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Sources

1. Theo Salemink, ed., « You will be called Repairer of the Breach ». The Diary of J.G.M. Willebrands, 1958-1961. Leuven, Maurits Sabbebibliotheek, Faculteit Godgeleerdheid et Peeters (coll. « Instrumenta theologica », XXXII), 2009, 454 p.

On pourrait penser que le Journal de Jan Willebrands des années 1958-1961 est d’un intérêt certain pour les oecuménistes, en particulier pour ceux qui veulent éclairer son éclosion à travers la Conférence catholique. Toutefois, l’intérêt de ce Journal va bien au-delà.

D’abord, sur le plan géographique. En effet, aussi étonnant que cela puisse paraître, ce Journal donne une bonne idée de la géographie de l’oecuménisme catholique avant le Concile Vatican II. À suivre les déplacements de Jan Willebrands, on a vite fait le tour : Genève (siège du Conseil oecuménique des Églises), Paderborn (siège d’un institut oecuménique), Chevetogne (site du monastère fondé par Olivier Rousseau), Bossey (où loge l’Institut oecuménique du COE), Milan (avec la villa Cagnola de Gazzada où l’on projetait de faire un Bossey catholique), Paris (avec le Centre Istina), Strasbourg (lieu frontalier qui favorisait la rencontre entre les gens d’Istina, Congar, les Belges et les Néerlandais) et Rome. Rien sur l’Amérique du Nord avant la p. 142, même si l’activité oecuménique y produisait ses premiers fruits, rien non plus sur l’Amérique latine avant la p. 218. L’Orient demeure également pratiquement ignoré, jusqu’au début des années 1960. Ainsi, les seuls Nord-américains mentionnés fréquemment dans ce Journal sont Thomas Stransky, rencontré… à Rome, où il poursuivait un séjour d’étude, et Georges Tavard, rencontré… à Paris ! Lorsqu’on parle d’une possible rencontre secrète entre catholiques et orthodoxes en mai 1960 et que l’on énumère des noms, Willebrands observe : « Dumont and also a Père Lambert, of whom I had never heard » (p. 155). Pourtant, Bernard Lambert était engagé dans le domaine de l’oecuménisme depuis quelques années et, en 1960, il avait fait un stage au Conseil oecuménique des Églises à Genève, réalisé un voyage d’étude dans les Balkans, au Moyen-Orient et en Turquie, pour connaître les Églises orthodoxes, préparant de longue main la publication de son maître ouvrage en deux volumes, Le problème oecuménique, publié en juin 1962. Seulement quelques années plus tard, les agendas conciliaires du même Willebrands montrent que, soudainement, la conscience que l’on a du monde s’est transformée et significativement élargie. Par comparaison, la géographie du Conseil oecuménique des Églises semble beaucoup plus large, avec une ouverture vers le monde orthodoxe (grec, russe et turc) et anglo-saxon, et surtout plus décentralisé, avec les assemblées de Rhodes et de St. Andrews, monde qui demeurait pratiquement inconnu dans l’Église catholique. D’ailleurs, Willebrands prend conscience de cette lacune lors de la rencontre de St. Andrews, observant qu’il faudra « ouvrir aux anglo-saxons notre Conférence catholique » (p. 188). Rahner a parfaitement raison lorsqu’il dit que le Concile Vatican II a signifié le passage d’un catholicisme eurocentré à un catholicisme aux dimensions du monde. Cette thèse se vérifie à la lecture des notes préconciliaires de Willebrands. On est dans un monde aux horizons restreints par rapport à ce que l’on connaît à Vatican II.

Ce Journal est également intéressant en raison des informations dont il dispose quant à la préparation du Concile, ainsi que sur les premiers pas du Secrétariat pour l’Unité des chrétiens et sa délicate insertion dans les organes de la curie. Dès le départ (p. 175), on était conscient non seulement du potentiel que recélait ce nouvel organisme, mais également des difficultés à venir, en particulier dans les rapports avec le Saint-Office et la Congrégation pour les Églises orientales. L’attitude condescendante de Tromp à l’égard du Secrétariat, qu’il considère comme un simple organe d’information (p. 155), et son opposition persistante à la création d’un commissio mixta entre le Secrétariat et la Commission théologique (p. 267), sont ici bien documentées. La même attitude se retrouve chez Felici, qui considère qu’il s’agit d’un « secrétariat à la périphérie », les autres commissions étant « plus importantes » (p. 247).

Ceci dit, malgré le fait que l’air semble irrespirable à Rome (p. 155 et 246), on ne manque pas de crier au miracle tant l’atmosphère a changé. Les Frères de Taizé l’observent (p. 216), et Congar parle « d’un miracle dans l’Église » (p. 209). Lors de cette rencontre à la Villa Cagnola, Willebrands note : « […] combien de gens présents ici, qui ont donné leur vie pour l’unité et au travail avec les frères séparés, sans jamais recevoir quelque marque d’encouragement ou de gratitude de la hiérarchie ? Maintenant, ils reçoivent une bénédiction spéciale du Saint-Père pour leur travail » (p. 209), Ce Journal fait état de « premières » dans l’Église catholique, par exemple la rencontre entre le primat de l’Église d’Angleterre, le Dr. Fischer, et le pape. À la fin de l’année 1960, faisant une rétrospective, Willebrands note que « lorsqu’il pense à tout ce qui s’est passé au cours des deux derniers mois, cela lui donne toutes les raisons de rendre grâce à Dieu. C’est réellement une grande surprise » (p. 247).

Cela tient beaucoup au pape Jean, et le Journal contient quelques pages très intéressantes sur Jean XXIII, sa simplicité de rapport, sa franchise désarmante, ses réflexes évangéliques et sa confiance dans les autres, qui lui donnaient une audace oecuménique peu commune (voir notamment p. 192).

Je pourrais continuer ainsi à énumérer l’intérêt de la lecture de ce Journal d’un homme qui a eu une grande importance au Concile et dans les avancées oecuméniques du xxe siècle. Les premières réactions (un peu tardives : première allusion le 30 janvier 1959, mais première considération substantielle le 7 février, à la suite d’une rencontre avec Congar) à la suite de l’annonce du Concile ne manquent pas d’intriguer, par exemple. On voit la perplexité dans laquelle cette annonce a plongé les catholiques qui ne savaient pas trop ce que l’on devait attendre de cet événement tellement inattendu. L’ensemble est bien présenté (d’abord la version anglaise, puis l’original néerlandais), avec des notes informatives abondantes et utiles, et un bon index onomastique. Une lecture simple et agréable qui nous resitue dans l’atmosphère préconciliaire.

Gilles Routhier

2. Les agendas conciliaires de Mgr J. Willebrands, secrétaire du Secrétariat pour l’Unité des chrétiens. Traduction française annotée par Leo Declerck, préface de Thomas Stransky. Leuven, Maurits Sabbebibliotheek, Faculteit Godgeleerdheid et Peeters (coll. « Instrumenta theologica », XXXI), 2009, 284 p.

Créé au moment de l’ouverture de la phase préparatoire du Concile (5 juin 1960), le Secrétariat pour l’Unité des chrétiens, bien qu’il fût un petit et nouvel organisme, n’y joua pas moins un rôle déterminant. Cela tient notamment à la compétence et à l’activité de son secrétaire, Mgr J. Willebrands. Celui-ci, familier depuis une décennie des questions oecuméniques en raison de sa participation à la Sint Willibrodvereniging et de son engagement dans la Conférence catholique pour les questions oecuméniques, put jouer un rôle de premier plan dans l’iter de schémas qui conduiront à des documents conciliaires (Unitatis Redintegratio, Nostra Aetate, Dignitatis Humanae, Dei Verbum) considérés aujourd’hui comme faisant partie des documents importants, et sans doute des plus novateurs, du Concile. Aussi, la publication des agendas conciliaires de Mgr Willebrands montre qu’ils contiennent des informations importantes pour l’histoire de l’élaboration de ces schémas. Certes, les agendas ne sont pas loquaces, présentant de manière factuelle le déroulement des journées du Secrétaire, actif et laborieux, avec ses rencontres et ses contacts, ses réunions et ses travaux. Ils contiennent cependant plusieurs détails importants : dates, personnes rencontrées, noms de personnes participant aux réunions, etc. Toutefois, ces agendas constituent d’abord un témoignage du travail oecuménique, au jour le jour, à une période intense de son histoire.

On observe d’abord les très nombreux contacts noués et entretenus par Mgr Willebrands en direction de Genève (COE), mais également du côté de l’Orient, en particulier Constantinople et Jérusalem, et du côté de Moscou et des orthodoxies vivant derrière le rideau de fer. D’autres contacts sont aussi noués, notamment du côté de la Petite Église et des observateurs, en particulier les observateurs anglicans et méthodistes. Développer et nourrir tous ces contacts signifie entreprendre de très nombreux voyages (États-Unis, France, Allemagne, Suisse, Angleterre, Le Caire, Damas, Beyrouth, Athènes, Montréal, Jérusalem, Constantinople, etc.), rédiger des rapports de mission, mais aussi accueillir fréquemment à Rome, prendre le temps d’aller accueillir ou reconduire ses hôtes à l’aéroport, inviter à déjeuner ou à dîner. À la délicatesse s’ajoute alors les qualités de coeur que sont l’hospitalité, la courtoisie, l’écoute et la compréhension.

L’oecuménisme en marche, c’est aussi la coordination des travaux du Secrétariat, et de ceux-ci avec ceux du Concile et de ses instances dirigeantes, en particulier avec le Secrétariat général, la Commission de coordination, les autres congrégations engagées dans la rédaction des textes confiés au Secrétariat, le Secrétaire d’État pour les questions qui relèvent de la diplomatie, et le pape (ou le Secrétaire d’État, ou son théologien personnel, Mgr Colombo). Il s’agit de veiller chaque jour au bon déroulement des travaux, de manière à ne jamais être débordé sur sa gauche ou sur sa droite, à rassurer, à comprendre, etc. Aussi, faut-il être vigilant dans les relations avec la presse, et attentif aux débordements politiques possibles qui auraient des répercussions sur le déroulement des débats. C’est aussi sans cesse planifier ces travaux et tenir leur calendrier, s’assurer de leur bon déroulement et de la participation des meilleures ressources, préparer les documents, assurer la correspondance avec les organes directeurs du Concile.

L’oecuménisme au quotidien, c’est également veiller au bien-être des observateurs ou délégués fraternels au Concile, lancer la rédaction du Directoire sur l’oecuménisme, entreprendre les premières démarches qui conduiront à la constitution des dialogues oecuméniques qui seront mis en route au lendemain du Concile.

En somme, ces agendas, dont les annotations sont très bien faites, constituent un précieux document pour nous faire saisir la complexité du Concile, ainsi que le travail considérable abattu par des hommes qui, placés au centre du jeu, devaient permettre l’heureux aboutissement de schémas traitant de questions délicates, et jamais abordées dans cette perspective par un Concile oecuménique.

Gilles Routhier

Ouvrages collectifs et Actes de colloques

3. Jürgen Bärsch, Wilfried Haunerland, dir., Liturgiereform vor Ort. Zur Rezeption des Zweiten Vatikanischen Konzils in Bistum und Pfarrei. Regensburg, Verlag Friedrich Pustet (coll. « Studien zur Pastoralliturgie », 25), 2010, 374 p.

Depuis 2005, les deux éditeurs de ce volume intensifient leurs efforts en vue de recherches portant sur la réforme liturgique en Allemagne, avant et après Vatican II. Aussi, cette publication présente-t-elle les résultats de différentes pistes de recherches entreprises jusqu’ici. Des recherches portant sur des régions spécifiques, dans la mesure où elles peuvent rendre intelligibles des situations, des évolutions et des transmissions concrètes de la foi, sont certes d’un intérêt plutôt local. Pour autant, on ne saurait sous-estimer leur intérêt plus général, car elles mettent aussi en oeuvre des outils méthodologiques, et parviennent à des questions systématiques. Sur cette question des lieux examinés, nous trouvons dans ce recueil des études relatives à certains diocèses allemands (notamment celui d’Essen) et autrichiens, au pays basque, et à l’archidiocèse de Boston. Relativement aux méthodes adoptées, elles varient selon l’auteur et selon l’objet. Ainsi, outre des témoignages et des souvenirs, on trouve des analyses de livres liturgiques et de leur élaboration souvent très difficile, de directives épiscopales et de revues liturgiques, une évaluation de publications paroissiales, ainsi que des réflexions touchant à l’influence de la liturgie sur l’architecture. Au-delà de l’Allemagne, on retiendra aussi l’intérêt des deux comptes rendus (« Praxisberichte ») de séminaires universitaires consacrés aux recherches sur la réforme liturgique, qui reflètent notamment les méthodes de travail adoptées lors de ces cours.

Si ce livre mérite d’être lu attentivement, on ne peut cependant en résumer ses résultats partiels, souvent de grande valeur. En revanche, nous pouvons tenter de dégager quelques pistes qui seraient susceptibles d’intéresser l’ensemble des recherches sur Vatican II. Tout d’abord, l’ensemble de ce recueil a le mérite de mettre en lien les décisions conciliaires avec la situation concrète des paroisses et diocèses. Ceci semble inévitable si l’on veut comprendre les enjeux de la réception de Vatican II, ceux-ci étant plus complexes que ce que veut bien admettre une certaine théologie systématique. Ce faisant, on remarque à quel point l’Église dans son ensemble est constituée de personnes concrètes, avec leurs biographies de croyants, mais aussi à quel point l’Église fonctionne selon des mécanismes qui ne résultent pas forcément des grands idéaux théologiques, conciliaires, ou autres. Ensuite, comme on le remarque à des degrés variables dans les contributions de ce recueil, un sujet tel que la liturgie, qui est au coeur de la foi chrétienne, ne peut laisser indifférents les chercheurs qui s’y consacrent. Or, on peut se demander si, dans les recherches sur la réforme liturgique, comme peut-être dans la théologie de la liturgie en général, on s’est suffisamment rendu compte que celles-ci sont marquées, au moins partiellement, par des intérêts, voire des préférences, personnels. Réfléchir à cette question ne se veut en rien une critique adressée aux chercheurs, mais une contribution à l’historicité des recherches sur Vatican II. Ceci conduit à un troisième enjeu. Quoique ce livre soit bien une oeuvre de pionnier pour la recherche germanophone sur Vatican II — d’autant plus qu’il s’inscrit dans des projets de recherche de plus longue durée —, on peut toutefois regretter l’absence de certaines réflexions touchant aux rapports entre les dimensions historique et systématique dans les recherches sur Vatican II. Certes, les contributions ont mis l’accent sur des recherches concrètes, ce qui a le grand mérite d’atténuer le poids de certains a priori théologiques, et de constituer un premier pas indispensable vers des recherches futures. Cependant, cette même accentuation risque parfois d’isoler la vie liturgique « sur le terrain » (« vor Ort ») des autres manifestations de la vie chrétienne — et de la situation historique qui en est co-constitutive. Inscrire plus encore les futures recherches sur la réforme liturgique dans une démarche à la fois plus ouverte sur l’ensemble des questions dogmatiques et pastorales, théoriques et pratiques, sociologiques et spirituelles, ainsi que sur des facteurs « non théologiques » de la réception conciliaire dans un contexte concret, correspondrait certainement à une lecture de Sacrosanctum Concilium dans, et à partir, de l’ensemble du corpus conciliaire.

Michael Quisinsky

4. Wolfgang Beinert, dir., Vatikan und Pius-Brüder. Anatomie einer Krise. Freiburg, Herder, 2009, 258 p.

Si nous ignorons encore quelles conclusions les futures recherches sur Vatican II tireront de la crise engendrée par la levée de l’excommunication des quatre évêques lefebvristes en 2009, on peut déjà retenir le grand nombre de réflexions sur le Concile, sa réception et son herméneutique, que celle-ci a suscité à tous les niveaux de la vie de l’Église. C’est ce que montre ce recueil d’articles, qui rassemble quelques publications germanophones significatives parues à la suite de cette crise, ainsi qu’une documentation portant sur la chronologie et les textes importants parus depuis le motu proprioEcclesia Dei de Jean-Paul II (1988). La discussion sur le Concile déclenchée par cette crise concerne aussi bien l’interprétation contemporaine de Vatican II situé dans l’histoire (Wolfgang Beinert, Magnus Striet), que l’exercice concret du ministère pétrinien (Peter Hünermann), la notion de tradition (Joseph A. Komonchak, H. Hoping), l’oecuménisme (Ulrich Ruh), ou le problème du fondamentalisme (Thomas Rigl). La levée de l’excommunication des évêques lefebvristes a suscité maintes interrogations à l’extérieur comme à l’intérieur des Églises (voir la Petition für eine uneingeschränkte Anerkennung der Beschlüsse des II. Vatikanischen Konzils, p. 234 et suiv.), et auxquelles ont répondu à la fois la conférence épiscopale dans son ensemble (p. 245 et suiv.), et des évêques au sein de leurs diocèses (parmi les nombreuses lettres pastorales de différents évêques germanophones à ce sujet, celles de Mgr Kurt Koch et Mgr Gerhard Ludwig Müller sont publiées dans ce recueil). Fait significatif, deux contributions sont consacrées au théologien occupant actuellement la chaire de Pierre. La première, du protestant Friedrich Wilhem Graf, examine de manière critique la théologie « platonique » (p. 204) de « Benoît XVI resté fidèle à Joseph Ratzinger » (p. 201), théologie sous-jacente à des actions qui, selon Graf, ne prennent pas suffisamment en considération l’histoire (surtout celle postérieure aux Lumières) et les situations concrètes actuelles. Hermann J. Pottmeyer affirme ensuite, dans la seconde contribution, que Benoît XVI est le pape qui permet, moyennant une « herméneutique de réforme » moins unilatéralement critique envers des courants catholiques se réclamant d’une interprétation « progressiste » de Vatican II qu’envers des « traditionalistes », de développer une notion de la tradition englobant des continuités et des discontinuités. Pour l’avenir, et par-delà la suite de la réception de Vatican II, il reste à espérer que la tâche exigeante d’annoncer l’Évangile ne sera pas discréditée par une bipolarisation de l’Église, qui, par là même, s’éloignerait des destinateurs de cette annonce.

Michael Quisinsky

5. Christoph Böttigheimer, Erich Naab, dir., Weltoffen aus Treue. Studientag zum Zweiten Vatikanischen Konzil. St. Ottilien, EOS Verlag (coll. « Extemporalia », 22), 2009, 284 p.

À la suite de la levée de l’excommunication des quatre évêques lefebvristes, plusieurs facultés germanophones se sont prononcées sur la portée de cette décision. Celle de l’Université catholique d’Eichstätt y a consacré la journée d’études reprise dans ce recueil. Si ce dernier ouvrage n’apporte pas de nouveautés à notre connaissance historique de Vatican II, quelques-uns de ses aperçus ne sont pourtant pas sans intérêt pour l’herméneutique théologique de Vatican II. Premièrement, il faut mentionner le débat sur la dignité de la personne selon Gaudium et Spes, entre Manfred Gerwing, professeur de théologie dogmatique à Eichstätt, et Christoph Böttigheimer, professeur de théologie fondamentale dans cette même université. Le titre de l’article de Gerwing et de la réplique de Böttigheimer ne révèle pas que la question sous-jacente à la discussion est de savoir comment peuvent être conciliées à la fois une attitude loyale envers le Concile, et une critique de ses textes, l’exemple discuté n’étant rien de moins que l’interprétation critique donnée par Joseph Ratzinger de la constitution pastorale. Plus profondément, la question est celle de la critériologie d’une herméneutique conciliaire qui prenne en considération l’ensemble du corpus et de l’événement conciliaire. À son tour, et dans cette ligne, Böttigheimer esquisse une herméneutique de Gaudium et Spes sous l’angle des rapports de l’Église avec le monde moderne, qui reflète une certaine perplexité face à la situation actuelle de l’Église.

Deuxièmement, les contributions de Gerwing sur la signification systématique des travaux de Klaus Wittstadt (l’un des premiers historiens de Vatican II de langue allemande et coéditeur jusqu’à sa mort, avec Giuseppe Alberigo, de l’édition allemande de l’Histoire de Vatican II), et plus encore celle d’Alois Schifferle largement inspirée par le jésuite Mario von Galli, commentateur de Vatican II pour la revue jésuite Orientierung, renvoient à la question de savoir comment une jeune génération de théologiens doit aujourd’hui s’approprier les interprétations de Vatican II données par les générations précédentes, celles-ci faisant partie, à leur manière, de l’événement conciliaire et de sa réception. Troisièmement, la contribution du liturgiste Jürgen Bärtsch, qui examine les implications du motu proprioSummorum Pontificium pour la théologie de l’Eucharistie et la théologie des sacrements, ainsi que la contribution du canoniste Thomas Schüller, sur les problèmes canoniques autour de la fraternité sacerdotale Saint Pie X, révèlent la complexité des enjeux dont l’Église et la théologie ont désormais affaire, et dont l’herméneutique conciliaire constitue le centre. Ceci dit, les contributions d’Erich Naab et de Florian Bruckmann sur les relations judéo-chrétiennes, même si elles ne portent pas directement sur Vatican II, montrent que ces tâches ad intra ne peuvent pas être abordées sans qu’on considère aussi des tâches ad extra. C’est devant cet horizon qu’il faudra aller à la recherche de la vérité, comme y invite dans sa préface le nonce apostolique Jean-Claude Périsset, préface qu’il termine d’ailleurs en renvoyant au cas d’Antonio Rosmini et en invoquant l’Esprit Saint.

Michael Quisinsky

6. Philippe Chenaux, dir., L’Eredità del Magistero di Pio XII. Rome, Lateran University Press et Gregorian & Biblical Press, 2010, 362 p.

Au cours des dernières années, le pontificat de Pie XII a surtout été examiné à partir du rôle que ce pape a pu ou n’a pas joué au cours de la Deuxième Guerre mondiale. De plus, son long pontificat a été suivi par un événement sans précédent au xxe siècle, le Concile Vatican II, convoqué par son successeur doué d’un charisme irrésistible. Aussi, pour des raisons différentes, ces deux facteurs ont eu des conséquences fâcheuses pour une appréciation équilibrée de ce pontificat : soit d’y jeter le discrédit en l’appréciant à partir d’un seul événement, soit de le rejeter dans l’oubli, écrasé par un événement hors norme avec lequel aucun autre ne peut supporter la comparaison. D’une manière ou d’une autre, le pontificat de Pie XII s’en trouve desservi.

Il est sans doute temps, plus de soixante ans après la disparition de Pie XII, de reprendre les études sur le pontificat de Pacelli. Le présent volume, fruit des actes d’un colloque tenu à Rome sous les auspices de l’Université du Latran et de l’Université Grégorienne, présente une véritable contribution en ce sens. Il est heureux, en effet, que le pontificat de Pie XII ne soit pas connu et apprécié simplement à travers la question débattue de son attitude et de ses actions au cours de la Deuxième Guerre mondiale. Certes, cette question est importante et mérite qu’on s’y attarde, mais il importe de désenclaver les études sur ce pontificat qui sont demeurées trop souvent embourbées dans ce débat.

L’ouvrage dirigé par Philippe Chenaux, qui s’ouvre par les contributions de deux cardinaux de la curie (le cardinal Bertone et le cardinal Ravasi), contributions qui ont un statut particulier dans l’ouvrage, est davantage thématique que chronologique. Ainsi, on n’a pas une présentation d’ensemble qui permettrait de périodiser ce long pontificat, avec probablement ses mouvements de flux et de reflux, ce qui nous permettrait d’en mieux saisir la complexité et les contradictions aussi, peut-être. De plus, l’ensemble est mû par le souci de mettre en valeur l’héritage doctrinal et théologique que Pacelli légua à l’Église et, de manière particulière, aux Pères conciliaires. En somme, ce que l’on poursuit ici comme objectif est de montrer l’apport et la contribution de Pacelli au renouveau conciliaire. Cette perspective est naturellement légitime, mais on comprend qu’elle oriente directement l’écriture de cet ouvrage.

Ainsi, la systématique du volume s’élabore à partir des thématiques conciliaires et, au moins implicitement, plusieurs contributions se construisent à partir d’une relecture à rebours du magistère de Pie XII, une fois connu le point d’arrivée, les décrets conciliaires. En effet, c’est implicitement à partir de Dei Verbum que l’on relit l’encyclique Divino Afflante Spiritu, du décret Ad Gentes que l’on relit Evangelii Praecones et Fidei Donum, de la déclaration Dignitatis Humanae que l’on reparcourt le magistère de Pie XII sur l’Église dans le monde, d’Inter Mirifica que l’on examine l’enseignement de Pie XII sur la presse, la radio, le cinéma et la télévision, de Lumen Gentium que l’on relit Mystici Corporis, de Sacrosanctum Concilium que l’on interprète le magistère liturgique de Pie XII, d’Apostolicam Actuositatem que l’on interroge les développements pacelliens sur l’apostolat des laïcs, ou du chapitre VIII de Lumen Gentium que l’on interroge son enseignement sur Marie. Bref, les thématiques (mais pas seulement les thématiques) sont commandées par les débats conciliaires, ce qui engage la lecture du magistère de Pie XII dans la direction du Concile. De plus, le point de départ étant le Concile, de grands pans de l’enseignement de Pie XII sont ainsi laissés de côté, au moins pour le moment, et des éléments importants de son activité et de son gouvernement sont ignorés. Il n’apparaît pas toujours clairement non plus quels sont les éléments du magistère de Pie XII qui sont ignorés ou qui font l’objet de dépassement ou de correction en étant situés dans un cadre d’énonciation ou une perspective qui en déplace la signification.

Certes, on doit reconnaître, et c’est l’un des mérites de cet ouvrage de nous le faire apprécier davantage, que Pie XII a accompagné les mouvements de son époque (mouvement missionnaire et de l’apostolat des laïcs, mouvement biblique et liturgique, renouveau ecclésiologique), tentant d’opérer un discernement parmi tout ce qui fermentait dans le corps ecclésial. Son action, même si elle a parfois tempéré des audaces, marquant un cran d’arrêt et refrénant des élans, a souvent permis des avancées dont a pu bénéficier la préparation de Vatican II. Ceci dit, le pontificat de Pie XII et l’ensemble de son magistère sont sans doute plus complexes que ce qui nous en est présenté ici, et ne conduit pas de manière linéaire et aussi directe l’Église catholique à Vatican II. Je me suis même demandé au passage si l’on pouvait dire que « son magistère avait été essentiellement positif, réaliste et optimiste », se démarquant ainsi du magistère ecclésiastique des époques précédentes qui s’était exprimé le plus souvent sous une forme négative en condamnant les erreurs (p. 7).

On peut certes faire une lecture à rebours du pontificat de Pie XII, mais en adoptant comme perspective que le concile est un fait de réception, et que, comme tout acte de réception, la réception par un concile des ferments et des mouvements qui travaillent le corps ecclésial, y compris à travers le magistère des papes, comporte un jugement, fruit d’un discernement. Tout n’est pas reçu. Un tri est fait. Il faut donc considérer un concile comme un lieu de discernement. De plus, le concile ne reçoit pas simplement des thématiques ou des idées. Dans sa réception du magistère des papes qui l’ont précédé, il reçoit également un style, en l’adoptant ou en s’en éloignant.

Enfin, m’inspirant d’un article de Congar qui date (« L’Église en cartes. À propos du traitement informatique des textes de Vatican I », dans Le Concile de Vatican I. Son Église peuple de Dieu et corps du Christ, Paris, Beauchesne, 1984, p. 73-78), mais qui est toujours d’actualité, il sera difficile de juger de la réception ou non du magistère de Pie XII par Vatican II en ne faisant qu’additionner les références à son enseignement lors des débats conciliaires. En somme, une approche qualitative et pas simplement quantitative mérite d’être mise en oeuvre si l’on désire voir plus clair dans cette question, ce que suggère la contribution de Philippe Chenaux en s’interrogeant sur la signification des nombreuses citations du magistère de Pie XII dans le décret conciliaire Apostolicam Actuositatem (p. 295).

Comme il arrive souvent dans un ouvrage collectif, les contributions sont d’inégales valeurs. Certaines deviendront des références alors que d’autres appelleront des approfondissements et des compléments. En somme, cet ouvrage a le grand mérite d’ouvrir le débat sur le pontificat de Pie XII, pape populaire devenu impopulaire, suivant l’expression d’A. Riccardi, et qui a exercé le pontificat, toujours suivant le même historien, en un temps difficile.

Cet ouvrage, et c’est également là un autre de ses mérites, ouvre non seulement, et de manière posée et sereine, la recherche sur le pontificat de Pie XII, mais également sur la préparation lointaine de Vatican II au cours des années préconciliaires, à travers les mouvements divers que sont les mouvements missionnaires, liturgiques, bibliques, de l’apostolat des laïcs, sans oublier le mouvement marial. L’ouvrage offre une première entrée sur l’action de Pie XII à l’égard de ces divers mouvements (même si une étude sur Pie XII et le mouvement oecuménique, si important dans la préparation de Vatican II, est absente), dont l’impulsion, comme c’est souvent le cas, ne vient pas du pape mais du corps ecclésial, ce qui ne l’empêche pas de s’y associer ni d’en devenir acteur d’une manière ou d’une autre. Il me semble que c’est là une direction d’avenir pour la recherche que de prendre au sérieux le fait qu’un concile est également un fait de réception, et de considérer ce dernier comme ne pouvant être compris ni en dehors de son époque, ni comme étranger à tout ce qui fermente dans le corps ecclésial.

Ces études, on le comprend, comme l’appréciation de ce long pontificat, ne peuvent être épuisées dans un seul ouvrage. Philippe Chenaux, qui a déjà signé une biographie de Pie XII et qui dirige cet ouvrage, est sans doute en mesure de stimuler la recherche dans ce domaine, de l’orienter et de la diriger, recherche qui doit se poursuivre et s’approfondir.

Gilles Routhier

7. En collaboration, Coetus Internationalis Patrum. Memphis, Books LLC, 2010, 81 p.

Il y a des livres qu’on se demande comment recenser tant ils nous laissent perplexes. C’est le cas de celui-ci. L’auteur de cette critique travaille actuellement sur le Coetus Internationalis Patrum au Concile Vatican II. Quelle ne fut pas sa surprise, lorsqu’un collègue lui annonce, il y a peu, qu’un ouvrage vient de paraître sur le sujet aux États-Unis. Craignant le pire, il se précipite sur Internet pour se procurer le livre en question. Il découvre que l’« ouvrage » peut être acheté en format électronique (pdf) sur le site de l’éditeur — pour la modique somme de 9,99 $ —, ou en format livre sur plusieurs sites de ventes en ligne au prix de 19,99 $. Il est même possible de recevoir gratuitement le fichier électronique, contre recension. Pressé de savoir de quoi il en retournait, et économe à ses heures, c’est le choix que fit l’auteur. Jusque-là, pas de problèmes : le livre électronique arriva dans la demi-heure. Les difficultés débutèrent lorsqu’il commença à feuilleter le volume et qu’il s’aperçut que le contenu des chapitres correspondait… à des notices de l’« encyclopédie » en ligne Wikipedia, au sujet de laquelle il eut droit, en introduction, à une apologie dithyrambique, comme s’il s’agissait de la référence dans le domaine.

Résistant avec peine à la tentation de fermer immédiatement le volume et d’envoyer la recension à tous les diables, l’auteur se souvint d’avoir lu un jour, sous la plume d’un philosophe, que « les préjugés occupent une partie de l’esprit et en infectent tout le reste » (Malebranche). Rasséréné par ces sages paroles, il se dit qu’après tout, les notices de cette encyclopédie contemporaine n’étaient pas toutes mauvaises et que certaines étaient même bonnes.

Cet « ouvrage » est donc composé de treize chapitres dont voici les intitulés dans l’ordre où ils sont présentés : 1) Alfredo Ottaviani ; 2) Antonio Bacci ; 3) Antônio de Castro Mayer ; 4) Arcadio Larraona Saralegui ; 5) Coetus Internationalis Patrum ; 6) Ernesto Ruffini ; 7) Geraldo de Proença Sigaud ; 8) Giuseppe Siri ; 9) Gommar DePauw ; 10) Marcel Lefebvre ; 11) Michael Browne ; 12) Richard Henry Ackerman ; 13) Rufino Jiao Santos.

Sur cette liste, au moins trois (Antonio Bacci, Gommar DePauw et Richard Henry Ackerman) ne furent pas des membres formels du Coetus Internationalis Patrum, tandis que des acteurs importants, comme Mgr Luigi Carli, dom Jean Prou et Victor-Alain Berto, ne sont pas même mentionnés. Dans les autres notices, la participation conciliaire du cardinal Rufino Jiao Santos et de Mgr de Castro Mayer n’est même pas signalée. Celle des cardinaux Ottaviani, Bacci, Larraona et Browne est à peine évoquée. L’affiliation au Coetus Internationalis Patrum est seulement indiquée pour les cardinaux Ruffini et Siri, ainsi que pour Mgrs Lefebvre et de Proença Sigaud. Quant au chapitre-notice consacré au Coetus Internationalis Patrum lui-même, il est — il n’y a pas d’autres mots — minable : il tient en une page et demie d’un petit livre — une page si on enlève les références — et il ne donne même pas une idée générale de l’histoire de ce groupe.

Bref, un livre rempli d’erreurs et d’approximations, qui n’évoque guère le contenu annoncé dans le titre, et qui se contente de reproduire des notices en construction d’une « encyclopédie » dans laquelle n’importe qui peut écrire à peu près n’importe quoi, malgré les références ou les pseudo-références que l’on trouve sur chaque page.

Éditer et commercialiser des notices Wikipedia — en constructions permanentes et dont certaines sont des ébauches — nous semble honteux, même si ce procédé n’est pas illégal puisque le contenu des notices est sous licence Creative Commons by-sa, ce qui signifie qu’il peut être copié et réutilisé sous la même licence, y compris pour des fins commerciales. L’éditeur pourrait au moins avoir la décence de mentionner très clairement la provenance du contenu de ses livres, c’est-à-dire plus explicitement que dans section « FAQs » de son site ou dans l’introduction des livres.

Philippe J. Roy

8. Sabine Demel, Ludger Müller, dir., Krönung oder Entwertung des Konzils ? Das Verfassungsrecht der katholischen Kirche im Spiegel der Ekklesiologie des Zweiten Vatikanischen Konzils. Trier, Paulinus Verlag, 2007, 303 p.

Si le présent volume contient des articles de plusieurs auteurs, il se distingue par une grande cohérence. Cela est dû notamment à trois facteurs. Premièrement, les auteurs adhèrent aux intentions de Peter Krämer, canoniste de la Faculté de théologie de Trèves, auquel ces Mélanges sont dédiés. Deuxièmement, les contributions sont centrées autour d’une problématique à la fois large et précise : la question de savoir si le CIC de 1983 est un couronnement ou une dévalorisation de Vatican II. Troisièmement, les éditeurs ont veillé à une composition organique des contributions. Celles-ci, en traitant de différents ministères (pape, évêque, curé) et instances (synodes, conseils) dans l’Église universelle et dans les Églises locales, sont pour ainsi dire encadrées par deux contributions programmatiques de Sabine Demel et Ludger Müller, qui esquissent la dimension théologique du droit canonique en général, et les fondements ecclésiologiques du CIC de 1983 en particulier.

Sabine Demel développe un fondement théologique du droit canonique en esquissant tout d’abord la pensée de Rudolph Sohm (1841-1917), canoniste protestant, et du canoniste catholique Klaus Mörsdorf (1909-1989). Tandis que Sohm niait le caractère théologique de sa discipline, Mörsdorf essayait de répondre aux défis posés par sa position. À l’occasion de Vatican II, Demel diagnostique une réception conciliaire du fondement théologique du droit canonique ainsi proposé par Mörsdorf (p. 29). Ce faisant, le Concile pouvait aider à trouver une voie moyenne entre positivisme et juridisme d’un côté, et spiritualisme de l’autre. Il en résulte, pour Demel, une interférence entre théologie et droit canonique (p. 31), même si le risque d’une simple addition de ces deux dimensions de la vie de l’Église, dans laquelle la position de Sohm reste à l’oeuvre, n’est pas bannie. Le droit canonique a donc une légitimité spécifique dans la vie de l’Église, même si cette légitimité est accompagnée par ce que Demel, à la suite de Krämer, appelle une illégitimité : celle de vouloir déterminer la relation entre Dieu et l’homme (p. 34). C’est à partir de cette polarité que Demel inscrit le droit canonique dans l’histoire de l’Église, démontrant par là même quels sont les critères pour une réforme de ce droit qui est tout sauf atemporel (p. 37). Si Demel s’appuie sur les principes canoniques développés par Krämer, Libero Gerosa traite pour sa part d’un sujet cher à ce dernier : la sacra potestas. Car, si à Vatican II ce terme est fréquemment utilisé, le CIC fait à son tour recours à la distinction, non reprise par la terminologie conciliaire, entre potestas ordinis et potestas iurisdictionis (p. 40-42). Développant une proposition de Krämer, mais tout en s’appuyant aussi sur la thèse de Laurent Villemin selon laquelle le paradigme théologique de Vatican II nécessite une conception unifiée de la sacra potestas (p. 47, n. 29), Gerosa distingue entre sacra potestas et exercitium potestatis. Il ne s’agit pas seulement là d’une relecture de la tradition canonique du premier millénaire, qui se reflète notamment dans les oeuvres d’Ives de Chartres et de Gratien, mais plutôt d’un renouvellement du droit canonique à la lumière de l’ecclésiologie de communion (p. 47). Concrètement, Gerosa propose une conception de cet exercitium qui, tout en insistant sur la dimension sacramentelle de la sacra potestas, respecte aussi, et mieux que ne le fait le CIC de 1983, la dignité baptismale des laïcs et leurs charismes (p. 52). Ainsi, la communion de l’Église se traduirait aussi de manière privilégiée dans sa synodalité (p. 55).

La contribution de Joseph Weber, traitant d’une « Sonderweg » allemande dans le domaine des impôts ecclésiastiques, peut intéresser au-delà de l’Allemagne en posant, de manière générale, la question des chances et des limites de pareilles traditions au sein de l’Église universelle. On peut aussi lire en ce sens les réflexions de Barbara Ries sur le ministère pétrinien dans une perspective catholique et oecuménique. Elle y soulève, en effet, des questions telles que celle de la subsidiarité, de la collégialité, des patriarcats — ce dernier point en faisant référence à Joseph Ratzinger —, ce qui amène à la question d’un droit autonome des Églises locales, à l’instar du CCEO. Les contributions de Peter Marx et Hildegard Grünenthal sur les conseils paroissiaux et diocésains tels qu’ils se sont développés en Allemagne au cours de la réception de Vatican II, sont également d’un intérêt qui dépasse les frontières allemandes. Elles évaluent en effet une pratique qui, malgré de possibles problèmes pratiques et théoriques, se veut une expression de l’Église-communion, au-delà de la dimension hiérarchique qui n’est nullement mise en question par cette participation des laïcs à la mission de l’Église dans son ensemble (p. 216).

Dans le domaine de la relation entre le pape et les évêques, on lira avec profit les réflexions de Thomas Stubenrauch sur la notion du primus inter pares, celles de Julius Folo Kafuti sur le synode des évêques, et celles de Christian Huber sur les évêques diocésains. Ce dernier, n’acceptant pas l’interprétation du CIC par le canoniste Georg Bier (Freiburg im Breisgau) selon laquelle les évêques ne seraient que des fonctionnaires du pape (p. 147, 161 et 174), remarque que ce sont les évêques eux-mêmes qui doivent, le cas échéant, réclamer l’équilibre collégial dans une discussion théologique avec le pape (p. 156). Il propose en outre une série d’améliorations, selon lui nécessaires, sur le plan de la réalisation effective de la collégialité et de la synodalité.

Relativement aux prêtres, Mmaju Eke considère, dans sa contribution, le presbyterium dans une perspective communionnelle. Reinhild Ahlers indique que, pour sa part, le CIC constitue une réception adéquate de Vatican II par le ministère du curé, ministère indispensable sur le plan canonique. Si les conditions sociologiques ne sont plus les mêmes qu’au moment de Vatican II, le rôle théologique du curé reste inscrit dans une réalité sociologique qui lui attribue un rôle sociologique favorable à la réalisation de sa tâche, qu’il n’exerce d’ailleurs pas sans ses paroissiens, bien que leur rôle est moins évoqué dans le CIC (p. 235). En évaluant de manière exemplaire la situation du diocèse de Münster (Allemagne), marqué comme tous les diocèses allemands par une pénurie de prêtres, Ahlers propose aussi quelques réflexions quant aux conséquences canoniques de cette situation, sans pour autant thématiser certaines questions discutées dans de nombreux autres diocèses et paroisses au sujet du ministère du curé, pourtant considéré comme si important par le droit canonique suite au Concile.

Quelle est donc la réponse des contributions à la question posée par le titre du volume ? Les positions sont nuancées. Car si certains auteurs peuvent confirmer, à partir de leur sujet, l’interprétation selon laquelle le CIC est le couronnement de Vatican II, la plupart d’entre eux renvoient néanmoins à certains desiderata. Ce faisant, ils s’appuient en outre sur l’affirmation de Jean-Paul II selon laquelle les documents de Vatican II ne peuvent être complètement traduits dans un langage canonique (p. 29, 146). Comme le montre Ludger Müller dans la contribution finale du volume, il faut y ajouter une deuxième difficulté : celle d’établir un droit canonique qui parte, à la suite de Vatican II, des énoncés conciliaires et non, comme cela semble parfois être le cas, des critères et méthodes du CIC de 1917. Ainsi, selon Müller, la notion de societas perfecta issue du Ius Publicum Ecclesiasticum, et dont les fondements et implications n’arrivent pas forcément à traduire l’ensemble de la théologie de Vatican II, apparaît encore de manière sous-jacente dans certaines parties du CIC de 1983. En ce qui concerne le fondement théologique du droit canonique après Vatican II, c’est en revanche la sacramentalité de l’Église qui apparaît, dans plusieurs contributions, comme l’élément central. Celle-ci permet une articulation communionnelle de la vie de l’Église universelle et des Églises locales. La pluridimensionnalité qui va avec la sacramentalité est d’ailleurs présente dans ce volume suite à la prise en considération par la plupart des auteurs, non seulement du CIC, mais aussi du CCEO. Si ces deux codices ne sont pas une dévalorisation de Vatican II, c’est sans doute dans une approche ouverte sur l’avenir qu’ils se présentent davantage comme son couronnement.

Michael Quisinsky

9. Doris Donnelly, Joseph Famerée, Mathijs Lamberigts, Karim Schelkens, dir., The Belgian Contribution to the Second Vatican Council. Leuven, Peeters (coll. « Bibliotheca Ephemeridum Theologicarum Lovaniensium », CCXVI), 2008, 724 p.

On connaît l’importance de la contribution belge à Vatican II, importance à laquelle correspond leur non moins grande contribution à l’histoire de ce Concile. Comme l’observe M. Fahey dans ses conclusions, fallait-il ajouter à l’histoire de cette contribution une nouvelle étude ? La lecture de cet ouvrage nous convainc qu’il reste à apprendre à propos de cet apport qui peut s’appuyer sur les archives conciliaires des acteurs belges, qui sont conservées dans deux centres de recherche importants : celui de la KUL et de l’UCL. Cet ouvrage, qui regroupe les contributions de chercheurs (théologiens, historiens, sociologues) européens et nord-américains spécialistes de Vatican II, comporte deux grandes parties, introduites par une brève première partie (trois contributions) de nature plus méthodologique.

La deuxième partie (six contributions) est consacrée au cardinal Suenens, figure de proue de l’épiscopat belge au moment du Concile. À la suite d’une première contribution très substantielle (Lamberigts et Declerck, p. 61-219) qui fait le tour de la question, toutes les autres contributions sont consacrées aux relations du cardinal Suenens avec d’autres acteurs de premier plan lors du Concile : les cardinaux Döpfner, Lercaro (2 contributions), Montini/Paul VI et Léger. C’est dire que les relations entre les modérateurs sont bien étudiées, si l’on excepte l’absence d’une étude sur les rapports de Suenens et Agagianian, dont le nom n’est évoqué qu’à quatre reprises dans ces trois contributions consacrées aux modérateurs (alors que celui de Felici, secrétaire général du Concile, n’apparaît que deux fois). Ces contributions centrées sur les relations entre Suenens et d’autres pères conciliaires permettent de situer l’activité des Belges à l’intérieur de réseaux et dans une dynamique conciliaire plus large. Elles ont, en outre, le grand avantage de montrer que l’action des Belges n’était pas isolée, mais s’inscrivait dans un mouvement les dépassant, et auquel ils contribuaient de manière remarquable, sans toutefois le diriger ni le contrôler. À l’évidence, ces relations étaient parfois harmonieuses et chaleureuses, mais aussi marquées, à d’autres moments, par la concurrence, la stratégie et le calcul. Aussi, l’étude de cette dynamique permet-elle de situer un « Je » dans un immense « Nous », et d’examiner le rapport entre l’action individuelle et sa contribution à un mouvement d’ensemble. L’approfondissement de l’action du cardinal Suenens au Concile supposerait, de fait, l’étude de plusieurs autres relations, notamment celles développées à la Commission de coordination, avec le Conseil de présidence, le Secrétariat général, et le Groupe informel de la Domus Mariae.

La troisième partie est consacrée à la Squadra belga. Curieusement, la systématique du volume pourrait laisser entendre que le cardinal Suenens se situe en dehors de l’équipe belge (thèse qui pourrait être accréditée par certaines pages du Journal conciliaire de G. Philips), bien qu’il en soit le leader, ayant élaboré le plan qu’il désirait pour le Concile, et contrôlant étroitement la mise en oeuvre de ce plan par la Squadra belga, premier instrument de cette mise en oeuvre. On trouve dans cette partie des études sur la contribution conciliaire de deux des évêques belges (Calewaert, de Smedt, et les évêques missionnaires), Mgr Charrue, pourtant vice-président de la Commission théologique, étant laissé de côté, bien que son nom revienne pratiquement dans toutes les contributions du volume. Plusieurs études sont consacrées à quelques-uns des nombreux periti belges : Thils et Moeller (deux contributions chacun), ainsi que Cerfaux, alors qu’une autre étude est consacrée à la collaboration entre les experts belges et P. Hauptmann lors de la dernière rédaction du Schéma XIII. De son côté, la contribution très stimulante de J. Grootaers étudie les choses de manière plus globale, en examinant la diversité de tendances à l’intérieur de la majorité conciliaire avec, comme cas de figure, les approches respectives de G. Philips et G. Dossetti. Cette analyse a l’immense mérite de nous permettre d’appréhender la complexité qui affleure dans d’autres études (notamment celles de la deuxième partie), qui indiquent bien la diversité de tendances et d’approches au sein de la majorité. Enfin, cette troisième partie s’achève par une étude sur la participation au Concile des évêques missionnaires belges. On pourrait se demander dans quelle mesure ils sont intégrés à la Squadra belga. Certes, au moment des élections, le cardinal Suenens a le souci de leur vote, en raison du poids de leur nombre. Toutefois, dans quelle mesure sont-ils, par la suite, réellement partie prenante des travaux du groupe belge ? Cela semble beaucoup moins évident, tant ils semblent plus liés aux travaux de la conférence épiscopale congolaise, ou à ceux de la panafricaine, qu’intégrés au programme de la Squadra belga.

En somme, et malgré une littérature déjà abondante sur la contribution des Belges à Vatican II, cet ouvrage nous permet de mieux comprendre les facteurs qui permettent à un groupe donné d’exercer une influence dans les débats d’une grande assemblée.

Gilles Routhier

10. Jean Duhaime, dir., 40 ans après Nostra Aetate. Réalisations et défis des relations entre chrétiens et Juifs ; Nostra Aetate at 40. Achievements and Challenges in Christian-Jewish Relations, Montréal, Les Éditions Novalis, 2007, 97 et 96 p.

11. Neville Lamdan, Alberto Melloni, ed., Nostra Aetate : Origins, Promulgation, Impact on Jewish-Catholic Relations. Münster, LIT Verlag (coll. « Christianity and History », Series of the John XXIII Foundation for Religious Studies in Bologna, 5), 2007, xii-218 p.

12. Michael Attridge, ed., Jews and Catholics Together. Celebrating the Legacy of Nostra Aetate. Ottawa, Les Éditions Novalis, 2007, 178 p.

Le quarantième anniversaire de la clôture de Vatican II a donné lieu à diverses célébrations. Différentes activités scientifiques à caractère interreligieux ont voulu souligner le quarantième anniversaire de la proclamation par le pape Paul VI, le 28 octobre 1965, lors de la septième session publique du Concile Vatican II, de la Déclaration Nostra Aetate. Il s’agissait alors d’un événement extraordinaire quand on considère la situation des relations entre chrétiens et Juifs au cours des derniers siècles, les allusions aux Juifs dans les textes des Conciles précédents (en particulier Latran IV) ou dans la liturgie catholique, et tout l’effort déployé au cours du Concile Vatican II avant de parvenir à ce texte. Les trois publications présentées ici constituent les actes de trois événements conçus comme « célébration » de Nostra Aetate : le premier fut tenu à l’Institut de formation théologique de Montréal à l’initiative du Dialogue judéo-chrétien de Montréal, le second présente les actes d’un colloque tenu à Jérusalem à l’initiative du Center for the Study of Christianity at the Hebrew University, en collaboration avec la Fondation Jean XXIII pour les études religieuses de Bologne, et le troisième est le fruit d’un symposium tenu à l’University of St. Michael’s College de Toronto.

Ces trois ouvrages offrent une réflexion qui emprunte quatre avenues principales : un retour sur l’histoire des relations judéo-chrétiennes et sur l’élaboration de Nostra Aetate dans le contexte du catholicisme du début des années 1960 ; une célébration de l’héritage de Nostra Aetate ou de ses réalisations sur le plan des relations entre Juifs et chrétiens ; une lecture des Écritures pour y identifier les éléments litigieux qui peuvent contribuer à nourrir le conflit ou à envisager une histoire réconciliée, un regard vers l’avenir. Tous les ouvrages accueillent des apports de catholiques et de Juifs, incluant parfois une voix protestante. Au nombre des contributeurs, on remarque en particulier la collaboration d’acteurs qui ont été, dès 1960, mis à contribution pour élaborer un texte sur les relations entre les Juifs et les catholiques pour le Concile qui allait s’ouvrir en 1962 : Georges Tavard, membre du Secrétariat pour l’Unité des chrétiens au cours du Concile et de sa préparation, qui offre une contribution importante sur l’histoire et la préhistoire de Nostra Aetate, Gregory Baum, lui aussi membre de la même équipe, les deux signant des textes dans l’ouvrage dirigé par M. Attridge, et Thomas Stransky, lui aussi rattaché au Secrétariat et participant au Symposium de Jérusalem. Le point de vue de l’interne est donc bien représenté.

Non seulement on retrace de manière informée et compétente l’iter complexe de Nostra Aetate, publiant en annexe du recueil d’essais dirigé par M. Attridge les premières moutures du texte tiré des archives Oesterreicher, lui aussi figure influente de cette histoire, mais on présente également la préhistoire de ce texte, l’enracinant dans l’évolution des relations entre Juifs et catholiques. L’ouvrage dirigé par A. Melloni, mais également la contribution de G. Tavard dans celui sous la direction de M. Attridge, retrace cet itinéraire depuis l’antijudaïsme chrétien jusqu’aux initiatives de Jules Isaac après la shoah et le réchauffement des relations sous Jean XXIII.

C’est en s’adossant à ce cheminement souvent dramatique que l’on considère ensuite le chemin parcouru depuis Vatican II, les progrès accomplis et les réalisations dont on peut être fier. C’est pour ainsi dire à cette étape que commence l’ouvrage publié à Montréal, qui est moins soucieux de l’histoire de la rédaction de Nosta Aetate, n’ayant pas fait appel à un spécialiste de Vatican II, et que poursuivent les deux autres. Les appréciations des deux côtés (Juifs et catholiques) sont fort positives, et je dois ajouter que le ton général de ces trois ouvrages est très optimiste. Il s’agit sans doute d’un des domaines où on a le plus progressé au cours des cinquante dernières années. On balise cette route en marquant les étapes que constitue pour l’Église catholique la publication de divers documents visant à mettre en oeuvre Nostra Aetate, mais aussi, pour la communauté juive, la publication en 2000 du Dabru Emet, document trop peu connu par les catholiques (voir la contribution de D. Novak dans l’ouvrage dirigé par M. Attridge).

On s’intéresse ensuite à l’avenir de ces relations résolument engagées : les défis qui restent à surmonter et les questions qui demeurent. À nouveau, ces questions sont abordées par des Juifs et des catholiques, parfois par des personnalités de premier plan, comme le cardinal Cassidy et le Rabbin Di Segni, à Toronto, ou Walter Kasper, alors responsable de la Commission pour les relations entre Juifs et catholiques, lors du symposium à Jérusalem. Parmi ces défis, demeure l’interprétation des Écritures comportant des passages délicats sur les rapports entre l’Église et la Synagogue, pour n’en citer qu’un seul, et l’ouvrage issu du colloque de Montréal y est sensible.

Si le débat conciliaire sur Nostra Aetate avait une répercussion politique évidente (on craignait alors que son adoption signifie la reconnaissance par l’Église de l’État d’Israël), obligeant des démarches diplomatiques incessantes pour rassurer sur son caractère exclusivement religieux, obligeant même Paul VI à faire escale au Moyen-Orient lors de son déplacement vers Bombay ; et si le monde musulman était également très sensible aux discussions sur Nostra Aetate, on en fait peu mention dans ces ouvrages. Les relations se ramènent à des rapports bilatéraux (Juifs et catholiques), alors que l’on sait, dans la pratique, que l’on a affaire à des rapports triangulaires : Juifs, musulmans et catholiques. C’est sans doute une faiblesse de ces ouvrages de faire pratiquement l’impasse sur cette dimension des relations, la contribution d’U. Bialer (« Israel and Nostra Aetate : the View from Jerusalem ») étant la seule à aborder de front la dimension politique et diplomatique de ces rapports. En somme, des ouvrages à la hauteur de l’événement que représente Nostra Aetate.

Gilles Routhier

13. Thomas Eggensperger, Ulrich Engel, dir., « Mutig in die Zukunft ». Dominikanische Beiträge zum Vaticanum II. Leipzig, St. Benno-Verlag (coll. « Dominikanische Quellen und Zeugnisse », Band 10), 2007, 275 p.

Ce n’est pas là le moindre des paradoxes, mais c’est souvent du côté de l’Allemagne qu’il faut se tourner pour trouver des études sur les dominicains français du xxe siècle. On est étonné de voir la fascination exercée par la théologie dominicaine française de la première partie du xxe siècle en Allemagne, intérêt entretenu par l’Institut M.-Dominique Chenu — Espaces Berlin, sous la responsabilité de l’ordre dominicain (http://www.institut-chenu.eu/index.php?option=com_content&task= view&id=91&Itemid=92). Cet Institut, affilié à l’Université San Tomaso, promeut des projets de recherche, organise des cycles de conférences, des colloques, et compte à son crédit une trentaine de publications depuis sa fondation en l’an 2000, a développé trois collections scientifiques, dont la Dominikanische Quellen und Zeugnisse. C’est dans cette dernière collection (il s’agit du dixième volume) qu’est publié cet ouvrage consacré à la contribution des dominicains à Vatican II.

Le premier chapitre, signé par les deux directeurs de l’ouvrage, introduit au thème de ce dernier : la relation entre l’Église et le monde. Par la suite, cinq figures de dominicains actifs au Concile sont retenues autour de ce thème : Yves Congar, Henri-Marie Féret, Marie-Dominique Chenu, Louis-Joseph Lebret, tous dominicains français, et Edward Schillebeeckx, qui n’est pas de la même génération que les premiers, mais qui bien que belge, avait fréquenté le Couvent d’études des dominicains français avant Vatican II. Les trois premiers, Chenu, Congar et Féret, à qui M. Quisinsky a consacré sa thèse de doctorat, sont liés dans un projet commun depuis le début des années 1930 et ont tous été éloignés du Couvent d’études de Paris au cours des années 1950. Deux amis, Féret et Congar, entreprennent ensemble un voyage à Rome en 1946 (voir « Voyage à Rome avec le Père Féret, mai 1946 », dans Yves Congar, Journal d’un théologien). C’est donc beaucoup à travers Congar que l’on connaît Féret, dont l’influence au Concile est beaucoup moins grande que celle de Congar ou de son aîné Chenu. De plus, contrairement à Chenu et Congar, dont les journaux conciliaires sont publiés, les lettres de Rome de Féret n’ont pas été publiées. Enfin, Féret, qui était peritus privé d’un évêque de deuxième ordre, n’a pas eu l’occasion de travailler à la rédaction d’un texte important.

L’influence de Congar au Concile a été considérable et on en a souvent fait état, inutile d’y revenir. On connaît également l’influence de Chenu dans l’élaboration de Gaudium et Spes et, en particulier, dans la mise au point de la théologie des signes des temps.

L’influence de Lebret, qui achevait sa course au moment du Concile, est d’un autre ordre. Fondateur d’Économie et humanisme, ce pionnier du travail solidaire avec les pays du tiers-monde a été attentivement écouté par Paul VI qui l’a souvent reçu en audience au moment où le Concile élaborait son enseignement sur la solidarité internationale, enseignement qui devait conduire, au lendemain du Concile, à la création de la Commission Justice et Paix et à la publication de l’encyclique Populorum Progressio dont le rédacteur principal a été L.-J. Lebret.

Le cas d’E. Schillebeeckx est un peu différent. Non seulement appartient-il à une autre génération, mais son influence ne se manifeste pas avant tout à travers le travail en commission ou celui des organes officiels. Conseiller théologique des évêques de Hollande, en particulier du cardinal Alfrink, il est déjà influent au cours de la phase préparatoire et bien avant l’ouverture du Concile, étant le rédacteur principal de la lettre collective des évêques de Hollande qui fit grand bruit avant l’ouverture du Concile. Par la suite, surtout à la première session, ses analyses des schémas soumis à l’examen des Pères ont largement contribué à la formation des idées. De même, son rôle ne fut pas négligeable au moment où l’on s’affairait à ré-écrire les textes élaborés par les commissions préparatoires. Enfin, le rôle de Schillebeeckx au cours de la période postconciliaire en Hollande a été considérable.

Reste le cas de Mannes Dominikus Koster. Comme l’écrit Otto Hermann Pesch dans l’introduction de son essai, ceux qui s’intéressent à la théologie de la période contemporaine et spécialement à la période pré-conciliaire et conciliaire connaissent bien Congar, Chenu, etc. Mais Koster ? Il demeure en effet assez inconnu et, même à la suite de cet essai, on n’est pas convaincu qu’il ait sa place à côté des autres géants à qui l’on consacre un essai dans cet ouvrage.

De fait, au-delà de l’intérêt pour le Concile Vatican II, cet ouvrage est une bonne introduction à de grandes figures de la théologie catholique du xxe siècle. On peut même souhaiter une traduction française de cet ouvrage.

Gilles Routhier

14. Freiburger Diözesan-Archiv. Freiburg, Verlag Herder GmbH, 2009, 298 p.

Cette publication annuelle des archives du diocèse de Fribourg consacre, dans sa 129e livraison, une importante étude (plus de cent pages) sur les Pères conciliaires du diocèse de Fribourg : l’archevêque Hermann Schäufele et l’évêque auxiliaire K. Gnädinger. Sur la base des documents conservés dans les archives diocésaines, M. Quisinsky retrace la participation de ces deux évêques au Concile depuis la phase antepréparatoire jusqu’à sa clôture, ainsi que leur mise en oeuvre et interprétation du Concile au cours de la période postconciliaire. À la différence des archives conciliaires conservées dans les archives secrètes vaticanes ou publiées dans les Acta synodalia, les archives diocésaines rendent compte aussi bien de la contribution des évêques au Concile (participation aux commissions, correspondance avec les organismes conciliaires, interventions in aula, ou transmission des remarques écrites sur les schémas) que de leur intervention sur le Concile dans leur diocèse. Ainsi, nous avons les deux faces d’une même médaille, l’évêque devenant l’interface entre le Concile et son diocèse.

Cette étude de la contribution d’un évêque à partir des archives diocésaines donne des résultats suffisamment concluants pour faire école, et il est à souhaiter que cet exemple soit imité.

Gilles Routhier

15. Til Galrev, dir., Der Papst im Kreuzfeuer. Zurück zu Pius oder das Konzil fortschreiben ? Münster, Berlin, LIT Verlag, 2009, 251 p.

Ce recueil rassemble des réactions suscitées par la levée de l’excommunication des quatre évêques lefebvristes. On y trouve en outre des documents officiels en traduction allemande, des déclarations et prises de positions publiées par des évêques allemands et par des facultés de théologie, ainsi qu’un certain nombre d’articles rédigés par des théologiens germanophones autour d’enjeux liés à la levée de l’excommunication.

Sur le sujet de l’herméneutique conciliaire, on est d’abord frappé par la prise de conscience que les événements de 2009 ont provoquée. Presque unanimement, les catholiques qui s’expriment dans ce recueil, dont on aurait d’ailleurs souhaité une introduction par l’éditeur, se réclament de Vatican II et défendent le Concile. Il s’agit là d’une preuve que le Concile est entré en profondeur dans les esprits, et a bien été reçu par les catholiques allemands, comme d’ailleurs par les non-catholiques. Si ceux-ci comme ceux-là expriment, dans ce recueil et ailleurs, des critiques parfois amères, voire cinglantes, cela pourrait être une occasion, pour l’Église et la théologie, de réfléchir de manière générale à la relation — certes fort complexe — entre réception, non-réception, et déception. C’est aussi de la sorte qu’on peut comprendre une remarque lourde d’implications de Roman A. Siebenrock, qui, tout en affirmant que le Concile n’a jamais été aussi important qu’aujourd’hui pour l’Église, écrit que l’humanité, dans les années conciliaires comme aujourd’hui, « aspire à une Église véritablement catholique » (p. 51).

Si ce volume contient quelques articles qui sont d’un intérêt direct pour les discussions sur l’herméneutique conciliaire, comme par exemple les réflexions de Paul Wess sur la relation entre continuité et discontinuité, il est avant tout une documentation précieuse, quoique assez incomplète et publiée « à chaud », sur la discussion germanophone autour de la levée de l’excommunication des évêques lefebvristes en 2009.

Michael Quisinsky

16. Franz Gmainer-Pranzl, Magdalena Holztrattner, dir., Partnerin der Menschen - Zeugin der Hoffnung. Die Kirche im Licht der Pastoralkonstitution Gaudium et Spes. Innsbruck, Tyrolia Verlag (coll. « Salzburger Theologische Studien », 41), 2010, 352 p.

Sans « occasion » (« Anlass »), mais non sans « raison » (« Grund ») (voir l’introduction, p. 8), un groupe de jeunes théologien(ne)s autrichien(ne)s a rassemblé quatorze contributions autour de la constitution pastorale Gaudium et Spes. Au moment où la génération des témoins de Vatican II passe le relais, ceci est un signe très fort, car ces jeunes théologien(ne)s ne considèrent pas Gaudium et Spes comme un texte de l’histoire. Au contraire, tout en n’ignorant ni l’écart historique, ni les recherches historiographiques sur Vatican II, ils le considèrent comme une inspiration pour l’avenir. Pour les éditeurs de ce volume, en effet, la dynamique propre de la constitution pastorale est encore loin d’être exploitée, tant théologiquement que pastoralement. Beaucoup de ces jeunes théologiens s’inspirent plus ou moins explicitement pour leurs propres explorations, de l’interprétation faite par le professeur de théologie dogmatique de Salzburg, Hans-Joachim Sander, dans sa contribution sur Gaudium et Spes dans le commentaire de Herder. Sander y préconise notamment un « déplacement » (« Ortswechsel ») de la foi grâce à Gaudium et Spes (ibid.). Néanmoins, le recueil est tout sauf le « commentaire d’un commentaire », et il met fort heureusement en exergue des lignes de force de cette constitution. Ce faisant, il dément les remarques critiques au sujet de Gaudium et Spes, de ceux qui, en renvoyant au caractère contextuel de cette constitution écrite dans les années 1960, croient pouvoir se dispenser de son héritage — quant au fond et à la forme.

La plupart des contributions se consacrent à des enjeux systématiques de Gaudium et Spes, tels que la temporalité, les signes du temps, l’éthique sociale, la sociologie des savoirs (en incluant de manière fort pertinente, dans le sillage de Peter Berger et de Thomas Luckmann, le savoir du quotidien et de tout le monde [« Allerweltswissen », voir la contribution d’Ansgar Kreutzer, p. 118]), la dignité de la personne humaine, la dignité de la conscience, la fantaisie (!), le salut, la gestion du personnel dans l’Église, la sexualité, le pluralisme religieux. Si les articles couvrent donc des aspects forts différents de la vie et de la pensée chrétiennes, il existe néanmoins un fil conducteur systématique à partir de Gaudium et Spes, à savoir la manière de se situer chrétiennement dans le monde d’aujourd’hui, sans le diviniser ni le diaboliser. Ainsi, les chrétiens sont à la fois pleinement solidaires avec le monde dans lequel ils vivent, mais témoignent au sein même de ce monde d’une espérance qui le transcende. En résulte ce que Edeltraud Koller appelle, en citant un article de Joseph Ratzinger de 1965, un « oui critique » au monde (p. 100), un « oui » qui est, pourrait-on dire, aussi loyal au monde qu’à l’Église.

Sur le fondement systématique de cette attitude, l’article de Gmainer-Pranzl sur la christologie de Gaudium et Spes mérite une attention particulière, car tout en démontrant comment la christologie et l’anthropologie de la constitution pastorale sont aux plus hauts degrés interdépendantes, il élargit aussi l’horizon vers les contextes non européens. Si ces contextes sont moins présents dans d’autres contributions, on ne leur reprochera toutefois pas ce caractère d’une théologie « enracinée » en Europe ! En revanche, la seule contribution consacrée à un acteur conciliaire, en l’occurrence l’article de Magdalena M. Holztrattner sur Dom Hélder Câmara, retrace la contribution d’un non-européen à la naissance de Gaudium et Spes. Ici, à l’occasion de Vatican II et au-delà, on voit au mieux à quel point l’Église universelle rassemblée peut profiter des expériences vécues dans les Églises locales — et vice-versa. Somme toute, ce recueil fort suggestif réalisé par des jeunes chrétiens montre que Gaudium et Spes a ouvert et continue à ouvrir des chemins d’avenir.

Michael Quisinsky

17. Peter Hünermann, dir., Exkommunikation oder Kommunikation ? Der Weg der Kirche nach dem II. Vatikanum und die Pius-Brüder. Freiburg, Herder (coll. « Quaestiones disputatae », 236), 2009, 208 p.

Comme le recueil édité par Wolfgang Beinert (voir la recension dans cette chronique, p. 325), celui édité par Peter Hünermann montre à quel point l’herméneutique de Vatican II est devenue un sujet majeur dans les discussions ecclésiastiques et théologiques. Paru dans la prestigieuse collection « Quaestiones disputatae », ce volume ne rassemble que cinq contributions, mais qui sont toutes d’un poids réel. Peter Hünermann y analyse la crise dont la levée de l’excommunication des quatre évêques lefebvristes est à la fois la raison et le symptôme. Son article porte presque le même titre que le recueil : « Excommunication - communication ». Bien évidemment, sa définition théologique de la communication comme dimension de la foi et de l’Église constitue bien plus qu’une simple analyse d’éventuels problèmes techniques de communication, constatés par certains autour de la levée de l’excommunication. Wilhelm Damberg présente, pour sa part, l’arrière-plan politique et religieux de la fraternité S. Pie X, et Benedikt Kranemann offre une analyse de quelques enjeux fondamentaux pour la liturgie, d’ailleurs sortie d’une compréhension prétendument atemporelle. Si l’on peut oser résumer les deux contributions extrêmement riches en informations, on pourrait dire qu’avec Vatican II, l’Église catholique s’est engagée dans la communication avec le monde dont elle fait partie. Massimo Faggioli, dans un article analysant la « pertinence culturelle et politique de Vatican II comme facteur constitutif de l’interprétation », reprend ce fil conducteur en le mettant en rapport avec une autre thèse de Hünermann, selon laquelle les documents de Vatican II sont devenus une sorte de « constitution » pour l’Église. L’article de Faggioli a le mérite de démontrer clairement que les actes de l’Église ont un impact politique et sont donc, pour reprendre le titre du livre, et qu’on le veuille ou non, une communication réussie ou non réussie avec les sociétés dans leur ensemble. Ce qui rend l’analyse de Faggioli d’autant plus importante, c’est l’attention qu’elle prête à la relation complexe entre « continuités » et « discontinuités ». Finalement, Magnus Striet se consacre à « Joseph Ratzinger/Benoît XVI et le monde moderne ». Pour le professeur de théologie fondamentale de Freiburg im Breisgau, une question de fond touche non seulement au rapport de la raison et de la foi, mais aussi, comme le montre son évaluation critique de la position de Joseph Ratzinger, au fait de savoir quelle légitimité peut être donnée à une raison autonome. S’il s’agit bel et bien là d’une quaestio disputata entre les théologiens Striet et Ratzinger, l’article de Striet montre que la théologie ne doit pas avoir peur de pareils « disputes », mais y gagne au contraire en profondeur — de part et d’autre. Pour sa part, Striet termine cette « dispute » (au sens le plus noble du terme !) par un plaidoyer fulgurant pour une compréhension historique de la foi (et par là même de la raison), dans le sillage de Gaudium et Spes.

Ce qu’on pourrait appeler une certaine perplexité de Peter Hünermann quant aux événements de 2009, exprimée déjà dans l’introduction, ainsi que de manière très directe et explicitement « personnelle » dans une conclusion plutôt inhabituelle, semble traduire, dans un style et un langage théologiques, la même perplexité que l’on retrouve parmi bon nombre de catholiques et de non-catholiques allemands, autour des questions discutées dans ce recueil et de leurs implications.

Michael Quisinsky

18. Gilles Routhier, Guy Jobin, dir., L’Autorité et les Autorités. L’herméneutique théologique de Vatican II. Paris, Les Éditions du Cerf (coll. « Unam Sanctam », Nouvelle série, 3), 2010, 248 p.

Depuis plus de quarante ans, l’autorité du Concile Vatican II a été invoquée dans les documents magistériels et les oeuvres théologiques. Tous ces recours démontrent que les interprétations du Concile diffèrent considérablement. Voilà pourquoi une réflexion systématique sur l’herméneutique théologique de Vatican II est indispensable. Trois universités dotées d’un centre de recherche sur le Concile Vatican II — l’Université Laval (Québec), l’Université Catholique de Louvain (Louvain-la-Neuve) et l’Institut Catholique de Paris — se sont occupées de cette réflexion dans le contexte d’un projet collectif, intitulé « Herméneutique théologique du Concile Vatican II ». La recherche se concentre sur trois champs d’investigation. D’abord, un champ dogmatique et fondamental, dont l’axe majeur est l’interprétation de Dei Verbum. Ensuite, un champ ecclésiologique, dont l’enjeu principal est l’interprétation de Lumen Gentium. Enfin, un champ éthique, dont l’intérêt central consiste dans l’interprétation de Gaudium et Spes. Au sein de ce projet, un colloque a été organisé à Québec au printemps 2008, dont le recueil L’Autorité et les Autorités rassemble les communications. Dans le cadre limité du colloque, on a choisi de s’orienter vers le rôle normatif du Magistère dans l’interprétation du Concile. Comme le projet « Herméneutique théologique de Vatican II » en général, le recueil L’Autorité et les Autorités est subdivisé en trois parties majeures : dogmatique (« Révélation, vérité et autorité »), ecclésiologique (« Église, collégialité et autorité ») et éthique (« autorités pratiques »).

La partie dogmatique comporte trois contributions. Dans la première, Lieven Boeve (« “La vraie réception de Vatican II n’a pas encore commencé”. Joseph Ratzinger, Révélation et autorité de Vatican II ») examine la genèse et le développement de l’herméneutique conciliaire (et particulièrement de Dei Verbum) de Joseph Ratzinger. Boeve esquisse d’abord le développement de la position théologique de Ratzinger au regard de la Révélation et de la Tradition. Ratzinger met l’accent sur la validité éternelle de la vérité révélée. Comme la Révélation déborde l’Écriture et contient du « non-dit », la Tradition est l’explicitation de l’implicite. L’Église est ainsi la garantie qu’à travers le temps, la vérité reste vérité, tandis que la successio apostolica est la caution de cette identité au cours de l’histoire. De plus, Ratzinger insiste sur la valeur constitutive de la pensée grecque, des Pères de l’Église et des formulations dogmatiques traditionnelles. Boeve parle d’« un mode de pensée en fait platonicien » (p. 32) : « […] la vérité est donnée et appartient exclusivement à l’éternel, même si elle nous apparaît seulement dans des formes historiques » (p. 33). Il n’est pas surprenant, par conséquent, que Ratzinger mette l’accent sur la continuité dans son interprétation du Concile : le Concile n’entendait pas changer la foi, mais la présenter de manière neuve. Il ne faut donc pas lire le Concile comme un mouvement progressiste qui, pendant sa dernière phase, aboutit aux textes rénovateurs Gaudium et Spes, Dignitatis Humanae et Nostra Aetate, pour se poursuivre au-delà du Concile. Ratzinger rejette cette herméneutique de discontinuité et de rupture en faveur d’une herméneutique de la réforme qui ne perd pas de vue une continuité fondamentale, la continuité des principes. La discontinuité, par contre, ne concerne que l’accidentel, le contingent. Boeve réplique que l’herméneutique proposée par Ratzinger est en réalité une herméneutique « essentialiste » qui néglige les vues actuelles de la philosophie herméneutique, selon lesquelles la différence entre les principes atemporels d’une part, et le rapport temps/langage de l’autre, est bien trop simple. « En effet, nous n’avons accès à ces principes que par la langue et l’interprétation » (p. 47). Cela implique que le langage, le contexte et l’histoire sont co-constitutifs de la vérité et de la révélation, et que tout développement de la Tradition porte en soi une forme de discontinuité. Il n’est donc pas sensé d’approcher le débat sur l’héritage théologique de Vatican II comme un débat entre deux herméneutiques, celle de la discontinuité et celle de la réforme.

Karim Schelkens (« La réception de Dei Verbum entre théologie et histoire ») n’accepte pas non plus la dichotomie continuité/discontinuité. Selon lui, il vaut mieux la redéfinir en termes de tension entre le produit conciliaire (les textes conciliaires) et le processus conciliaire (événements conciliaires). La raison en est que chacun des deux pôles ne tient pas suffisamment compte de la réalité historique du Concile. À l’aide d’un cas concret (une étude de l’histoire de la rédaction du schéma De Fontibus Revelationis), Schelkens montre que les sources ne permettent pas d’évoquer l’image d’une rupture entre la préparation du Concile et l’assemblée elle-même, comme le veut l’herméneutique de la discontinuité. Bien sûr, il y a eu discontinuité, mais cela ne justifie pas de négliger toute continuité. Voilà pourquoi Schelkens plaide pour une herméneutique qui intègre le processus (l’histoire) et le produit (la doctrine). Cette herméneutique se fait encore attendre, mais le paradigme-réforme s’avère prometteur. En tout cas, il est clair que la consultation des sources est une conditio sine qua non pour le développement herméneutique espéré.

La contribution de Catherine Clifford (« L’herméneutique d’un principe herméneutique. La hiérarchie des vérités ») a une portée plus limitée que les deux premières : elle cherche à esquisser la réception de la notion de « hiérarchie des vérités » (Unitatis Redintegratio) dans les documents du Magistère depuis Vatican II. La « hiérarchie des vérités » réfère au rapport entre les éléments de la doctrine chrétienne et le fondement même de la foi. L’importance oecuménique en est capitale, du fait que « les désaccords entre les Églises viennent principalement de différentes manières de concevoir l’ordre des vérités de la foi autour d’un mystère central » (p. 88). Les opportunités en sont manifestées par les diverses commissions de dialogue oecuménique qui, de ce fait, sont devenues des interprètes et des agents de la réception de Vatican II. Cette réception oecuménique contraste avec la (non-) réception faite par les autorités du Magistère, qui se caractérise en grande partie par une « concentration dogmatique » : les dogmes sont situés dans leur rapport aux autres dogmes, ils ne sont pas distingués du « fondement de la foi » et ils requièrent tous le même assentiment de foi. Selon Clifford, il est nécessaire de repenser le fondement de la foi et, d’une façon cohérente, la réponse de la foi en termes « d’un acte de foi qui engage la personne dans une relation avec Celui qui se révèle à travers son Verbe » (p. 89).

La seconde partie du recueil rassemble quatre études sur l’herméneutique de l’ecclésiologie conciliaire. Les deux premières sont des approches descriptives et analytiques des prises de position du Magistère au regard de la collégialité. Joseph Famerée (« La collégialité au synode extraordinaire de 1969. Un premier conflit d’interprétations de Vatican II ») examine la doctrine de la collégialité telle qu’elle s’est manifestée au synode extraordinaire de 1969, en particulier dans les interventions in aula des Pères synodaux. Il constate des types d’herméneutiques contrastés et conflictuels du Concile, qui sont, pour une partie significative, liés aux répartitions géographiques des évêques (les « Romains », les évêques est-européens, les évêques du tiers-monde, les évêques occidentaux et les évêques orientaux). Un premier type d’herméneutique est représenté par les « Romains », les représentants des évêques est-européens et les évêques du tiers-monde. Ces groupes favorisaient le statu quo doctrinal par rapport à Vatican II, insistant sur l’inégalité entre le pape et les évêques. Les évêques occidentaux et orientaux, par contre, percevaient le Concile comme exigeant un développement doctrinal et pratique de la collégialité, étant donné que la question des rapports entre primauté et collégialité était incomplètement traitée au Concile. Il est frappant que le premier groupe, celui des « conservateurs », ait dominé le débat, ce qui est l’indice d’un changement remarquable des rapports de forces en comparaison du Concile. En somme, le synode n’aura pas de résultats concrets, ce qui amène Famerée à conclure avec une note pessimiste : « La question de la collégialité est restée irrésolue en 1969 et en 1985. Elle l’est toujours aujourd’hui » (p. 123).

L’étude de Peter De Mey (« La relecture de la pensée conciliaire sur la collégialité et la communion des Églises entre 1972 et 1983 ») poursuit en quelque sorte l’examen de l’herméneutique de la pensée conciliaire sur la collégialité pour la période de 1972 à 1983. Son analyse de l’enseignement des papes Paul VI et Jean-Paul II, de l’instruction Mysterium Ecclesiae (1973), des rencontres du synode des évêques au cours de cette période et du « Directoire sur le ministère pastoral des évêques, Ecclesiae imago », confirme l’impression d’inertie : « […] le Magistère est grosso modo resté fidèle à l’enseignement du Concile sur la collégialité — cependant sans vraiment l’élaborer » (p. 149).

Les deux autres contributions ecclésiologiques traitent des débats autour de l’autorité des conférences épiscopales. Laurent Villemin (« L’autorité des conférences épiscopales en matière de liturgie. Interprétations initiales et réinterprétations récentes ») examine l’autorité des conférences épiscopales en matière de liturgie durant la période postconciliaire. À l’aide d’un aperçu historique, il montre l’importance des décisions de Vatican II en cette matière. En contrecarrant la tendance post-tridentine à déplacer l’autorité dans le domaine liturgique de l’évêque au siège apostolique, deux textes du Concile (la constitution Sacrosanctum Concilium et le décret Christus Dominus) redistribuaient d’une manière équilibrée le gouvernement de la liturgie entre le siège apostolique et les évêques. Ce modèle conciliaire resta en vigueur dans les trois premières instructions pour l’application de la constitution sur la liturgie. Une nouvelle étape dans la réception de Sacrosanctum Concilium fut néanmoins inaugurée par des textes magistériels tout récents, en particulier l’instruction Liturgiam Authenticam (2001). L’élément le plus marquant relevé par Villemin est l’opération d’assimilation de la liturgie à la doctrine : l’activité liturgique est régulée avec les mêmes procédés que ceux employés pour l’enseignement, ce qui justifie l’intervention du Magistère romain. En liturgie, l’autorité conférée aux conférences épiscopales est réelle, mais strictement contrôlée par le siège apostolique. En même temps, cette autorité est limitée au siège apostolique et aux évêques, tandis que les fidèles laïcs et les prêtres sont dépourvus de toute autorité en la matière. Villemin réprouve cette tendance réactionnaire et insiste pour trouver des pratiques ecclésiales qui respectent la primauté et la synodalité.

Gilles Routhier (« Un mandatum docendi dénié. Comment on interprète un silence ») prend le débat sur la question du mandatum docendi des conférences épiscopales comme point de départ d’une réflexion sur l’herméneutique de Vatican II. Plus concrètement, il essaie d’identifier la clé qui détermine les diverses postures herméneutiques. L’objet de recherche est bien choisi, car les textes conciliaires ne donnent pas une réponse définitive à la question du munus docendi des conférences épiscopales, laissant la question ouverte à l’interprétation. Dans le débat (entre la conférence épiscopale des États-Unis et le Saint-Siège), deux compréhensions du munus docendi se manifestent. Dans l’enseignement de la conférence épiscopale des États-Unis, l’exercice du munus docendi par la conférence épiscopale est rattaché à un ensemble plus vaste (les fidèles, le monde politique, les citoyens, les autres conférences épiscopales et le Saint-Siège), tandis que d’autres positions considèrent l’action individuelle comme le mode normal de l’exercice du munus docendi. Selon Routhier, deux « perspectives ecclésiologiques difficilement compatibles » se confrontent ici. Il se demande si le facteur principal (la « clé » recherchée) qui détermine la posture herméneutique particulière à l’égard des textes de Vatican II ne doit pas être cherché à ce niveau. C’est une hypothèse valable de considérer qu’on est « renvoyé à deux cadres ecclésiologiques à l’intérieur desquels on lit et comprend les textes conciliaires et l’enseignement de Vatican II sur la collégialité et sur le munus docendi » (p. 183). Il s’agit d’une ecclésiologie de l’Église universelle d’une part, et d’une ecclésiologie de la communion des Églises d’autre part. Ce sont des perspectives ecclésiologiques a priori qui commandent les lectures des textes. Si cette hypothèse se vérifie, « une herméneutique des textes n’existe jamais isolée ou détachée d’une herméneutique de la réception » (p. 187).

La troisième partie (« autorités pratiques ») du recueil est ouverte par Guy Jobin (« Quand Gaudium et Spes fait l’autorité… ») qui se penche également sur l’herméneutique de la réception. Il indique que « le travail interprétatif suscité par le Concile n’est pas entièrement déterminé par la lettre et/ou l’esprit conciliaire » (p. 192). Donc, à nouveau, la question se pose de ce qui détermine la posture herméneutique. Cette fois, la question se rapporte à la théologie morale de Vatican II, concrètement ici à la réception de Gaudium et Spes par Charles Curran. Dans son interprétation de la posture herméneutique de Curran, Jobin relève la force perlocutoire de l’énonciation conciliaire — qui a « fait » l’auteur Curran et donc a fait « autorité » dans le sens d’« auctorialité » — et l’appartenance de celui-ci à un courant d’interprétation pragmatique-libéral du Concile.

Dans la seconde contribution sur les « autorités pratiques », Catherine Fino (« L’autorité des pratiques chrétiennes de la charité en contexte de pluralisme. L’impulsion de Vatican II et le travail à poursuivre ») examine à quelles conditions épistémologiques les pratiques chrétiennes de charité — revalorisées par Vatican II (par Gaudium et Spes en particulier) — peuvent être accordées à l’autorité dans la construction d’une éthique dans le contexte pluraliste actuel.

Une réflexion de François Nault (« Comment parler des textes conciliaires sans les avoir lu ? ») conclut le recueil. Elle discute le statut des textes conciliaires dans l’herméneutique de Vatican II. Nault y soutient que le contenu même des textes n’est pas la chose la plus importante dans ce débat. Ce sont les modalités de références aux textes qui sont cruciales. « Dès lors, s’intéresser à l’herméneutique de Vatican, c’est s’intéresser aux jeux des acteurs qui cherchent à imposer un sens aux textes conciliaires, les textes eux-mêmes constituant une sorte de matière quasi indifférente aux investissements et aux travestissements de toutes sortes » (p. 241).

Bref, le recueil L’Autorité et les Autorités nous montre combien il est complexe et délicat d’interpréter le Concile Vatican II et, plus particulièrement, il nous montre le caractère problématique de l’« interprétation autorisée » du Magistère. Dans cette interprétation, l’accent est mis sur le produit final du Concile — les textes conciliaires — qui est présenté en continuité totale avec la doctrine chrétienne à travers l’histoire. Les textes conciliaires doivent être lus selon l’interprétation qu’en donne le Magistère. Cette herméneutique magistérielle s’oppose à une herméneutique de la discontinuité ou de la rupture qui fait ressortir le processus conciliaire, témoignant de l’esprit rénovateur du Concile, qui pourrait encore se manifester après le Concile dans un développement doctrinal ultérieur. Dans les diverses contributions, les faiblesses de l’herméneutique du Magistère ont été démontrées : celle-ci ne tient pas suffisamment compte des développements de la philosophie herméneutique, ni des résultats des recherches historiques. Dans le domaine de l’oecuménisme (notion de « hiérarchie des vérités ») et de l’ecclésiologie (collégialité, l’autorité des conférences épiscopales), l’interprétation du Magistère est marquée par une tendance stabilisatrice, conservatrice ou même réactionnaire. Les auteurs du recueil ne se limitent tout de même pas à ce diagnostic plutôt négatif, mais font un effort pour tracer — en ce qui concerne leurs propres champs d’investigation (théologie dogmatique, ecclésiologie, théologie morale) — une herméneutique théologique plus adéquate.

Ward De Pril

19. Dominicus M. Meyer, o.s.b., Peter Platen, Heinrich J.F. Reinhardt, Frank Sanders, dir., Rezeption des zweiten Vatikanischen Konzils in Theologie und Kirchenrecht heute. Festschrift für Klaus Lüdicke zur Vollendung seines 65. Lebensjahres. Essen, Ludgerus-Verlag (coll. « Münsterischer Kommentar zum Codex Iuris Canonici », Beiheft 55), 2008, ix-757 p.

Dans sa contribution très suggestive qui conclut ce volume, Myriam Wijlens constate que le rôle et la relevance du droit canonique pour la réception n’ont pas encore été tellement réfléchis dans les études sur l’herméneutique conciliaire (p. 725). On salue d’autant plus l’initiative de réunir un grand nombre d’articles concernant ce sujet dans ces Mélanges offerts au canoniste de Münster, Klaus Lüdicke. Ce dernier, outre ses activités dans les domaines de l’enseignement et de la publication (il est le spiritus rector du Münsterischer Kommentar zum Codex Iuris Canonici), avait consacré des études d’importance au CIC de 1983. Dans une contribution aux Mélanges pour Mgr Reinhard Lettmann, ancien évêque de Münster qui préface à son tour les Mélanges offerts à Lüdicke, le canoniste se demandait notamment si, comme le disait le pape Jean-Paul II, le CIC était le dernier document du Concile, et si oui dans quelle mesure ?

C’est au reflet des analyses de Lüdicke que les auteurs de ce recueil mettent en perspective plusieurs aspects et approches du CIC dans sa relation au Concile. Si les contributions sont classées par ordre alphabétique de leurs auteurs, on peut néanmoins distinguer différents groupes de contributions. Un premier groupe traite de Vatican II sans prendre trop en considération une dimension canonique, comme le fait par exemple Matthias Pulte, qui examine les arguments d’évêques missionnaires en faveur ou en défaveur du rétablissement du diaconat permanent. Ce procédé a toute sa place dans ce recueil, car il met en garde contre une attention qui serait trop unilatéralement portée aux évêques et théologiens conciliaires de « premier rang », souvent européens et américains, mais aussi contre une herméneutique monolithique du Concile, du type de celle dont on a affaire dans certains cercles canonistes, ou ailleurs. Un deuxième groupe de contributions traite de questions canoniques qui sont certes en rapport avec Vatican II, mais sans pour autant mettre au centre de leur argumentation ce rapport lui-même. On peut nommer à titre d’exemple l’article de Thomas Schüller concernant le renoncement au titre de « patriarche de l’Occident » par Benoît XVI. Un troisième groupe intègre le droit canonique au niveau diocésain, ou encore au niveau d’une conférence épiscopale, dans l’analyse des rapports entre le CIC et Vatican II (voir surtout les études de Johann Hirnsperger sur le diocèse de Graz en Autriche, et de Richard Puza sur celui de Rottenburg-Stuttgart en Allemagne). Parmi ces études, il faut tout spécialement mentionner l’étude de Rüdiger Althaus, qui est éclairante et instructive tant historiquement que systématiquement. Althaus examine comment le Synode commun des diocèses allemands à Würzburg (1971-1975) reste, même après l’entrée en vigueur du CIC, une source de droit particulier pour les Églises locales en Allemagne. Un quatrième groupe envisage, le plus souvent à partir d’exemples concrets, la manière dont le Concile a été traduit dans le droit canonique. Ici, on retrouve par exemple plusieurs études consacrées au droit matrimonial, ainsi qu’aux règlements relatifs aux ordres et aux congrégations religieuses. Enfin, un cinquième et dernier groupe propose une sorte de métaréflexion, en abordant directement la question du rapport entre Vatican II et le CIC de 1983. Si dans ce dernier groupe, on a également affaire à des exemples concrets, ceux-ci sont moins considérés en eux-mêmes, que comme point de départ pour des conclusions explicites ou implicites sur l’herméneutique de Vatican II et/ou du CIC. C’est dans ce groupe qu’on peut aussi classer des contributions de théologiens systématiques, parmi lesquelles se distingue celle de Jürgen Werbick, qui met en place un horizon théologique et spirituel suffisamment large et pondéré pour ne pas enfermer les discussions sur l’herméneutique conciliaire dans des limites artificielles.

Certes, beaucoup de contributions traitant de questions « allemandes » méritent une attention au-delà de l’Allemagne, dans la mesure où les différentes Églises locales peuvent s’enrichir mutuellement à travers leurs expériences concrètes, comme le montre par exemple le cas du Würzburger Synode, qui risque d’ailleurs d’être lui-même de plus en plus sous-estimé en Allemagne. L’intérêt principal de ce recueil réside cependant dans le fait qu’il réunit — et même oppose — différentes tendances herméneutiques canonistes, celles-ci impliquant des théologies systématiques différentes, d’ailleurs souvent complémentaires. On est tenté de penser que la tendance « positiviste » représentée par Georg Bier, et surtout par Norbert Lüdecke, n’implique pas tellement une théologie systématique ni même sa présupposition, mais plutôt, dans ses conséquences, une tendance à la remplacer. Cette impression mériterait certes une analyse beaucoup plus nuancée que celle d’une recension. De plus, il s’agit de mentionner au moins une nuance importante : si Bier, partant du slogan « Wir sind Kirche » du mouvement du même nom (né en Autriche en 1995), conclut son analyse du sensus fidei avec une invitation faite à la théologie systématique de démontrer comment ce sensus fidei pourrait être soutenu par des structures canoniques adéquates, on peut alors poser la question du droit par lequel la théologie systématique pourrait, dans l’herméneutique mise en exergue par Norbert Lüdecke, se baser sur des sources et méthodes extra-canoniques. Car, à titre d’exemple, pour Lüdecke, même l’expression du sensus fidei des évêques semble être ici quasiment limitée à sa dimension d’obéissance. Dans l’histoire de l’encyclique Humanae Vitae, qui sert, avec la déclaration de Königstein de l’épiscopat allemand qui l’accompagnait, d’exemple d’analyse, Lüdecke n’attribue pratiquement aucune signification théologique, spirituelle ou ecclésiale à la réception ou à la non-réception, jugeant les différentes opinions sur cette encyclique à partir du droit en vigueur dès 1983. Si cette approche canonico-canoniste de Lüdecke défie à la fois les dimensions et fondements systématique, pratique, spirituel, et canonique de la théologie, on trouve aussi dans ce volume d’autres positions laissant même émerger la question de savoir si l’approche de Lüdecke, dès que l’on inscrit la dimension juridique dans l’ensemble de la vie de la foi dans l’Église, est aussi évidente qu’il n’y paraît au premier abord. À titre d’exemples, on peut nommer deux dimensions qui aident à élargir l’horizon, sans pour autant mettre en question la légitimité du droit canonique en général, et du CIC de 1983 en particulier. Premièrement, on peut soulever avec Markus Graulich l’énoncé de Jean-Paul II selon lequel l’expression doctrinale de la foi chrétienne ne peut être traduite telle quelle dans une expression juridique (p. 175), ce qui bien entendu ne signifie pas que cette deuxième expression serait inutile, tout au contraire. Deuxièmement, la tentative de clarifier les tensions contenues dans les documents conciliaires à l’aide du CIC peut bien être une intention des papes, en l’occurrence celle de Jean-Paul II (qui a promulgué le CIC), cela n’exclut cependant pas que les papes eux-mêmes invitent par exemple à un novus habitus mentis (Paul VI, voir p. ex. p. 164, 237 et suiv., 712) ou à un dialogue oecuménique profond (Jean-Paul II, p. ex. p. 176), ce qui ne peut pas ne pas avoir de conséquences sur l’interprétation du droit canonique. À propos de l’oecuménisme, on remarque d’ailleurs un usage un peu inhabituel du terme « Reformation » : c’est ainsi que Martha Wegan qualifie (p. 658, 664) certaines revendications de chrétiens critiques par rapport à leur Église. Même si, en partant du droit canonique actuel, on n’est pas prêt à discerner une intention valable dans ces articulations, on doit se demander si cette utilisation du terme « Réforme », pour qualifier la situation de l’Église catholique contemporaine, honore suffisamment les dialogues oecuméniques de ces dernières décennies, car outre un jugement négatif porté sur la Réforme du xvie siècle, cette utilisation du terme semble impliquer un jugement négatif sur le protestantisme d’aujourd’hui. On retient en revanche la finesse avec laquelle Werbick, diagnostique la méthodologie des positions de Bier et de Lüdecke, qui ressemble selon lui à celle de la Contre-Réforme, partant d’une autre conception de la théologie fondamentale que celle inaugurée par Vatican II (p. 697). Il explique en outre ce phénomène par un changement de paradigme initié par Vatican II en théologie fondamentale qui demande une continuation, alors que le CIC de 1983 est, au moins partiellement, une continuation (« Fortschreibung ») de celui de 1917 (p. 698). Ceci dit, il interroge la signification d’une certaine manière de mener la discussion herméneutique (« Ich sehe wenig Sinn darin, die in manchen nachkonziliaren Dokumenten greifbare, sich noch im instruktionstheoretischen Paradigma verortenden Selbstmissverständnisse etwa des höchsten Lehr- und Leitungsamtes theologisch oder kanonistisch festzuschreiben — relativ gleich, ob man damit den Reformbedarf der Kirche abblocken oder aber ganz im Gegenteil dazu das gesamte, kanonistisch festgeschriebene System “unmöglich machen” will », p. 710). Pour lui, la raison même d’une discussion sur l’herméneutique canonique ne peut qu’être celle d’une exploitation et d’un approfondissement de l’orientation théologique de Vatican II. Ses analyses systématiques sont fort heureusement complétées par Myriam Wijlens, dont la contribution « Die Konzilshermeneutik und das Kirchenrecht » mérite une lecture particulièrement attentive. Reprenant dans son analyse la thèse de Klaus Lüdicke, pour qui seul un ius semper reformandum peut correspondre à une Ecclesia semper reformanda, elle y intègre certes les acquis de l’herméneutique conciliaire germanophone (qui est presque exclusivement présente dans ce recueil), mais aussi ceux d’origine francophone et anglophone. Parmi les nombreuses formules pertinentes qui peuvent, dans sa contribution, servir d’outils herméneutiques, relevons-en une qui, à elle seule, combine tant la lettre que l’esprit de Vatican II, et constitue tout un programme : pour répondre à une question concrète de la vie de l’Église dans une perspective tant théologique que systématique, il faut déjà poser la question dans une perspective émanant du Concile (p. 728). Certes, les questions d’aujourd’hui et de demain ne sont pas les mêmes que celles posées à Vatican II, mais le Concile a tout autant répondu aux questions de son temps, qu’inauguré un style (p. 721, avec renvoi à Gilles Routhier) permettant désormais d’aborder d’une manière constructive des questions de la vie ecclésiale.

Michael Quisinsky

20. Edgar Utsch, Carl-Peter Klusmann, dir., Dem Konzil verpflichtet – verantwortlich in Kirche und Welt. Priester- und Solidaritätsgruppen in Deutschland (AGP) 1969-2010 : eine Bilanz nach 40 Jahren. Münster, Berlin, LIT Verlag (coll. « Theologie und Praxis », Abteilung B, 25), 2010, iii-194 p.

Ce livre est une contribution originale à l’histoire de la réception de Vatican II en Allemagne, tant par son contenu que par sa forme. En fait, si le sous-titre parle d’un « bilan », celui-ci n’est ni uniforme ni définitif. Conscients qu’une page de l’histoire se tourne, et ne serait-ce que parce que la génération des témoins de Vatican II cède la place à des générations plus jeunes, les éditeurs veulent témoigner d’expériences faites dans le sillage des espérances nées du Concile, et qui se sont articulées plus précisément au sein des « groupes de prêtres et de solidarité ». Ainsi, cette publication rassemble des textes programmatiques publiés pendant les dernières décennies, ainsi qu’un certain nombre d’articles retraçant les activités de ces différents groupes. Parmi les premiers, on peut distinguer des textes exposant l’auto-compréhension des « groupes de prêtres et de solidarité » et leurs buts principaux (chap. 1), ainsi que des prises de position dressant un panorama impressionnant de sujets concrets et généraux, liés d’une manière ou d’une autre à la réception de Vatican II (chap. 4). Ensuite, un autre article expose la structure, le développement et la communication des « groupes de prêtres et de solidarité » (chap. 2), suivi d’un autre présentant ces différents groupes dans les diocèses allemands (chap. 3). Relativement au souci des éditeurs de témoigner d’un héritage qui risque de disparaître, mentionnons aussi la liste des archives qui invitent à des recherches plus développées sur cet héritage (p. 189). De telles recherches auraient d’ailleurs pour grand mérite de contribuer à saisir — et à éviter à l’avenir — certaines incompréhensions réciproques qui semblent caractériser, de part et d’autre, les différents milieux catholiques de l’après-Concile (voir par exemple dans ce sens la lettre du 12 mai 1980 de Karl Lehmann, à l’époque professeur de dogmatique à Freiburg im Breisgau, p. 142 et suiv.).

Il n’est guère possible de résumer le contenu de ce livre, tant la situation des groupes dans les différents diocèses varie, et tant les sujets abordés au fil du temps sont nombreux, qu’ils soient d’ailleurs spécifiques à l’Église allemande, ou au-delà. Cependant, certains aspects méritent d’être retenus, car ils renvoient à des enjeux herméneutiques de la réception de Vatican II. D’une certaine manière, ces enjeux touchent au fait que la réception par le Concile n’a pas été forcément réalisée par les mêmes personnes que la réception du Concile. Si Vatican II a pu récolter les fruits de plusieurs générations de vie chrétienne, il en va différemment pour l’après Vatican II, où une jeune génération — et plus précisément, dans le cas de l’Allemagne, la première génération de l’après Deuxième Guerre — a tout naturellement tourné le regard vers l’avenir. Ceci dit, cette orientation vers l’avenir ne se fait pas sans une certaine interprétation de l’histoire récente, différente selon les générations, et diversifiée au sein de chacune d’elles. Ainsi, il est important de souligner que dès l’introduction de l’ouvrage, les éditeurs mettent en rapport « la faim de renouveau » (p. 1) de la société allemande d’après-guerre, qui préparait le chemin pour la réception de Vatican II (voir p. ex. p. 95 quelques remarques instructives sur les « expériences de la génération d’avant-guerre » dans le diocèse d’Essen), avec la réception engagée, voire parfois impatiente, de Vatican II dans une société rapidement sortie de ses certitudes d’après-guerre. La réception de Vatican II en Allemagne s’est donc déroulée autour de « 68 » (et au-delà), à un carrefour assez complexe de différents regards sur l’histoire récente et sur l’avenir.

Que ce recueil offre un panorama de quelques-unes des grandes discussions ayant eu lieu après le Concile au sein de l’Église catholique en Allemagne, tient au fait que les prêtres (et les laïcs) engagés dans les différents groupes s’y sont exprimés sur de nombreux enjeux d’Église et de société. Ce qu’on remarque d’emblée, c’est qu’il n’est pas très pertinent de distinguer ici (comme ailleurs) entre ecclésiologie ad intra et ad extra. Il ne s’agit en effet là que des deux revers d’une même médaille, car s’il y a bien débat autour des structures de l’Église — et le présent volume montre comment ce débat a pu être vif — les intervenants dans les débats se voient poussés par un souci de vivre la foi de manière prophétique et solidaire avec le monde. Si tout le monde ne souscrira pas à toutes les revendications des « groupes de prêtres et de solidarité » — et avec le recul, les unilatéralismes de tous bords peuvent sûrement être plus facilement perçus qu’en plein débat —, les enjeux mentionnés dans les différentes contributions montrent néanmoins que l’ecclésiologie post-conciliaire n’a d’autre choix que d’être celle d’une Église dans le monde, quelle que soit par ailleurs la réponse que l’on entend donner aux différents enjeux.

Si certains considèrent les prêtres actifs dans ces groupes comme des contestataires, eux-mêmes se définissent plutôt à travers l’idéal d’une « critique loyale » à l’intérieur de l’Église (on trouve cette formule p. ex. dans la présentation du groupe de l’archidiocèse de Paderborn, p. 132). L’existence même des groupes renvoie en tout cas à la question, profonde d’un point de vue ecclésiologique, de savoir comment la discussion se structure dans une Église qui se veut communion. Suite à la présentation de ces groupes au sein des diocèses, et tout en tenant compte de leurs points de départ et de leur évolution assez hétérogène, on est amené à penser que beaucoup dépend, tant à l’intérieur de « l’Église » que dans ses rapports avec « le monde » (pour reprendre deux mots clés du titre du livre), de ce que l’on nomme « Gesprächskultur », c’est-à-dire une certaine culture de dialogue ouvert et loyal. À titre d’exemple, les évêques successifs de Rottenburg-Stuttgart semblent être, malgré certaines divergences, en rapports plutôt constructifs avec l’Aktionsgemeinschaft Rottenburg, qui se distingue peut-être des autres groupes, p. ex. par des conférenciers de renom lors de ses rencontres annuelles sur d’importants sujets (p. 75 et suiv.). D’ailleurs, l’évolution constructive et représentative d’un groupe ne semble pas seulement dépendre de la compréhension de l’évêque du lieu, mais aussi de la capacité inhérente du groupe à ne pas devenir le forum de quelques rares membres qui imposent leurs points de vues.

Sur la limitation de plusieurs de ces groupes à une certaine génération, il est moins facile qu’il n’y paraît d’en tirer des conclusions. Certes, le climat général de la fin des années 1960 semble avoir privilégié un peu partout la naissance des groupes en question ; toutefois, quelques hypothèses de travail mériteraient d’être examinées de plus près, dont trois doivent servir d’exemple. Premièrement, les ordinations presbytérales étaient déjà en baisse depuis les années 1950. Néanmoins, le parcours d’un jeune homme catholique vers l’ordination restait plausible, bien que cette plausibilité « naturelle » avait tendance à disparaître au fur et à mesure, et de plus en plus vite. Les biographies de foi des jeunes catholiques se faisaient de moins en moins, et pour de multiples raisons, selon les cheminements typiques du fameux « katholisches Milieu », et leur entrée dans un parcours institutionnalisé devenait moins fréquente. Cela ne signifiait pas forcément que l’ensemble du parcours ultérieur se faisait, avec ses affirmations et mises en question, en dehors de l’Église, mais qu’il se faisait plutôt en dehors de ses organismes institutionnalisés (en dehors du moins de ceux qui étaient reconnus comme tels par les responsables de l’Église). Le fait que la société dans son ensemble se diversifie de plus en plus rapidement a certainement renforcé une certaine dispersion des jeunes catholiques (qui ne voulaient pas forcément cesser de l’être), et aucune des formes traditionnelles de socialisation catholique n’a pu, semble-t-il, être un remède à cette pluralisation. Remarquons que les « groupes de prêtres » semblent pour leur part être situés à un point-charnière de ce développement complexe. Deuxièmement, selon l’hypothèse des prêtres de Paderborn (p. 131), la professionnalisation de la pastorale (qui, au profit d’une spécialisation certes désirable, doit néanmoins affronter le risque de perdre une vue d’ensemble) et la raréfaction des prêtres, empêchent l’investissement de temps et d’énergie dans ce genre de groupes. Inversement, nous pouvons prolonger la réflexion en affirmant que l’existence de nombreux groupements très divers a pu contribuer à faire perdre de vue l’ensemble de l’Église, et ce souvent contre l’intuition première de la plupart de ces groupes. Troisièmement, et ceci concerne tant les recherches historiques sur Vatican II que sa réception, il s’agirait de trouver un outil herméneutique pour mesurer et analyser l’impact des réceptions et déceptions tant au sein des différents groupes qu’au sein des « paroissiens normaux ». Ceci s’avérera sans doute être une tâche extrêmement difficile, et l’on peut se demander si elle est réalisable, bien qu’elle paraisse, jusqu’à un certain point, essentielle pour la compréhension de certains enjeux de l’histoire de la réception de Vatican II. Car peu importe notre manière de nous positionner par rapport à des aspirations diverses, qui, pour quelque raison que ce soit, ont été « déçues » : pour comprendre la réception de Vatican II, on devrait aussi prendre en considération ce qui n’a pas été réalisé après avoir été proposé. En ce sens, le caractère à première vue disparate du livre montre que si la publication de ce volume ne peut constituer qu’un premier pas, celui-ci est néanmoins utile, et même nécessaire.

Michael Quisinsky

21. Pierre de Charentenay, Jean Daniélou, Joseph Gelineau, Robert Rouquette, Vatican II. Histoire et actualité d’un concile. Paris, Bayard (coll. « Études Hors-série »), 2010, 286 p.

À l’occasion du cinquantième anniversaire de l’annonce par Jean XXIII de son intention de convoquer un Concile (25 janvier 1959), la revue Études, qui suivit à l’époque tous ces événements, revisite les pages publiées à l’époque par son chroniqueur Robert Rouquette, décédé en 1969, et en retient dix chroniques publiées entre 1959 et 1965. Ces chroniques montrent l’effet qu’a eu à l’époque le déroulement de cet événement inattendu, dans ses moments clés : l’annonce surprenante de 1959, l’ouverture du Concile, les vigoureux débats de la première session, sous les regards stupéfaits des journalistes, l’encyclique pascale de 1963 (Pacem in Terris), les deuxième et quatrième sessions, et l’achèvement du Concile. À cet ensemble, ne manque que la chronique de la troisième session, laborieuse et tendue. Cette première partie est complétée par deux chroniques sur les deux papes du Concile : « Le mystère Roncalli » et « Paul VI héritier de Jean XXIII ». Cette première partie, introduite par Pierre Valin, ne manque pas d’intérêt, même soixante ans après les faits, en raison de la fraîcheur du propos suscité et de l’étonnement devant ce qui était impensable quelques années auparavant.

La deuxième partie, introduite par Laurent Villemin, aurait même pu se diviser en deux parties, tant les textes proposés appartiennent à des périodes différentes. Une première série, en regroupant des textes publiés entre 1964 et 1966, témoigne de la première réception de Vatican II. Ils portent sur la réforme liturgique, Gaudium et Spes, Lumen Gentium, la liberté religieuse, le Concile et l’Église, etc. Quant à la deuxième série, regroupant sept textes publiés entre 1985 et 2010 (dont quatre après 2008), elle témoigne de l’interprétation plus tardive de Vatican II et de l’évolution du regard sur le Concile. Comme l’indique L. Villemin dans son introduction, cette deuxième partie témoigne de trois périodes dans la réception de Vatican II : une première lecture à chaud, au lendemain de l’événement, une deuxième lecture distanciée au moment de l’Assemblée extraordinaire du synode des évêques en 1985 et à la veille du schisme lefebvriste, et une troisième lecture qui a pris plus de hauteur au cours des années 2000, invitant à une lecture transversale de l’oeuvre, et à une réflexion sur l’apport de Vatican II au catholicisme de ce début du troisième millénaire.

En somme, cet hors-série propose la reprise de textes qui, mis ensemble, acquièrent une nouvelle perspective et permettent une lecture neuve du Concile.

Gilles Routhier

22. Heribert Wahl, dir., Den « Sprung nach vorn » neu wagen. Pastoraltheologie « nach » dem Konzil. Rückblicke und Ausblicke. Würzburg, Echter Verlag (coll. « Studien zur Theologie und Praxis der Seelsorge », 80), 2009, 253 p.

Ce recueil fait suite à la rencontre de la « Konferenz der deutschsprachigen Pastoraltheolog(inn)en », et rassemble des témoignages de dix-sept théologiennes et théologiens germanophones mettant en rapport Vatican II avec, d’une part, leur propre biographie croyante et intellectuelle, et d’autre part, la situation actuelle de l’Église, notamment en Allemagne. Aussi est-ce dans cette interférence « kairologique » (p. 7) d’approches biographiques et théologiques que réside l’un des intérêts primordiaux de ce livre remarquable, qui met ainsi en oeuvre une herméneutique conciliaire originale, au-delà des débats épistémologiques parfois abstraits. Par ce procédé, le livre témoigne de façon très dense des réussites et des questions ouvertes par la réception de Vatican II, telle qu’elle a marqué et continue de marquer l’Église et la théologie allemandes. Comme le dit Heribert Wahl dans sa préface, ces regards croisés sont marqués actuellement par un sentiment de crise partagé, tant par quelques théologiens, décrivant ici comme ailleurs leur perplexité (voir par exemple la contribution de Herman van de Spijker), que par beaucoup de croyants, ce qui contraste avec la vision de Jean XXIII qui souhaitait que Vatican II permette à l’Église un « bond en avant ».

Au lieu d’énumérer les nombreuses impulsions des différentes contributions, pour la théologie en général, et pour les recherches sur Vatican II en particulier, mentionnons à titre d’exemples trois pistes de réflexion qui s’imposent au fil de la lecture. Premièrement, un article d’Ehrenfried Schulz sur l’éphémère Institut für Katechetik und Homiletik (1964-1982), qui protège de l’oubli cette véritable innovation sur le plan de la formation théologique en Allemagne. On peut regretter avec l’auteur que la crise des ordinations (qui est d’ailleurs, de manière très diverse, sous-jacente à plusieurs contributions), ainsi que d’autres facteurs, aient mis un terme à cette institution. Son agenda ambitieux, reprenant toutes les disciplines théologiques dans une perspective catéchétique, menait en effet à une question fondamentale : comment, dans nos facultés et évêchés, éviter de revenir à un modèle d’opposition entre la réflexion théologique et l’agir pastoral ? Autrement dit : comment traduire, dans la vie quotidienne de l’Église après Vatican II, l’interférence entre « dogmatique » et « pastorale », si magistralement mise en oeuvre par le Concile ? (Voir à ce sujet la contribution très suggestive de Walter Fürst qui insiste sur l’identité entre « doctrine » et « vie » conciliaires, p. 67.) Deuxièmement, Hermann Steinkamp observe, à l’occasion de la réception de Gaudium et Spes, ce qu’il appelle une « approbation aussi large que restée sans conséquences » (p. 195) de la constitution pastorale en Allemagne. En revanche, Ottmar Fuchs expose, dans le souci de mettre en oeuvre l’interférence entre ad intra et ad extra, les raisons théologiques d’une attitude fondamentalement positive envers ces chrétiens qui, sans être pratiquants réguliers, demandent avec une « sûreté d’instinct » (p. 63) la célébration de sacrements lors des moments forts de la vie (voir aussi, dans le même sens, le plaidoyer fulgurant de Ludwig Mödl pour une façon non élitiste de concevoir la communauté et la pratique chrétiennes au quotidien). Autrement dit : si elles affirment que Vatican II voulait rapprocher « dogmatique » et « pastorale », et ainsi « la foi » et « la vie », les recherches sur la réception de Vatican II ont-elles déjà mesuré la portée d’un certain paradoxe dans l’histoire postconciliaire ? Ce paradoxe se retrouve en effet dans la situation où soit certains pouvaient approuver Vatican II, mais sans que les conséquences en soient tirées, soit d’autres pouvaient agir selon l’idéal conciliaire de rapprochement de la foi et de la vie, mais sans forcément se réclamer explicitement de Vatican II. Troisièmement, la contribution de Leo Karrer compare les phases successives de cette réception avec la succession des Lumières (« Aufklärung »), du romantisme, et du « Biedermeier » (p. 113 et suiv.), ce dernier — caractérisé par un repli sur « son propre jardin » (p. 114) — étant censé décrire la phase actuelle de la réception. Comme toutes les comparaisons, celles-ci sont discutables (notamment parce que le « Biedermeier » désigne une époque spécifique du 19e siècle allemand que l’on ne peut pas comparer telle quelle à d’autres histoires nationales). Néanmoins, par ces comparaisons, et à la suite de Gaudium et Spes, Karrer a le mérite de souligner que le « courage à la réalité » (ibid.) coïncide avec « la question de Dieu » (ibid.), qui est le sujet propre de la théo-logie (systématique et pratique). Il me semble que les recherches sur Vatican II, sur sa réception et sur son herméneutique, ont tout à gagner à s’intéresser explicitement à cette question, qui est aussi la question de l’homme (Gaudium et Spes, 22).

Michael Quisinsky

Monographies

23. Giuseppe Alberigo, Pour la jeunesse du christianisme : le Concile Vatican II, 1959-1965. Paris, Les Éditions du Cerf (coll. « Histoire »), 2005, 212 p.

Le maître d’oeuvre des cinq volumes de la monumentale Histoire du Concile Vatican II, parue en français entre 1997 et 2005, a publié, en 2005, un petit livre destiné à rendre l’histoire de ce Concile accessible à un large lectorat. La question qui l’a guidé, selon son propre témoignage, est la suivante : « Que savent mes enfants de cette aventure d’il y a un demi-siècle et, surtout, mes petits-enfants et beaucoup de leurs contemporains ? » (p. 12).

Giuseppe Alberigo a suivi un plan chronologique divisé en six chapitres : I) L’annonce : espoirs et attentes (1959-1962) ; II) Vers une conscience conciliaire (1962) ; III) Le Concile est adulte (1963) ; IV) L’Église est une communion (1963) ; V) La foi se vit dans l’histoire (1965) ; VI) Pour la jeunesse du christianisme. L’ouvrage se clôt par deux annexes : une liste de « lectures conseillées » et une chronologie des « dates essentielles du Concile ».

Construit à partir des contributions des chercheurs qui ont participé à la rédaction des cinq volumes qu’il a dirigés, ainsi que de ses souvenirs et archives personnels, ce petit livre contient peu de références. Mais il n’est pas adressé aux spécialistes. La chronologie conciliaire est strictement suivie, et l’ouvrage est rigoureusement exact quant aux faits historiques. Cependant, l’auteur ne manque pas de donner fréquemment ses appréciations sur le sens des événements, et son engagement ecclésial est bien visible. Il est également perceptible que le livre est écrit par un ancien du « groupe de Bologne ». Enfin, cette histoire du Concile est clairement interprétée à partir de l’herméneutique de la rupture, caractéristique de l’Istituto per le scienze religiose.

Nonobstant ces quelques réserves, il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’un bon résumé de l’histoire du Concile Vatican II, écrit par un témoin actif des événements et un de ses meilleurs spécialistes.

Philippe J. Roy

24. Massimo Faggioli, Il vescovo e il Concilio. Modello episcopale e aggiornamento al Vaticano II. Bologna, Società editrice il Mulino (coll. « Testi e ricerche di scienze religiose », « Nuova serie », 36), 2005, 476 p.

25. Silvia Scatena, La fatica della libertà. L’elaborazione della Dichiarazione « Dignitatis Humanae » sulla libertà religiosa del Vaticano II. Bologna, Società editrice il Mulino, 2003, 601 p.

Avec ces monographies consacrées au Décret Christus Dominus et à la Déclaration Dignitatis Humanae sur la liberté religieuse s’achève, pour ainsi dire, une série d’études sur les divers documents adoptés par le Concile Vatican II. Certes, on ne peut pas dire que c’est la fin, car il manque encore des études importantes sur quelques documents fondamentaux, notamment Lumen Gentium, Ad Gentes, Apostolicam Actuositatem et Sacrosantum Concilium, ainsi que sur quelques documents mineurs : Gravissimum Educationis, Inter Mirifica, etc. Certes, des travaux importants devant conduire à de telles monographies ont déjà été mis en chantier (c’est le cas pour Lumen Gentium, Ad Gentes, Apostolicam Actuositatem), mais on n’en espère plus la publication aujourd’hui. Après les grands commentaires des divers documents promulgués par le Concile à la fin des années 1960 et au début des années 1970, les dernières décennies du siècle dernier ont été marquées par ces monographies retraçant l’histoire de la rédaction de divers documents conciliaires qui accompagnèrent la rédaction de L’histoire du Concile Vatican II.

Les deux volumes présentés ici obéissent aux mêmes règles que les volumes précédents publiés dans la même collection, ou à Leuven : une reconstruction historique appuyée sur de très abondantes sources, et un imposant travail d’archives qui suit à la trace l’évolution du texte depuis la phase antepréparatoire jusqu’à sa promulgation, à travers les méandres des travaux des diverses commissions et sous-commissions, discussions in aula et interventions extra aulam.

L’ouvrage de Massimo Faggioli aborde une question cruciale : l’élaboration de la théologie de l’épiscopat, en marge et en interaction avec les discussions sur la même question à travers la discussion du chapitre III de Lumen Gentium. La perspective qu’il adopte et le fil conducteur de son développement ne sont pas simplement ceux de la théologie de l’épiscopat et, par choc en retour, de son rapport avec le primat, question laissée irrésolue à la suite de Vatican I, mais davantage la figure de l’évêque et le style d’exercice de l’épiscopat après Vatican II. Comme il l’indique dans son introduction, il en va de l’Église comme il en est de l’évêque ; le changement de style d’évêque engageant un changement dans la figure de l’Église. Les réflexions menées au Concile Vatican II sur le style d’évêque et la figure de l’évêque qui émerge de cette réflexion sont donc déterminantes au cours de la réception de Vatican II. Notre auteur, dans son enquête minutieuse et fouillée, veille donc à mettre à jour le modèle d’évêque mis en avant par Vatican II. Suivant que l’on regarde l’évêque comme préfet ou pasteur, la figure de l’Église s’en trouvera modifiée.

Ainsi, contrairement à ce que l’on peut penser, il ne s’agit pas d’un texte mineur ou secondaire, car des questions capitales sont sous-jacentes à tous ces débats sur l’évêque : non seulement celles relatives à la nomination des évêques (questions toujours discutées), mais celle aussi de l’autorité de la curie sur les évêques, de la réforme de la curie, de l’ampleur des compétences des évêques diocésains, de leur participation au gouvernement de l’Église tout entière (en particulier à travers le synode des évêques), du statut et du fonctionnement des conférences épiscopales (questions qui allaient refaire surface au cours des années 1980), de l’Église locale (la pastorale d’ensemble, la catéchèse), de la communion entre les Églises, etc. Plusieurs tensions se manifestent au cours de la rédaction de ce texte : entre une approche juridique et canonique de la fonction épiscopale et une autre davantage pastorale, tension entre la curie et les évêques diocésains, tensions entre divers groupes d’évêques (orientaux et latins, européens — surtout français et belges — et évêques missionnaires, etc.). On peut noter que le leadership de la commission a été laissé entre les mains d’évêques européens, ce qui a limité la possibilité de renouveau de la figure de l’évêque.

Au terme de ce parcours, M.F. s’interroge : alors que le Concile de Trente avait conduit à une réforme de l’exercice de la charge épiscopale sans redéfinir la théologie de l’épiscopat, se peut-il que Vatican II ait révisé la théologie de l’épiscopat sans modifier en profondeur l’exercice de sa charge ?

L’ouvrage de S. Scatena aborde pour sa part l’iter complexe et plein de rebondissements de la rédaction de la Déclaration conciliaire sur la liberté religieuse. En effet, la rédaction de cette courte déclaration, promulguée la veille de la fin du Concile, même si elle avait commencé dès la phase préparatoire, se révéla, avec le combat sur la collégialité, le combat le plus dur à livrer au Concile. Pour tout dire, c’est sans doute le texte qui a été le plus discuté et celui qui a dû attendre le plus longtemps avant d’être soumis à un premier vote. C’est aussi celui qui a permis à l’épiscopat états-unien de se manifester avec le plus de force au Concile, et qui a donné au Coetus Internationalis Patrum de se révéler avec vigueur. Du reste, et on ne le souligne peut-être pas assez, c’est le texte qui, lors de son examen à l’ultime session de la Commission centrale préparatoire (juin 1962), a suscité le plus de controverses. Deux textes d’orientation différente sur le même sujet s’affrontaient alors : celui préparé par la Commission théologique et rédigé par Gagnebet, et un autre préparé par les soins du Secrétariat pour l’Unité des chrétiens. Cette passe d’armes annonçait les débats orageux qui auraient lieu par la suite lors du Concile, ainsi que les difficultés à concilier deux thèses (et plus encore à faire travailler ensemble deux organismes conciliaires) représentants chacune une tendance particulière. En fait, derrière ce débat, c’est toute la question de la situation de l’Église dans la société, de son rapport à l’État et de sa capacité à vivre dans un monde pluraliste qui est en cause.

S. Scatena reconstruit patiemment et méticuleusement cet épuisant débat, ne ménageant pas les débats souterrains, les pressions exercées sur le pape Paul VI, les coups de théâtre, alors que le vote est ajourné, reporté et finalement obtenu. Le difficile iter conciliaire de ce texte annonçait les débats et clivages de l’après-Concile et les oppositions qui perdurent encore aujourd’hui. Certes, l’Église catholique, Jean-Paul II en particulier, fidèle aux positions prises par l’épiscopat polonais au moment du Concile, a su tirer parti de l’engagement de l’Église catholique en faveur de la liberté religieuse. Encore aujourd’hui, elle revendique la liberté religieuse dans les pays où les chrétiens sont victimes de persécution. Toutefois, encore aujourd’hui, la liberté religieuse effraie et elle est répudiée par une frange de catholiques qui y voient une menace au principe du « droit à la vérité » ou du droit à la protection de la vraie religion.

Cet ouvrage éclairant qui retrace le développement de l’orientation décisive prise par Vatican II sur la question de la liberté religieuse est fort utile alors que le débat (ou la contestation) se poursuit dans l’Église catholique à propos de la reconnaissance de ce droit. Certes, le principe est généralement bien reçu. Toutefois, son interprétation et sa mise en oeuvre demeurent encore aujourd’hui objet de controverse.

Ces deux monographies sonnent en quelque sorte le glas des études sur la rédaction des textes conciliaires. Cela ne signifie pas qu’il ne reste plus d’études à conduire sur le sujet. En effet, nous l’avons signalé, plusieurs textes attendent encore une étude décisive sur l’histoire de leur rédaction. De plus, comme l’indique l’ouvrage de K. Schelkens recensé dans cette chronique, de nouveaux travaux peuvent conduire plus loin ceux menés il y a maintenant dix ou quinze ans, et approfondir, grâce à la consultation de nouvelles sources, et sans toutefois les contredire de manière substantielle, des travaux déjà réalisés. Toutefois, on constate que l’intérêt s’est aujourd’hui déplacé, alors que l’on approche de la célébration du cinquantième anniversaire de l’ouverture du Concile. La recherche actuelle, si elle est moins portée sur l’histoire de la rédaction des textes, bénéficie toutefois de ces monographies et y trouve encore aujourd’hui de solides fondements pour d’autres travaux. Bien plus, elle ne peut s’émanciper de ce travail exigeant sur l’histoire de la rédaction des textes conciliaires si elle veut être fidèle au Concile et ne pas s’abandonner à des spéculations gratuites sur l’interprétation des textes conciliaires. Hervé Legrand a déjà vigoureusement plaidé en faveur d’une histoire doctrinale de Vatican II. Les travaux sur le Concile ne peuvent pas s’y réduire, certes, mais cette histoire doctrinale doit reposer sur un travail de fond sur les sources et sur une histoire de la rédaction des textes telle qu’elle a été conduite dans ces monographies dont il faut saluer la publication.

Gilles Routhier

26. Matthias Fallert, Mitarbeiter der Bischöfe. Das Zueinander des bischöflichen und priesterlichen Amtes auf und nach dem Zweiten Vatikanischen Konzil. Würzburg, Echter Verlag (coll. « Studien zur systematischen und spirituellen Theologie », 44), 2007, xi-436 p.

Cette thèse, soutenue à la Grégorienne en 2006, est intéressante pour deux raisons. Premièrement, elle traite d’un sujet qui détermine largement la vie de l’Église, à savoir les ministères d’évêque et de prêtre/presbyter (comme l’auteur le précise, à partir de Vatican II, le deuxième terme saisit mieux la signification du ministère qu’il désigne, p. 138 et suiv.). Deuxièmement, la relation entre ces deux ministères n’ayant pas été clarifiée de manière définitive par le Concile Vatican II, il s’agit là d’un sujet qui renvoie de manière particulièrement nette, au-delà du Concile, à la question d’une part de son enracinement dans la Tradition, et d’autre part de son interprétation et de sa réception.

Dès le commencement, Fallert esquisse le développement de la question jusqu’à Vatican II, présentant ainsi les solutions divergentes proposées au cours de l’histoire au problème de la relation entre les ministères d’évêque et de presbytre. Ainsi, Vatican II s’inscrivant dans une longue histoire, le sujet en question renvoie à l’historicité de l’Église et aux conséquences ecclésiologiques et pastorales qui en résultent. Un deuxième chapitre examine les documents de Vatican II qui situent la question des ministères dans une approche ecclésiologique elle-même fondée christologiquement (p. 62 et suiv.). Fallert examine d’abord, sous l’angle de leurs relations mutuelles, les énoncés conciliaires relatifs aux évêques, puis ceux concernant les presbytres. Le ministère de ces derniers est certes concrètement rendu possible à partir de l’épiscopat — dont Vatican II met en lumière la sacramentalité comme « Ermöglichungsgrund » (p. 149 et suiv.) —, mais aussi conçu à partir de son fondement christologique, ce qui empêche de considérer les presbytres comme de simples délégués de l’évêque. D’une manière pondérée et équilibrée, Fallert fait écho aux questions articulées autour du Concile sur un possible « épiscopalisme » (p. 197), qui résulterait du souci des Pères conciliaires de ne pas décrire le rôle des prêtres de manière trop indépendante par rapport à celui de l’évêque. Comme Fallert le montre dans un bilan intermédiaire, Vatican II a présenté des éléments décisifs pour une théologie des ministères, notamment leur enracinement dans une vision de participation baptismale au munus triplex du Christ, ainsi que dans une certaine idée de la sacra potestas. Ce faisant, Fallert montre qu’à la suite de Vatican II, la dimension collégiale, communionnelle, et, plus concrètement encore, synodale, est indispensable à la vie de l’Église (p. 156 et suiv., 352 et suiv. et 360). Vatican II a cependant aussi laissé ouvertes des questions, et non les moindres (la différence fondamentale entre le ministère d’évêque et de presbyter ; la participation du presbyter au ministère épiscopal ; une certaine dépendance (« Verwiesenheit », p. 199) de l’évêque de son presbyterium ; la notion de sacra potestas, le statut des évêques auxiliaires ; le presbyter comme point de liaison entre l’Église diocésaine et la communauté eucharistique ; l’application de la notion de causa instrumentalis au ministère épiscopal, par rapport à celui du presbyter). On pourrait ajouter à cette liste de questions celle des conséquences systématiques et pratiques résultant de la réintroduction du diaconat permanent. Vu l’impact des questions ouvertes, on lit avec intérêt l’analyse des documents magistériels postconciliaires, ainsi que des écrits d’éminents théologiens allemands (Karl Rahner, Joseph Ratzinger, Walter Kasper, Karl Lehmann). Entre ces deux chapitres, qui témoignent d’ailleurs d’une attention moindre portée après le Concile à la question de la relation entre épiscopat et presbytérat, Fallert analyse les textes et les rites de la liturgie de l’ordination, rendant ainsi justice au locus theologicus qu’est la liturgie. Enfin, à la fin de son étude, Fallert tente de dégager des perspectives, en développant d’abord des points de repère pour une « théologie du ministère presbytéral dans une perspective épiscopale », et en discutant ensuite de questions concrètes (par exemple la collaboration entre l’évêque et les presbytres dans des grands diocèses allemands, qui nécessite des institutions et des mécanismes), loin de n’être pour autant que des questions purement pratiques.

Les chercheurs sur Vatican II s’intéresseront sans doute plus particulièrement au chapitre II, qui évalue la genèse des textes conciliaires en question (LG, CD, PO), et qui en donne une interprétation d’ensemble. Si cette dernière ne cache pas les limites de la théologie conciliaire dans ce domaine, elle met aussi en garde contre la tentative de vouloir trouver dans le Concile des réponses directes à des problèmes que Vatican II n’a pas résolus, ou encore à des questions qui ne se sont pas posées de la même manière pendant le Concile que par la suite, du fait qu’elles fassent pour ainsi dire déjà partie de la réception conciliaire. Or, ce sont précisément ces limites des documents conciliaires qui sont importantes sur un plan herméneutique. Ainsi, comme le dit Karl Josef Becker, cité par Fallert dans l’introduction de son étude : Vatican II n’est pas simplement une fin, mais aussi un début. Et la théologie, qui doit certes respecter les textes conciliaires, a, selon Becker, un champ libre pour la réflexion dans ce domaine (« Die Theologie hat hier im Rahmen der Konzilstexte freies Feld », p. 3). Si l’on accepte ce diagnostic de Becker, mais aussi les résultats des analyses historiques, on n’admet pas seulement la légitimité d’une réflexion sur un point technique ou canonique, car, comme Fallert l’a bien montré, la question des ministères engage l’ensemble de l’ecclésiologie, et, à travers elle, les fondements christologiques de l’Église. Si on avait pu souhaiter une prise en considération plus importante de GS et de AA, ou des problèmes oecuméniques, la thèse de Fallert qui doit, comme chaque thèse limiter son champ de recherche, a le mérite incontestable de contribuer à l’herméneutique conciliaire. Elle y contribue dans la mesure où elle amène des éléments de discussion fort suggestifs, dans un débat autour de la continuité et de la discontinuité, et à partir d’une question aussi centrale qu’épineuse, à laquelle l’Église dans l’ensemble de son histoire n’a guère répondu de manière définitive.

Michael Quisinsky

27. Maike Hartmann, Bistumspresse während des Zweiten Vatikanischen Konzils. Münster, Dialogverlag (coll. « Junges Forum Geschichte », 3), 2009, 188 p.

Si un certain nombre d’études ont déjà été entreprises pour mieux connaître l’histoire de la réception de Vatican II dans le diocèse de Münster (Allemagne), ce travail d’« examen d’État » (comparable à une « maîtrise »), consacré à la revue diocésaine de ce même diocèse, apporte de nouveaux éléments importants pour l’ensemble de l’historiographie germanophone du Concile, et ceci tant sur la forme que sur le fond. En analysant la revue diocésaine Kirche und Leben, Maike Hartmann veut contribuer à une meilleure compréhension de ce que les croyants ont « reçu » de Vatican II. Le plan de ce travail est très pertinent et ne se contente pas d’une simple chronologie, ou d’approches unilatérales. Ainsi, après un premier chapitre consacré à la phase préparatoire et à la nomination à Münster de Mgr Höffner comme évêque diocésain (suite au décès de Mgr Michael Keller), Hartmann analyse dans un deuxième chapitre les commentaires parus dans Kirche und Leben sur Sacrosanctum Concilium, Lumen Gentium et Dignitatis Humanae. Si les deux premières constitutions ont suscité un vif intérêt chez les fidèles, l’intérêt pour la déclaration Dignitatis Humanae a été moins manifeste dans cette région très catholique. Le choix de ces trois textes permet donc à Hartmann de montrer dans quelle mesure le caractère tout à la fois concret et global de Vatican II a pu influer sur les mentalités au sein d’un diocèse. Un troisième chapitre est consacré à Mgr Joseph Höffner, professeur à Münster, et devenu évêque à la veille du Concile. Progressivement, il a marqué de son empreinte la couverture de Vatican II par sa revue diocésaine. À côté de l’évêque diocésain de plus en plus influent, d’autres auteurs comme notamment le jésuite Wolfgang Seibel, envoyé spécial des Stimmen der Zeit au Concile (et en 2009 un commentateur engagé des discussions autour de Vatican II suite à la levée de l’excommunication des quatre évêques lefebvristes par Benoît XVI) sont de moins en moins sollicités. Il faut aussi mentionner les articles de Mgr Walther Kampe, évêque auxiliaire de Limbourg, qui exerça pendant le Concile un rôle important au niveau des médias. Enfin, un quatrième chapitre évalue les bilans de Vatican II pour Mgr Höffner, ainsi que pour le professeur de Münster, Joseph Ratzinger, dont Kirche und Leben faisait écho. Une conclusion résume fort heureusement les acquis de cette importante recherche.

Si les analyses sont menées de manière très détaillées, comme en témoigne d’ailleurs la liste de tous les articles parus au sujet de Vatican II dans Kirche und Leben entre 1959 et 1966 (p. 151-182), elles permettent aussi quelques observations qui mériteraient d’être retenues pour l’ensemble de l’historiographie de Vatican II. Ainsi, on aperçoit la relation complexe entre les attentes des fidèles envers Vatican II et la politique d’information de ce Concile qui a, au-delà des aspects historiographiques, une dimension ecclésiologique majeure. D’ailleurs, Hartmann problématise à juste titre l’ambiguïté entre, d’une part, l’appel à la participation active des fidèles à la vie de l’Église et, d’autre part, la position de certains évêques qui proposaient la prière comme unique moyen concret de participation au Concile (p. 20, 32, 41). Certes, la prière doit jouer un rôle primordial dans la vie des chrétiens, mais les discussions dans les paroisses à propos de Vatican II et de sa réception, telles que suggérées par Mgr Höffner (p. 74), et, le cas échéant, les conclusions tirées de ces discussions, ne peuvent pas être séparées de cette dimension spirituelle, si du moins on ne veut pas compromettre l’idée même de la prière et de la spiritualité dans leur dimension ecclésiale. C’est d’ailleurs ce que montrent aussi les articles du chanoine Wilhelm Stammkötter (voir surtout p. 90-95) destinés à préparer la réception concrète de Vatican II, et qui invitent à un aggiornamento résolu au niveau diocésain. Toujours dans ce domaine de la communication intra-ecclésiale, il faut mentionner un certain changement de perspective de Mgr Höffner : très optimiste au début du Concile (p. 46), il devient relativement sceptique vers sa fin (p. 111, 128). Ceci est révélateur tant pour les problèmes théologiques rencontrés par le Concile lui-même (au-delà des différences désormais bien connues entre les épiscopats et théologiens allemands d’un côté, et français de l’autre), que pour sa réception, dont Mgr Höffner (successeur du cardinal Frings à la tête de l’archidiocèse de Cologne en 1969, et, suite au cardinal Döpfner, dès 1976 président de la conférence épiscopale allemande jusqu’à sa mort en 1987) est un acteur non négligeable. Notons que Mgr Höffner était particulièrement content de la concélébration instaurée par les réformes liturgiques de Vatican II, dans la mesure où sa cathédrale avait été restaurée après la Deuxième Guerre mondiale sous l’influence du mouvement liturgique, avec une position centrale de l’autel (p. 110). Ce détail est tout sauf anecdotique, car il renvoie aussi à la « réception » par l’Église universelle de la vie chrétienne dans les Églises locales.

Sur le plan médiatique, Hartmann donne des éléments très précieux sur le rapport entre presse générale et presse diocésaine. Selon Hartmann, Kirche und Leben a opté, après une phase d’irritation au début du Concile, pour une ligne éditoriale favorisant le rôle participatif de tous les croyants à la vie de l’Église, reprenant ainsi une intuition majeure de Vatican II (p. 143). Ceci dit, la presse diocésaine commentait souvent en profondeur des sujets déjà abordés dans la presse quotidienne, non sans essayer ici et là de corriger d’un point de vue ecclésial une perception « du dehors ». A-t-on mesuré à l’époque que ce mode de fonctionnement n’était pas seulement pragmatique, mais impliquait aussi des questions quant à une certaine dichotomie éventuelle entre « regard de l’intérieur » et « regard de l’extérieur » ? Il me semble que d’autres analyses de cette problématique pourraient être très utiles non seulement pour mieux comprendre la réception de Vatican II, mais plus profondément encore pour mieux saisir le rapport « vécu » par les chrétiens entre « Église » et « monde ».

Michael Quisinsky

28. Philippe Levillain, Rome n’est plus dans Rome. Mgr Lefebvre et son église. Paris, Perrin, 2010, 456 p.

Philippe Levillain est professeur émérite d’histoire contemporaine à l’Université Paris X-Nanterre. Il est membre du Comité pontifical des sciences historiques et de l’Institut universitaire de France. Auteur de plusieurs ouvrages sur le Saint-Siège, il a dirigé le Dictionnaire historique de la papauté, et il anime les Lundis de l’Histoire sur France Culture. En 1975, il a fait paraître chez Beauchesne un ouvrage qui a marqué l’historiographie du Concile, La mécanique politique de Vatican II. La majorité et l’unanimité dans le Concile. Son dernier livre, Rome n’est plus dans Rome. Mgr Lefebvre et son église vient de paraître, en septembre 2010, chez Perrin.

Vu les titres, l’expérience et l’audience de ce spécialiste de l’histoire ecclésiastique, son livre ne peut laisser indifférent l’historien de l’Église contemporaine. Cependant, un premier regard laisse voir immédiatement que l’ouvrage a été écrit par un auteur qui ne connaissait ni ne maîtrisait bien son sujet. La bibliographie, tout d’abord, occulte plusieurs ouvrages essentiels. Dans les livres qu’il a classés dans la catégorie « ouvrages sur Monseigneur Lefebvre », l’auteur en a répertorié plusieurs qui n’ont aucun lien direct avec le sujet, et il en a ignoré plusieurs, pourtant fondamentaux : Jean-Anne Chalet, Monseigneur Lefebvre. Dossier complet (Pygmalion, 1976) ; Roland Gaucher, Monseigneur Lefebvre, combat pour l’Église (Albatros, 1976) ; Jean Anzevui, Le drame d’Écône. Analyse et dossier (Valprint, 1976) ; Yves Congar, La crise dans l’Église et Mgr Lefebvre (Cerf, 1976) ; José Hanu, Non, mais oui à l’Église catholique et romaine. Entretiens avec Mgr Marcel Lefebvre (Stock, 1977), etc. L’éditeur signale toutefois, en quatrième de couverture, que l’auteur a eu accès à des « archives inaccessibles jusque-là ». C’est à la fin de l’introduction et dans les « Remerciements » de l’auteur que l’on trouve les centres « inaccessibles » qu’il a visités. Il s’agit des archives des spiritains de Chevilly-Larue, les archives du Séminaire français de Rome, ainsi que les fonds du Centre national des Archives de l’Église de France ! Cependant, le moins que l’on puisse dire, c’est que l’ouvrage n’impressionne guère par ses références et que l’on peut se demander si les affirmations gratuites, les imprécisions et les contradictions l’emportent sur les erreurs factuelles.

Ces dernières sont en effet impressionnantes et ne sont pas sans laisser perplexe. En voici une liste partielle. Selon ce spécialiste d’histoire ecclésiastique — pour qui le Grand Schisme aurait eu lieu en 1095 (p. 382) et pour qui le schisme des vieux-catholiques aurait pris fin en 1878 (p. 15) —, Mgr Antonio de Castro Mayer, évêque diocésain du diocèse de Campos au Brésil, aurait été membre de la Fraternité Saint-Pie X et le fondateur du Coetus Internationalis Patrum (p. 214), tandis que Mgr Lefebvre aurait présidé le groupe d’une façon plutôt honorifique et se serait exprimé sans éclat au Concile (p. 18) ! C’est bien mal connaître l’histoire du Concile et les recherches récentes. Philippe Levillain transforme également le peritus conciliaire de Mgr Lefebvre, l’abbé Victor-Alain Berto (p. 439), en spiritain, alors que des membres de la Congrégation du Saint-Esprit ont précisément reproché à Mgr Lefebvre de ne pas avoir choisi un membre de sa Congrégation. Mais l’auteur n’en est pas à une erreur près, lui qui fait du cardinal Journet un jésuite (p. 279) et de François Ducaud Bourget un évêque qui aurait ordonné illicitement des prêtres en 1976 (p. 285) : le personnage en question était prêtre de l’archidiocèse de Paris ! Et ce ne sont là que des exemples, parmi plusieurs autres que nous avons relevés… sans compter les contradictions. Ainsi, à la veille de la levée des excommunications des évêques de la FSSPX par Benoît XVI (2009), la société aurait compté 1 500 prêtres (p. 376), mais seulement 491 quelques pages plus loin (p. 385). Selon les statistiques qui se trouvent sur le site officiel de la FSSPX, la société compte actuellement 529 prêtres.

Comme si ces erreurs factuelles, ces imprécisions et ces contradictions ne suffisaient pas, l’ouvrage est écrit dans un style effroyable, difficilement lisible, parfois même incompréhensible. Voici quelques exemples. Ainsi, « Mgr Lefebvre se voulait prophète du futur du passé et il pouvait être éloquent » (p. 25). Ou encore : « La thèse [de la FSSPX] s’est même simplifiée avec les années ; il appartient au Saint-Siège, donc au pape lui-même, de renier l’oeuvre de Vatican II et, en quelque sorte, de donner à la Fraternité les signes qui lui permettent de lever l’excommunication prononcée par elle contre lui par l’existence même du mouvement légitime et populaire né du comportement inspiré de Mgr Lefebvre » (p. 22).

À tout cela, il faut ajouter une agaçante partialité. Un historien peut-il considérer objectivement que Marcel Lefebvre « aimait se surendetter de confiance comme un consommateur frénétique de considération, un assoiffé de satisfaction d’amour-propre » (p. 283) ?

Affirmations gratuites et partialité, erreurs factuelles, imprécisions, contradictions, style parfois incompréhensible, cet ouvrage rassemble plusieurs défauts que l’historien doit éviter.

Philippe J. Roy

29. Stefan Nacke, Die Kirche in der Weltgesellschaft. Das II. Vatikanische Konzil und die Globalisierung des Katholizismus. Wiesbaden, VS Verlag für Sozialwissenschaften, 2010, 384 p.

Cette thèse de doctorat sur Vatican II n’a pas été rédigée au sein d’une Faculté de théologie, mais dans une Faculté de sociologie (en l’occurrence celle de Bielefeld). Son intérêt est d’opérer une « observation de deuxième ordre » (p. 42), c’est-à-dire d’analyser de l’extérieur (de manière sociologique) la description de Vatican II, que la théologie entreprend pour sa part de l’intérieur (« Fremdbeschreibung theologischer Selbstbeschreibung », ibid.). L’auteur tente d’expliquer ainsi un processus dont la dynamique mène d’une Église conçue comme une societas perfecta, et par là même comme une société de contraste (« Kirche als Gegengesellschaft »), vers une Église de la société mondiale (« Kirche der Weltgesellschaft »). Ce faisant, et tout en étant conscient de la dispute autour de la continuité et de la discontinuité de Vatican II, Nacke opte pour la démonstration du « potentiel d’innovation » (p. 37) du Concile. Les dix chapitres de ce livre sont répartis en trois parties, dont la première n’est constituée que par un seul chapitre, consacré par l’auteur au procédé de son travail. Ensuite, cinq chapitres constituent une deuxième partie décrivant le Concile même, et quatre autres chapitres forment une troisième partie qui analyse « la mondialisation du catholicisme » déclenchée par Vatican II.

Dans la première partie, l’auteur décrit le Concile comme événement. Il se réfère abondamment à des ouvrages et articles historiques et théologiques qui sont, pour ainsi dire, devenus « classiques ». C’est pourquoi on pourrait être tenté de reprocher à ces chapitres de ne pas livrer de nouvelles informations sur le déroulement du Concile. Un tel reproche ne serait cependant pas justifié, car Nacke, suite à sa méthode sociologique consistant à décrire depuis l’extérieur les énoncés théologiques, place ces mêmes textes dans une perspective parfois surprenante, dévoilant avec des critères et descriptifs sociologiques, des mécanismes, des constellations, et des résultats que des théologiens de métier ne remarquent pas forcément. Dans sa deuxième partie, Nacke entend démontrer comment cette « mondialisation », qu’il voit inaugurée par Vatican II, se fait voir dans l’Église postconciliaire. Contrairement à la première partie, Nacke n’analyse plus un événement, mais « ses résultats écrits » (p. 217). Concrètement, il se consacre à des questions qui touchent désormais l’Église considérée comme partie prenante du monde globalisé ; à savoir : l’écologie, la question sociale et le pluralisme religieux.

Dans une perspective théologique, les résultats de Nacke méritent attention pour plusieurs raisons, qu’il s’agirait peut-être de formuler sous forme de questions. Tout d’abord, ces résultats prétendent que pratiquement (comme événement) et intentionnellement (par la théologie de ses documents), Vatican II a mis fin au modèle de société de contraste. L’Église a accepté de se considérer comme une partie du monde à l’échelle planétaire, et ne peut donc plus concevoir sa foi uniquement en fonction de telle ou telle société sur laquelle elle s’appuierait, ou contre laquelle elle voudrait se dresser en contraste. Ceci dit, il s’agit de se demander comment cette orientation « globale » de Vatican II, discernée par le recours à la sociologie, est enracinée théologiquement, afin de discerner ensuite quelles en sont les conséquences, mais aussi les limites (dans la mesure où l’Église n’est pas seulement universelle, mais se réalise aussi en un lieu particulier). Deuxièmement, et à l’instar de cette thèse, ce n’est pas seulement une Église dans le monde qui tente de saisir le monde, mais c’est aussi le monde dont l’Église fait partie qui tente de saisir l’Église. La théologie ne peut donc pas seulement intégrer des acquis sociologiques ou autres pour des raisons apologétiques, mais elle doit aussi se laisser défier par les répercussions épistémologiques d’une telle intégration. Il faut en outre se demander comment cette interdisciplinarité de fait peut être prise en considération ecclésiologiquement, afin de discerner quelles en sont les chances et les questions nouvelles (ces dernières survenant du fait que chaque épistémologie théologique lie les dimensions de la foi et de la raison). D’une certaine manière, ces deux questions théologiques, qui s’appuient sur des acquis sociologiques, correspondent à la conclusion sociologique s’appuyant elle-même sur des acquis théologiques (p. 350). D’ailleurs, on aurait pu souhaiter, grâce aux mérites même du procédé méthodologique de Nacke, une prise en considération plus importante de la littérature non germanophone sur Vatican II. En même temps, le regard sociologique sur l’Église mondiale semble se produire à travers les lunettes de la sociologie allemande (Niklas Luhmann et al.). Toutefois, cette observation ne fait que souligner ce qui semble être une conséquence de la conclusion de Nacke lui-même, à savoir que même dans un monde globalisé et dans une Église universelle, nous avons toujours un point de départ concret.

Michael Quisinsky

30. John W. O’Malley, What Happened at Vatican II. Cambridge, Mass., Harvard University Press, 2008, 400 p.

En 2006, John W. O’Malley publiait un retentissant article dans Theological Studies : « Vatican II : Did Anything Happen ? » Le débat suscité par cet article allait conduire, l’année suivante, à la publication d’un ouvrage, sous le même titre, qui rassemblait les éléments principaux de ce débat (voir notre chronique précédente). Le jésuite états-unien approfondit le même sillon en donnant cette fois une réponse à son interrogation : What happened at Vatican II. Le propos ne développe pas plus amplement la thèse du nouveau style mis en avant par Vatican II qu’il ne présente sa rhétorique originale, cette dernière constituant pour notre auteur le trait le plus distinctif du Concile, ainsi que l’élément conférant à l’ensemble son unité. Ce que vise cette fois l’historien de Georgetown c’est, au-delà des nombreux ouvrages spécialisés sur Vatican II, d’offrir « a basic book about the council », « a brief, readable account » (p. 1) de ce qui est arrivé au Concile et, ainsi, de combler une lacune importante dans la littérature se rapportant à Vatican II. Cette synthèse n’a toutefois pas seulement une visée historique. En plus de vouloir fournir un fil conducteur essentiel permettant la reconstruction d’un récit cohérent de cet épisode important de l’histoire de l’Église catholique au xxe siècle, l’auteur se propose d’attirer l’attention sur les questions les plus importantes qui se sont posées à cette occasion, de les resituer dans leur contexte historique et théologique, et enfin de fournir au lecteur quelques clés pour la compréhension de ce que le Concile a désiré accomplir. En somme, il s’agit de parvenir à une intelligence de ce qu’a été le Concile, et à une interprétation de la signification de ce moment dans l’histoire du christianisme. Comme l’annonce le premier chapitre (« Big Perspectives on a Big Meeting »), celui qui raconte veut donc mettre en perspective.

Pour y arriver, l’auteur a recours à deux moyens. Le premier est de situer le Concile sur une longue durée, ce qui nous vaut un chapitre intitulé « The Long Nineteenth Century », qui se poursuit jusqu’à la veille du Concile. Pour O’Malley, ce n’est que replacé sur cet horizon historique que se détachent avec plus de netteté les traits caractéristiques du Concile, et que se découpent avec encore plus de clarté son originalité et sa nouveauté.

Le deuxième moyen mis en oeuvre pour mettre en perspective l’événement et l’enseignement de Vatican II consiste à présenter les idées dans leur genèse et leur développement. Saisir les idées dans leur mouvement nous donne déjà, suivant l’A., une clé de compréhension de leur enseignement, et permet au lecteur de s’en donner une juste interprétation. Même si O’Malley ne consacre pas de chapitre aux phases antepréparatoire et préparatoire, il s’attache à montrer le point de départ de chaque document, les évolutions (parfois les renversements) survenues au cours des débats, et leur point d’arrivée. Dans cette traversée des quatre périodes (chapitre 4 à 7), il ne manque jamais de relever la question du style, qui revient sans cesse dans les débats et qui renvoie au discours du pape Jean XXIII lors de l’ouverture du Concile (chapitre 3). À la ligne de départ, en plus de mettre l’accent sur l’orientation que voulait donner Jean XXIII au Concile, O’Malley nous présente les forces en présence et les protagonistes.

Il s’agit manifestement d’une histoire orientée, au sens premier du terme, c’est-à-dire d’une histoire où les événements sont mis en perspective et en contexte. Finalement, c’est cette contextualisation qui permet au lecteur de les interpréter et d’en saisir toute la signification. Ceci dit, il s’agit d’une reconstruction qui repose sur une information solide et appuyée sur des sources, ainsi que sur une très bonne connaissance, non seulement du Concile Vatican II, mais également de l’histoire du catholicisme.

L’ensemble est complété, en plus d’un index onomastique, d’une chronologie sommaire du Concile Vatican II, ainsi que de courtes biographies de ses participants les plus fréquemment mentionnés. Cela aide les non-spécialistes à circuler avec beaucoup plus d’aisance dans cette histoire destinée à un public cultivé. En somme, cet ouvrage correspond bien aux objectifs fixés par son auteur : offrir une synthèse historique qui soit en mesure, non seulement de présenter à un large public ce qui s’est passé à Vatican II, mais de fournir au lecteur quelques clés pour leur permettre d’interpréter cet événement marquant de l’histoire du christianisme contemporain. Le fait que le volume soit déjà traduit en italien et en français indique bien l’opportunité et la qualité de cet ouvrage, qui propose un récit capable d’intéresser le non-spécialiste tout en ne choquant pas le spécialiste, tant cette narration repose sur une connaissance approfondie du sujet.

Gilles Routhier

31. Ladislas Orsy, Receiving the Council. Theological and Canonical Insights and Debates. Collegeville, Liturgical Press, 2009, 162 p.

Sous ce titre, le canoniste Ladislas Orsy rassemble en un seul recueil divers essais publiés entre 1995 et 2008 dans des revues spécialisées de langue anglaise ou allemande. Ces essais, souvent provocants, obligent les lecteurs à prendre position et à se situer eux-mêmes dans les divers débats. À proprement parler, ces textes portant sur plusieurs aspects de la vie ecclésiale des dernières années (les conférences épiscopales, l’oecuménisme, la réception des lois et la justice dans l’Église), s’ils ont un lien évident avec le Concile, ne sont pas traités ici dans la stricte perspective de la réception de Vatican II, ce dernier demeurant, de ce fait, un horizon global plus qu’une référence directe commandant la réflexion de l’auteur. Dans cet ensemble, l’un des essais les plus intéressants est peut-être la reproduction de la discussion de l’auteur avec le cardinal Ratzinger à propos des doctrines déclarées définitives. Ce texte, qui comporte cinq interventions, nous fait entrer dans un débat important qui n’est probablement pas clos.

La qualité principale des travaux rassemblés ici est de lancer des intuitions qui pourront être reprises et approfondies, de lancer des débats et d’obliger la réflexion sur des questions disputées.

Gilles Routhier

32. Gabriel Richi Alberti, Karol Wojtyla : un estilo conciliar. Las intervenciones de K. Wojtyla en el Concilio Vaticano II. Madrid, Facultad de Teología San Dámaso (coll. « Studia Theologica Matritensia », 16), 2010, 462 p.

Hormis quelques articles (J. Grootaers et A. Scola) et une thèse doctorale peu diffusée sur sa contribution à l’ecclésiologie conciliaire (Pereira), la contribution de K. Wojtyla au Concile Vatican II n’a été étudiée que de manière oblique, à travers les synthèses et les monographies consacrées au Concile. Dans ces travaux, on s’est surtout intéressé à ses contributions au débat sur la liberté religieuse, et à la constitution pastorale sur l’Église dans le monde de ce temps. De fait, il s’agit sans doute là des apports les plus importants de Wojtyla au Concile, comme en témoigne le fait que l’étude des interventions de Wojtyla à Gaudium et Spes occupe à elle seule 125 pages du présent ouvrage, alors que celle sur la liberté religieuse, quelque 70 pages. Toutefois, loin s’en faut, les contributions de K. Wojtyla à Vatican II ne s’arrêtent pas là. L’étude que nous présente ici Gabriel Richi Alberti est donc très pertinente, car il est d’un grand intérêt de relire aujourd’hui les prises de position conciliaires de K.W. sur des sujets aussi variés que la liturgie (à la p. 87 on aurait dû lire « Sagrada liturgia » au lieu de « Sagrada Escritura »), la Vierge Marie, la vocation à la sainteté, l’apostolat des laïcs, la constitution hiérarchique de l’Église, les prêtres, ou l’oecuménisme, autant de sujets sur lesquels il a pris position par la suite au cours de son long pontificat.

Cette étude, essentiellement basée sur les interventions orales faites in aula, ainsi que sur les remarques écrites et les propositions d’amendements envoyées aux diverses commissions, a pour objet de discerner, à travers ces textes, le « style théologique » de l’évêque de Cracovie. La notion de style théologique est ici construite (p. 37-39) à partir de l’étude de Balthasar sur le style ecclésiastique et le style laïcal, et non à partir des études actuelles sur le style de Vatican II. À partir de la relecture des interventions de K.W. présentées dans la deuxième partie de l’ouvrage, G.R.A. retient quatre traits caractéristiques du style théologique de l’évêque polonais : une vision unitaire du mystère de Dieu et du mystère de l’homme, une ecclésiologie théologique située sur un horizon salvifique, un personnalisme chrétien qui incorpore la dimension religieuse dans la personne qui a une vocation à la sainteté et à la responsabilité, et le témoignage prophétique comme vocation ultime du chrétien et de l’Église.

Cette caractérisation du style théologique de Karol Wojtyla se présente comme la conclusion de l’étude, même si elle est située au début du volume (p. 40-46). Tout le reste consiste essentiellement à offrir aux lecteurs les 23 interventions conciliaires (8 interventions orales, 11 remarques écrites, et 3 modi) de K.W., depuis la phase antepréparatoire (vota) jusqu’à la fin du Concile. Chacun des textes est brièvement présenté, à la suite de quoi il est recopié à partir des Acta synodalia ou des synopses préparées par F. Gil Hellín, avec traduction espagnole en regard.

L’originalité de ce livre réside d’une part dans sa problématique (rechercher le style théologique d’un père conciliaire à partir de ses interventions), et son intérêt dans la restitution de l’ensemble des interventions de Wojtyla. Il ne faut pas s’attendre à une histoire de la participation de l’archevêque de Cracovie au Concile, l’ensemble demeurant peu contextualisé. De plus, on n’a pas recours ici aux archives conciliaires de K.W. ou aux autres fonds d’archives conciliaires. On ne fait pas appel à la correspondance, ni aux procès-verbaux des commissions. On regrettera également que l’auteur ne renvoie pas à l’ouvrage de Karol Wojtyla, Aux sources du renouveau. Étude sur la mise en oeuvre du Concile Vatican II (original polonais 1972). L’ensemble est suivi d’un index onomastique et d’une bibliographie.

Gilles Routhier

33. Paul-Werner Scheele, Als Journalist beim Konzil. Erfahrungen und Erkenntnisse in der 3. Session. Mit einem Beitrag von Karl Hillenbrand : Das Konzil und seine Folgen. Würzburg, Echter Verlag, 2010, 174 p.

L’ancien évêque de Würzburg, Mgr Paul-Werner Scheele, publie ici ses contributions hebdomadaires parues lors de la troisième session conciliaire dans la revue allemande Echo der Zeit. En fait, Scheele remplaça pendant cette session clé (p. 16) le jésuite Wolfgang Seibel, commentateur connu de Vatican II en Allemagne. Collaborateur du Johann-Adam-Möhler-Institut de Paderborn, Scheele profita des contacts entretenus avec le secrétariat du cardinal Bea (p. 15) par Eduard Stakemeier, directeur de cet institut, et par le futur cardinal Lorenz Jaeger, archevêque de Paderborn. S’il en résulte pour Scheele une sensibilité particulière pour la dimension oecuménique du Concile, il en saisit un certain nombre d’autres aspects essentiels, notamment l’interférence très complexe, et pas toujours harmonieuse, des différents niveaux conciliaires, sans pour autant la considérer comme un point négatif, au contraire (p. 140). Il renvoie au dominicain canadien Bernard Lambert (p. 18, 92), dont il adopte la formule d’après laquelle Vatican II entraînerait l’accélération de l’histoire de l’Église. Les propos de Mgr Scheele témoignent de la responsabilité qui en découle pour chaque chrétien.

Tout en étant marqué par un souci d’objectivité et d’équilibre, le « journaliste » Scheele — au demeurant théologien remarquable — laisse paraître ici ou là son propre point de vue, ce qui a le mérite d’introduire ses lecteurs dans des dimensions théologiques et historiques plus profondes. Il renvoie ainsi à l’héritage de théologiens jadis suspects (Möhler, Schell, Newman, Blondel, p. 53), ou au fait que le Concile ne peut être qu’un début (p. 89). Il prolonge pour ainsi dire en tant que journaliste l’attitude du Concile, qui consiste à valoriser les aspects positifs plutôt que d’en rester à une critique négative et défensive. Si l’on considère les différences franco-allemandes autour de la rédaction de Gaudium et Spes, on remarquera que Scheele met la Croix au centre de sa perception du Concile (p. 32 et suiv.), tout en faisant preuve d’un optimisme pondéré dans sa façon de voir l’Église et le monde. Marqué par l’ambiance conciliaire, il reste optimiste même lorsqu’il constate qu’on a parfois l’impression d’être confronté à deux mondes différents au sein même de l’Église (p. 49), ou encore lorsqu’il évoque la difficulté de parvenir à une conclusion équilibrée sur des sujets aussi complexes que celui des rapports Église-monde, ou de la vie chrétienne en famille, qui sont deux sujets qu’il met d’ailleurs en rapport de manière très suggestive (p. 115). Si pour Scheele, le Concile n’est qu’un début, et s’il nécessite une réception par tous les chrétiens (p. 151), ce fait est lié à la nature même de l’aggiornamento voulu par Jean XXIII. Il ne s’agit pas là d’une simple remise à jour fixée une fois pour toutes, mais de l’inauguration d’un processus permanent de mise à jour (p. 46), qui seul permet à l’Église de remplir sa « mission » (p. 130). Parmi les pistes concrètes qu’il aborde pour l’après-Concile, mentionnons à titre d’exemple le refus qu’il oppose, pour des raisons ecclésiologiques, à une conception des prêtres diocésains et de leur formation qui partirait d’un modèle monacal (p. 136).

Karl Hillenbrand, vicaire général du diocèse de Würzburg et ancien supérieur du séminaire diocésain, conclut le volume avec un article dense et suggestif sur le Concile et sa réception. Tout comme Mgr Scheele, il insiste sur la réception comme processus devant concilier ouverture et fidélité, créativité et responsabilité. Comme le dit Mgr Scheele dans son introduction, les deux parties de ce livre veulent aussi être, pour une nouvelle génération de chrétiens, une sorte de témoignage de ce que furent le Concile et les étapes désormais historiques de sa réception, afin de leur permettre de remplir les tâches futures (p. 10 et suiv.). On ne peut que souhaiter que les membres de ces jeunes générations le fassent avec cet habitus conciliaire qui caractérise leurs aînés.

Michael Quisinsky

34. Karim Schelkens, Catholic Theology of Revelation on the Eve of Vatican II. A Redaction History of the Schema De Fontibus Revelationis (1960-1962). Leiden, Brill (coll. « Brill’s Series in Church History », 41), 2010, x-295 p.

La collection « Testi e ricerche di scienze religiose » (Società editrice il Mulino) nous avait déjà offert en 1998 un volume qui retraçait l’histoire de la rédaction de la Constitution conciliaire Dei Verbum. A priori, on aurait donc pu penser que le travail était déjà fait, et que l’ouvrage de R. Burigana suffisait. Pourtant, la lecture de l’ouvrage de K. Schelkens, qui se concentre seulement sur la rédaction du De Fontibus Revelationis au cours de la phase préparatoire, nous convainc qu’il valait la peine d’y revenir, pour alimenter le débat et obliger à poursuivre la réflexion sur des conclusions que l’on croyait acquises et définitives.

L’A. indique clairement, dès l’introduction, que son travail vise à une révision de l’appréciation commune de ce schéma dans l’historiographie actuelle. On a donc affaire à une thèse, et l’histoire de la rédaction du De Fontibus sera le moyen retenu pour démontrer cette thèse. Selon K.S., les historiens ont jugé le schéma à partir des jugements prononcés par les Pères lors du débat en novembre 1962, et non à partir du schéma lui-même. Prenant le revers de ce jugement général, il voudra montrer, à partir de l’histoire de la rédaction, que le schéma n’avait pas tous les défauts qu’on lui attribue, et que le travail de la commission, qui comportait des membres de diverses tendances, n’était pas si unilatéral qu’on a voulu le faire croire.

Le premier chapitre est consacré aux vota de la phase antepréparatoire — en se limitant aux vota belges — situés sur l’horizon des débats liés à la crise moderniste et au renouveau de l’exégèse au xxe siècle. C’est cependant au chapitre II que l’on s’engage de plain-pied dans l’histoire de la rédaction. Pour ce faire, l’A. a eu recours à un grand nombre de sources, et on doit saluer son patient travail d’archives qui donne du fruit. Dix ans après la publication de l’ouvrage de Burigana, on doit dire que les archives apportent des éléments nouveaux et complémentaires qui permettent d’affiner ou de nuancer notre jugement sur un certain nombre de points. Une analyse fine et pointue retrace d’abord, sur près d’une vingtaine de pages, l’histoire de la formation de la commission. Le but est visiblement de démontrer que sa composition était diversifiée, puisqu’elle incluait des biblistes (notamment Cerfaux) et des théologiens d’ouverture (Philips, Delhaye, de Lubac, Congar, etc.).

Une fois établi le caractère pluraliste de la Commission théologique, les chapitres trois, quatre et cinq suivent pas à pas la rédaction du schéma, chacune des périodes étant définie par les réunions plénière de la Commission préparatoire. Le chapitre III est consacré à la première rédaction, à l’été 1960, du schema compendiosum et de ses 13 articles (avec présentation sous forme synoptique des trois premières moutures du texte, ainsi que des réactions des membres et des consulteurs de la Commission théologique à cette première rédaction), jusqu’à la commission plénière du mois d’octobre 1960. Le chapitre IV couvre la période qui va de cette première plenaria d’octobre à la seconde en février 1961. Cette période est non seulement marquée par la première véritable rédaction du De Fontibus par la sous-commission qui en avait la responsabilité, mais également par la polémique entre le Latran et le Biblicum. À la suite de cette rencontre, comme le souligne l’auteur (p. 156), la plenaria de la Commission théologique aura peu d’influence sur le contenu du texte. La sous-commission en avait désormais l’entier contrôle. Enfin, le chapitre V couvre la période qui va de février 1961 à (pratiquement) septembre 1961, période où la commission plénière est à nouveau réunie et révise pour une dernière fois le schéma qui avait pris une forme presque définitive au cours de cette période. Ce chapitre V, en plus de faire état d’une autre controverse romaine, cette fois entre la Commission théologique et le Secrétariat pour l’Unité des chrétiens, nous permet de suivre de manière attentive la rédaction du schéma en sous-commission, cette dernière organisant, au cours de cette période (avril à juin), sept rencontres de travail. C’est au cours de cette période que des théologiens plus sensibles au renouveau ont eu une véritable influence. On pense par exemple à Cerfaux et à Van den Eynde. Comme le démontre l’A., leur présence a certainement fait une différence. Ainsi, des idées « nouvelles » ont pu être introduites dans la trame du schéma, permettant une première réception du renouveau biblique. Le dernier chapitre, « The Final Draft : Reception », s’intéresse surtout à la discussion du schéma par la Commission centrale préparatoire au mois de novembre 1961, après que la plenaria de la Commission théologique eut permis la formulation d’ultimes remarques. La discussion fut monopolisée par les critiques du cardinal Bea, et c’est un euphémisme de dire que le schéma n’y est pas passé comme lettre à la poste, même si, finalement, le vote semble assez favorable, avec toutefois de nombreux iuxta modum. Par la suite, le schéma devait être soumis à la Sous-Commission des amendements, mais il le fut auparavant à une Commission ad hoc, composée de l’équipe rédactionnelle du schéma (en majorité du Saint-Office), chargée d’en réviser le texte. À peu près toutes les suggestions d’amendements ont alors été rejetées. C’est à cette étape que se joue sans doute pour une bonne part l’avenir du schéma. À défaut d’écouter les avis formulés par les membres de la Commission centrale, la Commission théologique (son président et son secrétaire), trop sûre d’elle-même, présentera aux Pères conciliaires un schéma qui n’a pas bénéficié des amendements proposés, et qui auraient pu rendre son texte acceptable. C’est aussi à ce moment que la pluralité d’orientations des personnes engagées dans la rédaction du schéma, si fortement soulignée lors de la présentation du schéma à la Commission centrale, fit complètement défaut.

La reconstruction de cette rédaction est précise, minutieuse, et toujours bien informée. La documentation mise en oeuvre est abondante, et les notes infrapaginales très informatives. Ce travail sur la rédaction du De Fontibus au cours de la phase préparatoire du Concile est de très grande qualité et fort bien construit. C’est là son premier mérite, et il n’est pas négligeable. Malgré tout, je n’ai pas été entièrement convaincu par la thèse présentée en ouverture du volume par l’auteur, et je devrai m’en justifier. Ceci dit, cette traversée oblige le lecteur à réfléchir à nouveaux frais à la question que pose cet ouvrage, à savoir : est-il exact que ce schéma, rédigé par des personnes appartenant à divers horizons théologiques, ait présenté une première réception du renouveau biblique préconciliaire, et qu’il ait été, en quelque sorte, un texte de compromis, fruit des discussions entre ces différents protagonistes de diverses tendances ? C’est là le second mérite de cet ouvrage, et je crois qu’avoir soulevé cette question est encore plus important que d’avoir reconstruit de manière détaillée et minutieuse l’iter de la rédaction du schéma, cette entreprise étant naturellement indispensable si l’on veut répondre à cette question, à laquelle je vais maintenant réfléchir.

Certes, la composition de la commission est pluraliste, l’auteur l’a bien établi dans son premier chapitre. De plus, cela nous sera ultérieurement rappelé à travers les présentations d’Ottaviani et de Tromp à la Commission centrale (p. 236), et répété à nouveau au Concile. C’est là un acquis important, mais ce n’est qu’un élément. Autre chose est l’influence réelle des membres et des consulteurs dans le processus rédactionnel. Pour en avoir une meilleure idée, il faut voir qui sont les personnes qui tiennent la plume et qui écrivent, et cela aux diverses étapes, car il y a des moments cruciaux dans la rédaction d’un texte : d’une part le moment où l’on établit le plan du texte, la table des matières et l’orientation, et d’autre part le moment où on lui donne sa forme définitive. Entre les deux, on va faire des variations sur le thème qui est déjà donné, mais on n’a pas le pouvoir d’orienter le texte. À la lecture de l’ouvrage de K.S., la réponse doit être nuancée. D’une part, et la démonstration est imparable : Cerfaux, Van den Eynde, Vogt et Kerrigan ont joué un rôle non négligeable au moment de la phase rédactionnelle proprement dite, et ont ainsi pu renouveler la pensée à travers des discussions (bien documentées ici) sur un certain nombre de questions. Leur influence laisse réellement des traces dans le schéma et, de ce point de vue, nous souscrivons à la thèse de l’auteur, à savoir que le De Fontibus ne présentait pas simplement une ligne théologique. Il me semble toutefois que leur rôle est moins important aux deux moments cruciaux dont j’ai parlé et, si j’ai bien lu notre auteur, il n’y avait pas de « pluralisme d’orientation théologique » au moment où on a établi l’orientation du texte, et où on a opéré les choix définitifs. C’est peut-être, en définitive, la raison pour laquelle on arrive à un « texte de compromis », ou à un texte qui témoigne de deux types de conceptions de la théologie et de l’exégèse : quelques idées nouvelles insérées dans une trame ancienne.

Il faut également regarder, d’autre part, quels sont ceux qui ont la responsabilité de suivre la rédaction du schéma, qui ont la parole dernière sur son orientation, ou qui font les choix cruciaux lorsqu’il s’agit de trancher. Il nous faut de plus être attentif pour voir qui participe effectivement aux commissions plénières, qui prend la parole (les silences peuvent être interprétés en plusieurs sens, on le sait) et qui envoie des observations écrites. Il est à ce chapitre intéressant de voir Tromp souligner, pour mettre encore plus d’emphase sur la diversité de provenances des membres de la sous-commission de rédaction, qu’en faisaient partie Schmauss (Munich) et Hermaniuk, doctor lovaniensis, qui, ajouta-t-il, participèrent à la dernière plenaria. La participation d’Hermaniuk à l’ultime rencontre de la sous-commission et à la dernière rencontre de la plenaria de la Commission théologique, où le schéma a été présenté (septembre 1961), ne contribue pas, fût-il docteur de Louvain, à ajouter réellement une plus grande diversité de point de vue quand on sait que, après la rencontre de février 1961, les membres de la plenaria n’ont pas eu une réelle influence sur la rédaction du schéma : « From this point on in the redaction history of the schema De Fontibus, the plenary TC was to have little influence on the content of the text » (p. 156). De même, on peut faire valoir qu’Albert Michel, nommé à la sous-commission chargée du De Fontibus n’est pas un théologien romain (p. 140), mais si, dans les faits, il est trop âgé pour participer aux réunions de la commission (n. 120), cela n’accentue pas le caractère pluraliste de la commission. Qui était en mesure de faire un apport réel aux discussions, parfois techniques, et qui exigeaient une familiarité avec le travail théologique ? Je relis en ce sens un passage du Journal conciliaire de Maxim Hermaniuk : « With this I sensed, and this gravely troubled me, that I am unable to work more actively on this Commission. I would be happy if I could more fundamentally study the various questions-problems, which belong to the competence of this Commission and express my personal thoughts about them. But unfortunately, until now this was impossible for me. Maybe, I will have an opportunity during the plenary meeting to do somewhat a bit more on this matter » (28 août 1961).

Il faut également voir comment sont reçues les remarques des uns et des autres, et quelle liberté intérieure avaient les participants à ces réunions pour formuler leur appréciation — chose qui n’est pas facile à déterminer, bien que les journaux conciliaires de de Lubac et de Congar nous en donnent une idée. Suivant le témoignage de Congar, certains acteurs se sont exprimés avec franchise lors des réunions et ont même fait souvent preuve de courage, notamment Philips et Laurentin, dans des styles différents. De Lubac, pour sa part, était très intimidé (se sentant même accusé) et n’osait pas trop intervenir. Par ailleurs, on sait quel cas on faisait de certaines de leurs remarques. Laurentin s’en confesse, Delhaye pensait faire un coup d’éclat et démissionner, devant la difficulté de se faire entendre (Journal Congar, 25 septembre 1961). Congar observe, ce jour-là : « Je vois une grande lassitude chez les consulteurs : on ne fait rien, on ne tient aucun compte de nos remarques ; tout s’est fait entre gens de Rome. Quand j’ai lu les textes et rédigé mes remarques, il y a un mois, j’ai pensé que ces textes étaient définitifs et qu’il ne pouvait être question que de remarques de détail. Il m’était apparu déjà que, tels quels et dans leur ensemble, ils devraient être écrits autrement. Cela m’apparaît plus nettement aujourd’hui ». On pourrait multiplier les témoignages en ce sens, même s’il faut convenir qu’il y a aussi eu, à certaines occasions, des discussions de fond, l’ouvrage de K.S. l’illustre à souhait, en particulier le chapitre IV.

Il faut aussi, avant de conclure, se demander qui contrôle l’information, le calendrier et les ordres du jour, etc. Les calendriers sont très importants. Si on envoie une convocation le 20 janvier pour une rencontre le 13 février (et les schémas quelques jours plus tard — voir p. 151), on n’est pas sûr que celle-ci et ceux-là soient parvenus à destination, au Canada, avant le début du mois de février. On trouve ainsi de manière récurrente dans les archives canadiennes la difficulté qu’avaient les Pères à se préparer à une rencontre dont ils apprenaient l’existence à la dernière minute, malgré les soucis d’organisation d’un voyage à Rome (il fallait mettre à l’époque au moins trois jours de Winnipeg à Rome), et le réaménagement de leur calendrier d’activités. Lorsque Léger, dans une lettre à Frings, déplore le fait que, lorsqu’il a reçu une lettre le convoquant à une réunion de la commission des amendements, la réunion avait déjà eu lieu, on n’est pas surpris, à une autre rencontre, de le voir silencieux (p. 249). Il s’agit autant d’une incapacité à réagir à chaud à des textes qu’il n’a simplement pas eu le temps d’analyser en profondeur, face à la « machine du St-Office », que d’un consentement donné au texte proposé. Je ne donne qu’un autre exemple tiré du Journal conciliaire du Père Congar, en date du 4 mars 1961, lors de la rencontre de la plenaria de la Commission théologique : « Il y a un schéma de Ecclesia, rédigé par Mgr Lattanzi, professeur de théologie fondamentale à l’Université du Latran. Il a fait trois rédactions successives, qui ont toutes été remises aux membres. Mais ceux-ci n’ont reçu ces papiers que le dimanche, veille du jour (le 13 fév., je crois) où se tenait la session. En sorte que les membres et consulteurs n’ont pas pu lire tous les (nombreux) papiers qu’on leur a ainsi remis ». La gestion du calendrier donne un pouvoir à ceux qui le maîtrisent. On peut presser les débats de manière à limiter les interventions, les faire traîner en longueur pour ne pas faire aboutir un texte, ordonner l’agencement des événements de telle sorte que les temps de réflexion, d’approfondissement et de consultation soient télescopés, etc. Un passage du Journal de Hermaniuk donne une indication au sujet de cette gestion du temps : « The secretary of the commission Rev. Fr. Tromp, a Jesuit, at the very beginning let every one clearly understand, that time is limited and there is no need to repetitively digress » (18 septembre 1961). La géographie et les calendriers, les coordonnées d’espace et de temps, ont eu un grand poids dans la participation effective ou non des membres de ces commissions à leurs travaux, et ne sont probablement pas suffisamment pris en compte dans les études sur Vatican II.

Au chapitre du calendrier, j’ai aussi pensé que la réception, finalement pas trop mauvaise à la plenaria de la Commission théologique (voir les jugements de Philips et de Laurentin, p. 224, par exemple) tout comme en Commission centrale préparatoire, tenait également au fait que le De Fontibus fut l’un des premiers textes abouti de cette préparation du Concile. La relative ouverture aux renouveaux théologique et exégétique que l’on y trouve apparaît, à l’automne 1961, comme une véritable victoire. On ne pensait pas alors pouvoir aller plus loin, si bien que l’on se montre satisfait de ce texte. Toutefois, plus on avancera dans la préparation du Concile — l’examen de plus en plus critique des schémas à la Commission centrale préparatoire l’indique, et ce sera encore plus manifeste au cours de la première session du Concile — plus on réalisera que ces petites ouvertures demeurent insuffisantes, si bien que l’on exigera davantage. C’est sans doute ce qui explique le jugement très sévère des Pères qui s’exprimera lors de la première discussion in aula du De Fontibus Revelationis, jugement sur lequel s’appuiera par la suite l’historiographie pour apprécier de manière unilatérale ce schéma. K.S. a raison de nous rappeler que ce jugement a posteriori est anachronique si l’on veut bien apprécier le schéma à sa juste valeur.

En somme, cet ouvrage bien documenté nous impose de réfléchir à nouveaux frais, et c’est ce que l’on attend d’un bon livre. Il pose une question capitale qu’il faut continuer à approfondir à la suite d’Étienne Fouilloux (« Théologiens romains et Vatican II [1959-1962] », Cristianesimo nella Storia, 15 [1994], p. 373-394) : qui est théologien romain, et à partir de quel critère peut-on construire cette catégorie ? Bien plus, il nous invite à nous demander : qui peut travailler de manière fructueuse avec les représentants de l’appareil romain ? La figure de Lucien Cerfaux, qui est très importante dans cette étude, n’a pas cessé de m’intriguer au cours de la lecture de cet ouvrage. Je me suis souvent demandé ce qui le rendait acceptable auprès de Tromp et d’Ottaviani. Enfin, en marge de cette lecture, je me suis mis à penser que K.S. était sans doute le mieux placé pour reconstituer l’ensemble du travail de la Commission théologique préparatoire. Il faudra l’envisager.

Gilles Routhier

35. Ermanno M. Toniolo, La Beata Maria Vergine nel Concilio Vaticano II. Cronistoria del capitolo VIII della Costituzione dogmatica « Lumen Gentium » e sinossi di tutte le redazioni. Roma, Centro di Cultura Mariana « Madre della Chiesa », 2004, 453 p.

36. Cesare Antonelli, Il dibattito su Maria nel Concilio Vaticano II. Percorso redazionale sulla base di nuovi documenti di archivio. Prefazione di Leo Declerck. Padova, Edizioni Messagero, 2009, 614 p.

Le chapitre VIII de Lumen Gentium a déjà fait l’objet de plusieurs études, surtout dans les années qui suivirent immédiatement le Concile. On retient, parmi plusieurs, celle d’un acteur de premier plan, R. Laurentin (La Vierge au Concile), ainsi que les essais de reconstitution historique de G.N. Besutti publiés dans la revue Marianum (« Note di cronaca sul concilio Vaticano II e lo schema De beata Maria Virgine », Marianum, 26 [1964], p. 1-42, et « Nuove note di cronaca sullo schema mariano al concilio Vaticano II », Marianum, 28 [1966], p. 1-203, deux articles qui fondèrent son étude Lo schema mariano al concilio Vaticano II, documentazione e cronaca). Au cours des dernières années, ce sont à nouveau les professeurs du Marianum qui permirent de nouvelles avancées dans la recherche. Parmi ceux-ci, quelques noms retiennent l’attention : Salvatore Perrella qui a particulièrement étudié les vota des évêques italiens en matière mariologique et, pour l’histoire de la rédaction de ce chapitre VIII, Cesare Antonelli, qui a déjà fourni d’importantes contributions (« Le rôle de Mgr Gérard Philips dans la rédaction du chapitre VIII de Lumen Gentium », Marianum, Ephemerides Mariologiae, 55 [1993], p. 17-97 et Nuovi contributi per una storia del Capitolo VIII della Costituzione dogmatica « Lumen Gentium », 2006), et Ermano Toniolo (« Contributo dei Servi di Maria al capitolo VIII della Lumen Gentium », Marianum, 57 [1995], p. 17-238).

Les études présentées ici reprennent et approfondissent la question grâce à l’apport de nouvelles sources (voir la « préface » et les listes des Fonds et diaires d’Antonelli, ainsi que l’index des Fonds et diaires de Toniolo), et représentent ainsi d’importantes contributions à l’histoire du chapitre marial de Vatican II. Le premier ouvrage, celui d’E. Toniolo, qui comporte deux parties (phase préparatoire et phase conciliaire), reprend l’histoire de la rédaction du chapitre VIII depuis la phase préparatoire, tout en ne revenant pas sur les vota de la phase antepréparatoire, comme le fait par contre son collègue Antonelli, qui consacre, dans son premier chapitre, plus d’une vingtaine de pages à l’analyse des vota, par pays ou par continent.

Même si les deux ouvrages portent sur le même objet, ils demeurent complémentaires. Le premier, celui de Toniolo, présente de nombreuses synopses : synopse des notes introductives et des praenotanda, synopse des huit rédactions de la phase préparatoire et des huit autres rédactions de la phase conciliaire, et synopse des notes du chapitre VIII. De plus, le procédé synoptique est largement utilisé dans l’écriture de son ouvrage quand il met en parallèle les textes en cours d’élaboration. On a donc affaire ici à un véritable instrument de travail, qui nous permet d’observer avec beaucoup de finesse l’évolution du texte ou des diverses rédactions mises en avant. Parmi les synopses les plus intéressantes, on trouve celles qui présentent les propositions avancées lors de l’amorce de l’élaboration du second schéma : la proposition Balic (p. 201-210), qui ajoutait des éléments majorants au textus officialis, et le schéma Philips (p. 219-228), qui empruntait des éléments au schéma officiel, mais en modifiant de manière importante la structure de l’exposé.

Quant à l’ouvrage de C. Antonelli, sa structure est quaternaire. Non seulement fait-il une bonne place à la phase antepréparatoire, voire aux développements pré-conciliaires en matière de théologie mariale, mais il accorde aussi une place beaucoup plus grande à la période qui va du mois de juin 1962 (discussion du schéma lors de la dernière session de la Commission centrale préparatoire) au mois de septembre 1963 (ouverture de la deuxième session). Même si le schéma n’a pas été discuté par l’assemblée conciliaire au cours de cette période, les discussions et les divers apports ne sont pas négligeables, comme le montre son long développement (p. 183-301) qui rend compte des évolutions au cours de cette période intermédiaire.

Les deux ouvrages sont solidement construits à partir d’une étude des sources qui sont abondamment citées, sources auxquelles nous n’avons pas toujours facilement accès. À ce titre, les annexes et les sources citées complètent bien ce que nous trouvons déjà dans les Acta synodalia et les journaux conciliaires déjà publiés. Dans cette abondance de sources, on regrettera peut-être que l’histoire de la rédaction n’ait pas fait véritablement de place à l’examen des modi. Certes, on aborde brièvement le traitement des modi et la présentation in aula de l’expansio modorum, mais on ne donne pas au lecteur une idée des modi présentés et rejetés, de même qu’on ne parvient pas à identifier les groupes ou les acteurs derrière ces mêmes modi. Pourtant, c’est là que s’expriment les dernières résistances, probablement celles que l’on retrouve au cours de la période postconciliaire.

En somme, cette histoire de la rédaction a le défaut de sa très grande qualité : elle nous plonge dans le microcosme des commissions, mais n’articule pas suffisamment ce travail rédactionnel au débat in aula et aux réactions des évêques, dont les observations et les remarques ne sont traitées que fort brièvement. Dans les deux cas, l’assemblée conciliaire disparaît presque derrière le travail des commissions, au même titre que l’« agitation » extra aulam. C’est le cas, par exemple, lorsqu’il s’agit du premier vote (29 octobre 1963) au sujet de l’insertion (ou non) du De Beata dans le De Ecclesia. Sur cette effervescence extraconciliaire, Toniolo renvoie à Besutti, au terme d’un bref paragraphe. Son confrère, cependant, y consacre une plus grande attention. L’option pour la reconstruction du travail des commissions montre ici sa limite, lorsqu’elle finit par détacher le travail des commissions de celui de l’assemblée conciliaire. Ce choix était cependant légitime et on n’a pas à le regretter. On a sans doute jugé que les débats in aula étaient suffisamment connus et plus facilement accessibles à partir des Acta, et qu’il était préférable de jeter un peu plus de lumière sur l’histoire qui se déroulait dans l’ombre, et dont les matériaux demeurent largement inédits.

La publication de ces deux ouvrages savants et bien documentés me donne l’occasion de réfléchir plus avant sur l’histoire de Vatican II et sa réception. Tout d’abord, on voit à quel point Vatican II, en raison de son ampleur, est un événement difficile à appréhender et un objet difficile à circonscrire. Il y a, d’une part, une assemblée dont la taille est démesurée, traversée par des courants ; et, d’autre part, un travail en commission qui est complexe et alambiqué en raison du labyrinthe qu’emprunte l’iter d’un schéma (commission, sous-commissions responsables de chapitres particuliers, commission restreinte, commission technique, commission de coordination). Il faut ajouter ensuite le rapport de ces deux acteurs principaux avec les instances de direction (le secrétariat général, les modérateurs, le conseil pour les affaires extraordinaires), et les interactions avec le pape, sur qui on fait pression. Il faut ensuite ajouter les épiscopats, les groupes informels, la presse, l’opinion publique, etc. Un schéma s’élabore à l’intersection des actions de ces divers groupes. En se concentrant seulement sur les travaux in aula, on a une représentation appauvrie du travail conciliaire. Par ailleurs, en prenant pour centre de l’action le travail en commission, on risque de laisser échapper des pièces importantes de ce puzzle qui demeure difficile à appréhender dans sa totalité. L’enjeu d’une appréhension globale de Vatican II n’est pas qu’historique. Je fais l’hypothèse que la réception de Vatican II et de son enseignement en matière de théologie et de culte marial trouverait un nouvel éclairage si l’on prêtait attention aux interventions in aula, aux remarques écrites envoyées à la commission, aux manoeuvres extra aulam et aux modi, voire aux vota préconciliaires. À titre d’exemple, les vota de ceux qui se retrouveront bientôt dans le Coetus Internationalis Patrum et qui s’opposeront par la suite au Concile, réclament la définition de la médiation universelle de la Vierge. On retrouve encore le même groupe d’activistes en marge du vote du 29 octobre 1963. Le cardinal Santos, qui défend la thèse du schéma séparé, est associé au CIP. Entre le 24 et le 29 octobre, alors que Rome est envahie de libelles pour défendre l’une et l’autre position, le CIP s’engage activement dans la lutte, même s’il ne s’affiche pas sous ce nom : distribution d’un texte de Grotti (au nom de plusieurs Pères), action de Berto qui signale qu’il travaille activement pour un texte indépendant et compose des animadversiones circa constitutionem de Beata Maria Virgine, conférence de Ruffini — lui aussi associé au CIP — à des évêques brésiliens sur le sujet, etc. Pendant la deuxième intersession, on voit circuler une pétition pour demander la consécration du monde au coeur immaculé de Marie. Or, derrière cette pétition se trouvent essentiellement Sigaud et Castro Mayer, les brésiliens du CIP, qui ont commencé à la faire circuler à partir de la première intersession. Elle fut envoyée à tous les Pères conciliaires et recueillit 510 signatures avant d’être remise à Paul VI par Sigaud le 3 février 1964. Pendant cette même intersession, en juillet 1964, le CIP envoya à Paul VI une supplique qui lui demandait — entre autres choses — que Marie soit déclarée Mère de l’Église. Pendant la troisième session, la question mariale fit l’objet de deux réunions-conférences du mardi soir organisées par le CIP. Ces quelques faits indiquent l’importance qu’il y a à prêter attention, au-delà des travaux de l’assemblée et des commissions, à l’action des groupes extra aulam. Je crois que les difficultés dans la réception du Concile trouvent là leur origine. De plus, l’analyse des modi, auxquels l’histoire de Vatican II n’a pas prêté suffisamment d’attention jusqu’ici, indiquerait les sources de l’opposition à l’enseignement du Concile.

Ceci dit, ces deux ouvrages, où l’on relève quelques fautes typographiques dans les noms propres, notamment dans l’index du volume d’Antonelli, sont d’une grande importance non seulement lorsque l’on veut comprendre la rédaction du chapitre VIII de Lumen Gentium, mais lorsque l’on veut saisir les enjeux des débats toujours actuels sur des questions sensibles telles que la médiation de Marie, la corédemption (que certains veulent voir définir), voire l’usage du titre « Mère de l’Église ». Ce passage par l’histoire de la rédaction des textes conciliaires montre ici toute son importance.

Gilles Routhier

37. Norbert Weigl, Liturgische Predigt seit dem Zweiten Vatikanischen Konzil. Eine Untersuchung zur Messfeier in der Sonntagspredigt anhand der Zeitschrift « Der Prediger und Katechet ». Regensburg, Verlag Friedrich Pustet (coll. « Studien zur Pastoralliturgie », 21), 2009, 546 p.

La liturgie est une dimension essentielle tant pour le déroulement du Concile, que pour sa réception. Il faut donc saluer la thèse de Norbert Weigl, qui analyse les homélies parues entre 1964 et 2006 dans une revue homilétique fortement répandue en Allemagne, Der Prediger und Katechet. Weigl établit d’abord une définition du terme « liturgische Predigt » à partir du mouvement liturgique, sur une période allant des développements de cette notion depuis l’avant-Concile jusqu’à l’après-Concile (il faut par ailleurs mentionner les nuances entre « Predigt », « liturgische Predigt » et « Homilie »). Après avoir présenté la méthodologie mise en exergue dans l’analyse des sermons-modèles proposés dans Der Prediger und Katechet, Weigl examine d’abord comment les différents auteurs ont discuté la réforme liturgique. Ensuite, il procède à une analyse très complète de la façon dont ces auteurs ont intégré les différentes parties, rites et dimensions de la liturgie dans leurs prédications. En guise de conclusion, Weigl développe des critères pour une homélie liturgique.

Cette étude a le grand mérite de sensibiliser à la nécessité d’une évaluation théologique des prédications dans la vie et la pensée de l’Église. Sans aucun doute, les chercheurs sur Vatican II trouveront-ils beaucoup d’informations dignes d’intérêt, et seront invités à suivre les pistes de recherches qui se dessinent au cours de l’ouvrage, sur la réforme liturgique notamment (p. 182-245). Dans ce chapitre, Weigl dégage beaucoup de pistes de recherches importantes, comme celle, par exemple, des perceptions positives et négatives déclenchées par la réforme. Cependant, les chercheurs feront peut-être une remarque qui entendra moins questionner directement le domaine propre du liturgiste, que renvoyer plutôt à une question de fond, qui aura néanmoins quelques répercussions sur la conception de la théologie liturgique. Or, si Weigl part d’une conception du « liturgische Predigt » qui est enracinée dans le mouvement liturgique, il remarque que Vatican II n’a pas repris telle quelle cette notion (p. 131), et ce en dépit de beaucoup de réminiscences liées à ce mouvement et à sa conception. Dès lors, ce n’est pas Vatican II, mais une certaine conception du « liturgische Predigt », qui sert de critère fondamental pour les conclusions théologiques parsemées au cours de l’analyse. De plus, en parlant du Concile, Weigl part essentiellement de SC, mais ne situe guère cette première constitution de Vatican II dans l’ensemble de ses documents, ce qui le prive, me semble-t-il, d’un moyen de situer plus qu’il ne le fait la liturgie dans l’ensemble de la vie chrétienne. Le risque est en effet que certains passages de cette étude considèrent la liturgie trop unilatéralement « en soi » (voir par exemple, p. 274), au détriment d’une conception plus globale de cette dernière. Si par conséquent, Weigl va jusqu’à dire que la réforme liturgique a été appliquée de manière primordialement extérieure (p. 244), on peut se demander si on peut d’une part exprimer un jugement aussi général en se basant sur les seules prédications, et constater d’autre part, tant sur le plan liturgique que théologique, un nombre assez considérable de lacunes, d’unilatéralismes et de développements, que l’auteur juge d’ailleurs plus souvent à partir de discussions actuelles (par exemple, p. 148, 163, 526 et suiv.) qu’à partir d’une approche basée sur Vatican II. Même si l’on est encore loin d’une vue d’ensemble de l’après-Concile, on peut se demander si pareil jugement peut être fait à partir de prédications-modèles qui, par définition, ne prennent pas en considération certains éléments, comme les changements concrets dans les paroisses, ou des ajouts que les prédicateurs ont peut-être réalisés à partir des modèles proposés par Der Prediger und Katechet. Même si l’on accepte le point de départ de Weigl selon lequel une homélie ne devrait pas seulement partir des textes bibliques (d’ailleurs si peu lus par les catholiques avant Vatican II !), mais du textus sacer (p. 139 et suiv.), comme le font la plupart des prédications analysées, on ne peut qu’être surpris de ce que n’apparaissent pas de manière fréquente et exhaustive dans des prédications-modèles tous les aspects de la liturgie examinés par Weigl (p. 245-343). Finalement, on peut se demander si on n’avait pas davantage intérêt à différencier les sermons à partir de leur date de publication, ou du public visé, vu qu’un sermon de 1964 part d’une situation sociale et religieuse assez différente de celle de 1984, ou de 2004, et qu’on parle différemment aux enfants qu’aux adultes (par exemple, p. 254 et suiv.).

Il faut cependant bien comprendre ces remarques relativement critiques qui ne concernent pas la qualité du livre, mais son éventuelle « réception » par les recherches actuelles sur le Concile. Car, bien que les chercheurs sur le Concile aient sans doute pu le souhaiter, le point de départ du livre n’est pas Vatican II, mais un aspect de la liturgie. Si les chercheurs sur Vatican II restent donc forcément un peu sur leur faim, ils auraient pourtant tort de poser sur l’étude des jugements négatifs. Au contraire, par cette étude soigneuse et bien documentée, ils sont appelés à se consacrer à la réception de Vatican II avec les outils herméneutiques que leur connaissance de l’événement conciliaire a mis à la disposition des différentes disciplines théologiques, ces dernières étant, il est vrai, interpellées en retour, et appelées à considérer Vatican II dans son ensemble, et dans l’ensemble de la vie de l’Église.

Michael Quisinsky

38. Bernard Xibaut, MgrLéon-Arthur Elchinger. Un évêque français au Concile. Paris, Les Éditions du Cerf (coll. « L’histoire à vif »), 2009, 486 p.

Bernard Xibaut, prêtre et docteur en théologie, est chancelier et secrétaire général de l’archevêché de Strasbourg depuis 2003 et président de la Société d’histoire de l’Église d’Alsace depuis 2008. En 2009, il a fait paraître un ouvrage sur les interventions au Concile Vatican II de Mgr Léon-Arthur Elchinger, alors coadjuteur de l’évêque de Strasbourg. L’auteur a travaillé à partir des Archives de l’archevêché de Strasbourg, du Grand Séminaire de Strasbourg, du couvent du Saulchoir (Paris), du centre Air et Vie de Marmoutier, de l’évêché de Saint-Claude (Lons-le-Saunier), ainsi qu’à partir de celles de l’Institut Catholique de Paris. Il a également consulté de nombreuses sources imprimées, ainsi que les ouvrages fondamentaux sur le Concile.

Le livre de Bernard Xibaut, préfacé par Mgr Joseph Doré, archevêque émérite de Strasbourg, est divisé en trois parties intitulées : « Ce qui a été dit », « Ce qui a été entendu », « Ce qui a été retenu ». L’ouvrage ne comporte malheureusement aucune notice biographique de Mgr Léon-Arthur Elchinger (1908-1998). Celui-ci, docteur en philosophie et en théologie, fut ordonné prêtre à Rome le 4 avril 1931. Après sa formation, il devint professeur au séminaire de Strasbourg et, à partir de 1937, aumônier militaire de la ville de Strasbourg. Le 16 janvier 1958, il fut consacré évêque auxiliaire de Strasbourg et en 1962 fut chargé par le cardinal Liénart de la liaison entre les conférences épiscopales française et allemande. Après le Concile, le 30 décembre 1966, il devint évêque en titre de Strasbourg, poste qu’il résigna le 20 octobre 1984. Il mourut en 1998. Au Concile, il fut l’évêque français qui parla le plus souvent et certaines de ses interventions furent très remarquées, en particulier celles concernant l’oecuménisme et les rapports avec les juifs. Il faut également souligner son intervention du 4 novembre 1964, lors de laquelle il demanda la réhabilitation de Galilée.

La première partie de cet ouvrage, tout comme les suivantes, comporte quatre chapitres. Dans le premier, Bernard Xibaut offre une liste des interventions de Mgr Elchinger, avant de faire, dans le deuxième, une présentation chronologique détaillée des seize interventions du coadjuteur de Mgr Weber. Cette exposition est suivie d’une étude sur la théologie des interventions, exposant la pensée de Mgr Elchinger sous cinq angles, à savoir 1) sa pensée théologique, christologique et pneumatologique ; 2) sa pensée ecclésiologique et eschatologique ; 3) sa pensée liturgique ; 4) sa pensée oecuménique et interreligieuse ; 5) sa pensée morale et pratique, et son anthropologie. Cette première partie s’achève par un chapitre sur les influences ou les collaborations de théologiens qui ont eu un certain rôle sur les interventions conciliaires de Mgr Elchinger : les pères Bouyer, Congar, Chenu, Liégé, Féret, Rahner, Martelet, ainsi que les professeurs Charles Robert, Maurice Nédoncelle, Antoine Chavasse, Oscar Cullmann, etc.

Dans la deuxième partie de cet ouvrage, l’auteur s’arrête sur « Ce qui a été entendu ». Dans le premier des quatre chapitres la composant, il présente la reconnaissance du rôle de Mgr Elchinger par les épiscopats français et allemands, à partir des commentaires théologiques parus dans ces deux pays après le Concile. Ensuite (chap. 2), il s’arrête sur l’importance accordée aux interventions du coadjuteur de Strasbourg dans les « grandes chroniques du Concile » (Caprile, Rynne, Falconi, Wenger, Laurentin, Fesquet, Congar). Il accorde une place particulière (chap. 3) au traitement des interventions de Mgr Elchinger dans la chronique « Les travaux du Concile » de La Documentation catholique. L’auteur termine cette partie en présentant l’appréciation de Mgr Elchinger par les pères Congar, Chenu et de Lubac, ainsi que par le chanoine Haubtmann, dans leurs journaux conciliaires respectifs.

Dans sa troisième et dernière partie, intitulée « Ce qui a été retenu », Bernard Xibaut se penche tout d’abord (chap. 1) sur l’évolution de la manière dont Mgr Elchinger a rendu compte de ses interventions dans les ouvrages qu’il a écrits ou auxquels il a participé, pendant et après le Concile. Dans un deuxième chapitre, il examine l’écho de la participation du coadjuteur de Strasbourg dans l’Histoire du Concile Vatican II paru entre 1995 et 2000 sous la direction de Giuseppe Alberigo, puis dans un troisième il considère l’accueil des interventions au Concile de Mgr Elchinger par des personnes encore vivantes et l’ayant connu, à savoir Mgr Jean Vilnet, le chanoine Jean-Paul Zimmerman (secrétaire particulier de Mgr Elchinger de 1958 à 1968), mademoiselle Odile Kuhn (secrétaire de Mgr Elchinger après la guerre et jusqu’à la retraite de l’évêque), le professeur Raymond Winling (chargé par Mgr Doré de mettre de l’ordre dans les archives de Mgr Elchinger après son décès), Marc Elchinger (neveu et filleul de l’évêque). L’auteur évoque également les travaux de Klaus Wittstadt sur le cent-deuxième évêque de Strasbourg. Enfin, dans un dernier chapitre, Bernard Xibaut présente ce que le principal intéressé a retenu lui-même de ses propos conciliaires.

En outre, l’ouvrage contient un carnet de seize pages de photos, une chronologie personnelle de la participation de Mgr Elchinger au Concile, ainsi qu’un index des noms, malheureusement limité « aux personnes susceptibles d’avoir été consultées par Mgr Elchinger pour ses interventions au Concile ». Le livre est bien documenté et présente une étude complète et originale des interventions conciliaires du coadjuteur de Strasbourg. Le lecteur tatillon et soucieux d’unité pourra critiquer la structure de l’ouvrage, mais celui-ci garde tout de même le mérite de faire connaître davantage non pas le parcours, mais les interventions conciliaires de Mgr Léon-Arthur Elchinger.

Philippe J. Roy

Synthèse

39. Christoph Theobald, La réception du Concile Vatican II. I. Accéder à la source. Paris, Les Éditions du Cerf (coll. « Unam Sanctam », Nouvelle série), 2009, 928 p.

Parmi les publications récentes sur Vatican II, il faut situer dans une classe à part l’ouvrage de Christoph Theobald, qui est une contribution qui fera date dans les études sur le Concile Vatican II. Cette étude, qui est sans doute la plus importante de la part d’un théologien systématicien dans ce domaine, marque probablement un seuil dans les études sur Vatican II et sa réception, en leur donnant une nouvelle orientation. Un tel volume n’aurait pas pu être écrit, je crois, il y a dix ans seulement, non seulement parce qu’il repose sur la recherche menée par C. Theobald au cours de toutes ces années, mais surtout parce que les dernières années ont permis aux recherches sur le Concile de franchir d’importants seuils. Aussi, cet ouvrage trouve-t-il aisément sa place à côté des grandes oeuvres que représentent L’histoire de Vatican II dirigée par G. Alberigo, et le Herders Theologischer Kommentar zum Zweiten Vatikanischen Konzil. Il déplace la question à propos de Vatican II, en ne fixant plus seulement notre attention sur son histoire ou sur le texte à commenter, mais en posant la question qui intéressera une nouvelle génération : « Que pouvons-nous attendre de Vatican II ? » En effet, il ne s’agit pas simplement, de manière incantatoire, de présenter Vatican II comme point de référence, mais de se demander ce que nous pouvons aujourd’hui attendre de ce Concile. L’ensemble de l’ouvrage est organisé autour de la « pastoralité » de Vatican II, concept qui sert parfois à déconsidérer l’enseignement de ce Concile, mais que l’auteur prend ici au sérieux et construit patiemment. Voulant situer l’originalité du Concile Vatican II, la première partie de l’ouvrage, en s’appuyant largement sur les études remarquables de H.J. Sieben sur l’idée de concile, tente d’élucider ce qu’est un concile ou, mieux, d’élaborer une théologie de l’institution conciliaire à la lumière de l’expérience conciliaire bimillénaire. Tout au long de ce parcours, Theobald prête une attention particulière à l’évolution des règlements et procédures conciliaires au cours des siècles, car il est très attentif au lien qui existe entre les quatre éléments suivants : la manière de procéder adoptée par un concile, son rapport à la source, son programme (ou l’oeuvre conciliaire), et sa réception. Cela le conduit, au terme de ce parcours historique et systématique, à poser ce qu’il appelle les « quatre points cardinaux d’une théologie de l’institution conciliaire », qui serviront ensuite de base à l’ensemble de sa recherche. Ayant situé Vatican II sur l’horizon de la longue tradition conciliaire, il peut ensuite en dégager la spécificité à partir de la notion complexe de « pastoralité ». Pour Theobald, cette option introduit un « changement d’ordre », ou un changement « paradigmatique » (p. 478). On passe alors du contenu de la doctrine à sa réception (et ce changement est fondé sur une attention nouvelle aux conditions spirituelles dans lesquelles évolue l’humanité), ainsi qu’à l’interprétation de la doctrine en vue de sa ré-expression. La deuxième partie, qui s’intéresse à la gestation de Vatican II, montre comment cette notion de « pastoralité » — qui a progressivement émergé, puis s’est approfondie et enrichie au cours des phases antepréparatoires et préparatoires — est apparue comme la plus apte à désigner le Concile Vatican II, contribuant tout autant à le situer dans la tradition conciliaire qu’à en exprimer la nouveauté. La démonstration s’appuie ici surtout sur diverses interventions de Jean XXIII au cours des trois années et demie précédant l’ouverture du Concile, et spécialement sur son discours d’ouverture, en ne mettant peut-être pas suffisamment en valeur les recherches et les attentes des évêques, des théologiens et du peuple chrétien en faveur d’un nouveau type de concile.

Quittant la phase antepréparatoire et préparatoire, la troisième partie nous plonge dans la période conciliaire elle-même. C. Theobald s’applique alors à montrer comment le Concile a adhéré progressivement au principe de pastoralité, bien que le changement de pontificat, à l’été 1963, ait contribué, pour un temps, à recentrer les débats sur l’Église. La notion d’apprentissage est centrale dans cet examen, pas à pas, de l’appropriation par les Pères conciliaires du principe de pastoralité que leur avait proposé Jean XXIII lors de son discours d’ouverture. Reprenant les principaux acquis de son premier chapitre, Theobald examine surtout la procédure adoptée par Vatican II, la définition de son programme, et la structuration de son corpus, qui a pour caractéristique de demeurer ouvert, la pastoralité ayant effectivement pour conséquence de décentrer de deux manières complémentaires l’Église : par l’écoute de l’Évangile et de sa tradition doctrinale, d’une part, et la prise en compte du contexte culturel qui lui permet de la réinterpréter et de la transmettre dans une nouvelle situation.

À la suite de cette traversée conciliaire, la quatrième partie nous fait entrer dans la période de la réception du Concile, où l’enjeu n’est rien de moins que d’étendre à toute l’Église le même apprentissage que celui réalisé par les Pères conciliaires au cours de celui-ci, en particulier lors de la discussion de la Constitution Dei Verbum, du Décret sur la liberté religieuse, et de la Constitution pastorale Gaudium et Spes. Pour Theobald, les aléas de la réception du Concile sont avant tout liés à l’incertitude quant à la compréhension du corpus conciliaire, et à l’ecclésiocentrisme qui résulta de la réorientation de son programme lors de la reprise des travaux du Concile sous la gouverne du pape Paul VI, en 1963.

On ne peut naturellement pas rendre compte aussi brièvement d’un ouvrage si volumineux, et riche d’autant d’intuitions pour la recherche. Certes, il ne s’agit pas de la première recherche sur le concept de pastoralité, mais sans doute n’a-t-on jamais autant approfondi cette notion, la situant au coeur de notre compréhension de Vatican II. La définition qui y est donnée de la pastoralité présuppose une approche herméneutique de la doctrine et de la tradition, et il s’agit là d’un apport de théologie fondamentale qui ajoute aux études historiques sur Vatican II, l’auteur cherchant en effet depuis plusieurs années à comprendre comment a émergé dans l’Église catholique une nouvelle manière de se rapporter au patrimoine dogmatique de l’Église, Vatican II représentant l’acte proprement fondateur de cette percée.

J’aurais encore beaucoup à dire sur cet ouvrage volumineux et stimulant, et l’on pourrait discuter de certains jugements ou appréciations des choses, mais la recherche à venir s’en chargera. Je ne veux terminer toutefois sans répéter à quel point cet ouvrage, davantage fondé sur une lecture approfondie des textes conciliaires et pontificaux que sur les débats du Concile, m’a donné à penser et a nourri ma réflexion. Il faut être très reconnaissant à C. Theobald pour ce travail colossal qui relance les études sur Vatican II, et attendre la suite (le deuxième volume annoncé) avec impatience.

Gilles Routhier