Présentation

Entre l'engagement et l'obligation : l'appel à la responsabilité à l'ordre du jour[Notice]

  • Johanne Charbonneau et
  • Philippe Estèbe

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  • Johanne Charbonneau
    INRS-Urbanisation, Culture et Société

  • Philippe Estèbe
    Coopérative ACADIE

La notion de responsabilité est fréquemment invoquée dans les débats publics. La présentation des actualités dans les médias et le courrier des lecteurs dans les quotidiens sont ponctués régulièrement d'appels au sens des responsabilités de tous et chacun (adulte, citoyen, travailleur, entreprise, etc.) et d'exercices de désignation des responsables, à la suite de méfaits ou autres événements qui ont fait des victimes. Mais cette notion se retrouve aussi dans des énoncés récents de politique, dans les domaines de la santé, de l'éducation ou même de la sécurité civile, où sont discutées de nouvelles modalités de partage de responsabilité. Pourquoi et comment cette notion, aux contours théoriques plutôt flous, est-elle devenue si centrale dans les débats ? Sa popularité grandissante s'inscrit, de fait, dans une dynamique contextuelle particulière, comme le rappellent d'ailleurs tous les auteurs qui en discutent dans ce numéro. D'une part, comme bien des observateurs l'avaient anticipé, la « fin » ou, du moins, la redéfinition en profondeur du rôle de « l'État providence » commandait une révision des rôles et des obligations respectifs des collectivités, communautés, familles et individus à l'égard des « populations vulnérables ou dépendantes » dont l'État avait, avec le temps, accepté de prendre la charge. Mais, dans notre société où chacun se définit de moins en moins clairement en termes de rôles et de statuts, il ne doit plus être question d'obligations associées à ceux-ci; la redéfinition des obligations devient plutôt un processus négocié de « partage des responsabilités », dans un esprit de collaboration et de concertation et par le biais de modalités partenariales. Le renouvellement des références conceptuelles apparaît ainsi comme une nécessité. La valorisation de la liberté de choix des individus dans les décisions qui concernent leur trajectoire de vie et dans le maintien des relations interpersonnelles, l'imprévisibilité des destins individuels et l'affaiblissement des cadres institutionnalisés de la vie sociale sont autant d'éléments qui posent maintenant l'exigence du respect de l'autonomie de l'acteur et obligent un renouvellement de la manière de s'adresser à lui pour l'inciter, le convaincre, le faire accepter volontairement de s'engager envers les autres et de participer à la vie de la cité. La notion de responsabilité paraît bien convenir à cette exigence : sa définition, peu précise et inspirée tant de la philosophie morale que du droit, permet l'appel d'une réponse aux besoins des personnes vulnérables, mais convient tout autant à une démarche plus autoritaire d'imputabilité et d'attribution des responsabilités, qui se confond alors aisément avec les plus anciennes notions de rôles et d'obligation. À une époque et dans une société elles-mêmes qualifiées d'individualistes, le rapport à l'autre devient imprévisible et paraît en redéfinition continuelle. Pour certains, cela suscite la crainte du « chacun pour soi » et de « l'irresponsabilité généralisée ». Les représentants de l'État, très sensibles à cette lecture, multiplient les appels en faveur d'un renouvellement du « contrat social » et de la participation de tous à la création d'une nouvelle « cohésion sociale ». Mais, dans la société civile, cet appel public à la responsabilité paraît surtout lourd de conséquences et d'obligations déléguées, et peu respectueux de la diversité des pratiques de responsabilité dans lesquelles sont déjà engagés les individus dans leur vie quotidienne. Situant la popularité du concept de responsabilité dans un tel contexte, certains des auteurs qui ont contribué à ce numéro discutent des limites de l'exercice de délégation par l'État de la responsabilité de certaines populations vulnérables ou en besoin d'intégration. Par l'analyse de pratiques concrètes de responsabilité entre proches, d'autres rappellent plutôt que les individus vivent toujours en société et qu'ils s'inscrivent encore dans des processus …

Parties annexes