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Une compréhension adéquate de la philosophie fichtéenne de la religion ne saurait faire abstraction de l’approfondissement des rapports qui, à l’intérieur du système global du savoir, relient les diverses disciplines de la Doctrine de la science. Car la Wissenschaftslehre n’est ni un nom de substitution pour celui, bien plus familier et apparemment plus prestigieux, de philosophie, ni une discipline « particulière » dont la tâche serait de poser les fondements du savoir humain. Dans sa signification la plus générale, la Doctrine de la science désigne plutôt le système complet de la philosophie, système que Fichte divise en cinq « sciences » philosophiques spécifiques.

Certes, on ne peut ignorer que Fichte n’a donné de cette articulation qu’un développement tout à fait partiel. S’agissant par exemple de la philosophie de la nature, en dépit de l’établissement des concepts à partir desquels celle-ci eût bien pu être développée d’après les principes de la Doctrine de la science, force est de constater qu’elle ne fit pas l’objet d’un traitement systématique par Fichte. C’est à Reinhard Lauth, le grand connaisseur et éditeur de l’oeuvre de Fichte, qu’on doit l’entreprise admirable d’avoir tenté de reconstruire cette partie du système, dans un livre publié il y a environ trente ans bien que cet ouvrage n’ait jamais connu le retentissement qu’il méritait sans doute[1].

En ce qui concerne la philosophie du droit, la situation est bien différente, car Fichte y a consacré un ouvrage important, la Grundlage des Naturrechts[2] publiée en 1796 et 1797, qui a servi de base pour les cours qu’il donnera ensuite jusqu’à la fin de sa vie, même lorsque son système aura subi des modifications significatives. Publiée à titre posthume, la Rechtslehre[3] de 1812 est la confirmation de cette continuité.

La discipline qui fut ensuite élaborée dans le système fichtéen et qui nous rapproche du sujet de cet article est l’éthique ou, si l’on préfère, la « philosophie morale », visant la forme supérieure de la liberté. Dans les écrits de la période d’Iéna (1794-1799), à l’époque où Fichte définit sa philosophie comme « système de la liberté », il soutenait la thèse de la primauté de la morale sur le droit, en raison du fait que si ce dernier relève du respect d’une loi garantie par une autorité externe, constituée par l’État, au contraire la loi morale demeure inviolable dans l’intimité de la conscience subjective (c’est-à-dire le Gewissen). On ne saurait méconnaître à cet égard l’influence déterminante de la Critique de la raison pratique de Kant, que Fichte associe ni plus ni moins à la découverte d’un nouveau monde, étranger à celui dominé par le déterminisme mécanique parce que constitué par l’impératif catégorique en tant que loi de la liberté. Or pour le Fichte de la période d’Iéna, raison et liberté sont conçues comme convergentes, identiques l’une à l’autre, leur identité s’exprimant comme loi impérative à l’égard de la sensibilité. On a depuis longtemps noté (je pense à l’étude de Gurvitch de 1924[4]) que l’éthique de Fichte ne s’est jamais contentée du formalisme kantien et que déjà la Sittenlehre d’Iéna (1798) avait essayé de formuler une éthique « concrète », plus attentive aux modes par lesquels la loi trouve dans la sensibilité non seulement un adversaire à asservir, mais aussi un allié indispensable afin de se réaliser dans l’expérience.

Cependant, si on considère la grande oeuvre berlinoise de Fichte consacrée à la philosophie de la religion, l’Anweisung zum seligen Leben[5] (1806), on ne saurait manquer de remarquer une modification significative dans la perspective du philosophe. Dans ce texte en effet, Fichte pose une distinction nette entre une morale se bornant au simple respect de la loi et une morale « supérieure » animée par la joie de créer et par l’amour de la vie divine. Ici s’annonce, au-delà de ces considérations préalables, l’enjeu crucial de cette étude.

I. La philosophie de la religion dans l’Anweisung zum seligen Leben (1806)

On a déjà mentionné que la Doctrine de la science se compose de cinq disciplines fondamentales, dont la totalité constitue l’ensemble du système de la philosophie transcendantale. Chaque discipline est l’expression d’un « point de vue » déterminé ou, si l’on préfère, d’une perspective et d’une attitude fondamentale à l’égard de la vie. Il ne s’agit pas, par là, d’une articulation interne du savoir du philosophe, mais de l’attitude concrète qui donne à la vie de la conscience son orientation de base. À la première signification « épistémologique » du système s’ajoute ainsi une signification que l’on pourrait qualifier d’« existentiale ». Cette appellation ne doit certes pas être prise au sens strict des philosophies de l’existence du xxe siècle, mais au sens que la philosophie transcendantale lui accorde, sur la base de l’idée que, en ce qui concerne sa « vision » (Einsicht), la vie de la conscience est toujours déterminée par un degré plus ou moins évident de « clarté ». À chaque niveau de conscience correspond une perspective ou « point de vue » déterminé, qui n’exprime pas seulement ce que Heidegger aurait appelé une « tonalité affective » (Stimmung), mais qui reflète le degré de clarté que la conscience acquiert à l’égard de sa destination spirituelle (Bestimmung), et qui touche aussi la relation constitutive à son existence individuelle, ainsi qu’à l’existence des autres et à la structure globale du monde phénoménal considéré dans son ensemble.

Si j’insiste sur le terme d’« existence », c’est parce que ce terme est utilisé par Fichte lui-même dans son cours sur la Doctrine de la science donné à Erlangen en 1805, une bonne année avant la rédaction de l’Anweisung. Dans ce cours, Fichte parle d’Existenz, tandis que dans l’Anweisung, c’est le terme moins technique de Dasein qui est préféré. Cette différence terminologique désigne pourtant un même contenu. Ce que Fichte entend par ces termes est toujours le fait que l’Absolu produit une « image ». Or, de cette image d’après Fichte, il est possible d’avoir deux types différents de compréhension : d’un côté, dans la mesure où l’on conçoit l’Absolu à la manière abstraite d’un « en soi » pur et simple, l’image désigne quelque chose qui est au dehors de l’Absolu lui-même ; d’un autre côté, dans la mesure où l’Absolu est conçu au sens transcendantal, c’est-à-dire comme « vie » (Leben), l’image désigne quelque chose qui est inhérent à la structure même de l’Absolu. Il est important de remarquer à cet égard que Fichte joue explicitement avec l’ambivalence du terme allemand désignant « la vie » qui, avec la majuscule, est un substantif, tandis que Fichte l’interprète comme s’il était écrit avec la minuscule, c’est-à-dire comme l’infinitif du verbe « vivre » (leben). « La vie » de l’Absolu n’est, en d’autres termes, qu’un processus, un devenir productif s’exprimant nécessairement par des images, qui sont constitutivement unies à l’Absolu lui-même, en tant que résultats d’une différentiation interne de celui-ci.

Je souligne ce caractère d’immanence radicale, parce qu’un philosophe comme Michel Henry a précisément critiqué Fichte à l’égard de ces passages de l’Anweisung, où il croit voir l’instauration d’un hiatus insurmontable entre l’Absolu et sa manifestation, un hiatus qui ferait retomber la philosophie de Fichte à l’intérieur de la tradition dominante de la métaphysique occidentale[6]. Au contraire, il me semble que, chez Fichte, le rapport de l’Absolu et de sa manifestation est déterminé comme une immanence pure, justement en raison du fait que le concept de « rapport » n’est qu’un produit de la réflexion qui demande lui-même à être critiqué, saisi et interprété, afin de prévenir l’équivoque qui consisterait à opposer deux termes constitués l’un indépendamment de l’autre et synthétiquement réunifiés par après. Car autrement, non seulement cette unité synthétique ne saurait remédier à la séparation préalable de l’Absolu et de sa manifestation, mais elle en décréterait de façon définitive l’extériorité réciproque. Au contraire, Fichte déclare à maintes reprises qu’il n’y a pas de fracture, qu’aucun « abîme » (Kluft) ne sépare l’Absolu de son existence, et que c’est pour cette raison que l’existence est une « image », à savoir un être posé au dehors de son être (si l’on pense ce dernier de manière abstraite comme un « en soi » pur et simple). Pareille extériorité est ce que la philosophie transcendantale enseigne à penser comme un « dehors » de l’être se produisant « à l’intérieur de l’être lui-même », à condition de ne pas penser l’être à la manière d’une substance ou d’un étant (conception dogmatique), mais plutôt comme devenir dynamiquement productif (selon le point de vue de la philosophie transcendantale).

Mais au-delà de ces déclarations explicites de Fichte, il est sans doute nécessaire d’expliquer et d’éclairer davantage la thèse fichtéenne de l’immanence réciproque de l’Absolu et de sa manifestation. Or, la thèse fondamentale de Fichte est que l’existence de l’Absolu coïncide avec le Savoir en ce sens que le Savoir est l’existence ou la manifestation fondamentale de l’Absolu. Ceci est l’enjeu central de la philosophie de Fichte. Dans l’Anweisung, pour expliquer cette conception, Fichte utilise l’exemple de la proposition existentielle, c’est-à-dire la proposition par laquelle on affirme généralement qu’un objet déterminé « est ». Fichte reprend cette proposition afin de mettre en lumière la mécompréhension fondamentale qui la traverse, laquelle est à l’origine des philosophies dogmatiques où l’être simplement affirmé de l’objet est confondu avec l’être même de l’objet, considéré en tant que tel. À cet égard, il est intéressant de noter qu’à la différence de ce que Heidegger affirmera, ce qui demeure ici caché d’après Fichte, ce n’est pas l’être mais bien l’existence, en raison de l’identification que, dans son usage existentiel, le verbe « être » semble effectuer entre l’existence exprimée sur le plan du langage, et donc l’existence seulement attribuée à l’objet, et l’être de l’objet lui-même. Et c’est cette confusion qui donne lieu aux constructions pseudo-scientifiques (et, à vrai dire, totalement fantastiques), où les procédures d’auto-construction propres au savoir se superposent aux procédures d’auto-construction propres à l’être-en-soi de telle manière que celles-ci, une fois identifiées avec celles-là, en viennent à s’y substituer. C’est d’ailleurs ce que Fichte considère être le fond de la philosophie de la nature et du système de l’identité de Schelling, qui est pour lui l’exemple emblématique de cette chute de la pensée critique-transcendantale d’inspiration kantienne dans l’ancien dogmatisme spinoziste.

Cette référence à Schelling est importante, parce qu’en 1804 venait de paraître Philosophie et religion, où les notions d’« existence » et de « forme » sont utilisées par Schelling afin de reformuler sa théorie des relations entre l’Absolu et le monde. Qu’il suffise ici de noter que c’est précisément à Schelling que Fichte attribue l’introduction d’un « hiatus » et d’une « séparation » dans la conception des relations de l’Absolu et du monde, comme conséquence nécessaire, bien qu’apparemment paradoxale, du spinozisme caractérisant, d’après Fichte, toute la pensée antérieure à la Doctrine de la science. Dans la mesure où le rapport entre l’Absolu et le relatif — ou entre Dieu et le monde de ses créatures, selon le langage de la religion — est pensé dans les termes d’une unité immédiate, c’est-à-dire en l’absence de la médiation constituée par le savoir, et dans la mesure où on est dans l’intention de garder cette exclusion du savoir et de sa médiation, en renonçant pourtant aussi aux implications « spinozistes » (et inévitablement « matérialistes », d’après Fichte) que ce chemin peut réserver, on n’a pas d’autre choix possible que de nier de façon abstraite cette unité, en la renversant dans son opposé. Au lieu de l’identité des deux termes, c’est leur différence qui devra ainsi être affirmée. Une différence qui, fondée sur la présupposition de l’absence de la médiation du savoir, se résout finalement dans la séparation de l’Absolu et de son existence, par la position d’un abîme entre ceux-ci qui force la pensée à s’arrêter face à une énigme insurmontable, qui échappe à toute possibilité de compréhension. Dans la Deuxième exposition de 1804, Fichte parle à cet égard d’une « projection per hiatum irrationalem[7] » : une situation de la pensée dans laquelle il n’est possible ni de nier la donnée de l’expérience, ni de nier la nécessité de la comprendre. La solution va consister à faire de ce donné la projection énigmatique d’un Absolu considéré, d’une façon dogmatique, comme son fondement inaccessible à la compréhension.

Il n’est pas dans notre intention ici de prendre position dans ce débat qui opposera Fichte et Schelling, mais de montrer encore une fois comment l’accusation de dualisme maintes fois adressée à Fichte n’est en réalité que la répétition du même argument utilisé par Fichte lui-même contre ses adversaires philosophiques. Car, d’après Fichte, seule l’attention dirigée vers le savoir permet d’établir l’immanence de l’Absolu dans la manifestation, et de la manifestation dans l’Absolu. Le savoir transcendantal interdit de faire de ces deux termes des termes indépendants. En réalité, ils ne peuvent pas être désignés comme des termes distincts, parce qu’ils ne sont aucunement indépendants de la relation qui les unit réciproquement. En cela, la philosophie transcendantale détruit l’idée d’un Absolu comme subjectum ou substrat de son apparence, et par là elle détruit l’idée de l’apparence comme simple accident ou prédicat de l’Absolu. Par le concept de savoir absolu (absolutes Wissen), Fichte peut concevoir l’immanence de l’Absolu et de son apparence, mais en même temps, il peut conserver leur différence, c’est-à-dire la différence entre l’Absolu comme vie unifiée et l’apparence comme multiplicité de ses images.

II. La théorie de la « quintuplicité » de l’être. Religion et philosophie

Cette position est développée dans les cinq premières conférences de l’Anweisung. C’est dans la cinquième conférence que le thème de la « quintuplicité » est introduit, en marquant la fin de la première partie de ce texte. Ici se trouve inséré ce que l’on pourrait appeler « l’interlude johannique », où Fichte essaie de montrer les convergences de la Doctrine de la science avec le christianisme authentique. Le christianisme « authentique » exprime en fait une opposition polémique à l’égard de la théologie de saint Paul, que Fichte ne songe aucunement à dissimuler, son intérêt étant plutôt d’en souligner explicitement l’importance.

Dès sa Critique de toute révélation[8], Fichte s’est dissocié des métaphysiques créationnistes, à son avis incapables d’expliquer d’une façon purement rationnelle l’ordre complexe des relations entre l’Un et le divers. L’idée de création ne serait selon lui qu’un camouflage destiné à dissimuler le « hiatus irrationnel », qui persiste néanmoins à l’intérieur de ces systèmes, entre l’unité de l’Absolu et la multiplicité des phénomènes. Dans l’Anweisung, cette critique de l’idée de création se trouve non seulement réaffirmée, mais aussi renforcée. La sixième conférence de Fichte montre pourquoi la signification authentique du christianisme devrait être recherchée uniquement dans l’Évangile de Jean. Car la doctrine johannique du Logos exclut explicitement l’idée d’un Dieu « créateur » du monde ex nihilo : « Dieu — écrit Fichte — ne créa pas, et il n’était nul besoin de création, — au contraire, Il — était déjà : Il était le Verbe, et ce n’est que par Lui que toutes les choses ont été faites[9] ».

D’après Fichte, le Verbe joue dans l’Évangile de Jean le même rôle que le concept au sein de la Doctrine de la science. Seul Jean s’arrête et s’en tient à la foi dans le divin, sans se poser la question de savoir comment le Dieu unique et le monde de la multiplicité peuvent entrer en relation. Et pourtant, sa foi est une foi dans la vérité car, en reconnaissant dans le Verbe ce par quoi le monde est généré, l’Évangile de Jean exclut que le monde puisse être produit par Dieu, par un acte de création ex nihilo. L’affirmation d’une création n’appartient donc pas selon lui au christianisme mais au paganisme et au judaïsme, qui l’auraient transmise aux métaphysiques anciennes et modernes, jusqu’au Schelling de Philosophie et religion[10].

Or, puisque le judaïsme est fondé sur l’idée de la création, il n’y aurait pas de continuité, mais seulement une rupture et une incompatibilité avec le christianisme, dont le noyau universel et supra-historique se trouve exprimé dans le Prologue johannique, mais non dans les autres évangiles, où la vérité du message chrétien est fondée sur la foi en l’autorité des miracles, et surtout pas dans les Épîtres de Paul, où cette vérité est « mêlé[e] aux rêves juifs d’un fils de David et de quelqu’un qui supprime une ancienne alliance et en noue une nouvelle[11] ».

À cet égard, Fichte renvoie à ses conférences de l’hiver 1804/1805 intitulées Le caractère de l’époque actuelle. Dans la septième de ces conférences, la doctrine paulinienne est présentée par Fichte comme une tentative de Paul de se montrer chrétien sans pourtant renoncer à sa provenance judaïque. C’est donc à Paul que l’on doit l’introduction de l’idée d’une « nouvelle alliance », rendue « nécessaire » après la mise à mort de Jésus (dont la responsabilité est attribuée par Fichte aux Juifs, en omettant cependant de mentionner qu’à l’époque la Judée était une province de Rome…). Ainsi la « nouvelle alliance » se trouvait-elle élargie du seul peuple juif à l’humanité tout entière ; mais, puisque le Dieu de cette alliance était encore l’ancien Jahvé, il était nécessaire de rappeler que la généalogie de Jésus le situait dans la lignée de David, afin de faire de lui un messie juif.

Or pour Fichte le caractère extraordinaire de Jésus ne réside pas dans l’accomplissement des prophéties judaïques, mais dans le fait que c’est avec lui que la conscience « de l’unité absolue de l’existence humaine et divine » se serait montrée pour la première fois. C’est en ceci que Fichte reconnaît finalement le coeur éternellement vrai du christianisme, dans la mesure où il correspond à la doctrine de la religion. C’est pourquoi Fichte sépare la vérité du christianisme de son aspect purement historique, valide uniquement pour qui professe la foi chrétienne, selon laquelle le Verbe se serait incarné dans la personne historique de Jésus. Pour les chrétiens, l’unité avec Dieu peut se réaliser seulement de manière indirecte, à travers l’unité avec Jésus ; au contraire, pour la philosophie transcendantale, pareille unification se fait « en tous les temps, [et] en tout homme sans exception qui a une vision vivante de son unité avec Dieu, et qui abandonne, effectivement et en acte, sa vie individuelle tout entière à la vie divine en lui[12] ».

Fichte reconnaît lui-même que sa doctrine peut pour bien des raisons être qualifiée de « mysticisme », malgré la connotation négative que ce terme avait acquise à son époque. Car pour lui, la reconnaissance de l’unité de la vie humaine et de la vie divine est la condition pour accéder, déjà en cette vie, à la béatitude. Elle est l’expression de l’idée fondamentale, que la philosophie transcendantale démontre avec la rigueur de la science, selon laquelle est à l’oeuvre en chaque homme une essence intemporelle constituée par l’immanence de la vie divine à l’intérieur de la conscience, en tant qu’« existence[13] ». Fichte précise même que si l’accusation de « mysticisme » à l’encontre de la Doctrine de la science signifie que celle-ci soutient « la réalité, l’autonomie intérieure et la force créatrice de la pensée », alors « [n]ous admettons l’ensemble de ces accusations et avouons, non sans un sentiment de joie et d’élévation, qu’en ce sens-là du terme, notre doctrine est en effet un mysticisme », car le mysticisme coïncide à son tour avec la « véritable religion » qui, en tant que « vivifiante », embrasse l’homme déjà en cette vie[14].

Avec l’introduction de la thèse de la « quintuplicité » s’achève la première partie de l’Anweisung, soit des cinq premières conférences fournissant l’exposition populaire de la théorie fichtéenne de l’être et de la vie. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si cette théorie est présentée dans la cinquième conférence, car considérée dans son ensemble, l’oeuvre est en effet composée de deux groupes de cinq conférences, séparées et réunifiées par la sixième conférence visant à montrer la concordance du christianisme johannique avec la Doctrine de la science. La seconde partie de l’oeuvre développe de façon analytique les cinq « points de vue » ou « visions » constituant l’articulation interne de la théorie ici mise en oeuvre. L’Anweisung applique ainsi réflexivement le schéma de la quintuplicité à sa propre structure, selon la série 5 + 1 + 5 : a) exposition populaire de la doctrine transcendantale de l’être comme vie, aboutissant à la conception du monde en tant que quintuple infinitude ou infinitude quintuple (première partie) ; b) intermède johannique ; c) exposition populaire de la théorie de la quintuplicité en tant qu’horizons divers de l’actualisation de la liberté.

Hiérarchiquement ordonnés, les cinq points de vue se trouvent ainsi disposés : au degré le plus élémentaire, constitué par la sensibilité, se trouve la recherche du plaisir sensible, qui domine la vision selon laquelle la réalité sensible est la seule et unique forme possible d’être. Le deuxième point de vue est celui de la légalité identifiée par Fichte à la théorie kantienne de la loi morale, et à ses propres théories du droit et de la morale exposées durant la période d’Iéna. Ce point de vue sur le monde est celui de la liberté s’exprimant sous la forme d’un commandement et d’un impératif catégorique à l’encontre d’une sensibilité jugée récalcitrante et rebelle. Or si la liberté se concrétise comme loi, c’est le signe qu’elle n’a pas encore véritablement pénétré la vie du sujet. La vision est alors confrontée à une scission insurmontable qui entrave l’expérience de la béatitude au sens de la présence effective du divin à l’intérieur de la vie de la conscience. Mais nous avons déjà mentionné qu’en réduisant sa doctrine morale d’Iéna à une philosophie de l’impératif catégorique, Fichte ne se rend pas vraiment justice à lui-même.

Quoi qu’il en soit, l’aspect important à notre avis est que Fichte, dans le troisième point de vue sur le monde, en appelle à une « morale supérieure », où la liberté n’est plus conçue à la manière d’un simple devoir, mais désigne un principe réel de la vie du sujet. Ici Fichte opère un tournant à l’égard de ses conceptions antérieures, car ce qui joue le rôle de condition pour l’accès à cette « vie supérieure » ne consiste plus dans l’affirmation du moi en tant que sujet indépendant, mais dans l’auto-anéantissement que le sujet opère dans l’unité de la vie divine. La force du sujet et de ses pensées n’est plus identifiée à l’autonomie de la conscience mais à sa capacité de « laisser couler » en elle le « flux vivifiant » de l’existence de Dieu. On s’approche cependant ici selon Fichte d’une expérience qui ne saurait être exprimée et communiquée qu’à ceux qui l’ont en quelque sorte déjà vécue en première personne. C’est pourquoi l’exposition de ce point de vue est développée à l’aide de quelques exemples, qui ne peuvent révéler leur signification profonde qu’aux hommes « inspirés par Dieu », mais dont le sens général est ainsi expliqué :

Je dis : l’essence intime et absolue de Dieu se manifeste comme beauté, elle se manifeste comme domination achevée de l’homme sur l’ensemble de la nature, elle se manifeste comme l’État parfait et comme rapport entre États, elle se manifeste comme science ; bref, elle se manifeste dans ce que j’appelle les idées au sens propre et rigoureux[15].

La vie qui s’applique à la réalisation des idées dans le monde effectif est une vie sans égoïsme et sans conflictualité interne. Cependant, même pour l’homme de la morale supérieur subsiste, d’après Fichte, une limite non résolue, qui est « le désir pour le produit extérieur [de son activité][16] ». Ce désir empêche l’homme de talent de s’élever au-delà du monde sensible et de réaliser son indépendance à l’égard des événements extérieurs, par exemple la recherche de succès dans le monde. La libération à l’égard de ces conditionnements est de fait la condition du saut dans la vie authentiquement religieuse, où cette orientation vers la réalisation de soi par le dévouement à l’Idée se dissout complètement, les capacités créatives du sujet n’ayant désormais plus aucun autre but que l’accroissement et l’expansion de la présence de la seule et unique vie divine dans le monde.

La théorie fichtéenne de la maturité se révèle à nouveau ici être en continuité avec ses réflexions de jeunesse. En effet, dès la Critique de toute révélation, Fichte soutenait que c’est dans l’amour de Dieu que s’exprime la dévotion de l’homme authentiquement religieux, dont le but suprême de l’agir est précisément d’être aimé par Dieu. L’amour demeure donc l’élément dominant de l’expérience religieuse authentique, en tant qu’expression d’une unité avec la vie divine supérieure à toute division produite par la réflexion et par le « concept ».

En reconnaissant dans l’amour la couche profonde et l’expérience de la béatitude, c’est toujours à la vie religieuse que l’Anweisung reconduit le cinquième et plus haut point de vue, constitué par la « science » dans la forme suprême de la « doctrine du savoir ». Cette dernière exprime la vérité sous une forme parfaitement accomplie, mais, tout en étant mue par l’amour, cette forme est encore celle d’une réflexion séparée de la vie. Aussi la tâche de la science sera de reconduire la réflexion à la vie, de la transfigurer par la participation active à l’amour divin, de sorte que la réflexion s’anéantisse elle-même en Dieu[17]. Ainsi, transfiguré par la science, l’oeil de l’homme devient-il capable d’atteindre le divin qui habite en lui, mais qu’il ne peut jamais saisir que sous la forme de sa propre « existence », étant donné que l’homme lui-même est caché à ses propres yeux et que l’être de Dieu est un et identique, mais que les modes de sa vision sont infinis[18].

C’est par ces considérations que l’Anweisung se trouve finalement reconduite à son point de départ, là où Fichte affirmait que c’est dans l’égoïté (Ichheit) que réside « la racine de toute vie[19] ». Nous savons maintenant que la raison de cette affirmation tient au fait que ce n’est que dans son « existence » que tout saisissement de l’être de Dieu peut se produire, et que donc des expressions comme celles d’« Absolu », ou même de « Dieu », ne sont que des formes substantivées que la vie divine reçoit par la médiation de la réflexion. Et c’est dès lors pour cette raison que dans la compréhension transcendantale ces expressions demandent à être « dé-substantialisées » et ainsi ramenées à « la vie » (Leben) entendue au sens de l’infinitif du verbe vivre (leben), comme activité autonome, « qui ne [doit] rien à aucun agent ».

D’autre part, si le sujet ne peut plus jouer ici le rôle de fondement, que Fichte lui-même n’hésitait pourtant pas à lui reconnaître à titre de « Moi absolu » dans ses écrits d’Iéna, cette destitution du sujet ne signifie pas du tout que la conscience soit réduite au rôle de simple spectateur « neutre » et « passif » du flux indifférencié des phénomènes. Au contraire, malgré la révision par Fichte du statut de l’agir et de sa logique interne, l’insistance sur cette dimension de l’agir atteste de façon assez nette la continuité de sa pensée.

Cette continuité réside dans le fait que l’agir n’est plus conçu comme mouvement d’autodétermination par lequel le sujet doit se réaliser dans le monde des phénomènes ; la conscience devient plutôt le Durch, ce par quoi la vie divine peut se déployer conformément à des formes qu’il revient à la conscience de dégager, même si elle n’est pas le principe ultime de cette action. D’autre part, sans la conscience, le déploiement de la vie divine se réduirait à une pure et simple séquence de phénomènes naturels. En d’autres termes, la configuration du monde ne s’arrêterait qu’au premier des cinq points de vue exposés plus tôt. On peut par conséquent affirmer que seul l’amour de Dieu est l’agir, et que l’agir animé par l’amour de Dieu est la vie religieuse au sens propre.

Ainsi compris, le « mysticisme » de Fichte pourrait être comparé à d’autres « mysticismes », celui d’Henri Bergson par exemple. Dans Les deux sources de la morale et de la religion, Bergson pose en effet au coeur de sa lecture des grands auteurs mystiques le même lien que celui que Fichte établit entre l’amour de Dieu, d’une part, et l’agir, d’autre part. Si l’on insiste encore sur le lien qui unit selon Bergson l’expérience mystique et la religion chrétienne, l’on retrouvera un autre point de convergence avec la doctrine de Fichte. Même s’il est impossible de fournir une preuve philologique rigoureuse d’une influence directe de l’Anweisung sur Les deux sources de la morale et de la religion, il n’en demeure pas moins que les analogies structurelles entre ces deux positions théoriques sont tellement évidentes que leur concordance saurait difficilement être attribuée au hasard. Pour ces deux philosophes, en effet, l’amour qui anime le mystique n’est pas une contemplation statique, et moins encore un refus intérieur, mais un engagement pratique dans la vie. Plus encore, chez ces deux penseurs, c’est par le biais d’un retour aux sources les plus authentiques et les plus originaires de la vie spirituelle que la destination du sujet est éclairée. Enfin, pour Fichte comme pour Bergson, seul le christianisme renferme la possibilité d’une expérience authentiquement religieuse.

En ce qui concerne la structure interne de la philosophie de Fichte, il faut encore expliquer le lien qui unit la doctrine de la religion et les conclusions des cours sur la Doctrine de la science « stricto sensu », où l’unité de la philosophie avec la vie acquiert le nom de « sagesse » (Weisheit). En tant qu’elle désigne une nouvelle attitude de la vie, animée par la « vision » (Einsicht) dégagée par la philosophie transcendantale, la sagesse est distinguée de la simple « prudence » (Klugheit), que Fichte interprète comme un agir intéressé, conçu en vue de la réalisation de buts individuels. Il convient de noter que même dans ces textes (parmi lesquels la Deuxième exposition de la WL-1804), la prudence est considérée comme le pendant indispensable d’une morale simplement formelle, fondée sur la primauté de la loi et de l’impératif catégorique. Or, ce qui dans la Doctrine de la science est qualifié de « sagesse » se voit présenté dans l’Anweisung dans les termes de l’amour divin. Qu’il s’agisse de « sagesse » ou d’« amour divin », les caractères sont toujours les mêmes : a) convergence de la philosophie, de la religion et de la vie concrète de la conscience ; b) convergence entre vie de la conscience et vie divine, c’est-à-dire vie absolue. Si bien que la sagesse s’avère être le nom philosophique de l’amour, et l’amour, le nom religieux de la sagesse.

III. La religion dans la Staatslehre de 1813[20]

Cet ensemble de connexions nous permet maintenant de mettre en lumière la configuration de la problématique religieuse dans la dernière période de Berlin, où le lien entre philosophie et religion se trouve aussi abordé en fonction de la philosophie de l’histoire et de la philosophie politique. On a déjà fait référence, au début de cette étude, aux Grundzüge de 1804/1805 (Le caractère de l’époque actuelle) et aux critiques qui y sont formulées envers la conception paulinienne du christianisme. Or chez Fichte, la référence à l’histoire, et par là aussi à la politique, ne se limite à ce seul ouvrage, mais se trouve ultérieurement développée jusqu’aux leçons de la Staatslehre de 1813. Je voudrais donc conclure par quelques considérations sur ce dernier texte de Fichte.

À l’instar de toutes les autres disciplines distinguées de la Doctrine de la science « stricto sensu », la Staatslehre doit trouver son appui, son fondement, sur un « fait » bien déterminé qui, pour Fichte, est nul autre que la venue du Christ sur terre, en tant qu’événement qui marque le passage de l’âge ancien à la modernité et peut donc constituer le critère d’une construction et d’une vision globale de l’évolution spirituelle de l’homme dans le temps, c’est-à-dire d’une philosophie de l’histoire.

Selon cette ligne de partage, Fichte conçoit la constitution politique des civilisations anciennes comme fondée sur la domination coercitive d’un seigneur (Zwingherr) se présentant comme instrument de la révélation de Dieu aux autres hommes. D’où la reconnaissance de son autorité. Or, pour Fichte, la seule façon d’attester ce privilège du seigneur à l’égard de la révélation de Dieu ne pouvait résider que dans sa capacité d’opérer des miracles, par la production d’événements extraordinaires, qui sont autant « d’arrêts » dans l’histoire, et dont le sens est d’interrompre la succession régulière et uniforme du temps de la nature. La différence de force et de capacité attestée par l’opération des miracles serait donc ce qui légitime la supériorité d’une minorité destinée à dominer la majorité des autres hommes. L’établissement de cette différence n’a pourtant rien de naturel, mais n’est que l’effet d’une limite interne à la clarté de la vision que les dominés ont du divin. Ce n’est donc que parce que la divinité est conçue en termes de puissance, que les hommes croient en l’existence légitime de représentants privilégiés de la divinité elle-même, hommes auxquels la divinité aurait donné des forces et des capacités exceptionnelles, en leur confiant la mission de la manifester à l’humanité par le biais des miracles.

La possibilité d’user de sa propre intelligence pour acquérir une vision claire de Dieu et de ses relations avec ses créatures ne fut donnée aux hommes qu’à travers les paroles du Christ. Or une fois cet événement accompli, l’histoire de l’homme a pris selon Fichte un chemin irréversible. Dès lors que Jésus est reconnu comme le Christ, la voie est en effet ouverte pour que la nouvelle compréhension de la vie divine et de la béatitude qui en découle puisse s’affirmer dans l’histoire, en produisant du même coup une transformation radicale de la forme de l’État. En effet, le message chrétien affirme que « chaque homme a le droit de s’en tenir uniquement à sa propre vision [Einsicht][21] ». Il s’ensuit qu’aucun détenteur du pouvoir, aucun soi-disant représentant de Dieu sur terre ne peut prétendre à la légitimité à moins que son pouvoir ne soit effectivement reconnu comme légitime par « les dominés ». En outre, comme ce pouvoir, pour être efficace, exige une disparité dans la distribution des forces entre ceux qui commandent et ceux qui sont soumis, le principe même fondant le pouvoir de l’État — à savoir l’inégalité — s’oppose inévitablement au principe chrétien de l’égalité de droit, qui implique de n’avoir à répondre que de sa propre vision du divin. C’est pourquoi la possibilité d’exercer un pouvoir politique qui soit conforme au droit va nécessiter l’existence d’une « institution seconde », constituée par les savants, dont le but sera double : d’une part convaincre les hommes que l’autorité du souverain est légitime et que l’obéissance à la loi est tout à fait conforme au droit, et donc qu’elle est obligatoire ; d’autre part, que cette soumission à l’autorité a un caractère transitoire et historiquement déterminé.

Donc pour Fichte, l’affirmation de cette conception de la légitimité du pouvoir de contrainte nous conduit à prévoir une époque en laquelle la contrainte du pouvoir deviendra entièrement superflue. Dans le développement et selon les termes des Grundzüge, ceci correspond au passage de la quatrième à la cinquième « époque », c’est-à-dire au moment où la « science de raison » (Vernunftwissenschaft), grâce aux institutions qui, en accord avec le souverain, promeuvent la diffusion de la « science » dans la totalité du corps social, se transforme en un « art de raison » (Vernunftkunst), en un sens analogue à celui voulant que la philosophie, en tant que « science » détachée de la vie, doive se transformer en « sagesse », en tant que principe d’une nouvelle attitude de vie. En son application politique, il faut noter que la Doctrine de la science (Wissenschaftslehre) en vient à se convertir en une « doctrine de la constitution » (Verfassungslehre), en tant qu’elle exprime le principe concret de l’organisation politique de l’État.

Or en cela, une fois de plus, la destination de la Doctrine de la science et celle du christianisme sont parfaitement convergentes. Car la religion chrétienne embrasse elle aussi selon Fichte le double caractère de la « théorie » et de la « constitution ». Selon le premier caractère, l’idée fondamentale de la religion chrétienne est celle du « Royaume des cieux », qui d’après Fichte exprime en même temps et l’égalité des hommes, en tant que fils de Dieu, et leur liberté, en tant qu’ils appartiennent à la communion des saints. Or c’est précisément cette idée qui a provoqué la chute de la conception ancienne de Dieu (que Fichte associe, comme dans l’Anweisung, au paganisme et au judaïsme) en tant que Seigneur arbitraire et force omnipuissante se manifestant par les miracles. La critique du souverain politique, considéré comme représentant sur terre de la souveraineté de Dieu, est pareillement la conséquence de cette idée. Dorénavant, tout homme a le droit d’affirmer son indépendance à l’égard de tout pouvoir soi-disant « supérieur » : la spécificité du message chrétien réside précisément en cette connexion essentielle entre les concepts d’égalité et de liberté. Le christianisme se manifeste par là comme « théorie » et « doctrine religieuse » servant de guide pour la vie et pour l’agir.

Mais de même que la Doctrine de la science doit devenir principe de vie et philosophie appliquée, de même le message du christianisme ne peut être une simple théorie : il doit se concrétiser dans une pratique effective de vie. Et dès lors que l’homme se conçoit comme membre de la communion des saints et comme appartenant au Royaume des cieux, sa vie ne peut plus se réduire à une perspective individualiste ; il faut qu’il donne aux principes de la doctrine chrétienne (l’égalité et la liberté) une expression concrète dans l’organisation de la vie en commun, en sorte qu’ils deviennent les principes effectifs d’une nouvelle configuration constitutionnelle. Dans cette optique, en définissant le christianisme comme « Évangile de la liberté et de l’égalité », Fichte souligne que ces termes doivent être compris non seulement dans leur signification métaphysique, mais aussi politique. Le Royaume des cieux, en effet, est la formule religieuse annonçant l’avènement de ce que la Doctrine de la science détermine comme « Royaume de la Raison » (Vernunftreich) : une constitution politique délivrée de la forme et de la structure coercitive de l’État, projetée vers une organisation sociale fondée sur une égalité non plus seulement juridique, mais aussi économique, sur une liberté non plus seulement idéale, mais comme force effective de la vie politique.