PrésentationLa médiation culturelle : enjeux, dispositifs et pratiques[Notice]

  • Louis Jacob et
  • Blanche Le Bihan-Youinou

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  • Louis Jacob
    Université du Québec à Montréal

  • Blanche Le Bihan-Youinou
    École des hautes études en santé publique

Les milieux culturels et artistiques, mais aussi plus largement, comme on le verra dans ce numéro, toutes les sphères de l’activité sociale, politique et économique, en Europe comme dans les Amériques, s’astreignent à de nouvelles exigences de participation et d’expression citoyennes qui visent rien de moins qu’à créer du lien social, faire société, alors qu’on craint souvent le pire : une société qui s’enfermerait dans ses opérations impériales et qui se reproduirait de façon aveugle au détriment des franges de plus en plus nombreuses d’exclus et de marginaux. La médiation culturelle est un terme qui risque de rester longtemps encore très polysémique, et qui continuera de recouvrir des expériences fort diverses. C’est peut-être le premier constat qui se dégage des textes regroupés ici : les pratiques de médiation culturelle sont extraordinairement éclatées, elles sont le plus souvent inextricablement liées à des situations et à des formes de socialité locales et singulières. Elles sont aussi conflictuelles. C’est que la médiation pose la question des rapports entre les membres d’une collectivité et le monde qu’ils construisent. Lorsqu’elle devient objet de réflexion, que ce soit sous l’oeil des institutions, celui de la recherche universitaire ou des acteurs eux-mêmes, la médiation culturelle, grâce à cette extrême polysémie, permet d’abord de porter attention aux acteurs eux-mêmes, les intermédiaires qui font médiation, et de montrer leur rôle actif dans la production des subjectivités et des objets. Qui sont ces médiateurs et comment leur profil a-t-il évolué au fil des décennies ? Aux acteurs désignés que sont les médiateurs professionnels – l’ensemble des animateurs et accompagnateurs, entremetteurs, traducteurs, interprètes, passeurs de culture, go-betweens, gate-keepers, etc. –, il faut ajouter les acteurs parfois moins visibles, voire anonymes, qui participent à la transmission du sens, à l’élaboration des pratiques culturelles. La réflexion porte également sur l’évolution des politiques culturelles depuis l’après-guerre ; des questions difficiles surgissent qui mettent en jeu les fondements normatifs de l’action culturelle. Par exemple, qu’en est-il aujourd’hui de l’accessibilité aux oeuvres, de la participation, voire du droit à la culture ? L’expression culturelle ne concerne-t-elle pas l’identité des personnes et des collectivités, leur dignité, leur autonomie ? L’enjeu serait donc de favoriser les liens et les passages, de faciliter les liaisons. Les définitions canoniques de la médiation se partagent dès lors entre plusieurs tendances. Les unes insistent sur la nécessité de favoriser la rencontre entre l’oeuvre artistique et son destinataire ; les autres élargissent encore la définition pour désigner toute fonction de développement culturel, d’expression individuelle et collective, de participation. Nous nous proposons d’aborder la médiation culturelle sous l’angle des politiques publiques tout autant que la société civile et les modalités d’expression de la personne, dans l’ensemble des situations de culture légitime, illégitime, émergente, résistante, marginale, c’est-à-dire sans préjuger d’une improbable résolution des conflits d’interprétation que génèrent les expériences de médiation. Nous nous employons à rapprocher des analyses de disciplines d’ordinaire éloignées qui toutes s’intéressent à cette question de la médiation culturelle. Trois axes de réflexions sont proposés : le concept de médiation culturelle, les enjeux politiques et les pratiques de médiation. « La médiation culturelle ne serait-elle qu’un mot ? », s’interroge Laurent Fleury dans ce numéro. Les débats sur la médiation culturelle ont sans aucun doute permis de sortir de l’opposition trop souvent systématique entre « démocratisation de la culture » et « démocratie culturelle », mais le concept demeure ambigu. En quoi consiste précisément la médiation culturelle ? Peut-elle se résumer à « amener la culture » à des gens qui n’en auraient pas ? Comment d’ailleurs penser la culture dans des contextes pluriels où naissent de nouvelles formes d’inclusion et d’exclusion, …