Introduction

La police à l’épreuve de la démocratie[Notice]

  • Pascale Dufour,
  • Francis Dupuis-Déri et
  • Anaïk Purenne

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  • Pascale Dufour
    Professeure — Département de science politique de l’Université de Montréal

  • Francis Dupuis-Déri
    Professeur — Département de science politique de l’Université du Québec à Montréal

  • Anaïk Purenne
    Chargée de recherches — Laboratoire « Environnement Ville Société » (UMR CNRS 5600), Université de Lyon

À quoi sert la police dans le régime parlementaire ? Comment encadrer et contrôler le travail de ses agents pour garantir sa légitimité dans un État de droit ? Quels sont les liens entre la police et l’idéal libéral-républicain de la démocratie ? Les questions au coeur de ce numéro thématique de Lien social et Politiques relèvent, en théorie comme dans les faits, de l’ordre du paradoxe, tant les expressions empiriques et les modalités de fonctionnement de la démocratie (parole, négociation, compromis) et de la police (force, obéissance à l’autorité) apparaissent antinomiques (Jobard, 2001). À telle enseigne que « l’opacité policière est plus épaisse dans les sociétés démocratiques que dans les autres, parce que la contradiction y est la plus aiguë. La police y est l’instrument de la force dans des sociétés qui se fondent sur la prohibition de la force, elle exprime en permanence la contradiction entre la force et la loi, et le caractère insoluble et permanent de cette contradiction » (Monjardet, 1996 : 281). Ces tensions et contradictions ont gagné en acuité au cours des dernières années. D’un côté, on assiste à un renforcement des exigences démocratiques, car les mécanismes d’encadrement propres à la démocratie représentative, soit le contrôle par un gouvernement redevable devant le parlement, semblent insuffisants. De l’autre, comme on le verra plus loin, la pression d’autres logiques se renforce. Par la métaphore du « chèque en gris », Jean-Paul Brodeur soulignait l’ambivalence qui régit les relations entre l’autorité politique et les policiers, et qui agit comme un mécanisme protecteur pour les deux parties : en effet, « la signature et les montants consentis sont d’une part assez imprécis pour fournir au ministre qui l’émet le motif ultérieur d’une dénégation plausible de ce qui a été effectivement autorisé ; ils sont toutefois suffisamment lisibles pour assurer au policier qui reçoit ce chèque une marge de manoeuvre » (Brodeur, 2003 : 40). Or, cette ambivalence se trouve aujourd’hui remise en question par les dynamiques de transformation structurelles de nos sociétés qui sont à l’oeuvre. Les institutions sont en effet confrontées à un mouvement historique de progression des exigences libérales-républicaines, que traduisent notamment l’essor de la démocratie participative, la dénonciation des traitements discriminatoires, la montée des droits individuels, la nécessité de rendre des comptes et les impératifs de transparence pour limiter les risques d’actions arbitraires, etc. Par exemple, s’agissant du contrôle externe des forces de police, « ce n’est pas un hasard si c’est à partir des années 1960 que ces nouveaux organes de contrôle se développent. Ce sont des approches plus exigeantes des services de police qui commencent à se faire jour, dans des sociétés plus éduquées et informées et où la culture de déférence vis-à-vis des policiers (comme des institutions plus généralement) régresse » (Maillard, 2017 : 113). Dans ce contexte, soumise à un mouvement de désenchantement plus large qui touche l’ensemble des institutions (Dubet, 2002), la police, comme l’illustre tout particulièrement l’actualité française de ces derniers mois, fait face à des critiques récurrentes qui visent ses modalités d’intervention en général et l’usage de la force en particulier (ACAT, 2016 ; Purenne et Wuilleumier, 2012). La portée et les limites de ces entreprises de mises en accusation des violences et des discriminations policières sont au coeur de plusieurs textes de ce numéro. Ces exigences sont largement reprises et poussées par les mouvements sociaux qui se constituent autour de l’enjeu des déviances policières. Du côté de la société civile, des comités de parents de victimes, de juristes, et de militantes et militants se forment et se mobilisent. Leurs actions plus ou moins légalistes ou turbulentes ont …

Parties annexes