opérateur d’engagements par des savoirs et un capital pour la production de sens géographique, mobilisable dans le cadre de démarches collaboratives. En effet, se sont ici avérés essentiels des domaines d’expériences (du registre économique lié aux effets familiaux de la désindustrialisation chez deux participants), des types d’aptitudes (de la pratique politique de la délibération publique en matière d’aménagement de l’espace chez un autre), des formes d’habileté (nées de compétences acquises dans les pratiques de la terre pour une quatrième).

De l’enquête socioenvironnementale (entretiens) à la conférence citoyenne, les différents temps/outils emboîtés permettent alors non seulement l’expression de la diversité, mais également le déploiement de la force productrice de ses mobilisations. La démarche révèle notamment, mot d’ordre différent de celui porté par l’action, l’occasion pour le projet de faire autrement des liens dans des milieux et tissus préexistants : entre milieux humains et naturels, urbains et ruraux, d’habitat, de travail et de loisirs, proches et lointains, pratiques et symboliques. Elle révèle également, du fait même des outils de production utilisés, les enjeux techniques, symboliques et politiques liés aux approches de la participation.

S’agissant alors de reconnaître aux habitants d’un territoire leur vocation à participer directement de la production des sens territoriaux dans le cadre des projets d’aménagement, la question des formes de représentation choisies s’avère ici cruciale. Les cartes produites, des espaces de sens puis d’enjeux et enfin de prospective proposent certes une lecture complémentaire des cartes d’experts. Or « la carte n’est désormais plus considérée comme une médiation du territoire, mais comme un opérateur à même de déterminer les actions à mettre en oeuvre sur le territoire. La traiter comme un “opérateur symbolique” qui exprime une conception du monde très particulière en tant qu’interface entre la réalité et la société signifie reconnaître que la carte constitue un dispositif métamorphique puissant, qui réalise l’équation “carte = territoire” » (Casti, 2012). Toutefois, dans ce registre, les outils conventionnels déploient à ce jour toute une rhétorique graphique dont l’habitant ne maîtrise pas les codes susceptibles de faire prévaloir une vision (des territoires, paysages, occasions d’insertion d’un équipement). « La cartographie métrique analogique-référentielle s’est transformée en représentation-interprétation unique, objective du monde […] prétendant uniformiser toutes les échelles, du local au global, les réduisant à un principe d’ordre unique » où « faire croire qu’il n’y a qu’une seule façon de voir un territoire signifie alors en imposer une construction conforme aux règles implicites dans cette vision » (Dematteis, 2012).

Si la carte ne représente pas la réalité mais en constitue le modèle, elle doit donc être comprise comme opérateur symbolique d’une spatialité qui « est, en première instance […] un milieu communicationnel et anthropologique concerné par la perception, l’organisation et l’usage de l’espace, de la distance entre les acteurs […] » (EspacesTemps.net, 2011). Cela implique au préalable la reconnaissance des capacités habitantes à participer directement de la coproduction d’autres types de représentation que ceux institutionnellement admis. Car « ce n’est pas la représentation en elle-même qui est performative, mais bien les processus sociaux de son élaboration et de sa mise en politique qui la dotent ou non d’un pouvoir d’exploration et de composition avec la multiplicité sociale, spatiale et paysagère » (Labussière et Nadaï, 2011 : 74).

Le travail restitué ici, vers, à partir et par des habitants, comme plusieurs autres expériences collaboratives, par exemple autour de lignes à grande vitesse (Faburel, Altaber, Chevallier, Meyer et Gageonnet, 2012)[2], milite ainsi pour que les acteurs institutionnels oeuvrent à la pluralisation/dialogisation de leurs savoirs et savoir-faire. Et ce, en vertu du « tournant proxémique » très souvent annoncé, mais encore largement différé. Ne serait-ce pas là un moyen de produire collectivement le « paysage comme connivence » (Sautter, 1979) ? Debarbieux convoque d’ailleurs le terme d’empaysagement pour désigner « un tournant dans la façon qu’ont les sociétés contemporaines de se penser elles-mêmes et de penser leur inscription matérielle par l’entremise de la représentation et de l’action paysagère » (2007). Cet empaysagement s’exprime notamment « dans le souci de reconstruire du projet politique territorialisé sur des bases nouvelles ». Et c’est dans le cadre d’une grande diversité et d’une hétérogénéité d’appartenances culturelles qu’il constate « la capacité du paysage à représenter aujourd’hui [le] commun ».

Toutefois, « tant qu’il est affaire de spécialistes, ce type de paysage continue de relever d’une logique d’aliénation » (ibid.). Il s’agirait donc de lever le premier verrou à cela différemment : la représentation décalée d’un habitant « expert » de la proximité et l’immédiat, rabattu à l’échelle du local et du court terme, susceptible de s’engager dans les processus de concertation/participation uniquement si ses intérêts particuliers sont en jeu et son bien-être, menacé ; une conception statistique, amorphe, « sans qualité » du sujet individu, accompagné de son double, le mythe persistant d’un citoyen passif encore largement de mise dans les arènes décisionnelles (Rosanvallon, 2008).