Corps de l’article

Introduction

La migration des personnes est un phénomène global dont les multiples causes et effets se font ressentir dans le tissu social et associatif des villes. L’initiative Vivons nos quartiers (VNQ), menée par la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI) et par Centraide du Grand Montréal, vise à contribuer à la création de quartiers inclusifs et accueillants pour les personnes réfugiées et immigrantes, par la mise en commun des meilleures pratiques d’inclusion. L’initiative accompagne et soutient les intervenants oeuvrant en contexte de diversité ethnoculturelle par le biais de formations et du développement de communautés de pratique. Elle assure aussi l’animation d’un groupe d’experts provenant des milieux communautaires, universitaires et gouvernementaux. Ce groupe assure une veille des défis et des conditions d’intégration à Montréal, et joue un rôle-conseil en partageant les pratiques porteuses dans ces différents secteurs.

Les données présentées dans cet article émergent d’un projet de recherche-action intitulé « Documenter l’initiative Vivons nos quartiers : vers des quartiers inclusifs et accueillants pour les personnes réfugiées et immigrantes[1] ». L’objectif de la recherche est de documenter le déploiement de l’initiative Vivons nos quartiers, en mobilisant le concept de résilience pour analyser les stratégies adoptées par les individus, par les collectivités et par les institutions publiques et communautaires devant s’adapter aux enjeux liés à l’immigration. En employant le concept de « résilience sociale » dans le sens donné par Hall et Lamont (2013), les auteurs s’écartent de l’étude des traits individuels qui faciliteraient la résilience devant divers types de traumatismes, pour mettre l’accent sur l’analyse des cadres sociaux et culturels qui sous-tendent cette résilience. Cette approche dynamique de la résilience implique aussi des modifications à l’échelle de l’individu, de la collectivité ou des institutions et non simplement le fait de retrouver l’état initial d’avant « crise » (Hall et Lamont, 2013).

Cette recherche documente la mise en oeuvre des politiques favorisant l’accueil et l’inclusion des personnes réfugiées et immigrantes et, plus précisément, celles visant l’établissement de « collectivités accueillantes », à l’échelle des quartiers d’une métropole.

Le vocable de « collectivités accueillantes » a fait son apparition au Canada dans les années 1990 dans le domaine de la gestion de la diversité (Belkhodja, 2009 ; Esses et al., 2010 ; FCM, 2016). Le concept revient ensuite sur le devant de la scène politique fédérale et provinciale, d’abord en 2010-2012 avec l’Initiative de développement de collectivités accueillantes du gouvernement canadien (Citoyenneté et Immigration Canada – CIC, 2010), puis parmi les objectifs de la Politique québécoise « Ensemble, nous sommes le Québec » en 2015 (Québec, 2015a). Ce concept s’appuie sur l’idée que l’intégration des nouveaux arrivants est un processus dynamique qui se caractérise par une responsabilité dite partagée entre les immigrants et la société d’accueil (Biles et al., 2008). L’application de ce concept est évaluée à partir d’indicateurs identifiés par Esses et al. (2010). Dans cet article, notre analyse mobilise notamment les indicateurs relatifs à la présence d’organismes au service des nouveaux arrivants sur le territoire, ainsi qu’à la concertation entre les principaux intervenants du secteur de l’immigration.

Cet article expose le cas de Vivons nos quartiers, un exemple de mise en oeuvre des politiques d’intégration des immigrants en établissant des « collectivités accueillantes » à l’échelle des quartiers de Montréal. Ce projet met en avant les dimensions communautaire et citoyenne de l’action publique. Par le biais d’une analyse des interactions observées lors de formations, de rencontres et de concertations des acteurs de première ligne dans les quartiers, les auteurs interrogent les effets de la « crise migratoire » perçue au Québec entre 2016 et 2018 sur la mise en oeuvre des politiques migratoires d’accueil et sur les réalités des acteurs des quartiers pris dans la nécessité de l’accueil des nouveaux arrivants au quotidien. Dans ce contexte, quels moyens sont implantés pour favoriser l’établissement de « collectivités accueillantes » ? Quelle place occupe l’initiative Vivons nos quartiers dans l’effort de résilience des milieux d’accueil et des nouveaux arrivants ?

Après une mise en contexte de la « crise » au Québec, les auteurs développent le cadre théorique de la résilience, ainsi que le cadre des politiques migratoires d’accueil et d’intégration des nouveaux arrivants sous l’angle des « collectivités accueillantes ». L’approche méthodologique est ensuite exposée pour situer la discussion des données. Les auteurs démontrent comment la « crise migratoire » perçue au Québec a provoqué une réaction de crainte et de méfiance chez les intervenants. Cette réaction est contrastée par l’analyse du discours mobilisateur des formateurs de Vivons nos quartiers et des instances de concertation qui l’accompagnent. Une comparaison des efforts de résilience des milieux d’accueil avec les indicateurs des « collectivités accueillantes » conclut cet article.

Mise en contexte

Le projet Vivons nos quartiers a vu le jour en 2016, dans un contexte où les déplacements forcés à travers le monde atteignent de nouveaux records (UNHCR, 2019) : déplacements entre autres liés à la guerre civile en Syrie, à l’aggravation du conflit en Libye, ainsi qu’aux persécutions envers des populations dans plusieurs régions du monde. Ce contexte a aussi touché le Québec et le Canada, dont les systèmes d’accueil et d’établissement ont été mis à l’épreuve par l’arrivée importante de réfugiés et de demandeurs d’asile.

Bien loin des réalités des pays comme la Turquie, le Pakistan ou le Liban qui accueillent respectivement 2,8 millions, 1,6 million et 1,1 million de réfugiés (UNHCR, 2019), loin aussi de celles des pays de l’Union européenne, le Québec et le Canada ont néanmoins été confrontés à des réalités nouvelles. Entre 2015 et 2016, 7 583 réfugiés syriens ont été accueillis au Québec[2]. Près de 4 000 autres sont arrivés en 2017. En novembre 2016, un climat hostile aux demandeurs d’asile accompagne l’élection du président Trump. Des milliers de migrants craignant de ne pas recevoir de traitement juste aux États-Unis traversent la frontière pour entrer au Canada. Afin de contourner l’Entente sur les tiers pays sûrs entre ces deux pays, qui stipule que la demande d’asile doit se faire dans le premier pays où l’on pose pied, des milliers de migrants traversent la frontière canado-américaine de manière irrégulière, principalement au Québec et au Manitoba. Le chemin Roxham devient alors un lieu de passage connu internationalement, et un nombre record d’arrivées journalières marque les mois de juillet et août 2017. En 2017, près de 50 000 demandes d’asile ont été présentées au Canada, dont environ 25 000 au Québec, une augmentation significative pour la province[3]. À titre comparatif, moins de 24 000 demandes d’asile ont été présentées au Canada l’année précédente, dont 5 525 au Québec[4]. Pendant le pic d’arrivées, des abris temporaires sont érigés à la frontière, les organismes d’accueil sont forcés de travailler au-delà de leur capacité et le délai de traitement des demandes à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, normalement établi à 60 jours, dépasse largement les 18 mois.

Les discours politiques et médiatiques, encourageant parfois l’accueil, parfois la crainte, alimentent la perception de l’ampleur de la « crise » au Québec. Les discours se voulant accueillants prennent souvent la forme d’« effet d’annonce ». En novembre 2015, Justin Trudeau récemment élu premier ministre du Canada, annonce l’arrivée de 25 000 réfugiés syriens réinstallés (parrainés par l’État ou le secteur privé[5]) avant la fin de l’année. En plein coeur de la « crise », en janvier 2017, c’est par le biais d’un tweet qu’il présente le Canada comme accueillant aux demandeurs d’asile : « To those fleeing persecution, terror & war, Canadians will welcome you, regardless of your faith. Diversity is our strength #WelcomeToCanada[6] ». C’est ensuite au tour du maire de Montréal, Denis Coderre, de surenchérir : « Montreal proud "Sanctuary City" Newcomers & refugees are welcome. Diversity is our strength and part of our DNA[7] ». La couverture médiatique de l’été 2017 offre, au contraire, un « discours public hostile » (Vertovec, 2017) sur l’immigration : « Des centaines de migrants illégaux entrent par le Québec[8] », « Chiffres "sans précédent". Plus de 8 000 migrants interceptés au Québec depuis le mois de juin[9] », « Nouvelle arrivée massive de migrants au Québec[10] ».

À Montréal, cette « vague migratoire » est avant tout caractérisée par l’arrivée de nouvelles catégories de migrants, provenant de profils et de pays divers, notamment beaucoup de familles, de femmes seules avec de jeunes enfants et d’un plus grand nombre de personnes éprouvant des problèmes de santé mentale. Le statut de « demandeur d’asile » donne droit à peu de services pendant le traitement de la demande par les autorités. Dans l’attente, ces personnes sont hébergées temporairement, jusqu’à la réception de leur premier chèque d’aide financière de dernier recours, puis doivent trouver un logement plus durable. Le Programme régional d’accueil et d’intégration des demandeurs d’asile (PRAIDA) offre un accompagnement pour les démarches administratives et psychosociales. En 2017 et 2018, le personnel de ce service augmente de 50 % pour faire face au nombre accru des demandes. L’accompagnement est alors restreint aux services minimums (évaluation psychosociale et médicale sommaire). Le Programme fédéral de santé intérimaire (PFSI) couvre les frais de soins de santé de base. Il demeure limité : puisqu’il est en dehors du réseau de couverture général, peu de cliniques et de praticiens s’y sont inscrits. Quant au soutien des organismes communautaires, seul l’appui à la recherche d’un logement est financé (et seulement dans 14 organismes). Surtout, le contexte des précédentes années, entre compressions budgétaires et forte mobilisation pour l’arrivée des réfugiés syriens, a déjà épuisé les ressources humaines et induit, incidemment, une désorganisation dans le secteur des services sociaux et communautaires. Les personnes s’établissent aussi dans des quartiers autrefois peu investis par les nouveaux arrivants et sollicitent, par ailleurs, des intervenants de tout secteur — famille, emploi, centre de femmes, etc. —, qui se retrouvent en première ligne de l’accueil des nouveaux arrivants. Face à eux et sans financement pour leur offrir les services dont ils ont besoin, les intervenants se heurtent dans leur quotidien à cette « crise » et expriment la nécessité de maximiser le peu de ressources à leur disposition. Néanmoins, les discours publics vont amplifier cette perception de la « crise » et polariser les réactions : l’un provoquant la crainte, l’autre stimulant la solidarité.

La résilience sociale et les institutions d’accueil à l’échelle de la ville

Depuis la dernière décennie, le concept de « résilience » est largement utilisé, tant dans les milieux académiques que dans le discours populaire. Il a jusqu’ici encore très rarement été mis en relation avec la migration des personnes (Akbar et Preston, 2019 ; Goudet, 2019). Les articles qui lient migration et résilience, surtout issus de la psychologie ou du travail social, concentrent l’analyse sur la résilience de l’individu, dans un contexte de vulnérabilité. Le système est pris en compte pour considérer ses acteurs — par exemple, les organismes communautaires (Kanouté et al., 2014) — comme de potentiels « tuteurs de résilience » (Vatz Laaroussi, 2009).

La résilience sociale est définie par Hall et Lamont comme : « the capacity of groups of people bound together in an organization, class, racial group, community or nation to sustain and advance their well-being in the face of challenges to it » (2013 : 2). La résilience est ici comprise dans une formule en trois temps : d’abord, la présence et l’évaluation d’un stress, une perturbation ; s’ensuit un processus d’adaptation, puis de changement dans le temps. Cette transformation permet au système de cheminer vers une situation qui diffère de sa situation initiale. En d’autres mots, un système dit résilient tirera profit d’une situation de stress pour enclencher un changement qui lui sera bénéfique.

Le concept a été l’objet de plusieurs critiques. Sur le plan éthique, la résilience, prise dans un sens d’adaptation, sous-entend un passage du « lutter contre » vers le « vivre avec » (Quenault, 2017) des inégalités sociales, notamment. Selon plusieurs auteurs, ce concept s’est nourri du terreau néolibéral (Felli, 2014 ; Illouz, 2016), dans la mesure où il favorise une « pensée positive » qui redéfinit les catastrophes en « destructions créatrices » (Paddeu, 2012). La hausse du nombre de réfugiés et demandeurs d’asile est identifiée ici comme un « stress » sur l’écosystème d’accueil des nouveaux arrivants à Montréal entre 2016 et 2018. La mobilisation du concept de « résilience sociale » nous permet d’en analyser les répercussions. Mais, pour en éviter les pièges analytiques, nous y associons sa première traduction francophone de « résistance » (Tisseron, 2017) afin de prévenir la résignation. Nous accordons également une attention particulière, et critique, à l’idée de « crise » migratoire. En effet, nous attachant moins à l’étude de la « crise » en elle-même, nous regardons plutôt les effets que cette crise, qu’elle soit juste perçue comme telle ou bien réelle, produit sur les acteurs en première ligne dans l’accueil des nouveaux arrivants.

Enfin, partant de l’idée de Vatz Laaroussi (2009), selon laquelle le territoire est un lieu d’actualisation de la résilience des personnes grâce aux ressources qu’il offre et aux contraintes qu’il impose, nous portons notre analyse sur la résilience des territoires eux-mêmes, ici les quartiers, par l’observation des institutions et des organismes communautaires qui les constituent. Nous émettons l’hypothèse que la mobilisation des acteurs et organisations pour rendre leur milieu accueillant aux nouveaux arrivants — la résilience du territoire — contribue in fine à la résilience des nouveaux arrivants[11].

Politiques d’accueil et d’intégration des nouveaux arrivants

La notion de « collectivités accueillantes » a émergé dans les politiques de gestion de la diversité du Canada des années 1990. Reprise par les gouvernements, les consultants, les chercheurs et les acteurs de l’immigration (Belkhodja, 2009 ; Esses et al., 2010), elle connaît un regain d’intérêt à partir de 2010. Le ministère Citoyenneté et Immigration Canada en fait une initiative de modernisation visant à évaluer la relation entre les services offerts aux personnes immigrantes et leurs incidences sur la société dans son ensemble[12]. Elle est également inscrite dans la politique du ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion du Québec (MIDI) de 2015 comme un objectif en ces termes : « l’édification de collectivités plus inclusives en partenariat avec les municipalités et les acteurs des milieux de vie » (Québec, 2015a : 42). Les « acteurs des milieux de vie » sont, selon le Plan stratégique 2016-2021, des « organismes communautaires qui font preuve depuis de nombreuses années de dynamisme et de leadership pour mettre en place des milieux inclusifs » et des « fondations philanthropiques, fortes de leur expertise et de leurs réseaux de partenaires » (Québec, 2015b : 47). Vivons nos quartiers s’inscrit justement dans un partenariat entre un organisme communautaire et un réseau de redistribution philanthropique, et vise à mieux outiller les acteurs communautaires de première ligne.

On note deux notions sous-jacentes au concept de « collectivités accueillantes ». D’abord, l’idée de lieu. La dimension spatiale du concept renvoie à un espace physique dans lequel les personnes, en l’occurrence les immigrants, se sentent valorisées et impliquées. Ensuite, l’idée d’effort collectif renvoie à la responsabilité du milieu d’accueil (Biles et al., 2008) de faciliter les contacts et les échanges entre les gens afin de créer et de maintenir ce lieu accueillant (Esses et al., 2010 ; Belkhodja, 2009). Au croisement du lieu et de l’effort collectif se trouve l’action locale inclusive, qui vise à concrétiser les collectivités accueillantes en impliquant tous ses membres, dont les personnes immigrantes, les gouvernements, les institutions publiques, les organismes, etc.

Esses et al. (2010) proposent une démarche d’évaluation et de mesure de l’inclusion des collectivités à partir d’un ensemble de 17 caractéristiques. Parmi celles-ci, l’initiative Vivons nos quartiers vise à agir implicitement sur les caractéristiques suivantes : 1) une attitude positive à l’égard de la diversité culturelle et de la présence de nouveaux arrivants ; 2) la présence d’organismes au service des personnes immigrantes en mesure de répondre efficacement à leurs besoins ; 3) les liens entre les acteurs oeuvrant pour des collectivités accueillantes ; et, enfin, 4) la promotion du capital social[13]. Dans le cadre de notre recherche, nous analysons les effets produits par Vivonsnos quartiers sur ces caractéristiques comme des formes de résilience dans le contexte de « crise migratoire » et de « discours public hostile » (Vertovec, 2017) que connaît le Québec.

Les formations Vivons nos quartiers

Cette initiative, portée par la TCRI et Centraide, est née d’un don privé au moment de l’arrivée des réfugiés syriens au Québec. Parmi les différents volets de l’initiative, les formations occupent jusqu’à présent la plus grande place, en raison de l’engouement des participants. Ces formations d’une journée se déclinent en trois formules. La formation « Immigration 101 » apporte les connaissances de base sur les différents statuts d’immigration, ainsi que sur les droits et services associés. L’« Itinéraire d’un demandeur d’asile » (ItDA) expose plus spécifiquement le cadre sociolégal du parcours de ces personnes au Québec. L’« Approche interculturelle » est centrée sur les différentes facettes de l’intervention en contexte interculturel. Leur contenu est produit en collaboration avec des consultants externes, très proches des réalités du terrain par leur profession (avocats, travailleurs sociaux, médiateurs culturels), leur engagement et leur activisme. Les formations abordent des aspects théoriques et proposent des mises en situation et des discussions en groupes. L’ambiance est conviviale, avec le partage d’un repas et une grande disponibilité des formateurs.

La tenue d’une formation dans un quartier se réalise à l’initiative d’un organisme dit « pivot », dont la tâche est de réunir les acteurs — intervenants communautaires et institutionnels — du quartier. La participation est gratuite. En tout, ce sont 17 quartiers du Grand Montréal qui ont bénéficié d’une ou de plusieurs formations. Le volet d’accompagnement des communautés de pratiques au sein des quartiers était en plein essor au moment de rédiger cet article.

Méthodologie

L’équipe de recherche a documenté, par les méthodes ethnographiques d’observation directe et participante, plus de 180 heures de formations (12 journées), de comités de travail (32 rencontres), et d’activités citoyennes dans treize quartiers de Montréal entre 2017 et 2018. Apportant un soutien à l’équipe du projet, les chercheurs ont également analysé les données d’un sondage pour évaluer l’impact à moyen terme des formations sur le travail des intervenants. Ce sondage, réalisé sur la plateforme SurveyMonkey, a été envoyé en juin 2018 à chacun des participants ayant bénéficié d’une formation dans le cadre de VNQ entre juin 2017 et 2018 (28 personnes y ont répondu ; n=28). Les questions, à choix fermés ou choix multiples, invitaient aux commentaires qualitatifs. Elles portaient sur les éléments appris lors de la formation, sur le partage des connaissances auprès de collègues, ou encore sur leur intention ou la concrétisation de partenariats dans leur quartier.

D’abord exploratoire, la relation qui s’est établie entre les chercheurs et la chargée de projet s’est transformée en accompagnement et en soutien à l’évaluation de Vivons nos quartiers sur le modèle de la recherche-action. Une relation de réciprocité s’est installée dans cette collaboration. Les chercheurs ont fourni un support parfois pratique (prise de notes pendant les réunions), parfois théorique (recensions littéraires), ainsi qu’un point de vue externe au projet qui a pu alimenter les décisions relatives au développement d’actions dans les quartiers.

L’observation participante (Davies, 1999) — ici, de l’observation agrémentée d’une participation occasionnelle aux discussions — dans les formations et les réunions des comités a construit une relation privilégiée entre les chercheurs, les formateurs et les intervenants. Ce lien de confiance, acquis dans la durée, a permis aux chercheurs d’accéder à une forme d’intimité avec les participants et à une connaissance privilégiée des rapports qu’ils entretiennent entre eux. Ils ont pu observer des variations entre les discours, les actions et les activités réalisées, et entre les différents acteurs et les différents quartiers, leur offrant cette « compréhension interprétative » (Max Weber dans Rodgers, 2018) des dynamiques à l’oeuvre sur le terrain.

La posture des chercheurs est toujours demeurée extérieure au projet, indépendante dans sa nature. La collaboration étroite avec la chargée de projet a toutefois eu une influence sur les données collectées. En effet, les chercheurs sont demeurés tributaires des réseaux d’accès, des acteurs consultés et des initiatives mises en place. Ils n’ont pas observé d’activités et de réunions en dehors de Vivons nos quartiers qui auraient pu faire émerger des situations et des interprétations autres.

Les notes d’observation ont été codées à l’aide du logiciel d’analyse qualitative Dedoose. L’arbre de codage a d’abord été élaboré de manière inductive et exploratoire, afin d’identifier les préoccupations soulevées au cours des observations. Il a ensuite été révisé en fonction de la grille des indicateurs de mesure des collectivités accueillantes d’Esses et al. (2010). Nous avons accordé une attention particulière aux indices de changement et d’adaptation dans les discours et les pratiques des participants. Ces indices ont permis d’obtenir des pistes de compréhension de leur application quotidienne des politiques, des obstacles qu’ils rencontrent et de leur résilience. La discussion qui suit repose sur les constats compilés au terme d’une année de terrain ethnographique accompagnant le déploiement de Vivons nos quartiers.

Confusion et craintes

Ce qui marque nos premières observations est d’abord le manque de connaissances des intervenants de première ligne sur les différents statuts d’immigration et sur les droits et services associés à chacun, ainsi que sur l’arrivée des demandeurs d’asile, leur nombre, leurs droits, leurs parcours de vie. Parallèlement, nous sommes surpris par l’intérêt et la motivation de ces mêmes intervenants — et la disponibilité, voire l’encouragement, permis par leur organisme d’attache — à se mobiliser une journée complète pour suivre cette formation. Et c’est d’ailleurs là que réside un biais de notre étude : les interactions observées proviennent d’intervenants qui font l’effort de se sensibiliser à la question. Ce biais est à la fois encourageant au vu du nombre d’intervenants rejoints par ces formations[14] et l’engouement qu’elles suscitent, mais aussi alarmant par l’ampleur de leurs méconnaissances.

La confusion des intervenants est principalement nourrie par les médias qui diffusent un « discours public hostile » (Vertovec, 2017) et désinformateur sur la « crise des demandeurs d’asile ». À titre illustratif, lorsque les formateurs demandent lors d’un questionnaire en début de journée, quelle est la part de réfugiés et de demandeurs d’asile qui arrivent au Canada chaque année parmi le nombre total de nouveaux arrivants, la quasi-totalité des participants suggère 8 % ou 15 %, alors qu’il s’agit seulement de 4 % des arrivées.

Cette confusion s’explique aussi par les changements dans les politiques migratoires, et par les processus administratifs associés, qui tentent de s’adapter à cette « crise ». Le transfert auprès des acteurs de première ligne n’a en effet pas été opéré de manière suffisamment systématique pour tenir ces derniers au courant en temps réel des changements. À cette fin, un comité intersectoriel a d’ailleurs été mis en place par la TCRI, dont les rencontres ont été documentées par l’équipe de recherche. Entre autres changements de politiques, celui qui entoure l’accès aux garderies subventionnées pour les familles demandant l’asile est éloquent. Alors que dans un certain flou, les enfants de demandeurs d’asile sont d’abord acceptés dans les garderies subventionnées, le gouvernement du Québec émet en avril 2018 une directive qui stipule que ceux-ci ne peuvent pas avoir accès à ces services de garde tant qu’ils ne sont pas acceptés comme réfugiés. Une tolérance persiste, semble-t-il, pour certains déjà inscrits. Néanmoins, nous remarquons au cours d’observations plusieurs mois après cette directive que la confusion règne toujours sur cet aspect.

Ces changements de politiques fréquents — qui ont également concerné les conditions d’obtention et la durée des permis de travail délivrés aux demandeurs d’asile, ou encore les procédures pour l’inscription à l’école des demandeurs d’asile mineurs —, couplés au manque de connaissances des intervenants, ont un impact direct sur les nouveaux arrivants qui se retrouvent d’autant plus embrouillés et mal orientés dans leurs démarches. Par ailleurs, le roulement important des intervenants de première ligne, ainsi que l’embauche massive qu’a provoquée la « crise », notamment dans l’organisme central à Montréal, le PRAIDA, ont contribué à une rupture des chaînes d’informations personnalisées et directes, et donc à la confusion collective.

La confusion a pu également engendrer des craintes, parfois très personnelles, chez les acteurs de première ligne, pour leur santé, leur sécurité et celles de leurs proches. Celles-ci sont d’ailleurs alimentées par les discours médiatiques, comme l’illustrent les notes d’observation suivantes :

Une intervenante du milieu scolaire s’inquiète du fait que les enfants ne passent pas d’examen médical. Elle dit qu’elle s’inquiète pour sa propre santé. Elle leur serre la main et affirme savoir qu’ils ont traversé onze pays. Elle pense qu’ils ont peut-être des maladies. Elle dit s’inquiéter pour la santé des autres enfants de la classe et croit qu’il faut les protéger

Notes de terrain, réunion de comité, Bordeaux-Cartierville

Par ailleurs, la mise en oeuvre des politiques liées à l’immigration ne se réalise pas en dehors des politiques sociales, liées à l’emploi et à l’économie, notamment. Les coupes budgétaires des années précédant ladite « crise » ont amplifié le débordement des services de première ligne, pour les intervenants comme pour leurs usagers. Ce débordement est pourtant souvent hâtivement imputé à l’arrivée de personnes réfugiées et demandant l’asile.

Une intervenante relate que l’arrivée des réfugiés syriens a causé des problèmes dans les files d’attente des banques alimentaires qui peinent déjà à trouver des fournisseurs de denrées. Les usagers de longue date, vulnérables, voient, d’une part, leur sac de denrées diminuer et, d’autre part, des gens venus d’ailleurs dans la file. Les intervenants doivent régulièrement gérer des conflits, les Syriens sont perçus non plus comme des « voleurs de jobs », mais maintenant aussi comme des « voleurs de bouffe » ! Il peut y avoir des attaques directes dans les files d’attente. Les fournisseurs donnent moins, les gens qui reçoivent leurs sacs disent : « Si j’en ai moins, c’est à cause de toi ! »

Notes de terrain, formation Immigration 101, Laval

Ces craintes et cette méconnaissance produisent un terrain fertile à l’inhibition des capacités de résilience des acteurs de première ligne, qui éprouvent déjà des sentiments de débordement et d’impuissance face au nombre de personnes reçues dans leurs bureaux et face à des cas particuliers parfois éloignés de leurs pratiques d’intervention habituelles.

Les formations de Vivons nos quartiers contribuent à atténuer ces craintes en proposant un espace pour les exprimer, mais aussi pour obtenir de l’information nécessaire pour mieux comprendre les besoins des nouveaux arrivants. En s’inscrivant en faux face aux « discours hostiles », les formateurs eux-mêmes usent de ruses discursives pour rassurer les intervenants. Par exemple, omettant sciemment les nombres d’arrivées largement plus significatifs du Québec, les formateurs présentent uniquement les arrivées à l’échelle du Canada, tout en les replaçant sur une période de vingt ans et sur la scène internationale actuelle, minimisant ainsi la « crise » actuelle. Cette ruse semble passer inaperçue et fonctionne pour rassurer les intervenants : la majorité d’entre eux considèrent que leurs attentes ont été comblées par la formation. Lors du sondage d’évaluation à moyen terme, ce sont près des trois quarts des participants (72 %, n=18) qui ont identifié des retombées concrètes de la formation suivie. Parmi celles-ci, il s’agit d’abord d’être en mesure d’offrir de meilleures recommandations vers des ressources adéquates et d’avoir adapté leurs interventions grâce à une connaissance plus approfondie des parcours des nouveaux arrivants.

Discours alternatif, résilience et mobilisation

À côté de ce penchant « paralysant », la sensation de « crise » a plutôt eu un effet mobilisateur pour bon nombre d’acteurs de première ligne. L’existence même de Vivons nos quartiers, du don privé à l’engouement pour ses formations, fait partie de cette deuxième inclination.

Au cours des formations, en présentant le peu de ressources disponibles pour les demandeurs d’asile, les formateurs incitent les participants à développer des solutions novatrices pour les accueillir et les accompagner. L’un d’eux explique notamment qu’il faut user de créativité pour contourner les nombreux défis. Il cite l’exemple de l’organisme pour lequel il travaille, qui offre des cours de francisation. Dans le contexte d’absence de services de garde pour les jeunes enfants, les intervenants ont constaté que plusieurs parents demandeurs d’asile ne suivaient pas régulièrement les cours. Ils ont donc établi un partenariat avec un organisme de services à la famille du quartier afin de créer des places en halte-garderie pour ces personnes. Les formateurs abordent également cet enjeu en critiquant vivement la nouvelle directive en vigueur et en invitant les participants à se mobiliser par le biais d’une pétition et d’un recours judiciaire. En s’attaquant à ce sujet, les formateurs s’écartent du registre de la résilience comme adaptation à la situation, pour entrer dans celui de la résistance comme action sur la situation actuelle.

L’idée est de mettre en oeuvre différemment des politiques inégalement accueillantes à l’égard de ces nouveaux arrivants. L’une des manières proposées, et facilitées par les formations Vivons nos quartiers, est la concertation des intervenants et des organismes pour mettre en place des dispositifs nouveaux à l’échelle des quartiers. Leur format fournit en effet un espace physique de rencontre entre acteurs du quartier pour créer des liens personnels et susciter des occasions de mobilisation collective et intersectorielle. Au cours de nos observations, nous avons assisté, à plusieurs reprises, à la consolidation de partenariats entre intervenants ou à l’ajout de nouveaux membres.

Une participante prend la parole pour expliquer la mise en place d’un partenariat pour aider des demandeurs d’asile installés dans le quartier dans leur recherche d’emploi. Elle a pris l’initiative de contacter d’autres organismes de l’arrondissement pour connaître leurs services. Elle a constaté que plusieurs d’entre eux ont aussi reçu des demandeurs d’asile à la même période. Ils se sont concertés pour mettre en place un point de service en employabilité à la bibliothèque. En entendant parler de ce projet, une autre intervenante s’y est greffée

Note de terrain, formation ItDA, Lachine

Ces partages créent un effet d’entraînement et renforcent le pouvoir d’agir chez plusieurs participants : « Une intervenante déclare que la formation lui a permis de réaliser que tout le monde y met du sien, plusieurs de ses collègues sont mobilisés dans des initiatives du quartier. Elle ajoute que cela favorise le réseautage » (Note de terrain, Formation ItDA, TCRI). Par ailleurs, d’après le sondage, près de 90 % (n=25) des participants ont déclaré avoir partagé avec leurs collègues des éléments appris au cours de la formation. Bien que l’accès aux ressources du quartier puisse se faire autrement, la mobilisation d’un réseau de personnes actives dans le quartier demeure la manière la plus fiable et la plus rapide pour diffuser les informations à jour sur l’accueil des nouveaux arrivants, et notamment de ceux pour qui il existe peu de services.

Nous observons néanmoins des niveaux de concertations inégaux entre les quartiers. Si, dans certains milieux, les participants ont déjà une forte connaissance des acteurs et des ressources disponibles en amont des formations, dans d’autres quartiers des enjeux particuliers et des frictions de longue date freinent les possibilités de concertation. Dans le quartier de Côte-du-Fleuve[15], par exemple, la concertation est jeune, mais dynamique sur l’enjeu de l’immigration. Porté par un organisme historique de l’accueil des personnes immigrantes, un comité de rapprochement interculturel a vu le jour en 2018. Si la mobilisation des membres de ce comité a parfois été laborieuse, leur participation collective à une formation « Immigration 101 » a permis de soutenir le travail du coordonnateur en informant et en sensibilisant les membres les moins convaincus : « Ce qui m’a frappé, c’est le courage des personnes de passer à travers toutes ces étapes-là. C’est sensibilisant, vraiment ! » (Notes de terrain, réunion du comité, Côte-du-Fleuve). Plusieurs membres ont également appris à cette occasion toute la panoplie de services offerts par cet organisme.

Surtout, cette incitation à la mobilisation et à la résilience des acteurs de première ligne est possible, car elle est portée à une autre échelle par une tradition de concertation « typiquement » québécoise. L’initiative Vivons nos quartiers est orchestrée par la TCRI. Il s’agit d’une organisation forte de 40 ans de lutte communautaire concertée, depuis sa création dans l’urgence au moment de l’arrivée des boat people en provenance de l’Asie du Sud-Est entre 1979 et 1981. La chargée de projet de la TCRI coordonne également le comité intersectoriel rassemblant des acteurs de milieux de pratique et d’instances gouvernementales, ministérielles et municipales, qui assurent un soutien concret à ces initiatives terrain, dans une volonté d’aménager des collectivités plus accueillantes. Face aux « discours publics hostiles » (Vertovec, 2017), la vapeur peut être inversée et l’hostilité peut se transformer sous l’impulsion de pratiques hospitalières, issues d’une « scène de l’hospitalité » autre, « portée par la société des individus, des collectifs, des associations non gouvernementales et encadrée par une République bienveillante » (Le Blanc et Brugère, 2017 : 32-33). Dans la réalité quotidienne actuelle du Québec, ces « pratiques hospitalières » d’accueil, que nous qualifions de formes de résilience, sont en effet présentes en nombres significatifs, comme nous l’avons étayé tout au long de ce texte. Toutefois, celles-ci sont plutôt temporaires et activées en contexte de « crise ».

Ainsi, en misant sur l’activisme dans la défense des droits et la justice sociale, et en mobilisant des acteurs de tous les secteurs, le discours adopté par Vivons nos quartiers demeure particulièrement accessible et près des réalités quotidiennes des intervenants. Il court cependant le risque de glisser vers un registre alternatif quasi manipulateur ou, du moins, éloigné du discours véhiculé dans certains médias.

Conclusion

Les données recueillies à travers ce projet de recherche ethnographique portent sur une initiative favorisant l’accueil de réfugiés et de demandeurs d’asile dans un contexte hostile, tant du point de vue des discours qui circulent sur eux que de celui des services auxquels ils ont droit. Ces données nous ont amenés à analyser la mise en oeuvre des politiques d’accueil et les réalités vécues dans les quartiers par le biais de la perception d’une « crise » migratoire, dont l’effet contradictoire mène, d’une part, à la peur et, de l’autre, à la mobilisation des acteurs. Le cadre théorique de la résilience et celui des politiques d’inclusion, dont les indicateurs d’accueil à l’échelle de la collectivité, ont été mobilisés.

Les besoins d’informations simples et à jour sur les statuts se heurtent à des exigences administratives venant d’un système d’immigration de plus en plus complexe et changeant. Les méconnaissances mènent à une forme de peur, de débordement et de sentiment d’impuissance des intervenants dans les quartiers. Tant dans la littérature scientifique que dans l’observation empirique des milieux, nous notons qu’une meilleure connaissance des parcours migratoires des demandeurs d’asile, et de leurs pendants juridiques et administratifs, favorise le travail des acteurs de première ligne. Une meilleure compréhension des problématiques en jeu atténue aussi leurs craintes et favorise une attitude plus positive à l’égard des nouveaux arrivants — l’une des caractéristiques des « collectivités accueillantes » selon Esses et al. (2010).

Nous soulignons aussi l’importance de la création de capital social à travers le renforcement des réseaux entre les acteurs d’un même quartier. L’initiative Vivons nos quartiers encourage les acteurs locaux à penser des alternatives novatrices pour contourner les obstacles quotidiens rencontrés dans l’intervention et pour favoriser les meilleures pratiques d’inclusion des immigrants. Comme Esses et al. (2010) le suggèrent, au-delà de leur simple présence dans les quartiers montréalais, les organismes communautaires doivent surtout être en mesure de répondre efficacement aux besoins des nouveaux arrivants. Maintenir des réseaux actifs, locaux et personnalisés permet de créer des ponts entre les acteurs en situation de surcharge de travail et face à ces nouvelles cohortes de migrants dont les parcours et besoins varient grandement.

La concertation entre différents secteurs (gouvernementaux, institutionnels, communautaires et universitaires) engendrée par Vivons nos quartiers favorise l’échange d’informations et de bonnes pratiques en temps réel ; elle crée des « scènes hospitalières » (Le Blanc et Brugère, 2017). Cette recherche ethnographique s’est elle-même prêtée à l’exercice de concertation intersectorielle. En observant la mise en oeuvre d’un tel projet, dans une démarche de recherche-action, les parties prenantes obtiennent une rétroaction fréquente, et bénéfique à chaque milieu, qui crée un autre espace de contact direct permettant à la fois de nourrir la recherche et la connaissance scientifique, ainsi que les pratiques et les politiques.

Néanmoins, ces scènes hospitalières demeurent dans le domaine de l’accueil « de secours », temporaire et fragile, car elles reposent uniquement sur l’initiative d’acteurs engagés. Un deuxième temps qui dépasse l’hospitalité est nécessaire pour institutionnaliser ces démarches et établir des « collectivités accueillantes », pérennes et imperméables aux changements politiques. Ce temps de l’« appartenir » (Le Blanc, 2018) émerge dans certains des quartiers où des acteurs se sont approprié la mission de Vivons nos quartiers, notamment par la mise sur pied de comités de rapprochements interculturels. Toutefois, d’autres indicateurs des « collectivités accueillantes » identifiés par Esses et al. (2010) n’ont pas été abordés ici, et ne sont pas abordés directement par Vivons nos quartiers ; mais ils restent centraux pour atteindre cet objectif. Ces dimensions se jouent toutefois sur d’autres éléments : par exemple, la présence de logements abordables et convenables, des soins de santé accessibles ou, encore, des relations positives avec la police et le système judiciaire.

À son échelle, l’initiative Vivons nos quartiers représente une tentative de répondre au décalage entre discours politiques et réalités de terrain, en produisant une autre trame narrative. Celle-ci vise une mise en oeuvre alternative des politiques en s’inscrivant dans une tradition d’activisme et dans l’action publique communautaire misant sur les forces vives du terrain. De cette manière, elle réduit les craintes paralysantes des intervenants, les accompagne pour élaborer des milieux accueillants, et leur fournit, in fine, des outils pour devenir résilients face à la « crise » réelle ou perçue.