Résumés
Résumé
Les systèmes de circuits-courts alimentaires alternatifs, incarnés en France par le modèle des Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP), ont initialement pour objectif d’établir des liens de solidarité entre consommation et production. Ces systèmes alimentaires ont progressivement été investis d’enjeux supplémentaires, particulièrement en matière de justice sociale, en visant à donner accès au plus grand nombre à des produits alimentaires inaccessibles dans les circuits conventionnels de distribution. Pourtant, malgré le travail fourni au sein du mouvement amapien pour atteindre cette ouverture sociale, les catégories intermédiaires et dominantes restent fortement surreprésentées parmi les adhérent·e·s de ces systèmes. Cet article vise à saisir les principes à l’oeuvre dans la faible ouverture sociale des AMAP. Il mobilise des données qualitatives (entretiens biographiques et observations) produites lors d’un travail d’enquête mené entre 2013 et 2019 dans l’agglomération lyonnaise, auprès d’AMAP locales et des réseaux militants qui coordonnent le mouvement amapien. La multiplication des enjeux projetés sur les AMAP génère des contradictions internes, avec lesquelles les responsables des collectifs amapiens composent difficilement. Alors que les AMAP apparaissent désarmées pour mettre en place une plus grande accessibilité économique des circuits-courts, l’ouverture sociale de ces systèmes apparaît susceptible de menacer l’entre-soi social sur lequel les collectifs amapiens se sont localement constitués. La difficulté des AMAP à inclure économiquement, symboliquement et socialement des catégories dominées doit en réalité beaucoup à la manière dont ces catégories sont exclues, en amont, des processus de définition des enjeux opérés par les réseaux militants amapiens et par les collectivités territoriales qui entendent lutter contre la précarité alimentaire.
Mots-clés :
- circuits-courts alimentaires,
- inégalités,
- justice sociale,
- politiques territoriales
Abstract
Alternative short food networks, embodied in France by the Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP) model, initially aimed to establish links of solidarity between consumption and production. These food systems have progressively been invested with additional stakes, particularly in terms of social justice, by aiming to give the greatest number of people access to food products that are inaccessible in conventional distribution channels. However, despite the work done within the amapien movement to achieve this social opening, the members of these systems remain strongly concentrated in the intermediate and dominant categories. This article aims to understand the principles at work in the low social openness of AMAPs. It uses qualitative data (biographical interviews and observations) produced during a survey conducted between 2013 and 2019 in the Lyon area, among the activist networks that coordinate the AMAP movement and among local AMAPs. The multiplication of issues projected onto the AMAPs generates internal contradictions, with which the members of AMAPs have difficulty coping. While the AMAPs are not equipped to implement greater economic accessibility of short circuits, the social openness of these systems appears likely to threaten the social interdependence on which the AMAP collectives have been formed locally. The difficulty of the AMAPs to include economically, symbolically and socially dominated categories owes much to the way in which these categories are excluded, upstream, from the processes of definition of the stakes operated by the AMAP activist networks and by the local authorities that intend to fight against food insecurity.
Keywords:
- short food networks,
- inequalities,
- social justice,
- territorial policies
Parties annexes
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