Notes de lecture

LAMOUREUX, Diane. 2001. L'Amère Patrie. Féminisme et nationalisme dans le Québec contemporain. Montréal, les Éditions du remue-ménage, 181 p. [Notice]

  • Isabelle Giraud

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  • Isabelle Giraud
    Département de science politique
    Université de Montréal

La modernisation, aujourd'hui comprise dans un sens néolibéral par les dirigeants québécois, peut-elle encore représenter, comme ce fut le cas jusque dans les années 1990, le point de convergence entre nationalisme et féminisme au Québec ? Telle est la question qui traverse cet essai de Diane Lamoureux. En partant des divergences théoriques entre les notions de souveraineté, de citoyenneté et de nationalisme d'une part, et la compréhension féministe du politique d'autre part, l'auteure montre que la convergence entre féminisme et nationalisme au Québec, avant tout conjoncturelle, repose uniquement sur une même aspiration à la modernité politique. Cette alliance a contribué à la rapide institutionnalisation du féminisme québécois, que l'auteure évalue, dans la troisième partie de l'ouvrage, comme une impasse politique et une véritable instrumentalisation du mouvement féministe par les dirigeants nationalistes à l'heure des coupures budgétaires et du désengagement partiel de l'État des services publics. La première partie de l'ouvrage rappelle assez brièvement les caractéristiques des notions de souveraineté, de citoyenneté et de nation, au fondement de la modernité politique occidentale. À la fin de chaque chapitre consacré à ces notions, l'auteure dégage de manière intéressante les points de divergence avec le projet féministe radical. Tout d'abord, elle rappelle de manière classique la manière dont les notions modernes de souveraineté et de citoyenneté ont participé à l'exclusion politique des femmes jusqu'au milieu du 20e siècle. Lamoureux montre alors qu'aucune de ces notions ne renvoie au projet féministe. La notion de souveraineté moderne, se caractérisant par la réduction du politique à la sphère étatique, repose sur une conception du pouvoir plutôt transcendante que participative, démocratique et élargie. Le concept de citoyenneté, refaçonné dans la modernité politique, prend la forme de droits rattachés aux individus plutôt que de participation au politique. Ainsi, l'État providence a dépolitisé les rapports sociaux en transformant les enjeux politiques en enjeux techniques, niant que le « privé » est avant tout « politique ». En s'appuyant sur les analyses de l'école québécoise de la régulation, Lamoureux estime que le nouveau régime de citoyenneté, caractérisé par une régulation techno-juridique qui soumet le politique et vient délégitimer le travail parlementaire, diminue encore plus la pertinence, pour les féministes, d'une revendication de parité hommes-femmes en politique. En transition avec la deuxième partie, Lamoureux rappelle que le nationalisme d'origine ethno-culturelle repose sur un imaginaire qui produit un modèle familial gynocentré, identifiant les femmes à la maternité et les instrumentalisant pour la conservation de la communauté, démarche anti-féministe par excellence. Dès lors, il paraît essentiel, au terme de la première partie de l'ouvrage, de considérer les liens entre féminisme et nationalisme au Québec à la lumière de leur contingence historique plus que de leurs oppositions théoriques, contingence que l'auteure relie, en deuxième partie, au projet de modernisation politique. Historiquement les mouvements féministes et nationalistes au Québec apparaissent au même moment, en pleine période de la « Révolution tranquille ». Il s'agit d'une période de modernisation rapide de l'État québécois sur fond de rupture avec l'Église. Selon l'auteure, cette détraditionnalisation de la société québécoise, accompagnée d'une réorganisation des rapports sociaux, correspond à la fois au projet féministe et au projet nationaliste, ces deux mouvements aspirant à compléter le travail de construction de l'État providence québécois. Cependant, l'auteure estime que les féministes sortent perdantes de cette alliance. L'État, dans son travail de segmentation sociale destiné à cerner les besoins de ses « clients », a instauré des relations intenses avec les groupes communautaires, relations de financement et de consultation qui dans les années 1990 prennent la forme d'orientation politique des projets des groupes et d'instrumentalisation de leur participation politique, pour mieux dégager un consensus …

Parties annexes