PrésentationPauvreté, précarité : quels modes de régulation ?[Notice]

  • Jane Jenson et
  • Claude Martin

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  • Jane Jenson
    Université de Montréal

  • Claude Martin
    Directeur de recherche CNRS, Chaire « Lien social et santé » de L'École des hautes études en santé publique (EHESP)

Les phénomènes de pauvreté et de précarité et leurs modes de régulation sociale ont connu d’importantes évolutions au cours des 20 dernières années, aussi bien en Europe qu’en Amérique du Nord. Nombre de gouvernements comptent, par le biais de politiques dites « actives », sur le renforcement du rôle des marchés pour garantir le revenu de chacun. Cependant, le contexte actuel du marché du travail compromet cette possibilité et empêche un nombre croissant de personnes de gagner suffisamment pour vivre. Les emplois à durée limitée, à temps partiel et à bas salaire sont de plus en plus fréquents et font que le travail précaire n’est plus marginal. Un nouveau statut est apparu au fil du temps dans le discours public de plusieurs pays : celui de working poor, à savoir les travailleurs qui travaillent tout en restant sous le seuil de revenu jugé adéquat. Si la notion de travailleur pauvre existe dans le vocabulaire courant aux États-Unis depuis les années 1970, il est d’usage plus récent dans les pays européens. Comme le rappellent Serge Paugam et Claude Martin dans leur article, le « pauvre » a longtemps correspondu au statut d’assisté, clairement distinct du « travailleur » dont le statut social était donné par l’exercice d’une activité professionnelle. Un employé pauvre, même dans le cas où il avait des difficultés à joindre les deux bouts, restait défini avant tout par son statut d’employé. En conséquence, les assistés étaient inactifs. Dans les régimes bismarckiens tout comme dans les régimes libéraux d’État-providence, une ligne claire séparait ceux qui touchaient l’aide sociale, parce qu’inactifs, et ceux qui travaillaient. Les politiques sociales de l’après-1945 ont renforcé cette distinction dans leurs dispositifs et leurs pratiques. La reconnaissance actuelle des effets de la précarisation du marché du travail casse cette distinction. Depuis les années 1990, en Amérique du Nord comme en Europe, nous observons la mise en place de politiques sociales qui acceptent qu’une personne touche à la fois un revenu d’emploi et une prestation d’aide sociale. Au Québec, par exemple, l’aide sociale a été réformée en 1998 par le projet de loi 186 portant sur « le soutien du revenu et favorisant l’emploi et la solidarité sociale ». Une fois adoptée, la Loi a instauré trois mesures d’aide financière : le programme d’assistance-emploi pour les personnes dites capables de travailler, le programme de protection sociale pour les personnes qui en raison de leur âge ou de leur invalidité ne s’inscrivent pas dans une démarche de réintégration dans l’emploi, et le programme d’aide aux parents pour leur revenu de travail (APPORT) qui vise à fournir un complément aux familles à faible revenu lorsqu’au moins un parent occupe un emploi. Sauf dans le deuxième cas, l’attente est clairement que l’aide sociale favorise la mise au travail ainsi que le maintien d’un lien avec le marché du travail. On peut être « assisté », tout en étant « au travail » ou en emploi. Le Québec et le Canada, avec ces réformes importantes adoptées entre 1995 et 1998, sont loin de faire cavalier seul en matière de politiques antipauvreté et pour l’inclusion sociale. De plus en plus de pays se sont alignés sur cette position consistant à utiliser les fonds publics pour soutenir le travail précaire et surtout compléter les revenus précaires. Dès 2003, 8 des 15 pays de l’Union européenne proposaient un complément au revenu, et cette tendance n’a cessé de se renforcer. Au-delà de ce soutien aux faibles revenus, toute une panoplie de mesures vise à contrer la pauvreté par l’insertion des personnes sur le marché de l’emploi, même dans des emplois précaires. L’activation est …