Corps de l’article

Le point de départ de la recherche présentée est le problème de la « cyberintimidation » (CI), un terme qui désigne les situations où un adolescent ou un groupe d’adolescents produit des actes verbaux avec des technologies numériques et les diffuse massivement ou les publie de manière répétée dans des canaux de communication privés ou publics, dans le but intentionnel de nuire au bien-être d’une personne, et où il nuit effectivement à son bien-être[2]. Selon une enquête québécoise menée auprès de 8194 adolescents, 22,9 % d’entre eux seraient victimes de CI durant une année scolaire (Cénat et al., 2014). Il en va par ailleurs de même dans l’ensemble des pays post-industriels (Kowalski et al., 2014).

Les recherches à l’échelon international montrent que les effets des actes de CI sur les adolescents qui en sont les cibles sont, entre autres : la baisse de l’estime de soi, la détresse psychologique, l’exclusion sociale, les problèmes familiaux et l’échec scolaire. (Beran et Li, 2007 ; Dempsey et al., 2009 ; Hinduja et Patchin, 2010 ; Juvoven et Gross, 2008 ; Patchin et Hinduja, 2010 ; Didden et al., 2009).

Préoccupés par le bien-être des jeunes et de leur développement, des organismes gouvernementaux, des écoles, des associations communautaires et des citoyens mettent en oeuvre des politiques publiques, des dispositifs éducatifs et des actions citoyennes qui ont comme intention explicite de contrer ce problème.

La recherche présentée ici vise à apporter une réponse à la question suivante : dans quelle mesure, chez les adolescents, la publication dans les médias sociaux de vidéos sur la cyberintimidation constitue-t-elle une action citoyenne ?

Nous entendons ici par « médias sociaux » (MS) les plateformes électroniques sur lesquelles les internautes peuvent publier des contenus qu’ils ont archivés ou eux-mêmes produits, comme Twitter, Facebook, Instagram ou YouTube (Proulx, Millette et Heaton, 2012). Il importe ici de préciser qu’il s’agit de médias dont une part des contenus est produite et publiée par « le social » (les individus), et non par des médias destinés à la diffusion de contenus à visée sociale (par exemple : des publicités sociétales).

En nous fondant sur la pensée du philosophe Habermas (2003, 2006)[3], nous définissons une « action citoyenne » (AC) comme un acte situé dans un contexte sociohistorique donné, qui entend répondre à un problème social précis, par la mobilisation de connaissances et de moyens techniques. Une AC peut s’exercer de manière individuelle, mais devrait idéalement miser sur la force de l’action collective pour arriver à ses fins. Cette action peut aussi être de nature communicationnelle, c’est-à-dire impliquer un recours au langage. Dans ce dernier cas, l’AC ciblera un public, qu’elle tentera d’aider ou de persuader, au moyen de différentes stratégies relationnelles (proximité culturelle, impression d’objectivité, humour, peur).

Toujours à l’instar d’Habermas, nous défendons l’idée selon laquelle la connaissance et le langage sont effectivement centraux dans l’exercice de toute AC, mais qu’une action ne peut être qualifiée de « citoyenne » que si sa finalité première s’avère la transformation de la société. Cette prémisse nous amène à préciser notre question de recherche qui sera désormais la suivante : quelle place occupe la finalité de transformation de la société dans l’esprit des adolescents lorsqu’ils sont en situation de production d’une vidéo sur la cyberintimidation ?

Il ne sera donc pas question ici de voir comment des adolescents définissent ce qu’est pour eux une AC. Nous voulons plutôt critiquer l’idée selon laquelle tout acte discursif médiatisé et public traitant d’une thématique sociale doit d’emblée être considéré comme une AC. Il s’agit là d’une idée défendue par certains auteurs comme Bennett (2008), Jenkins (2009) et Rheingold (2008), dont les discours sont plus philosophico-utopistes qu’empiriquement fondés. Notre objectif est donc d’évaluer les actions communicationnelles des adolescents autour de la thématique de la CI, à la lumière de la définition de l’AC formulée précédemment.

Afin de répondre au mieux à notre question de recherche, nous allons recourir à la théorie des représentations sociales (RS). Les RS sont généralement définies comme des ensembles de savoirs « de sens commun », qui permettent aux gens de comprendre et d’évaluer leur environnement social (Jodelet, 1994), et qui orientent leurs pratiques sociales et discursives (Marková, 2007).

Selon Rouquette (1994), une RS (au singulier) est un ensemble d’éléments cognitifs composant une image mentale collective de la réalité sociale, qui caractérise un groupe particulier de la société (dans notre cas les adolescents Québécois francophones). Sur le plan de l’organisation, il est entendu ici que les éléments cognitifs d’une RS sont thématisés (ils portent sur différents sous-objets) et sont hiérarchisés entre eux. Considérant cela, l’objectif de notre recherche est donc de décrire la hiérarchie thématique des savoirs de sens commun mobilisés par les adolescents lorsqu’ils produisent une vidéo sur la cyberintimidation, afin de voir quelle place y occupe la question de la transformation de la société.

Pour atteindre cet objectif, nous avons réalisé et analysé trois entrevues individuelles avec des adolescents ayant déjà publié une vidéo sur la CI sur YouTube. Également, nous avons organisé 14 groupes de discussion dans des maisons de jeunes (MDJ) avec des adolescents en situation de scénarisation d’une vidéo sur la CI. En tout, 75 adolescents ont participé aux groupes de discussion.

Dans la section qui suit, nous présentons un survol des actions de lutte contre la cyberintimidation dans le contexte québécois. Nous présentons ensuite un portrait des recherches sur les activités de production vidéo chez les jeunes. La méthodologie et les résultats de la recherche sont ensuite présentés. Enfin, en discussion, nous proposons un retour sur les résultats à la lumière de la définition de l’AC retenue. Nous défendrons alors l’idée que les productions vidéo adolescentes, même lorsqu’elles traitent d’une thématique sociale, sont davantage motivées par des intentions relatives à l’apprentissage des langages et techniques vidéo ainsi que par un désir de reconnaissance publique que par un devoir d’aide à autrui ou de transmission de connaissances. Des propositions de priorités éducatives, fondées sur ces constats, sont ensuite présentées.

1. Problématique sociale et scientifique

1.1 Les actions de lutte contre la cyberintimidation dans le contexte québécois

Au Québec, une des premières initiatives mises en oeuvre pour lutter contre la CI fut celle de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie (2009). Au terme d’une séance de réflexion réunissant des enseignants du collégial et des cégépiens, la Commission a publié un document proposant des pistes d’action, dont la mise sur pied de campagnes d’information et de sensibilisation par le ministère de l’Éducation.

Plus récemment, le ministère de la Famille du gouvernement du Québec reconnaissait à son tour qu’informer et sensibiliser la population s’avérait une piste d’action prioritaire à réaliser pour lutter contre la CI (Gouvernement du Québec, 2015).

Des organisations ont déjà oeuvré en ce sens au courant des dernières années au Québec. C’est notamment le cas de l’organisme Tel-jeunes, qui a misé, en 2008-2009, sur la production et la télédiffusion de messages visant à inciter les victimes de CI à se confier à son service d’intervention psychosociale. En 2013-2014, le Gouvernement du Canada a, à son tour, commandé la télédiffusion de publicités en anglais et en français visant à informer la population sur les conséquences légales des actes de CI pour les jeunes cyberintimidateurs.

On peut aussi remarquer dans Internet que des organisations québécoises et canadiennes mettent à la disposition de la population des informations au sujet de la CI, à l’intention des enseignants, des parents, des jeunes en général et des adolescents directement impliqués dans des situations de CI. On compte parmi celles-ci : le Service de police de la Ville de Montréal, Jeunesse, J’écoute, Éducaloi, la Gendarmerie royale du Canada, Pensez cybersécurité, Tel-jeunes, LigneParents, HabiloMédias, la Sûreté du Québec et le Réseau d’information pour la réussite scolaire. Dans le cadre d’une recherche en cours, nous avons répertorié une soixantaine d’organisations ayant publié de telles informations.

Ces informations ont le potentiel de participer à l’acquisition de connaissances à propos de la CI et de sensibiliser la population par rapport à ses effets sur les victimes. Cela dit, il n’est pas certain qu’elles puissent influencer les attitudes et comportements des adolescents face à ce problème, dans la mesure où ces derniers tendent surtout à adhérer aux valeurs et aux normes promues par d’autres jeunes à qui ils confèrent une crédibilité et en qui ils se reconnaissent. C’est d’ailleurs le cas en matière d’éducation à la santé, à la sexualité et à la socialisation (Albert, Chein et Steinberg, 2013 ; Layzer, Rosapep et Barr, 2014 ; Stok et al., 2014).

Certaines études ont été menées sur des actions posées par des adolescents en réponse au problème de la CI. Elles montrent que ce sont les programmes éducatifs misant sur l’intervention des pairs et la valorisation de leurs actions qui sont les plus efficaces (Polanin, Espelage et Pigott, 2012), que la défense des victimes par d’autres jeunes a pour effet de réduire le sentiment de pouvoir du cyberintimidateur (Salmivalli, 2010), et que les adolescents sont plus enclins à défendre leurs pairs en contexte d’interaction à distance (DeSmet et al., 2016 ; Obermaier, Fawzi et Koch, 2016).

Aucune recherche n’a toutefois encore été conduite au sujet de la publication de vidéos sur la cyberintimidation par les adolescents, dans le but de voir quelle place y occupe la question de la transformation de la société. C’est là l’objectif de notre propre recherche.

1.2 L’épreuve de professionnalité

Les activités de production de vidéos des jeunes – sans égard aux thématiques explorées dans les productions – ont déjà fait l’objet de plusieurs travaux qui montrent surtout leurs retombées positives pour leurs participants, particulièrement celles déployées dans des contextes associatifs. Ces retombées sont les suivantes : le développement de la capacité à travailler en équipe, le développement d’une autonomie dans la vie en général, l’amélioration de l’estime de soi, le développement du sens de la communauté, le développement de l’intérêt pour des objets de savoirs a priori peu intéressant pour les adolescents, la maîtrise des langages de communication et le développement de la pensée critique au regard de phénomènes impliquant des enjeux de pouvoir (pour une recension documentée, voir la référence suivante : Bégin, 2017).

Une recherche exploratoire menée au Québec par Caron (2014) montre elle aussi des retombées positives de la publication de vidéos. Sur la base des effets déclarés dans le discours performé d’une « YouTubeuse » adolescente, cette analyse montre comment différents types d’actes discursifs (confidence, soutien d’autrui, appel à la solidarité, appel au témoignage, critique de la normativité) participent à la construction identitaire de jeunes discriminés.

Un travail plus récent et plus étoffé de Caron (2016), qui recense les fonctions pragmatiques des discours de 55 productions vidéo d’adolescents sur le thème de l’intimidation (s’exprimer, informer, partager des expériences, faire agir), offre cette fois une réflexion sur leur « portée civique ». Cette contribution, qui conçoit tout acte discursif médiatisé et public traitant d’une thématique sociale comme une forme « d’engagement civique », laisse dans l’ombre la question à laquelle nous voulons répondre : quelle place occupe réellement la finalité de transformation de la société dans l’esprit des adolescents lorsqu’ils sont en situation de production d’une vidéo sur la cyberintimidation ?

2. Rappel théorique et description de la méthodologie

Rappelons qu’afin d’atteindre notre objectif de recherche, nous faisons référence à la théorie des représentations sociales (RS). L’objectif de notre recherche est de décrire la hiérarchie thématique des savoirs de sens commun mobilisés par les adolescents lorsqu’ils produisent une vidéo sur la cyberintimidation, en vue de comprendre quelle place y occupe la question de la transformation de la société.

Afin de répondre à cet objectif, nous avons réalisé des groupes de discussion dans 14 maisons de jeunes du Québec, avec des adolescents en situation de scénarisation d’une vidéo sur la CI. Trois groupes de discussion ont été réalisés en Abitibi, deux en Montérégie et neuf à Montréal. En tout, 75 jeunes de 12 à 17 ans, 37 filles et 38 garçons ont participé à l’un ou à l’autre des groupes de discussion. Les participants ont été sélectionnés par les animateurs des MDJ sur la base de leur intérêt pour l’activité de scénarisation d’une vidéo sur la CI.

Nous avons aussi réalisé des entrevues individuelles avec trois jeunes vidéastes ayant déjà publié une vidéo sur la CI, que nous avons recruté sur YouTube. Les entretiens ont été réalisés à distance, à l’aide du logiciel Skype. Nous avons retenu YouTube comme contexte de recrutement pour deux raisons : ce média social est le plus apprécié et fréquenté par les adolescents québécois (Steeves, 2014) et nous n’avons repéré aucune vidéo sur la CI dans d’autres MS.

Huit thèmes ont orienté les groupes de discussion et les entrevues : la collaboration entre producteurs, les intentions, les publics cibles, la thématisation du discours, la documentation du discours, l’usage des langages de communication, les stratégies relationnelles et les canaux de diffusion.

Notre stratégie d’analyse se fonde à la fois sur les méthodes nommées « analyse qualitative » (Paillé et Mucchielli, 2012) et « analyse de contenu » (Bardin, 2013). Elle est avant tout inductive, mais déterminée par un cadre conceptuel spécifique posé en amont. Concrètement, les entrevues et les groupes de discussion ont fait l’objet d’une analyse consistant à classer chacun des énoncés des participants dans différentes sous-catégories thématiques générées « en cours de route », mais inscrites dans l’une ou l’autre des huit catégories thématiques susmentionnées.

Dans un premier temps, l’analyse des trois entrevues individuelles a permis d’identifier les composantes cognitives relatives à chacun des sous-objets de la RS. Dans un deuxième temps, l’analyse des groupes de discussion a permis de décrire la hiérarchisation de ces composantes chez une population plus élargie.

3. Description de la représentation sociale

3.1 La collaboration entre producteurs

Les trois vidéastes que nous avons interrogés ont tous produit seul leur vidéo, mais pour des raisons différentes. Dans le cas de Pascal[4], le choix de travailler en équipe ne s’est pas présenté, car le contexte dans lequel il a réalisé sa vidéo ne le lui permettait pas. Il reconnaît toutefois avoir apprécié travailler seul, puisque cela lui a permis d’acquérir davantage de connaissances et de mener son projet comme il le souhaitait :

Je pense que si je l’avais fait avec quelqu’un d’autre, la recherche et l’information que j’en aurais tirées n’auraient pas été la même. Ça aurait été quelque chose qui aurait été divisé à deux. Donc il y aurait des informations que j’ai appris qui m’auraient manquées. J’aime travailler en équipe, mais quand c’est ce genre de travail là, je préfère être tout seul et savoir où je m’en vais.

Léonard préfère aussi travailler seul. Il est également convaincu que ce choix lui simplifie la tâche et qu’il lui permet de mener ses projets à sa manière : « Je suis bien capable de me débrouiller tout seul pour ce que je veux faire. J’aime beaucoup faire du montage. C’est pour ça que je le fais tout seul. »

Marjorie a produit seule sa vidéo sur la CI, mais a l’habitude de travailler en collaboration avec sa fidèle amie et complice pour produire des courts métrages de fiction. La vidéaste est convaincue que cette collaboration ne peut que rendre plus facile et agréable la production vidéo :

Moi, je ne vois que des avantages, parce qu’au niveau de la réalisation, c’est beaucoup plus simple d’avoir quelqu’un. Par exemple, quand je fais des vidéos toute seule, je dois à la fois être derrière la caméra et devant la caméra. Donc, c’est un peu difficile. Je pense que plus il y a de personnes, plus c’est mieux, et plus c’est simple.

Chez les 75 adolescents des MDJ, il semble que l’idée de travailler en équipe fasse l’unanimité, en ce sens où aucun participant n’a affirmé préférer travailler seul à la production d’une vidéo sur la CI. Les paroles d’Elsy (F16, MTL)[5] traduisent cet enthousiasme pour le travail d’équipe : « Si on fait un projet, je prendrais en compte le nombre qu’on est. Ce serait un court métrage, pour que tout le monde ait un rôle à jouer. Ce serait un travail d’équipe ! »

3.2 Les intentions

Lors des entrevues et discussions, nous avons abordé la question des intentions pouvant motiver et orienter la production d’une vidéo sur la CI. Chez les trois vidéastes, deux profils d’intentions sont identifiables, sans être complètement étrangers l’un à l’autre : un premier profil dont les finalités sont la reconnaissance publique et l’apprentissage des techniques et langages vidéographiques ; et un deuxième profil dont les finalités sont l’acquisition de connaissances et l’aide aux personnes vulnérables. Les propos de Marjorie traduisent le premier profil identifié :

C’est parce que j’aime bien l’audiovisuel. C’est quelque chose que j’aime beaucoup. J’aimerais travailler dans le cinéma, donc l’audiovisuel. Quand je fais mes courts métrages, ça m’entraîne. Je trouve que ça permet de s’entraîner sur plusieurs techniques. […] Si j’avais plus le temps de faire des vidéos, j’aimerais bien avoir plus d’abonnés.

À leur tour, les propos de Pascal traduisent le deuxième profil identifié :

Je dirais que c’était plus pour la cyberintimidation, pour le sujet. […] Je dirais pour avoir une meilleure compréhension de c’est quoi la cyberintimidation, comment qu’on peut contrer ça, comment qu’on peut venir en aide à une personne qui en vit.

Lors des groupes de discussion, 40 participants se sont prononcés sur la question des intentions, alors que 35 se sont abstenus. De manière générale, on retrouve davantage de réponses concernant l’activité de production vidéo en elle-même (n=27) que de réponses concernant l’aide à autrui (n=19)[6]. L’intention spécifique la plus souvent évoquée est de « pouvoir jouer dans la vidéo en tant qu’actrice ou acteur » (n=11) : « Moi, j’ai toujours voulu être actrice. Je voudrais vraiment jouer un personnage. Je ne sais pas dans quel rôle. Soit l’intimidatrice, soit la victime. » (Anne-Marie, F15, MTL) Bref, quand nous avons demandé aux adolescents pourquoi ils feraient leur vidéo, c’est davantage des raisons d’ordre personnel que social qu’ils ont évoqué.

3.3 Les publics cibles

Selon Marjorie et Pascal, le public prioritaire à cibler dans le cadre d’une action visant à informer au sujet de la CI est la population des pré-adolescents et jeunes adolescents. Les deux vidéastes fondent ce choix sur l’idée selon laquelle les plus jeunes seraient sous-informés par rapport aux effets des actes de CI :

Les jeunes voient les réseaux sociaux comme une page ouverte où ils peuvent dire ce qu’ils veulent à propos de n’importe qui et de n’importe quoi. Je pense que si on en parlait aux jeunes dès leur plus jeune âge, lorsqu’ils commencent à entrer en contact avec la technologie, ce serait bon de leur montrer ce qui est bon à faire et ce qui ne l’est pas

Pascal

Les deux vidéastes ajoutent qu’une vidéo sur la CI doit autant que possible viser les trois publics suivants : les cyberintimidateurs, afin de leur faire prendre conscience de la gravité de leurs actes ; les victimes, afin de leur apporter du soutien ; et les potentiels défenseurs, afin de les inciter à prendre la défense des victimes.

Pour Léonard, dont les actions sont surtout orientées vers l’acquisition d’un capital de reconnaissance, la définition d’un public spécifique est une question qui occupe peu d’importance : « rejoindre le plus de gens possible » est son mot d’ordre. En d’autres mots, pour Léonard, la portée de la diffusion d’un message a plus d’importance que son fond ou sa forme.

Chez les adolescents des MDJ, 44 se sont prononcés au sujet des publics à cibler. L’idée la plus répandue est celle voulant qu’adresser une vidéo « à tout le monde » ou « au plus de gens possible » constitue le meilleur choix de public (n=20), puisque l’information massive d’une population se traduirait nécessairement par l’élimination rapide des problèmes sociaux : « Le public, ce serait tout le monde : ceux qui ne font rien, ceux qui font de la cyberintimidation, les victimes. Comme ça, tout le monde comprendrait en même temps. » (Mélanie, F14, MTR) Ainsi, pour la plupart des adolescents ayant répondu à notre question, la diffusion massive d’un message serait une meilleure stratégie que la définition d’un public cible précis.

Parmi les autres publics à cibler, on retrouve aussi les adolescents en général, puisque la CI les concerne (n=14) ; les cyberintimidateurs, parce que « ce sont eux la source du problème » (n=12) ; et les parents, qui connaissent peu ou mal l’univers social des adolescents (n=9) :

Ça devrait cibler les parents, parce qu’ils ne savent pas comment réagir. Ils ont peur, en même temps. On en a déjà fait de la prévention envers les ados. C’est juste ça qu’on fait. C’est pour ça que je dirais les parents. On devrait vraiment leur montrer c’est quoi la situation

Elsy, F16, MTL

3.4 Les sous-thèmes du discours sur la cyberintimidation

Nous avons demandé aux adolescents de quoi devrait parler une vidéo sur la CI qui se veut pertinente au regard des intentions et des publics qu’ils ont définis. Marjorie et Pascal affirment que la mise à l’écran des effets psychosociaux et des conséquences légales des actes de CI constituent des éléments d’information incontournables, puisqu’ils incitent à agir en faveur des victimes et contraignent les actions des cyberintimidateurs. Les propos de Marjorie – lorsqu’elle parle de sa vidéo – traduisent cette idée :

C’est vraiment les conséquences que ça peut entraîner. Je pense que s’il y avait plus de personnes qui savaient vraiment les conséquences, ça éviterait qu’ils le fassent. Je voulais que les gens comprennent vraiment ce que c’était la cyberintimidation et ce que ça peut entraîner, et qu’ils voient des deux côtés ce que ça fait. Quand je joue la fille qui intimide, on voit sa réaction à elle, et on voit la réaction de celle qui est intimidée. Je voulais que les gens voient les deux côtés.

Léonard, plus pragmatique et provocateur, affirme que s’il était mandaté pour produire une nouvelle vidéo sur la CI, son discours aurait deux objectifs : enseigner aux victimes quoi faire en situation de CI et faire comprendre aux cyberintimidateurs qu’ils manquent de jugement et de sensibilité : « Tant que tu sais quoi faire quand tu t’en fais faire, ça va bien. L’important, aussi, c’est de savoir reconnaître un prédateur […] Ceux qui en font, ce qu’il faudrait qu’ils sachent, c’est qu’ils sont stupides. Sérieusement, ce n’est pas vraiment une manière de se défouler. »

Lors des groupes de discussion, 61 participants se sont prononcés sur la question des sous-thèmes à aborder dans une vidéo sur la CI. La question « De quoi faut-il parler ou qu’est-ce qu’il faut montrer dans une vidéo sur la CI ? » a généré des réponses concernant les actions à poser en situation de CI (n=58), les conséquences des actes de CI (n=50), la prévention de la CI (n=47), et l’étendue du problème (n=17). Notons que les références au suicide et à la mort sont particulièrement prégnantes dans le discours spécifique des jeunes sur les effets des actes de CI sur les victimes : « Ça serait cool qu’on montre des personnes qui se sont suicidées. Des trucs de mutilation. Toutes les conséquences » (Mélanie, F14, MTR) ; « En gros, il faut dire aux gens que c’est plus gros que ce qu’ils pensent. De simples menaces peuvent mener à la mort » (Jocelyn, G13, MTL).

Des discours pragmatiques visant à faire comprendre aux cyberintimidateurs que leurs actions sont immorales (n=28) et à inciter les victimes à dénoncer leurs agresseurs (n=20) sont aussi des choix proposés par les adolescents : « On dirait que c’est mal. On veut qu’ils [les cyberintimidateurs] retiennent que c’est mal » (Maria, F13, ABT) ; « Moi, je dis que dire de dénoncer c’est une bonne affaire, parce qu’il va y avoir quelqu’un pour t’écouter. Peut-être que ça va continuer, sauf qu’au moins il va y avoir quelqu’un. » (Laurie, F12, MTR)

3.5 La documentation du discours

Nous avons abordé avec les adolescents la question du processus de documentation pouvant accompagner la production d’une vidéo. Les entrevues avec les vidéastes montrent que pour Marjorie et Léonard, ce sont surtout des contenus diffusés à la télévision ou qui circulent en ligne, vus « par hasard », qui ont alimenté leurs discours sur la CI :

Ça s’appelait Teens React to Bullying. C’était en anglais. Ça, j’ai vu ça. [..] Selon moi, je n’ai pas besoin d’en savoir plus que ce que je sais déjà. Je ne me suis pas dit « je vais m’informer plus », parce que je sais déjà en général c’est quoi

Léonard

Pascal, de son côté, plus préoccupé par le potentiel informatif de sa vidéo, a accordé une importance au processus de documentation de sa production :

J’ai d’abord commencé par m’informer, aller sur des sites, lire des livres et des magazines qui parlaient de la cyberintimidation. M’informer sur c’est quoi, c’est quoi les répercussions, les sanctions. J’ai fait des recherches sur le site de Tel-jeunes, sur Google. J’ai tapé ça sur des sites, des forums, plein de sites qui parlaient de cyberintimidation. Et d’autres sites informatifs.

Du côté des adolescents des MDJ, les connaissances sur la CI proviennent de quatre grandes catégories de sources d’information : les expériences indirectes à titre de témoins (n=16) ; les expériences directes dans des situations de CI (n=23) ; les médias d’information (n=23) ; et les discours des adultes de leur entourage (n=37).

Les situations ou les sources d’information spécifiques les plus souvent évoquées sont : les bulletins de nouvelles télévisés (n=10) ; les policiers invités à titre de conférenciers à l’école (n=12) ; les expériences en tant que victime (n=16) ; les enseignants, les directeurs et les intervenants socioéducatifs à l’école[7] (n=19) ; et « des ateliers comme on fait en ce moment. À l’école, il y a comme eu un boost, où toutes les écoles donnaient des ateliers sur l’intimidation » (Daphnée, F15, MTL).

Au final, l’idée de s’en tenir à « ce que nous connaissons déjà » de la CI fait plutôt consensus chez les adolescents, dans la mesure où aucun d’entre eux n’a dit trouver nécessaire de documenter la vidéo scénarisée.

3.6 L’usage des langages de communication

En contexte de communication avec la vidéo, l’usage combiné de plusieurs langages (voix, écrit, image, musique) est possible. Marjorie et Léonard, plus artistes qu’intervenants sociaux, affirment que le travail de mise en scène et de montage d’une vidéo est plus qu’important, puisqu’il détermine la crédibilité que le public lui accordera :

J’avais écrit un scénario, surtout sur ce que mes personnages allaient dire. Je l’avais marqué. Et, donc, pendant la vidéo, j’avais les paroles en bas. Et j’avais posé la caméra sur un trépied devant moi. J’avais fait plusieurs plans pour voir quand est-ce que c’était mieux cadré

Marjorie

Pascal, plus intervenant social qu’artiste, a préféré se concentrer sur la sélection de l’information, puisque selon lui, la quantité d’informations transmises dans une vidéo est plus importante que ses modalités de présentation : « Pour faire cette vidéo-là, j’ai vraiment fait la base, je n’ai rien changé. Je ne me suis pas cassé la tête. J’ai juste fait un ramassis d’informations que j’ai mis dans une vidéo. »

Lors des groupes de discussion, la question des langages de communication a généré 48 réponses, qui évoquent surtout la nécessité d’une trame musicale dramatique (n=20) et d’images en noir et blanc (n=9) pour susciter l’empathie du public envers les victimes dépeintes : « De la musique aussi, pour que ça donne un aspect triste à la vidéo » (Jason, G13, MTL) ; « Le noir et blanc, je pense que ça va inciter le monde à trouver que c’est triste. Ils vont se dire que c’est triste. » (Mathilde, F12, ABT)

3.7 Les stratégies relationnelles

Les stratégies relationnelles permettent à l’énonciateur d’un discours d’attirer l’attention et de persuader son public. Elles sont présentes dans toutes communications, même celles qui se veulent objectives et rationnelles.

Pour Léonard, qui voulait faire rire un large auditoire, c’était l’humour qui s’imposait comme stratégie relationnelle. Pour Marjorie, c’était plutôt le drame qui semblait tout désigné pour convaincre son public. Enfin, pour Pascal, ni l’une ni l’autre de ces options ne s’avérait adéquate. Dans son cas, c’est la valorisation de l’objectivité qui s’imposait :

Je ne trouvais pas que c’était le genre de sujet pour rigoler, parce que c’est vraiment concret et sérieux et qu’il y a des personnes qui vivent ça et qui en meurent. Et dramatique, je ne voulais pas que les personnes qui voient ça aient plus envie de se suicider pour ça. Je voulais que les gens voient concrètement ce que c’est la cyberintimidation.

En somme, on constate ici une cohérence entre les finalités des actions déterminées par les vidéastes et leurs choix en matière de stratégies relationnelles.

Chez les adolescents des MDJ, la question des stratégies relationnelles occupent une place importante dans leur représentation de la production et la publication d’une vidéo sur la CI. Lors des groupes de discussion, 67 des participants se sont prononcés sur cette question. La réponse la plus souvent donnée concerne l’importance du caractère réaliste des mises en scène produites, qui déterminerait fortement la crédibilité de la vidéo selon eux (n=43) : « Moi, je pense qu’il faut que ce soit réaliste » (Josianne, F15, MTL) ; « Si on fait un sketch, il faut des bons acteurs, sinon ça ne fait pas sérieux. » (Simon, G17, MTL)

Viennent ensuite les réponses suivantes : demander à de véritables victimes de témoigner pour assurer l’authenticité du discours (n=40) ; demander à un YouTubeur connu d’animer la vidéo pour gagner en crédibilité (n=14) ; montrer les actions des personnages pour mieux apprendre de celles-ci (n=12) ; et garder un équilibre entre les discours expressifs, descriptifs et persuasifs afin de faire une vidéo « complète » (n=12). Les propos qui suivent traduisent l’idée d’un recours aux témoignages de victimes : « Ce n’est pas juste une mise en scène, ce sont des vraies personnes qui ont fini par se suicider à cause de ça. Ce n’est pas du monde qui font semblant » (en référence à une vidéo existante) (Odile, F15, ABT) ; « Ça fait plus sérieux, parce que ce sont de vraies personnes. Ce ne sont pas des pseudo-je-sais-pas-quoi. » (Mélanie, F14, MTR)[8]

3.8 Les canaux de diffusion du message

Les propos des trois vidéastes expriment une attitude très positive à l’égard de YouTube, où ils ont choisi de publier leur vidéo sur la CI. Selon eux, YouTube permettrait de rejoindre un large auditoire, à l’échelle internationale : « YouTube ! Parce que c’est vraiment le plus connu. Et c’est vraiment international. Dailymotion, c’est quand même assez connu, mais je pense que YouTube, ça rassemble plus de personnes. » (Marjorie)

Chez les adolescents des MDJ, parmi 40 répondants, il a été suggéré de diffuser la vidéo dans les MS (n=33), dans les médias de masse (n=16) et dans des salles de classe à l’école (n=6). Il a aussi été proposé de diffuser la vidéo dans le plus de médias possible (n=9), une proposition encore une fois fondée sur le principe selon lequel la diffusion abondante d’informations à destination d’une large population se traduirait par l’élimination rapide des problèmes sociaux.

De manière plus spécifique, ce sont toutefois YouTube (n=17) et Facebook (n=16) qui ont été les plus souvent explicitement évoqués dans les réponses des participants. Le premier est vu comme une base d’informations universellement reconnue, et le second comme un puissant canal de diffusion à l’échelle mondiale : « Moi, je dirais sur YouTube, parce qu’il y a des millions de personnes qui vont sur YouTube » (Zachary, G15, MTL) ; « La télé, il y a beaucoup de monde qui l’écoute, mais si la vidéo se rend jusqu’à Facebook, elle va quasiment faire le tour du monde. » (Louis-Jean, G16, MTR)

4. Faire une vidéo sur la cyberintimidation : une action citoyenne ?

Les résultats de nos analyses des entrevues et des groupes de discussion nous permettent de voir quelles sont les préoccupations des adolescents lorsqu’ils produisent une vidéo sur la CI. Dans cette section, nous ferons un retour critique sur ces préoccupations et proposerons ensuite des priorités éducatives que pourraient s’approprier des enseignants et des intervenants socioéducatifs.

4.1 Retour critique sur les composantes de la représentation sociale

Comme nous avons pu le constater dans la section de la description des résultats, les adolescents que nous avons interrogés sont, dans l’ensemble, plutôt disposés à vouloir travailler en équipe dans le cadre de la production d’une vidéo sur une thématique sociale. Cette attitude est en phase avec la conception de la citoyenneté que nous adoptons, qui postule qu’une action collective donne lieu à de meilleurs résultats en ce qui concerne la transformation de la société, que des actions individuelles éparses.

Nous avons également pu constater que lorsque l’on demande aux adolescents pourquoi ils feraient une vidéo sur la CI, ils évoquent en majorité des raisons qui ont plus à voir avec l’apprentissage des techniques et langages vidéographiques qu’avec l’aide d’autrui ou la transformation de la société à une large échelle. Cela nous laisse penser qu’il y aurait un travail d’éducation à faire auprès des adolescents concernant le rôle qu’ils ou elles peuvent jouer en matière de changement social.

Au regard de la question des publics pouvant être ciblés par une vidéo sur la CI, nos résultats ont montré qu’une majorité d’adolescents pensent que la diffusion massive d’un message serait une meilleure stratégie que la définition d’un public cible précis. Certains adolescents optent pour des communications plus ciblées, mais la majorité d’entre eux pensent que l’information massive d’une population se traduirait nécessairement par l’élimination rapide des problèmes sociaux. Il semble encore là y avoir un travail d’éducation à faire, notamment pour faire comprendre aux jeunes qu’il est impossible de convaincre les gens de changer l’attitude qu’ils adoptent au regard d’un problème social donné sans tenir compte du rapport qu’ils entretiennent avec celui-ci. Un enseignement des principes de base de la psychologie sociale pourrait s’avérer pertinent.

Par rapport à la « mise en thème » de leur discours, les adolescents démontrent une compétence sur le plan de l’adéquation publics-thèmes. En effet, ils savent cibler ce qu’ils devraient dire aux victimes, aux cyberintimidateurs ou à la population en général pour engendrer une transformation de la société. La question de la « thématisation » des discours ne constitue donc pas, à la lumière de ce constat, une priorité en matière d’éducation.

Au sujet de la question de la documentation de leur discours lors de la production d’une vidéo, les adolescents étaient presque unanimement d’accord pour dire qu’il était suffisant de s’en tenir à « ce que l’on sait déjà » à propos de la CI. En d’autres termes, ils ne voyaient pas la pertinence de documenter leur discours en effectuant une recherche d’informations. À la lumière de la définition de l’AC que nous adoptons, qui conçoit la connaissance comme une ressource fondamentale pour la transformation de la société, cela nous apparaît problématique. Une fois de plus, une éducation devrait être faite par rapport à l’importance de documenter toute action communicationnelle, que ce soit pour déconstruire nos propres idées reçues au regard d’un problème social ou pour trouver les connaissances à transmettre aux personnes en situation de vulnérabilité.

En matière d’usage des langages de communication, nous avons remarqué que les adolescents optaient généralement pour la combinaison d’images en noir et blanc avec une musique dramatique, dans le but de susciter un sentiment d’empathie chez le public à l’égard des victimes de CI. Ce mode de communication est une option valable dans la mesure où l’on souhaiterait effectivement susciter un sentiment d’empathie. Par contre, chez les adolescents, le recours à ce genre médiatique semble vouloir prendre le dessus sur les objectifs de leur message. S’il y a une priorité éducative à définir de ce côté, elle consisterait à faire comprendre aux adolescents qu’en contexte d’AC recourant aux médias, le genre médiatique adopté doit être au service de l’objectif communicationnel et non s’y substituer.

Comme c’était le cas pour la question de la thématisation de leur discours, nous avons constaté une cohérence entre les finalités déterminées par les adolescents et leurs choix en matière de stratégies relationnelles. Nous avons vu que les adolescents savent cibler quelle stratégie adopter en fonction du public ciblé. Ainsi, cette dimension de la communication médiatisée est maîtrisée par les adolescents et nous ne devrions pas en faire une priorité éducative.

Enfin, eu égard à la sélection d’un canal de communication pour diffuser leur message, nous avons vu que les adolescents accordaient une priorité aux MS. Cette attitude est fondée sur l’idée selon laquelle ces médias s’avéreraient les moyens d’information les plus fréquentés par la population. Comme c’était le cas avec le choix des langages de communication, les adolescents opèrent ici un choix qui ne suit pas une logique d’adéquation entre l’objectif de leur message et le canal de diffusion qu’ils privilégient. En outre, ils semblent également penser que diffuser un message dans tous les canaux de communication accessibles pourrait se traduire par des effets instantanés sur la société. Ici encore, il y aurait un travail éducatif à faire concernant la complexité des processus d’influence et des changements sociaux à travers le temps.

Conclusion

La recherche qui a été présentée souhaitait apporter une réponse à la question suivante : quelle place occupe la finalité de transformation de la société dans l’esprit des adolescents lorsqu’ils sont en situation de production d’une vidéo sur la cyberintimidation ? En y répondant, nous avons voulu critiquer l’idée selon laquelle tout acte discursif médiatisé et public traitant d’une thématique sociale doit d’emblée être considéré comme une AC.

Pour ce faire, nous avons adopté une posture que certains pourront qualifier de « normative », dans la mesure où elle « plaque » sur des pratiques sociales adolescentes des attentes qui semblent peut-être exagérées à avoir à l’endroit d’adolescents, et qui sont indissociables de la question de la quête d’un bien-être collectif à l’échelle sociétale (centrale dans l’oeuvre de Habermas).

L’angle d’analyse que nous avons adopté nous a permis de cibler des priorités éducatives qui nous semblent pertinentes à promouvoir à l’heure actuelle : faire comprendre aux adolescents que leurs productions médiatiques peuvent aller au-delà de leurs intérêts personnels et participer au changement social ; les convaincre que toute AC doit s’accompagner d’un travail de documentation visant à déconstruire leurs idées préconçues et mieux informer leur public ; et leur enseigner que la diffusion massive d’un message ciblant une large population ne se traduit pas instantanément par des changements de comportements à l’échelle sociétale.

Cela dit, il ne faut pas oublier que nos résultats ont aussi montré que les adolescents sont ouverts à l’idée de collaborer dans le cadre de projets de production vidéo, qu’ils savent thématiser leur discours et qu’ils sont en mesure de choisir des stratégies langagières et relationnelles somme toute adaptées à des objectifs communicationnels prédéterminés. Prendre ces acquis comme point de départ et comme outils de motivation pourrait s’avérer utile pour traduire les priorités éducatives énoncées en réelles interventions éducatives. Nous espérons que ces quelques suggestions seront entendues par les acteurs du domaine de l’éducation aux médias qui travaillent en contexte scolaire ou extrascolaire.