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Depuis plusieurs années, la réflexion sur les finalités[1] d’un cours d’enseignement religieux donné à l’école publique et d’un catéchisme dispensé dans les paroisses s’est développée dans un certain nombre de pays européens[2]. Les enseignants ayant en charge le religieux à l’école cherchent à proposer un cursus de même valeur pédagogique que celui des autres matières. Parallèlement, les responsables paroissiaux se démarquent souvent des méthodes scolaires. Ils les jugent trop axées sur la seule acquisition d’un savoir et pas suffisamment sur les questions de foi. Par ailleurs, pour que les élèves fréquentent les deux lieux, il faut bien leur proposer des contenus qui ne fassent pas de l’un, la redite de l’autre. Le champ de recherche de cet article concerne uniquement l’école élémentaire et l’offre paroissiale pour les enfants de cette tranche d’âge. C’est en effet le domaine où la documentation est la plus abondante.

Dans un premier temps, nous proposerons quelques remarques générales sur les principes qui régissent le cours de religion à l’école dans les démocraties européennes. Il s’agit de montrer qu’un cours de religion à l’école peut se concevoir avec d’autres finalités qu’une catéchèse paroissiale, sans que les confessions n’aient à y voir un projet concurrent de leur propre démarche pédagogique. Dans un second temps, nous analyserons plusieurs programmes de cours de religion à l’école, au travers des ouvrages pour les élèves. Il s’agira essentiellement de nos productions lorsque j’en étais responsable en Alsace-Lorraine, des livres édités par Enbiro en Suisse, ainsi que de quelques ouvrages en langue allemande. Enfin dans un troisième temps, nous nous attacherons à montrer comment les communautés religieuses peuvent élaborer un projet pédagogique propre, axé sur la transmission de la foi. Elles peuvent se libérer du souci de transmission cognitive pour s’investir dans le liturgique, ce dernier étant, in fine, leur domaine d’excellence.

I. Deux projets pédagogiques différents

1. Définitions

Le mot « catéchèse » est indiscutablement lié à l’institution ecclésiale. D’origine profane, il dérive du grec κατηξησισ où il désigne une instruction orale[3], il a pris le sens d’« instruction dans les principes de la foi chrétienne[4] ». Le terme évoque le projet éducatif d’une communauté croyante. Or l’école publique des principaux pays de l’espace occidental devient rétive lorsqu’il s’agit d’ouvrir un espace pour un organisme ecclésial indépendant de l’autorité scolaire. La société considère le droit à la différence religieuse comme l’un des fondements de la démocratie. La présence d’une ou de plusieurs confessions peut créer une inégalité entre la partie de la population qui en bénéficie et celle qui n’est pas représentée[5].

D’autre part, les systèmes éducatifs des pays démocratiques se réfèrent à deux valeurs fondamentales : l’apprentissage de la vie en démocratie et le développement de l’esprit scientifique. L’école publique désire augmenter les connaissances des élèves en respectant l’épistémologie[6] des sciences de référence de chacune des matières enseignées. La soumission à un système autre, constitue à cet égard une contre-valeur, surtout s’il s’agit d’un système religieux. Le cours de religion se doit de respecter les finalités de l’école publique c’est-à-dire, se référer aux sciences humaines et demeurer indépendant des options dogmatiques des religions. De ce fait, le mot « catéchèse » n’a plus sa place dans une structure scolaire démocratique. L’expression « enseignement religieux » convient mieux que la formule « catéchèse scolaire ». Par « enseignement religieux », nous désignons dans cet article un cours de religion conforme aux finalités d’une école publique démocratique et indépendant des organisations religieuses. Précisons tout de suite que le terme indépendance peut se conjuguer avec coopération. Autre précision : certaines institutions religieuses ne conçoivent pas qu’un cours de religion puisse se développer à l’école sans leur concours[7].

La tradition chrétienne donne au terme « catéchèse » une acception cognitive puisqu’il est question de connaître les principes fondamentaux de la foi. Dans cette optique, elle forme un enseignement religieux particulier : celui d’une confession. Or les découvertes de la pédagogie contemporaine révèlent qu’il ne suffit pas de transmettre des énoncés pour faire naître la foi[8]. Certains responsables de catéchèses innovent, par conséquent dans d’autres formes de rencontre, faisant place à la dimension psychoaffective de toute conviction religieuse (week-end, etc.). La pédagogie paroissiale a pour finalité de susciter l’adhésion raisonnée d’un individu à un système de valeurs symboliques. Comme l’indique l’étymologie du mot « symbole », jeter ensemble, elle met en rapport la réalité humaine avec la transcendance. Le mot « paroissial » est souvent utilisé dans les milieux chrétiens (surtout protestants) comme indicateur pour spécifier l’enseignement qui relève d’une confession particulière. Il indique un lieu, une institution, mais non une finalité comme le fait le mot « religieux » lorsqu’il est accolé à « enseignement ». Afin de caractériser le projet éducatif d’une communauté par ses finalités et non son lieu d’exercice, nous proposons d’utiliser la tournure « Transmission de la foi ».

Ces deux types de démarche didactique peuvent être identifiés comme nous le proposons dans cet article mais leur délimitation précise reste fortement dépendante du lieu idéologique qui en détermine les contours. La définition du contenu réel qui se cache derrière ces mots est toujours nécessaire. Le canton de Berne considère l’étude historique de la Bible comme étant de la culture religieuse. Elle se fait donc à l’école et non dans la paroisse qui peut se consacrer ainsi à une catéchèse de transmission de la foi. Inversement, pour certains anglicans, l’étude de la Bible ne doit pas se faire à l’école mais en paroisse, car il s’agit des écrits symboliques d’une religion[9].

À cette difficulté d’ordre philosophique s’ajoutent les réalités du triangle didactique (le contenu enseigné, l’activité de l’enseignant, l’activité des élèves). Un enseignement peut être qualifié de « culture religieuse » par son concepteur tout en étant considéré comme confessionnel par un tiers. Nous avons trouvé un document dactylographié proposant un cours de culture religieuse qui s’intitule Les chrétiens et l’Europe. Il se présente comme un cours de culture religieuse et non comme une proposition de catéchèse paroissiale. Une des activités consiste à analyser un discours de Jean-Paul II pour « repérer l’enseignement du pape, cerner sa personnalité et déceler des perspectives d’avenir pour l’Europe selon la perspective pontificale[10] ». Cette démarche me semble relever explicitement de l’enseignement d’une communauté chrétienne particulière.

L’élaboration d’un programme d’enseignement religieux et de transmission de la foi ne peut se contenter de déclarations formelles. Après avoir défini les finalités de l’un et de l’autre, il s’agit d’en décliner les objectifs généraux sous forme d’un curriculum proposant des contenus pour les deux situations didactiques. Le pédagogue doit élaborer une série de connaissances dites « déclaratives » encore appelées « savoirs ». Un programme comprend également une suite de connaissances dite « procédurale » encore appelée « savoirs faire » (ou « compétences »), mais cet aspect dépasse le cadre de notre article.

2. Finalités de l’enseignement et cours de religion

Les finalités de l’enseignement religieux doivent s’inspirer de celles de l’école publique comme toutes les autres matières enseignées. En France, les instructions ministérielles de 1985, 1995 et 1999 concernant les enseignements à l’école élémentaire, au collège et au lycée, insistent sur les trois grandes finalités suivantes, par ordre de priorité :

  • Apprendre à penser (raisonner et comparer, développer l’esprit critique et la démarche expérimentale, maîtriser des connaissances et des compétences fondamentales…).

  • Apprendre à communiquer (maîtriser l’expression orale, l’écrit, l’image et le multimédia).

  • Apprendre à vivre en démocratie (acquérir le sens des responsabilités, l’esprit de solidarité et de coopération, le refus des racismes…).

La France n’est pas un cas exceptionnel dans ce domaine. La loi sur l’école du Land allemand de Bade-Wurtemberg stipule par exemple que l’école a le devoir de transmettre des savoirs et des compétences, mais également d’éduquer à reconnaître la valeur de la démocratie. Ce programme commence par exposer les finalités de l’école publique selon la loi fondamentale allemande[11]. En Belgique, « la communauté française pour l’enseignement […] poursuit les objectifs suivants […] Amener tous les élèves à s’approprier des savoirs et à acquérir des compétences […] ; préparer tous les élèves à être des citoyens responsables capables de contribuer au développement d’une société démocratique[12] ». Inutile de multiplier les exemples dans ce domaine qui fait l’objet d’un large consensus.

Le religieux peut-il s’intégrer dans ces finalités ?

Selon les lieux, la place de la religion à l’école est variable. Nous l’étudions à partir de deux critères :

  • le respect des croyances et le droit à la différence religieuse,

  • le développement de l’esprit scientifique des élèves (ici les sciences de l’humain)[13].

Le fait religieux s’enseigne en Europe selon quatre modèles. (Cette analyse inclut les écoles privées financées par la collectivité, car, dans certains pays, tels que les Pays-Bas, elles occupent une place essentielle dans le paysage scolaire[14].)

Dans le modèle A, la confession dominante intervient à l’école publique pour tout ce qui concerne l’étude du fait religieux. L’éducation au fait religieux prend alors la forme d’une catéchèse destinée à nourrir la foi de l’élève. Elle le prépare souvent à vivre au sein de la communauté religieuse dominante. Le principe démocratique prend la forme d’une dispense pour les élèves qui ne professent pas la foi dominante. Ceux-ci ne bénéficient alors d’aucune éducation au fait religieux à l’intérieur de l’école publique. L’étude du fait religieux y échappe par conséquent aux méthodes scientifiques. Il s’agit par exemple de Chypre, des écoles catholiques de la République d’Irlande, d’Irlande du Nord et d’Écosse, de l’Italie. L’Église catholique de Slovénie tente d’introduire ce modèle dans le pays et souhaite en attendant que le catéchisme de la paroisse soit considéré comme une matière à option du cursus scolaire[15]. En Grèce et en Turquie, l’école publique prend la responsabilité de l’enseignement religieux sans intervention des autorités religieuses. Mais, dans les faits, la pédagogie qui s’y pratique peut être assimilée au projet éducatif de la religion dominante tant cette dernière imprègne la société[16].

Dans le modèle B, les diverses confessions présentes dans la société assument l’entière responsabilité de la religion à l’école publique. Le principe démocratique prend la forme du pluralisme des confessions autorisées à intervenir à l’école publique. Comme l’ensemble des options philosophiques et religieuses d’une société ne peuvent être présentes dans toutes les salles de classe, les élèves peuvent obtenir une dispense de cet enseignement. L’étude du fait religieux échappe aux méthodes scientifiques, sauf exceptions, lorsqu’une confession décide d’elle-même de soumettre son enseignement aux méthodes scientifiques. Parfois les élèves dispensés bénéficient d’un cours d’éthique humaniste. Il s’agit par exemple de l’Autriche, de la Hongrie, de l’Espagne. Dans l’espace francophone, la Belgique, les départements français du Rhin et de la Moselle, les cantons suisses de Fribourg, du Jura, de Soleure, du Valais vivent ce modèle. Ce système était également en place au Québec[17].

Dans le modèle C, le fait religieux est enseigné à l’école publique comme les autres matières. Cet enseignement est soumis, comme les autres cours, aux valeurs fondamentales de la démocratie et des sciences de l’humain. Ceci n’empêche pas, dans certains cas, des demandes de dispense. Il s’agit par exemple du Danemark, de l’Islande, de la Norvège et de la Suède. Ce modèle est fort peu représenté dans l’espace francophone, il n’existe que dans les cantons suisses de Berne (qui possède un district francophone) et Vaud.

Dans le modèle D, le fait religieux à l’école publique est enseigné dans les matières concernées lorsque cela est nécessaire, ce qui demande une formation spécifique des enseignants. Comme dans le modèle C, l’étude du fait religieux s’y trouve soumise aux valeurs démocratiques et scientifiques. Il s’agit de la France, des cantons suisses de Neuchâtel et Genève ainsi que du canton alémanique de Bâle-Ville.

Remarques : la réalité pédagogique n’est pas véritablement mise en évidence par ce tableau qui analyse le statut institutionnel du religieux. Ainsi, le manque de financement nuit au cours confessionnel dans les écoles publiques des Pays-Bas ; dans les secteurs d’Irlande, où les protestants sont très minoritaires, ils doivent fréquenter des écoles catholiques ; l’enseignement d’éthique humaniste est prévu en Autriche pour les élèves dispensés de tout cours de religion mais, comme dix élèves sont nécessaires pour organiser un cours, en pratique, il ne se fait nulle part ; en Estonie, quinze élèves sont nécessaires pour le cours de religion, ce qui le limite aux grosses écoles ; la Finlande, fixant le palier à trois élèves, respecte de fait davantage les principes qu’elle se donne ; en Roumanie, les popes orthodoxes ont pu donner des cours, mais leur manque de formation pédagogique les a rapidement incités à quitter ce lieu en raison des attitudes des élèves ; toujours en Roumanie, les pasteurs saxons ont tendance eux aussi à quitter les écoles (saxonnes), car les élèves y sont, en très grand nombre, issus de milieux non protestants.

L’espace francophone possède de ce point de vue une certaine richesse, puisqu’il décline les modèles B, C et D qui sont les trois modèles les plus respectueux de la démocratie. Ils ne constituent cependant pas des systèmes figés et résultent de plusieurs transformations. D’une manière générale, et de façons diverses, le système éducatif public s’émancipe de la religion dominante. Il en résulte une séparation progressive entre les projets pédagogiques catéchétiques des communautés religieuses et ceux des éducateurs de l’école publique. Cette séparation peut-être bénéfique tant pour l’école que pour les religions.

3. Finalités de l’enseignement religieux et place des confessions

Une fois posé le principe d’un enseignement religieux distinct de la transmission de la foi et en phase avec les finalités de l’école publique, il reste à imaginer le modèle qui permette d’en construire le programme. La tentation scientiste le ferait directement dériver de l’étude comparée des religions, telle qu’elle s’est développée au xxe siècle. La culture religieuse devient alors un enseignement d’histoire, catalogue des grandes religions sans aucune hiérarchie, ni accent particulier, entièrement indépendant des communautés religieuses. Ces modèles se sont constitués à l’Université, pour répondre aux exigences de la recherche.

Ce fut le fruit d’une évolution lente et difficile. Henri-Charles Puech[18] expose brièvement les difficultés qu’a rencontrées l’histoire des religions, science récente, qui devait se construire en s’affranchissant de la tutelle de toute religion particulière. L’auteur expose également les problèmes créés par les diverses classifications proposées pour les religions. L’ouvrage s’en tient à « retracer sur un pied d’égalité les figures particulières de chacun des groupes de religions qu’il embrasse[19] ». Dans les prolégomènes du même ouvrage, Angelo Brelich s’attache à décrire cette science en fonction de son objet et de ses méthodes. Il établit que la religion peut très bien constituer un objet de recherche indépendant des autres disciplines historiques et prône la méthode comparative pour analyser les diverses manifestations de cette réalité[20].

Henri-Charles Puech travaille dans le cadre de l’histoire, même si certains collaborateurs ont recours à des découvertes relevant de la phénoménologie[21]. La phénoménologie met sur un pied d’égalité les manifestations du religieux semblables, sans tenir compte de leur apparition dans le temps. Le traité d’histoire des religions de Mircea Eliade, malgré son titre, constitue l’exemple type de phénoménologie des religions.

Dans le présent volume, écrit l’auteur, nous avons évité d’étudier les phénomènes religieux dans leur perspective historique, nous bornant à les traiter pour eux-mêmes, à savoir en tant que hiérophanies. C’est ainsi que pour éclairer la structure des hiérophanies aquatiques, nous nous sommes permis de présenter côte à côte, le baptême chrétien d’une part, et de l’autre les mythes et les rites de l’Océanie, de l’Amérique ou de l’Antiquité gréco-orientale, en faisant abstraction de tout ce qui les sépare, c’est-à-dire, en un mot, de l’histoire[22].

L’histoire des religions et la phénoménologie des religions peuvent sans nul doute constituer des sciences de référence d’un enseignement religieux scolaire. Mais nous voyons déjà à ce stade que cela constitue deux choix différents. Nous reviendrons ci-après sur le sens de ces choix. À ce stade constatons simplement que l’Université a développé des formes scientifiques d’études du religieux. Si l’étude scientifique du religieux a trouvé sa place à l’Université, son enseignement dans le primaire et le secondaire ne s’inspire pas toujours des découvertes universitaires. Dans le secondaire et à l’école élémentaire, cet enseignement peut être dispensé sous la responsabilité de confessions particulières. La théologie de ces confessions devient souvent la science de référence de cet enseignement. Il s’ensuit souvent un clivage entre le monde éducatif et les enseignants religieux. L’enseignement religieux peut alors être considéré comme ne respectant pas les valeurs de l’éducation publique, en particulier le développement de l’esprit scientifique (des sciences humaines, en ce qui concerne le religieux). Le fait de construire un enseignement religieux à partir de la culture universitaire, en particulier l’histoire et la phénoménologie des religions, permet sans doute d’éviter ce problème, mais n’en crée-t-il pas d’autres ?

Dérivé directement des sciences de l’enseignement supérieur, un cours d’étude comparée des religions risque de se réduire à quelques heures supplémentaires d’histoire, de littérature ou d’art. Elles ne seraient qu’un peu de matière complémentaire dans des programmes déjà suffisamment copieux. Certes, la culture religieuse est nécessaire pour comprendre une grande partie du patrimoine culturel humain. Mais pour cela, une formation spécifique des enseignants suffit. Ils peuvent ainsi expliquer le contexte de telle ou telle notion, y compris dans sa dimension religieuse et ce, sans jugement de valeur. C’est le cheminement actuel de l’école laïque française, qui cherche à pallier l’inculture religieuse en formant les enseignants des matières concernées sans introduire d’enseignement religieux pour les élèves.

Le Centre Régional de Documentation Pédagogique de Besançon (France) s’est penché sur la manière dont les programmes d’histoire traitent le fait religieux[23]. Les documents produits par ce centre permettent une approche du religieux avec les méthodes des sciences historiques. Il s’agit de la documentation en langue française la plus copieuse sur la pédagogie de l’histoire du fait religieux. Il présente une synthèse, puis des documents pour chacun des chapitres. Seule difficulté, mais inhérente au système français, les propositions d’activités pour les élèves sont parfois peu développées, certaines fiches s’intéressent plus aux contenus qu’à l’élève. L’ouvrage sur la laïcité[24] est caractéristique de ce problème. Il ne propose, en guise de pédagogie, que des textes peu adaptés aux jeunes et les propositions pédagogiques se limitent à une suite de questions sur ces textes. Cet ouvrage n’est utilisable que pour des élèves d’un bon niveau scolaire dans les grandes classes des lycées. Mais il demeure éloigné de ce que vivent les élèves. Par exemple, l’ouvrage cite un texte de René Voetzel[25], puis propose comme exercice une série de questions sur ce texte, dont celle-ci : « Comment faut-il comprendre la phrase “Le rattrapage, sur le plan de l’éthique, par l’éducation parallèle famille-Église nous paraît spécialement difficile, beaucoup plus que sur le plan des ‘signes’ dont nous parlions plus haut” ? » Même si les élèves réussissent à répondre à ce genre de question, qu’apporte ce genre d’exercice à un élève ? Par contre, l’ouvrage sur l’islam possède une seconde partie réellement pédagogique, avec des documents et des activités pour les élèves. Le grand intérêt de cette collection réside dans son caractère complet. Elle en dit même nettement plus que ce qu’il est possible de proposer aux collégiens et aux lycéens.

Un enseignement se limitant à la culture religieuse présente d’autres faiblesses. D’abord, l’école est parfois stigmatisée, car elle se coupe du quotidien, de la réalité concrète. Or la religion se vit dans les communautés religieuses avant d’être objet de savoir. Un enseignement comparé des religions, totalement déconnecté des lieux où elles existent, accentuerait encore le clivage entre l’école et la vie. Nous serions dans la situation où les enfants recevraient un enseignement sportif entièrement théorique sans jamais pratiquer un seul sport. L’éditeur suisse Enbiro propose une solution à ce problème avec un programme de géographie des religions en Suisse (voir ci-après). L’éducation publique du canton de Vaud résout la question en demandant une visite de classe aux représentants des Églises (voir ci-après).

Contrairement à une opinion pourtant bien répandue, le religieux évolue sans cesse. Nous avons déjà remarqué, dans notre opuscule sur la religion à l’école, le caractère sans cesse nouveau du religieux réel[26]. Les programmes, quels qu’ils soient, étudient une culture qui appartient toujours au passé. Aussi contemporains soient-ils, ils ne suivent jamais l’évolution immédiate de la société. Même s’il s’agit d’un passé récent, l’enseignement n’en demeure pas moins toujours décalé par rapport au présent de l’enfant. Si nous prenons pour exemple le territoire français, seuls le catholicisme, le protestantisme et le judaïsme marquent la culture enseignée dans nos écoles. L’islam l’a beaucoup moins imprégnée, sauf lorsqu’il est question d’histoire : Charles Martel arrête les Arabes à Poitiers, les croisades, la conquête de l’Algérie… L’islam est la seconde religion de France en termes de nombre de fidèles. Mais l’islam que vivent ou rencontrent les élèves de France, n’a rien à voir avec celui rencontré par Charles Martel ou les croisés. Les élèves découvrent ainsi, dans les programmes, des faits religieux qui ne correspondent pas à ceux qu’ils vivent ou que vivent leurs camarades de classe.

Les sciences de l’homme, dont la théologie fait partie, ne peuvent se contenter de décrire, comprendre et expliquer. Elles se doivent également de faire des propositions de sens, d’initier des débats pour contribuer à l’évolution des sociétés. Par nature, la théologie a cette tâche autant que toute autre science. Si le cours de religion en reste au descriptif, il ne peut contribuer à la construction de l’élève. Il se doit d’aborder des thèmes existentiels en poussant les enfants et les adolescents à émettre des opinions personnelles et à les justifier. Cela ne peut se faire qu’en référence aux théologies qui se développent dans les sociétés contemporaines. Il est possible d’apporter ce plus aux enfants dès lors que les programmes sortent du pur descriptif, en particulier tel qu’il est proposé dans le modèle D, essentiellement français.

Les parents craignent pour leurs enfants les activités de certaines sectes. Un enseignement religieux devrait permettre aux adolescents de repérer les agissements de certains groupes religieux pour mieux leur résister. Cet objectif induit qu’une hiérarchisation minimale des phénomènes religieux est indispensable. Ainsi la neutralité totale n’est pas le meilleur moyen pour armer les jeunes lorsqu’il s’agit de gérer les inévitables questions de spiritualité. Dès lors qu’il n’y a plus neutralité, les « idéologies religieuses et philosophiques constituées et reconnues » ne peuvent être écartées du débat sur les choix à opérer dans ce domaine.

Par ailleurs le pluralisme devient de plus en plus une valeur essentielle des démocraties actuelles[27]. L’école la respectera en offrant un lieu où « chaque courant de pensée religieuse ou morale peut s’exprimer sans que l’un soit supérieur à l’autre et aussi sans mélange ni confusion entre eux[28] ». Le pluralisme ne peut être synonyme d’absence de particularités ou plus exactement de boisseau empêchant la mise en valeur pacifiée des différences. Bien au contraire, les systèmes constitués donnent une base de réflexion mieux élaborée que ne peuvent le faire les individus isolés, car les apports sont trop dépendants du hasard des biographies. La présence raisonnée de grands systèmes symboliques dans l’espace scolaire public devient alors synonyme d’un apport de qualité dans le processus de formation des élèves.

Enfin les sciences religieuses, même dans leur forme d’« étude comparée des religions » la plus aboutie, ne sont jamais neutres. Les recherches pédagogiques sur la transposition didactique montrent qu’aucune science n’est exempte de choix axiologiques[29]. La démarche scientifique la plus rigoureuse consiste alors à identifier clairement les origines philosophiques et confessionnelles de l’enseignant afin que les élèves (et leurs parents) puissent situer l’enseignement dans son cadre. C’est d’ailleurs tout le projet pédagogique qui devrait être publié et diffusé auprès des enfants, de leurs parents, et des autres enseignants.

II. Un programme d’enseignement religieux pour l’école élémentaire

C’est pourquoi nous proposons qu’un programme d’enseignement religieux scolaire soit conçu avec les confessions « ayant atteint un enracinement notoire[30] » dans la société. Dans le cas particulier des départements français du Rhin et de la Moselle, les confessions conservent l’entière responsabilité du cours de religion, ce qui rend cet aspect des choses assez aisé. Nous y avons proposé un programme d’enseignement de culture religieuse d’inspiration protestante. Toute personne intéressée par ce type de cours pourra en bénéficier. Ce cours se conforme aux finalités de l’éducation nationale afin d’en faciliter l’accueil par la communauté éducative publique. Il respecte les acquis des sciences religieuses et les nécessités d’un enseignement démocratique. Il propose, à tous ceux qui le désirent, les bases d’une culture chrétienne insérée dans la phénoménologie des religions. Il désire éviter mollesse et relativisme mais également prosélytisme et suffisance[31].

1. Le projet suisse « Enbiro »

Les productions pour l’école élémentaire s’inspirent de plusieurs éditeurs européens. Elles s’appuient en particulier sur le travail de l’éditeur suisse Enbiro[32]. Il propose un programme destiné à tous les élèves d’une classe. Nous sommes dans le modèle C, où le même cours de religion s’adresse à tous les élèves. Cet éditeur travaille pour les écoles de Suisse romande. Il a opéré un changement de nom qui en dit long sur les finalités de cet enseignement. À l’origine il s’intitulait Enseignement biblique roman. Il a pris le nom d’Enseignement biblique et interreligieux roman. Ce changement d’appellation caractérise une évolution claire. D’exclusivement chrétien (biblique), il s’ouvre désormais sur d’autres religions.

En principe, tous les écoliers bénéficiaient déjà de cet enseignement lorsqu’il était simplement « biblique ». En effet, chaque enfant a le droit de connaître la société dans laquelle il vit. Pour comprendre son environnement, un enfant résidant en Suisse ne peut faire l’impasse sur la culture biblique. Cet enseignement a pour objectif général d’ouvrir, nourrir et stimuler l’intérêt pour la connaissance des religions et le respect des croyances. Il s’appuie essentiellement sur les traditions judéo-chrétiennes, car les réalités issues de cette tradition jalonnent la vie des élèves. Les enfants éduqués par leur famille dans d’autres traditions religieuses y trouvent des clés de compréhension de la culture ambiante. L’enfant commence par structurer un premier système de notions à partir de celles qui lui sont les plus proches. Il intégrera par la suite de nouvelles connaissances qui enrichiront cette base.

Mais, comme nous l’avons indiqué au point I, l’apprentissage de la vie en démocratie constitue l’une des finalités de l’école publique de nos sociétés. Dans le domaine qui nous concerne, cela signifie « initiation à la différence religieuse ». De ce fait, l’ouverture à d’autres religions devient une nécessité. Ce critère peut être qualifié « d’académique », dans la mesure où il découle d’un concept. Mais un autre critère peut également être mis en avant. Les sociétés contemporaines sont de plus en plus multiculturelles et donc multiconfessionnelles. Ainsi les élèves vivent en dehors de l’école dans des milieux religieux variés. Introduire une dose d’interreligieux dans le programme atteste tout simplement de la prise en compte de cette réalité par les concepteurs du programme.

Quatre ouvrages destinés aux jeunes élèves sont sortis de presse. Pour les élèves âgés de 6 à 8 ans, les deux volumes d’Un monde en couleurs[33] « offrent une introduction aux trois traditions religieuses qui ont le plus marqué — et marquent encore — l’Europe et son histoire : le judaïsme, le christianisme et l’islam[34] » (premier chapitre du tome 1). Le dernier chapitre du tome 2 s’intitule, quant à lui : « Trois religions en fête ». Les deux volumes « abordent également des récits bibliques tirés de l’Ancien et du Nouveau Testament » : Ruth et Noémie, la naissance de Jésus, Jésus et les gens de son temps, Joseph et ses frères, Jacob et Esaü, la reine Esther, les paraboles de Jésus. « Enfin, ils sont l’occasion d’une réflexion éthique autour de valeurs permettant de mener une vie harmonieuse en société (respect, courage, coopération, générosité, honnêteté et responsabilité). »

Destinés à des élèves âgés de 8 à 10 ans, les ouvrages Au fil du temps[35] traitent en priorité de quelques grandes figures des traditions juive, chrétienne, musulmane et bouddhique. Ils mettent l’accent sur les contextes littéraires et socio-historiques dans lesquels s’inscrivent ces personnages fondateurs : Moïse, David, Jésus, « Des femmes au coeur de la vie[36] » (Sara, Rébecca, Rachel) et Mohamed pour le volume 1 ; Moïse, Jésus et le Bouddha pour le volume 2. Par ailleurs, ils proposent un voyage à la découverte du christianisme (croyances, rites et sacrements, pratiques et fêtes) dans ses expressions catholique, protestante et orthodoxe.

Ces volumes bénéficient d’une mise en page soignée. Le graphisme et les textes correspondent à la psychologie et aux capacités des enfants de cet âge. Chaque chapitre est accompagné de fiches pédagogiques. Elles permettent à l’élève de s’approprier le contenu de cet enseignement. Les éditeurs développent une pédagogie active et se démarquent résolument d’un enseignement « frontal ». Tous ces ouvrages peuvent être utilisés grâce à une méthodologie copieuse éditée sur le site de l’éditeur. Cette documentation comprend un grand nombre d’idées pédagogiques, des références bibliographiques commentées et des éléments de connaissances sur de nombreux sujets (voir ci-après).

Les fiches pédagogiques indiquent le type d’activité, sa durée, contiennent diverses remarques et suggestions et donnent une idée précise du déroulement. Par exemple pour « Trois religions à connaître » la première fiche donne les conseils suivants : « Cette activité vise à rendre compte de la diversité des relations que les êtres humains entretiennent ou non avec le divin. Il est possible cependant que des élèves souhaitent exprimer leurs propres convictions : il n’y a pas de raison de les en priver, mais on ne se lancera pas pour autant dans un débat[37]. » Le but de chaque activité est explicite, par exemple : « Les élèves prennent conscience de la diversité des croyances et convictions sur terre (et dans la classe) ». Enfin, le déroulement est indiqué avec précision, par exemple : « Observer la photo en précisant qu’elle représente la terre vue du ciel. Situer l’Europe et la Suisse. Lire les textes aux élèves et récolter leurs réactions. Etc. »

Les concepts sont déclinés dans un sens assez large mais cohérent. Chaque dossier est intitulé « module » et correspond environ à six heures maximum de rencontre. Ceci peut parfois sembler insuffisant, un dossier comme celui de Moïse offre de la matière pour plus de six heures. Mais cette durée convient à la psychologie des enfants. Passer plus de six heures sur un même thème les lasse et réduit l’efficacité didactique. Par ailleurs, ce temps coïncide avec le rythme scolaire qui propose un congé approximativement toutes les six à sept semaines. Ainsi les enfants abordent une question nouvelle à chaque rentrée scolaire.

2. Éléments de réflexion sur le projet « enbiro »

Ces ouvrages s’adressent à des élèves d’une même classe. Ils reflètent le modèle C. Mais la situation protestante en francophonie est en général minoritaire. Parfois il est possible de créer un cours pour une même tranche d’âge. C’est possible là où les élèves protestants sont suffisamment nombreux pour qu’un tel enseignement soit organisé[38]. Dans beaucoup de lieux et en particulier dans les départements français du Rhin et de la Moselle, il faut rassembler les enfants de différentes tranches d’âge dans un même cours. Il n’est pas rare de se retrouver avec des groupes dont les enfants ont entre 6 et 11 ans ou entre 11 et 15 ans. D’ailleurs, même lorsqu’il s’agit d’une classe à la tranche d’âge homogène, les niveaux et capacités des élèves diffèrent souvent. La méthodologie d’Enbiro présente des fiches avec toutes sortes d’activités, ce qui permet une bonne approche de cette contrainte. Mais dans bon nombre de classes des départements du Rhin et de la Moselle, cette diversité est poussée à l’extrême, puisqu’à la diversité naturelle s’ajoute la grande différence des âges.

Les Églises protestantes d’Alsace et de Moselle ont édité une série pour l’école élémentaire en accord avec les finalités des réalisations Enbiro[39]. Par rapport au modèle suisse, il fallait offrir aux enseignants la possibilité de gérer les classes avec de grandes différences d’âge. Chaque guide pédagogique propose pour chaque chapitre des activités pour différentes tranches d’âge. Parfois ces activités servent à des élèves du même âge, mais simplement plus lents. Même dans une classe avec une seule tranche d’âge, les niveaux sont multiples. Les uns avancent plus vite, d’autres moins. Avec ce système chaque enfant peut réussir une tâche adaptée à son niveau. Autrement dit : chaque enfant peut se trouver en situation de réussite. La religion n’est pas une matière qui nécessite un savoir cumulatif. En langue par exemple, il faut avoir acquis un niveau avant de pouvoir passer à un autre. Nous n’avons pas de tels impératifs. L’enfant n’est pas obligé de maîtriser le chapitre sur l’amitié, avant de passer à celui sur Noël[40]. En religion, chaque enfant peut se voir proposer un exercice qui le met en situation de réussite. Il s’agit de lui donner une tâche à accomplir, un obstacle à franchir, mais adapté à son niveau. Ici la religion donne un plus pédagogique à l’école. Il ne s’agit plus seulement de transmettre à l’enfant une culture, des connaissances, la capacité à se forger, plus tard, son propre système de valeurs, mais de lui offrir un bien-être personnel dans le système scolaire. Certes pour réussir cette tâche, il faut affiner les fiches pédagogiques en les expérimentant sans cesse dans les situations concrètes d’enseignement. Cela demande un gros investissement humain et, de ce point de vue, ces documents peuvent encore s’améliorer.

Le protestantisme n’est pas aussi inconnu dans la société suisse que dans le contexte français. Ceci explique sans doute l’absence de références explicites à l’identité protestante dans les livres des éditions Enbiro (sauf dans un chapitre sur lequel nous reviendrons). Le matériel Enbiro satisfait ainsi sa visée oecuménique, mais il risque de semer la confusion dans les esprits d’enfants français et, d’une manière générale, chez des enfants vivant dans une société où le protestantisme est fort peu connu. Le programme Enbiro propose en effet de parler de Mahomet, mais fait l’impasse sur Luther et Calvin, pourtant personnages clefs du christianisme. Dans les contextes où le protestantisme est peu connu, il serait sans doute utile d’ajouter des repères concernant l’identité protestante par l’étude de personnages ou d’organismes véhiculant les idées de la Réforme. Dans son ouvrage pour la même tranche d’âge (mais dans un contexte allemand), Elisabeth Buck[41] propose comme dossier : « Prendre au sérieux ce qui sépare et ce qui unit les Églises : (a) la peur du jugement de Dieu marqua les débuts de la vie de Luther ; (b) Luther découvrit que celui qui croit en Dieu n’a pas à craindre ce jugement ; (c) cette idée se propage rapidement ; (d) Luther traduit la Bible ; (e) la vie des catholiques et des protestants dans notre région » (il s’agit du Bade-Wurtemberg).

L’étude d’autres personnages issus de diverses familles spirituelles peut être repoussée après 10-11 ans. L’enfant a besoin de repères clairs, l’adolescent, par contre, bénéficierait davantage de sujets favorisant l’ouverture d’esprit (Mahomet, les religions orientales…). Cette réserve ne retire cependant pas aux Éditions Enbiro l’avantage de montrer une ouverture très appréciable dans le contexte multiculturel de nos sociétés. La réserve la plus importante concerne le choix de traiter l’islam et le bouddhisme en un chapitre, accréditant l’idée qu’il existe un « bloc » musulman ou bouddhiste. Or la diversité interne est l’une des grandes caractéristiques des grands monothéismes. Ce fait est attesté dès le début des judaïsmes, des christianismes et des islams[42]. Pour les jeunes élèves de l’école élémentaire, nous n’abordons que la diversité interne du christianisme. Il s’agit de partir de l’environnement immédiat des enfants. La diversité interne du judaïsme et de l’islam est de ce fait repoussée au collège (élèves de 11 à 15 ans en France).

La collection Éclats de vie se démarque ici du projet Enbiro. Chaque tome comporte un chapitre sur la diversité religieuse. Un thème y est décliné selon quatre « religions » : judaïsme, christianisme, islam et protestantisme. L’appellation « religions », pour distinguer le catholicisme du protestantisme, ne correspond pas au vocable du christianisme qui se considère comme une seule religion. Mais dans les faits, les deux confessions chrétiennes ont bien souvent fonctionné comme deux religions différentes, en particulier dans les sociétés européennes. De plus un document scolaire n’a pas à se soumettre au discours qu’une religion tient sur elle-même. Certes le vocable « religion » n’est jamais utilisé dans Éclats de vie, mais la présentation de quatre doubles pages, les bâtiments[43] ou les pratiques[44], valorise la différence entre catholiques et protestants. Cette règle n’est cependant pas générale, car le chapitre sur les fêtes[45] ne parle que de l’islam et du judaïsme. Les fêtes chrétiennes sont en effet abondamment présentées dans chaque volume.

Enbiro comporte également un chapitre sur la diversité du christianisme. Comme pour l’islam et le bouddhisme, il s’agit d’un chapitre en soi[46]. Les autres chapitres explicitement interreligieux[47] présentent le christianisme sans distinction interne. Comme on le voit, les nuances existent mais la philosophie générale des deux collections destinées à l’école publique francophone demeure semblable. À noter également une différence de détail : dans la documentation Enbiro, les fiches pédagogiques utilisées par les élèves sont intégrées à l’ouvrage destiné aux enfants. Il devient ainsi « non transmissible », autrement dit, chaque tranche d’âge est obligée d’acheter son livre. En France, ce sont les communes qui achètent les livres pour l’école élémentaire. Or elles ne peuvent qu’acheter des livres utilisables sur plusieurs années (ils sont « transmissibles »). De ce fait, les fiches pour les élèves se trouvent dans la documentation de l’enseignant.

Le projet Enbiro ne contient qu’un dossier éthique[48]. Or la religion n’est pas uniquement de l’histoire. Certes un thème comme celui d’Abraham peut (doit) déboucher sur des réflexions existentielles et susciter un débat sur « qu’est-ce que la confiance ? ». Mais dans les programmes de länder allemands, des sujets plus explicitement religieux peuvent être abordés sans que cela ne pose de problèmes. Certains chapitres partent d’emblée de sujets éthiques pour aboutir ensuite sur une réflexion biblique. Un dossier[49], intitulé « Vivre ensemble, moi, toi, nous, tous aimés de Dieu », inaugure le cours de religion réalisé par Elisabeth Buck. Il se décompose de la manière suivante : (a) nous nous rencontrons au cours de religion, (b) chacun d’entre nous est différent de l’autre et possède des aptitudes particulières, nous allons bien nous entendre, (c) j’ai des joies et des peines qui sont une partie de ma vie, (d) Jésus accueille les enfants, (e) Martin[50] montre comment le partage peut rendre notre vie plus riche.

Un autre dossier de l’ouvrage d’Elisabeth Buck[51] s’intitule « Découvrir les traces de la vie et celles de Dieu ». Il progresse ainsi : (a) ce que les traces peuvent révéler et raconter, (b) traces de personnages et d’événements ayant un sens pour ma vie, (c) les traces que j’ai laissées et celles que je voudrais laisser un jour, (d) des personnes découvrent des traces donnant un sens à leur vie, (e) des êtres humains décrivent les traces de l’amour de Dieu dans leur vie, les traces cachées de l’amour de Dieu dans notre vie quotidienne, (f) le baptême, trace de l’amour de Dieu dans notre vie. « La faute et le pardon » constitue un autre dossier fondamental. L’auteur le décline ainsi : (a) les humains peuvent avoir des comportements fautifs, la culpabilité pèse alors sur leur vie et perturbe leurs relations aux autres, (b) les gens cherchent à vivre avec leur culpabilité, (c) le Pardon de Dieu selon la parabole du père formidable, (d) comment des hommes cherchent à dépasser le sentiment de culpabilité, (e) les chrétiens prennent au sérieux l’attitude de Dieu pardonnant les fautes et orientent leur vie en fonction de cette idée.

Ces propositions n’épuisent pas le sujet. À titre d’exemple, le programme de 1977 du Bade-Wurtemberg contient également : « Joie et peine », « Je suis important », « L’amitié », « Droit et justice », « Être malade, être bien portant », « Mentir et dire la vérité », « Être ou ne pas être obéissant », « Vie et mort », « Riche et pauvre », « Guerre et paix », « Le bulletin de notes ». Cette nomenclature, pour intéressante qu’elle soit, pèche par souci d’exhaustivité. Si certains sujets, tel le bulletin de note, ont leur place dans un cours d’enseignement religieux, d’autres seraient plutôt du domaine de la transmission de la foi. Ainsi, le dossier « Joie et peine » se conclut sur « La prière ». Cela ne me semble pas avoir, sous cette forme, sa place à l’école dans sa conception laïque française.

Pourtant l’introduction permet de pallier le déficit de propositions de sens que nous avons relevé dans notre commentaire des programmes abordant exclusivement la culture religieuse. Certaines propositions vont encore plus loin, en particulier en Allemagne où se développe la Kindertheologie (Théologie pour enfants). Par exemple, un ouvrage pour le cours de religion, édité par Cornlesen[52] à Berlin, oriente le cours, dès la première année de l’école élémentaire, sur des questions existentielles. Voici quelques exemples de questionnements proposés aux enfants de 6 à 7 ans : « Pourquoi suis-je sur terre ? Pourquoi suis-je moi et personne d’autre ? Pourquoi suis-je parfois triste et parfois heureux ? Pourquoi y a-t-il des conflits et des guerres dans le monde ? » Ces questions de nature existentielles dépassent les objectifs de connaissance, de compréhension et d’analyse des documentations de l’espace européen francophone. Le fait est d’autant plus marquant que l’éditeur Cornlesen est un spécialiste des livres scolaires en général et n’est pas un éditeur religieux.

La différence ne vient sans doute pas d’une divergence dans la compréhension du service public d’éducation. Nous l’avons vu ci-dessus, les finalités allemandes ressemblent à celles de la France en matière d’éducation. Il s’agit de connaître, comprendre et analyser le réel, mais les élèves doivent également produire leurs propres oeuvres, émettre des points de vue et les justifier. Si la conception en vigueur dans les documents français en reste souvent au stade de « connaître, comprendre, analyser », c’est sans doute suite à une conception de la laïcité comme stricte séparation entre le religieux et le scolaire. Ainsi le scolaire s’interdit de hiérarchiser les croyances et pratiques religieuses, c’est-à-dire refuse de s’immiscer dans les croyances et convictions personnelles, et « en échange » le religieux n’a pas à intervenir dans les conceptions du monde véhiculées par les systèmes publics d’éducation. Cette tendance vient peut-être de la manière dont les sciences se sont affranchies du religieux[53]. Cet héritage historique appauvrit, me semble-t-il, la pédagogie religieuse dans les espaces latins.

Cette dernière remarque renvoie à notre problématique de la partie I. Nous serions dans la situation où les enfants recevraient un enseignement sportif entièrement théorique sans jamais pratiquer un seul sport. Le canton de Vaud en Suisse résout cette question en invitant un membre d’une des Églises reconnues à visiter les classes. Un pasteur ou un intervenant catholique, dûment mandaté, intervient dans les salles de classe en tant que représentant des Églises, et ceci en sus du cours de religion dispensé selon le programme Enbiro. Reste à savoir quelle est la nature de cette intervention. Les consignes restent relativement floues si ce n’est que ces interventions se font au nom des deux Églises chrétiennes. Nous proposons de donner à ces visites une finalité très claire : valoriser le vécu des élèves. Après une présentation brève, l’intervenant peut se mettre à l’écoute des remarques des élèves. Nous avons remarqué dans notre pratique qu’elles sont riches et fort diverses. En effet, la population du canton de Vaud comprend non seulement des catholiques et des protestants en nombre égal mais également des adeptes d’autres religions, en particulier des musulmans. Ces derniers viennent souvent du Kosovo. En laissant les enfants s’exprimer sur ce qu’ils vivent en dehors de l’école et en le valorisant, les intervenants qui se réfèrent à cette finalité :

  • valorisent l’enfant dans son identité,

  • créent un climat interreligieux,

  • permettent aux élèves de parler du religieux tel qu’ils le vivent.

Mais les consignes données aux intervenants ne sont pas aussi précises.

Les éditions Enbiro réussissent également à combler le fossé inévitable entre le religieux tel qu’il se manifeste dans les traces laissées par la culture et le religieux tel qu’il est vécu par les élèves. Ils éditent en effet, pour les jeunes de 10 à 12 ans, Les religions en Suisse, paru en 2008. Ce programme jette un regard socio-culturel et historique sur le paysage religieux de la Suisse. Il met en valeur les mutations importantes du religieux dans ce pays au cours de ces dernières décennies. Ces documents donnent une grande place à l’histoire, mais leur partie géographique qui montre le paysage religieux suisse actuel permet d’aborder la situation vécue par les jeunes de l’école. Il s’agit en particulier de la montée de la diversité des croyances dans un même territoire. Ce genre de projet pédagogique n’est possible que dans les modèles B et C décrits dans notre point I.2, le modèle « français » (D) ne permet pas une telle actualisation.

3. Conclusion

Dans l’école publique démocratique, le religieux est un objet de recherche et d’étude qui se doit d’être placé sur le même plan que les autres domaines étudiés par les élèves. Lorsqu’il s’agit d’appréhender les traces de la religion dans la culture, les sciences historiques, littéraires ou artistiques possèdent les méthodes nécessaires à une recherche et un enseignement correspondant aux critères de notre époque. Mais comme la religion évolue rapidement, l’école qui se limite à l’analyse des faits religieux coupe les élèves du religieux qu’ils vivent réellement. Par ailleurs, qui peut exclure de l’école les questions existentielles des enfants ? Les réponses présentées ci-dessus permettent de révéler le problème, mais ne peuvent prétendre le résoudre.

Si en religion, comme dans toutes les autres matières, l’enfant doit apprendre à exprimer ses propres opinions et à les justifier, toutes ces opinions sont-elles compatibles avec la vie en démocratie ? Sur quels critères évaluer les efforts des élèves ? La neutralité totale, chacun le sait est un leurre. Les sciences de l’Homme ont développé des méthodes de travail permettant à la fois de respecter les libertés et à la fois d’éduquer à la vie en démocratie. En les appliquant au religieux, elles peuvent devenir indirectement révélatrices d’autres choses : les communautés religieuses qui respectent l’enseignement religieux conçu par les écoles démocratiques contribuent sans nul doute, à leur niveau, à la vie dans une société ouverte et tolérante, celles qui refusent à l’école le droit d’un enseignement religieux autonome posent sans doute des problèmes bien au-delà de la sphère scolaire.

III. Transmettre la foi

Les programmes décrits ci-dessus donnent une première indication sur la différence entre un enseignement religieux et la transmission de la foi. Mais la frontière n’est pas aussi étanche qu’il n’y paraît. Si connaître, comprendre, analyser ne nécessite pas réellement une démarche de foi, produire ses propres oeuvres, formuler une opinion et la justifier, peuvent relever d’une démarche croyante, même si elle n’est pas colorée d’un projet explicite de transmission de la foi.

Les religions s’investissent en général d’une double mission : « Le discours sur Dieu » et « La vie avec Dieu ». La catéchèse et, plus généralement, la théologie, relèvent du « Discours sur Dieu ». Théologiens et pédagogues du religieux parlent de Dieu. Mais les croyants parlent également avec Dieu. Il s’agit de la seconde mission du religieux : « La vie avec Dieu ». Elle concerne en général le liturgique, les rites, les rencontres communautaires. Nous proposons de privilégier le vécu liturgique et communautaire pour démarquer le projet pédagogique d’une communauté religieuse de celui de l’école. Dans cette optique, nous proposerions les finalités suivantes pour un projet de transmission de la foi en milieu chrétien :

  • Vivre sa foi en communauté[54].

  • Témoigner de l’Évangile[55].

  • Réfléchir sa foi[56].

Ces trois finalités s’inspirent d’une réflexion sur l’Église rédigée en préambule de la collection Grains d’KT. Le premier alinéa caractérise bien la relativisation du cognitif. Le cognitif n’est pas exclu d’une catéchèse de transmission de la foi, mais n’en constitue pas la première des finalités. Pour respecter ce principe, la pédagogie s’attachera à organiser des rencontres qui serviront d’événements de référence[57]. Ainsi le travail portera moins sur le plan des connaissances que sur celui des activités proposées aux enfants.

Nous commencerons par donner quelques exemples de célébrations afin de mettre en valeur l’importance du vécu dans un processus de transmission de la foi. Puis nous verrons l’intérêt des célébrations ritualisées dans une optique pédagogique. Ensuite nous aborderons une brève réflexion théologique pour montrer comment notre démarche s’enracine dans la tradition chrétienne et juive. Axer les rencontres des communautés croyantes sur le culte permet de mettre en oeuvre une pédagogie différenciée, de valoriser les activités des enfants, de respecter la manière biblique de célébrer Dieu.

1. Des célébrations à destination des enfants

Vivre sa foi en communauté signifie, dans une optique protestante (et plus généralement chrétienne) : célébrer Dieu, se rencontrer et participer à des projets avec d’autres chrétiens. Ce sont d’abord les déroulements des rencontres qui caractérisent cette catéchèse bien plus que son contenu. Les célébrations, tout en s’appuyant sur la tradition biblique, doivent être adaptées à la psychologie des enfants. Voici un exemple de célébrations pour enfants éditées par la S.E.D.[58]. Cet ouvrage contient onze célébrations pour enfant ainsi qu’un grand jeu. En voici les thèmes :

  • Célébrations : Choisis la vie (L’évangile selon Haïti) ; « Quelque chose de chouette » (créateurs avec le Créateur) ; « Différents d’une même famille » (la descendance d’Abraham, juifs, chrétiens, musulmans) ; « Construire des ponts » (la servante de Naaman, 2 R 5) ; « Toutes ces rencontres » (les chrétiens de Madagascar) ; « Je serai avec toi » (la fuite et l’angoisse de Jacob, Gn 25,19-27,28) ; « Un père formidable » (Lc 15) ; « Prendre le temps » (Noël) ; « Prêt à vos masques » (Carnaval et le stratagème de Jacob, Gn 27.32) ; « Abattons les murs » (Jéricho, Jos 6) ; « Un chemin vers la lumière » (la marche dans la nuit Ex 13,21-22).

  • Grand jeu : « Se rencontrer et partager », il s’agit d’un rallye sur le thème de la diversité.

Les Éditions Olivétan ont produit un second tome de célébrations pour enfants, sous forme de CD-ROM[59]. Cette production garde la même structure et s’appuie sur les mêmes principes que la précédente.

Contrairement à une idée reçue, le culte, et en particulier son cadre ritualisé, permet de tenir compte de trois principes d’une pédagogie contemporaine[60] :

  • traiter des thèmes qui concernent l’enfant,

  • rassembler les enfants « pour faire quelque chose »,

  • instaurer une pédagogie différenciée.

Nous avons décrit certains documents scolaires qui traitent de sujets existentiels. Ils semblent relever d’une catéchèse confessionnelle. Nous pensons que la caractérisation enseignement scolaire/transmission de la foi ne relève pas tant du contenu explicite des rencontres (du programme cognitif) que des activités proposées aux enfants. Pour simplifier, disons que l’école est le lieu « du discours sur Dieu » ou même « de la comparaison des discours sur Dieu » et la communauté religieuse, celui de « la vie avec Dieu », et même essentiellement de la vie rituelle et célébrante. La tradition protestante nous semble avoir trop peu développé ce concept. En faisant de la communauté le lieu de la célébration, nous évitons l’impression de redite entre l’école, fréquentée en semaine, et la communauté, fréquentée le dimanche, même lorsqu’un même sujet est abordé dans les deux lieux. Avec ce projet pédagogique, la communauté n’est jamais en porte-à-faux avec l’école et la pédagogie paroissiale n’est ni opposable ni superposable à la pédagogie religieuse scolaire.

Les Églises de la Réforme insistent sur l’aspect « cadeau de Dieu » comme fondement du culte. Il y a culte, parce que Dieu l’offre aux humains. Il honore son peuple d’une visite lors d’une fête organisée pour célébrer Sa splendeur. Le culte n’est donc pas un acte méritoire. Il n’est ni un sacrifice ni la répétition symbolique d’un sacrifice, mais « un bénéfice ». Or, bien souvent, les enfants ont l’impression qu’ils sacrifient une heure de leur temps pour participer au culte. La pratique, dans ce cas, contredit le message de l’Évangile. Les cultes doivent proposer aux enfants de vivre réellement une fête avec Dieu pour que le message annoncé de manière explicite soit également vécu comme tel de manière implicite. La pédagogie permet de combler le fossé entre les intentions des théologiens et ce qu’ils réalisent dans les faits. Les célébrations deviennent alors des moments où les enfants vivent le Royaume de Dieu.

La liturgie désigne le déroulement d’une célébration. Le vocable est souvent utilisé comme synonyme de la partie rituelle du culte, la différenciant ainsi de la prédication. Les célébrations (surtout protestantes) seraient séparées en deux parties distinctes : le rite, qui n’aurait aucun caractère édifiant et l’homélie, chargée d’annoncer la parole de Dieu. Or, le rite est porteur de sens et le sermon possède une dimension rituelle, comme l’a établi Laurent Gagnebin suite à une enquête dans l’Église Réformée de France[61]. Nous utilisons le mot liturgie pour désigner l’ensemble du culte dans sa dimension rituelle comme dans sa dimension homilétique. Le protestantisme est connu pour son austérité liturgique. Il se méfie des rites, souvent accusés de formalisme et masquant une foi véritable. Il devrait se réapproprier le liturgique grâce à une transformation du sens du rite. Il ne s’agit plus de comprendre le rite comme une répétition, destinée à relier le participant à l’Église universelle. Ici le rite permet de vivre une pédagogie active et différenciée. Dans cette optique le rite structure la diversité.

Le terme rite désigne une certaine régularité, voire même une dimension relativement rigide de la pratique religieuse. De fait, le rite implique qu’un élément ayant la même forme revienne au même moment lors de chaque rencontre. Le rituel permet au pédagogue de créer (ou : « oblige » le pédagogue à créer…) différentes formes d’expression pour le même énoncé. Le rite donne également un sentiment de sécurité à l’enfant. Ce dernier se retrouve dans un univers connu. L’impression de déjà-vu n’est pas un repoussoir, mais au contraire un élément favorisant l’accueil de la nouveauté : plus l’enfant est jeune, plus la ritualisation lui donnera confiance et lui permettra de progresser. Le rite ne s’oppose nullement à la nouveauté du message. Au contraire, le message est porté par le rite, et chaque rencontre peut apporter beaucoup de neuf, à condition, bien entendu, que l’énoncé à enseigner soit traduit dans chaque aspect du rituel.

Par ailleurs, l’enfant a l’attention labile. Plus il est jeune, plus les activités doivent varier. Après avoir écouté quelques minutes, il désire découper ou chanter. Après avoir colorié, il veut lire ou jouer avec un ballon. Cette caractéristique est jumelée avec son désir de rite, donc de faire toujours la même chose. En réalité, l’enfant, s’il délaisse rapidement une occupation, aime également la retrouver régulièrement. S’il faut lui proposer dix jeux différents dans la matinée, il voudra refaire les dix mêmes le lendemain. En grandissant, la donne change un peu. Il se concentrera plus longtemps et désirera moins refaire ce qu’il a déjà fait la veille. Il sera plus sensible à l’irruption de l’inattendu. Mais le principe demeure : le rituel structure le message de manière à le rendre audible dans de bonnes conditions pédagogiques. Il permet, au cours d’une même célébration, de décliner une thématique évangélique sous différentes formes. Dans les célébrations que nous avons citées, le déroulement suivant revient régulièrement : (a) être invité, (b) être accueilli, (c) dire sa joie, (d) parler avec son corps, (e) rencontrer l’évangile, (f) prier et se quitter.

2. Valoriser l’enfant

Nous proposons de valoriser l’enfant de deux manières. D’une part en lui proposant de faire une réalisation personnelle à partir d’un thème qui le concerne, d’autre part en lui permettant de rendre publique, dans le cadre d’un culte, l’oeuvre ainsi créée.

Voici trois exemples de thèmes avec une activité.

Dans la vie de tous les jours, il nous arrive de trouver des choses nulles. Parfois c’est moi qui me sens nul ! Mais ce qui est nul pour moi ne l’est pas forcément pour mon voisin et encore moins pour Dieu ! Dieu veut faire quelque chose de beau de nos vies. Il ne dit jamais : « Tu es nul ». Les enfants vivent l’histoire du potier racontée dans Jr 18,1-12. Ensuite ils créent et modèlent un objet en terre glaise. Ils s’expriment également sur tout ce qu’ils trouvent nul dans la vie, la leur et celle du monde.

Autre célébration : les enfants font des rêves qui laissent des souvenirs bizarres ou enchanteurs. Prenons le temps de les écouter et de les prendre au sérieux. Dans le livre de Daniel nous trouvons un rêve étrange qui rappelle que Dieu parle souvent aux hommes à travers les rêves. Il est parfois bon de se dire : « Ce n’est qu’un rêve ». Les enfants construisent ensuite la statue du rêve. Ils en réalisent chacun une partie, car elle doit être très grande par rapport à eux[62]. Puis à l’aide de balles de tennis ils détruisent le menaçant colosse.

Autre exemple : La mort de Jésus, une mort qui donne la vie ! Jésus est-il « mort ou vif » ? Les enfants réalisent un bricolage « recup’art » : transformer un rouleau de papier hygiénique vide, prêt à être jeté, en un objet utile et beau, un maracas. Ce qui semblait « mort » retrouve alors une nouvelle vie.

À chaque fois les adultes sont invités et ils voient les réalisations de leurs enfants.

La catéchèse de transmission de la foi se heurte à une difficulté pour valoriser le travail des enfants. Les enfants fréquentent le monde scolaire et dans ce monde le travail est attesté par une note. La note, et plus tard l’examen, prouve à l’enfant que l’adulte s’est préoccupé de son travail. Même si le travail n’est pas bon et que la note est décevante, l’enfant voit qu’il n’a pas travaillé pour rien : l’adulte a analysé son travail. L’absence de note dans les rencontres organisées par les Églises peut dévaloriser, aux yeux des enfants, les efforts qu’ils font pour réaliser de belles choses. En proposant aux enfants d’être actifs dans les célébrations, nous valorisons leurs oeuvres à leurs yeux, aux yeux des autres et aux yeux de Dieu. Leur participation active aux célébrations a le même impact que lorsque l’enseignant rend à l’enfant l’exercice corrigé avec ses remarques : les adultes ont vu la réalisation de l’enfant.

Cette remarque nous entraîne encore plus loin. Même lorsqu’une communauté paroissiale organise des rencontres pour enseigner certaines choses aux enfants, il serait nécessaire de conclure ces rencontres par une célébration en présence des parents et de toute la communauté. Il s’agit davantage d’une célébration « avec les enfants » que d’une célébration « pour les enfants ». Cela signifie qu’au cours de la liturgie, ils chanteront le(s) chant(s) qu’ils ont appris, ils montreront les oeuvres qu’ils ont réalisées, ils prieront les prières qu’ils ont apprises, voire même rédigées, ils présenteront les scènes bibliques qu’ils ont étudiées et, tout ceci, dans le décor qu’ils auront réalisé. C’est ce qui distingue profondément le religieux scolaire de la pédagogie destinée à la transmission de la foi. En sortant d’un cours de religion à l’école, les enfants devraient pouvoir dire : « Aujourd’hui, j’ai appris cette chose que j’ignorais ». En sortant d’une rencontre dans une communauté croyante, ils devraient pouvoir dire : « Aujourd’hui, j’ai passé un bon moment et je m’en souviendrai ».

3. Revenir à la manière biblique de célébrer

Les célébrations de l’époque biblique comportent un grand nombre de gestes symboliques. Ils provoquent la curiosité et les questions de tous ceux qui n’en saisissent pas le sens immédiatement, en particulier les enfants. Les pères ont l’ordre exprès de répondre à ces questions et d’instruire ainsi leurs enfants (Ex 3,8). Le traité de la mishna sur la célébration de la Pâque indique les questions que doivent poser les enfants et ce que les pères doivent répondre au moment du repas de la fête (Pesahim 10).

Nous avons abordé cette question dans un article publié par les Cahiers de l’Institut Romand de Pastorale[63]. Nous y avons proposé une transformation du sens du rite. Il ne s’agit plus d’une répétition ritualisée destinée à relier le participant à l’Église universelle, mais de la prise en compte des découvertes des sciences de l’éducation. Cette approche n’a pas la pédagogie pour seul fondement. Elle s’inscrit dans un courant qui trouve son origine dans les Écritures du judaïsme et du christianisme.

Le culte de l’ancien Israël n’est autre qu’un repas offert à Dieu[64]. Il ne s’agit pas de le nourrir pour acheter sa bienveillance, mais « de l’honorer comme une personnalité dont il est bien clair qu’elle n’a nul besoin de ce repas mais dont la venue constitue pour son amphitryon un grand honneur[65] ». Dieu « descend » alors pour se joindre à une fête célébrée en son honneur. En acceptant l’invitation qui lui est adressée, Dieu offre sa présence aux humains. Le culte vétérotestamentaire correspond dans ce cas au sens que la Réforme lui a donné : un don de Dieu pour l’humain[66]. Le Dieu qui accepte de partager un repas avec les êtres humains exprime ainsi sa solidarité avec sa créature. C’est un Dieu proche, familier hôte invisible de tous les festins[67]. Le Dieu de l’Ancien Testament partage les joies et les peines du quotidien des femmes et des hommes qui vivent en ce monde.

Outre cette caractéristique théologique, la liturgie de ces fêtes intéresse notre pratique, car elle se concrétise par des activités. Les mains préparent la nourriture et le corps l’absorbe. La métaphore du repas est particulièrement riche, car tous les sens participent à l’événement : les fidèles parlent avec leurs mains et leurs corps[68]. Ces fêtes se vivent en groupe. Le Lévitique demande de manger toute la viande de l’animal sacrifié le jour même, ce qui n’est possible que si la fête rassemble tout un groupe[69], d’autant plus que des gâteaux et du pain accompagnent la viande. Tout ceci n’empêche pas la parole de Dieu d’être également exprimée sous forme verbale. Le psaume 116, par exemple, semble bien être un élément liturgique d’une célébration vécue par quelqu’un remerciant Dieu pour une guérison. Par ailleurs, « la matière des sacrifices est toujours transformée voire même salée[70] ». Les participants apportent quelque chose qu’ils ont confectionné auparavant. Ils vivent donc déjà la célébration avant même d’y avoir participé[71].

Dans le Nouveau Testament, les chrétiens vivaient des liturgies dans différents lieux : le temple, les synagogues, des maisons ou des places publiques[72]. Les célébrants voyaient et écoutaient[73], priaient[74] et recevaient la bénédiction[75], chantaient et parlaient[76]. Les premières liturgies chrétiennes semblent se caractériser par le souci du rassemblement, le lieu en tant que tel n’ayant plus de caractère sacré[77]. Mais toutes ces célébrations n’étaient sans doute pas statiques. Les récits actuels de la passion étaient une liturgie vécue par les convertis au christianisme venant à Jérusalem[78]. Il suffit de les lire pour comprendre que ces liturgies se caractérisaient sans aucun doute par des déplacements dans tel ou tel lieu de mémoire. Par ailleurs, le baptême et la fraction du pain deviennent des éléments fondamentaux de la liturgie. La symbolique baptismale et eucharistique devint même ce qui caractérisa le culte chrétien par rapport à celui de la synagogue, dont il calqua au début de nombreux aspects[79]. Or avec ces deux sacrements nous sommes tout à fait dans une liturgie du geste et du mouvement.

Bref, le culte dans la Bible est centré sur la vie communautaire, la célébration de la splendeur de Dieu dans notre monde, « la vie avec Dieu ». Par la suite, la place importante du baptême poussa très tôt les chrétiens à agrandir les bâtiments où ils se réunissaient[80]. La liturgie de baptême nécessitait[81] en effet des déplacements (préparation, puis descente dans l’eau). Le baptême était suivi du repas du seigneur, donc de déplacement de toute la communauté vers un lieu avec tables, etc.[82]. L’aspect essentiel de ces cultes restait le rassemblement de la communauté. Plus généralement les liturgies chrétiennes dans l’Occident du premier millénaire peuvent être qualifiées d’ambulatoires[83]. Les participants se promenaient alors beaucoup. Ils passaient d’un autel à l’autre[84] : tous ne faisaient pas la même chose en même temps. Cette période vivait déjà une sorte de pédagogie différenciée.

4. Conclusion

Axer la pédagogie de la transmission de la foi sur la dimension célébrante de l’Église permet de se démarquer du religieux scolaire sans entrer en polémique avec les programmes scolaires. Les expériences réalisées ici et là prouvent que cet objectif est viable. Elles correspondent aux pratiques ancestrales du christianisme et du judaïsme. Mais elles offrent également un autre avantage. Dans nos sociétés, les parents peuvent proposer à leurs enfants une quantité impressionnante d’activités extrascolaires. Le sport, la musique et tant d’autres choses encore, sont proposés aux enfants par des organismes en général bien armés pour leur offrir des activités attirantes. Les Églises sont concurrencées sur le plan des possibilités horaires par des institutions attractives. Par contre elles sont les seules à pouvoir proposer des activités de type liturgique. C’est leur force et cela leur permet d’avoir une offre originale. Elles ont donc tout intérêt à travailler les liturgies pour enfants tout simplement parce que le liturgique constitue un de leur principal métier.

IV. La matrice disciplinaire de la pédagogie religieuse

La religion à l’école fait souvent débat pour des questions de discipline : port du couteau pour les sikhs, voile islamique, séance de piscine mixte, tout cela relève de la vie scolaire. Or la religion ne se limite pas à un catalogue de comportements plus ou moins en adéquation avec la société. La religion est aussi un objet d’étude. Jusqu’au début du xxe siècle, cette étude se limitait à la compréhension des doctrines de la religion que les élèves avaient héritée. L’autonomie progressive du religieux à l’école oblige les pédagogues à penser une matrice disciplinaire pour cet enseignement. La matrice disciplinaire constitue l’unité épistémologique qui donne sa cohérence à l’ensemble ; cadre de référence d’une discipline, elle charpente son principe d’intelligibilité[85].

Cette tâche était rendue difficile, car dans bien des lieux le respect des croyances l’emportait sur le souci de l’étude. D’une manière générale les écoles démocratiques se sont affranchies d’une trop grande influence du discours que chaque religion tient sur elle-même. Mais le contenu de l’enseignement n’est qu’un des aspects de l’agir éducatif. L’enseignant propose certes un contenu, mais il demande également à l’élève des activités. Ici, le respect des croyances et le respect de la nature scientifique de l’enseignement risquent d’entrer en conflit. C’est un risque qu’il faut courir, car il s’agit, in fine, de permettre à l’individu d’organiser sa propre hiérarchie des valeurs en un système intrinsèquement cohérent. Respecter l’épistémologie des sciences religieuses et se soucier des préoccupations des apprenants constitue une bonne voie pour y parvenir.

Religion et école ont tout intérêt à se ménager des lieux de dialogue. En effet, dans bien des cas, la pédagogie mise en oeuvre dans les cours de religion constitue un plus pour les confessions. Un discours extérieur à elles-mêmes peut les rendre attentives à certaines lacunes qu’elles ont dans la compréhension d’elles-mêmes. Elles peuvent nourrir leur propre pédagogie du travail réalisé pour les élèves de l’école. Mais elles doivent également rendre attentif les décideurs des programmes à l’évolution contemporaine des doctrines et pratiques religieuses. Les grandes religions se transforment sans cesse et proposent continuellement de nouvelles manières de croire. Elles évoluent plus vite que ne le pensent beaucoup de concepteurs de programme.

Les religions font partie des instances de proposition de la nouveauté. L’école ne peut l’ignorer si elle ne veut pas se couper de la réalité.