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Le présent ouvrage du dominicain Jean-Michel Maldamé s’inscrit dans une perspective où les divers savoirs doivent concourir à l’unité. Dans sa quête de vérité, l’être humain doit éviter de verser dans le sectarisme et le fondamentalisme. La juxtaposition des termes « évolution » et « création » abordée dans cet ouvrage n’est pas circonstancielle. Elle est liée à la nature même des relations entre foi et raison, entre vérité révélée et vérité acquise par la raison naturelle. Séparer absolument les domaines du savoir (foi et science) est antinaturel puisque l’esprit humain est en quête d’unité.

La première étape de cette étude, « La vie en sa grandeur » (chapitres 1-3), présente un rapide examen de la théorie de l’évolution dans ses résultats mais aussi dans ses options fondatrices. Ainsi, « la théorie de l’évolution est une théorie scientifique dont le but est de donner une vision d’ensemble du monde des vivants. Elle présente une arborescence qui permet de classer les vivants non plus dans un ordre statique (Aristote), mais selon une dynamique marquée par le tracé des embranchements sur l’arbre des vivants ».

La théorie de l’évolution permet de mettre en évidence la singularité de l’être humain et ouvre sur une anthropologie. La notion de personne humaine signifie qu’il est d’abord un individu, un être vivant séparé des autres ; elle signifie que cet individu est non divisé en lui-même parce qu’il réalise de manière éminente l’unité de tous les êtres vivants. Elle dit que le principe d’unité est dans l’esprit et non dans la matière.

Il y a donc intrication de l’observateur des faits (le scientifique) et de leurs principes d’interprétation (le philosophe et le théologien). La tension entre les deux discours (le scientifique et le théologique) est inévitable, puisqu’il y a entre eux un lien structurel. La théorie de l’évolution suscite des débats. Elle continuera d’en susciter.

La deuxième étape de l’ouvrage, « Bible et science de la nature » (chapitres 4-5), aborde les tenants d’une interprétation littérale de la Bible. Il n’y a pas, selon l’auteur, des vérités contingentes — celles des sciences — et, d’autre part, des vérités absolues ou éternelles qui constitueraient une doctrine fondamentale et inamovible — celles de la théologie. Les énoncés de la foi doivent être pris dans un développement où ceux-ci se précisent, s’affinent, se diversifient. La théologie sort renforcée de la provocation venue de la science. Cette provocation a permis d’établir de nouveaux rapports entre les symboles de la foi et la rationalité scientifique. La nature se décrit en langage mathématique, mais ce dernier ne fait jamais entrer l’esprit humain en état de repos. Le discours scientifique ne saurait être définitif. La théologie doit rester ouverte à une nouvelle lecture, en raison de son objet. Elle écoute le discours de la science, se l’approprie pour ensuite s’exprimer dans un langage renouvelé.

L’auteur soulève par la suite l’épineuse question du créationnisme. Pour les fondamentalistes, comme pour les créationnistes, le texte biblique a une valeur scientifique. Il leur est impossible de voir que la réalité créée (le monde, tous les vivants, y compris l’homme) relève de plusieurs modes de connaissance. Le scientifique et le croyant considèrent la même réalité, mais à partir de lumières différentes. Les fondamentalistes et les créationnistes interprètent le texte biblique, avec un état de connaissance devenu caduc. Leur interprétation est une falsification de la Bible avant d’être une manifestation d’intolérance. Il ne saurait y avoir de conflit entre vérité naturelle et vérité surnaturelle. L’ordre du créé et l’ordre de la grâce peuvent et doivent se rencontrer. C’est à partir du spectacle du monde que la rencontre est possible.

La troisième étape de l’ouvrage, « Théologie naturelle » (chapitres 6-8), expose les deux courants, créationnisme et le mouvement dit Intelligent Design, face à la théorie de l’évolution. Le premier courant repose sur l’autorité d’un texte marqué du sceau de l’absolu ; le second s’inscrit dans le chemin de la théologie naturelle qui a souci de tirer du spectacle du monde une preuve de l’existence de Dieu. L’auteur en profite pour faire comprendre l’attitude de Charles Darwin face à la théologie naturelle. Les adversaires de la théorie de l’évolution, selon lui, mêlent la personne de Darwin à leur rejet de la théorie scientifique de l’évolution, tandis que les apologistes du matérialisme se basent sur son évolution religieuse pour cautionner leur démarche. Darwin invite, dans son autobiographie, à entrer en métaphysique. « Le mystère du commencement de toutes choses est insoluble pour nous ».

Les figures actuelles du matérialisme, reliées aux sciences de la vie, et les courants apologétiques s’appuyant sur la science participent à la même vision de Dieu. Dieu est vu comme un « bouche-trou ». Dieu, selon la philosophie mécanique, aurait mis en place les éléments matériels de l’univers, leur aurait donné un certain mouvement, et se serait retiré. Comme la science est en état de progrès constant, l’humanité arrivera à prouver un jour qu’elle peut se passer de la chiquenaude originelle.

Cette troisième partie se clôt par un exposé rapide des sept sens à donner à l’expression « théologie naturelle ». L’auteur fait remarquer, entre autres, que le courant Intelligent Design introduit une fausse notion de la création en l’assimilant au premier commencement.

La quatrième étape de l’ouvrage, « L’action de Dieu dans l’évolution » (chapitres 9-12), développe la notion théologique de création et ses conséquences pour le croyant. La création n’est pas un acte du passé. Elle est la relation actuelle du créateur avec tout ce qui est. Elle montre que toutes choses ont leur origine en Dieu. Et, en ce sens, la création est un acte continu. La reconnaissance de la transcendance de Dieu permet d’affirmer que le créateur ne fausse pas les lois de la nature qu’il pose et que par la suite, la reconnaissance de son action transpose ce qui est compris à partir de l’action humaine. En ce sens, la création respecte la temporalité des êtres. La notion de « création continue » écarte l’idée commune de création, réduite au premier instant de la durée des êtres. Elle accompagne les créatures dans une création qui se fait par évolution.

Dieu agit par la parole et forme un monde sur lequel plane son Esprit. Il est présent. Il protège. Il ne pèse pas. Il anime. Il éveille. Il vivifie. Le point de départ de ce livre n’est pas l’inexpliqué. Le point de départ se situe dans la beauté de la vie et de son déploiement. La théorie de l’évolution permet de comprendre en quel sens la vie est riche et qu’elle n’a pas fini de livrer tout son mystère.