Résumés
Résumé
Les concepts d’entreprise citoyenne et de citoyenneté corporative (corporate citizenship) sont des utopies économiques qui bousculent la représentation traditionnelle de l’entreprise. Cette représentation est ancrée dans une idéologie économique où l’autonomie de l’entreprise est légitimée par l’efficacité ainsi que le projet politique marchand qui fait reposer le bien commun sur l’égoïsme des acteurs individuels. Le courant de la responsabilité sociale renouvelle cette représentation en suggérant que l’entreprise doit, en plus de poursuivre son intérêt propre (ou celui de ses actionnaires), répondre aux intérêts d’autres parties prenantes et de la société dans son ensemble. Dernière déclinaison de ce courant, les concepts d’entreprise citoyenne et de citoyenneté corporative rompent de manière plus radicale encore avec la représentation traditionnelle de l’entreprise. En mobilisant le vocable de citoyenneté, ils promeuvent l’entreprise au rang d’acteur politique et abolissent de ce fait la frontière entre un monde économique dominé par la rationalité, l’efficacité et la perfection, et le monde politique empreint de débats et de choix contingents. Mais tout en leur concédant un rôle politique formel et légitime, le courant de la citoyenneté corporative néglige l’influence des entreprises dans les politiques publiques et reste étranger aux analyses critiques. Si bien qu’en l’assimilant à un acteur politique, la représentation de l’entreprise proposée par ce courant occulte les enjeux de régulation d’une société économique aux prétentions démocratiques.
Abstract
The concepts of corporate citizen and corporate citizenship are economic utopias that challenge traditional ideas about business enterprises. The traditional representation is rooted in an economic ideology in which business autonomy is legitimated by efficiency and a mercantile political project in which the common good depends on the self-interests of the individual actors. The trend in favour of social responsibility has renewed this representation by suggesting that the enterprise must not only pursue its own interests (or those of its shareholders), but also take into consideration the interests of other stakeholders and society at large. In the latest variation of this trend, the concepts of corporate citizen and corporate citizenship diverge even more sharply from the traditional representation of the business enterprise. By using the vocabulary of citizenship, they promote the enterprise to the rank of political actor, thereby eliminating the boundary between the economic world, in which rationality, efficiency and perfection dominate, and the political world, marked by debate and contingent choices. Yet while giving enterprises a formal, legitimate political role, the corporate citizenship trend neglects their influence on public policies and remains closed to critical analysis. In fact, by equating an enterprise with a political actor, the corporate citizenship representation of the business enterprise obscures the issues involved in regulating an economic society having democratic pretensions.
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Parties annexes
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