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« Husserl parle peu de théologie, et, quand il en parle, c’est en philosophe qui n’accepte aucun présupposé, car son projet demeure profondément cartésien […] » (p. 21). Ainsi débute le premier chapitre de Husserl et l’idée de Dieu, du professeur Emmanuel Housset, de l’Université de Caen, en Basse-Normandie. Tout ce livre examine méticuleusement comment la pensée d’Edmund Husserl (1859-1938) a appréhendé non seulement « l’idée de Dieu », mais aussi une multitude de questions touchant le statut des différents courants philosophiques, ou encore les rapports multiples entre philosophie et théologie. Du point de vue conceptuel, cette réflexion d’Emmanuel Housset à propos de l’idée de Dieu selon Husserl est souvent passionnante et judicieusement articulée : « […] il est hors de question, pour Husserl, de dire que Dieu existe ou n’existe pas, car de telles affirmations bloquent l’accès à une théologie phénoménologique cherchant à élucider comment Dieu se donne à la conscience » (p. 23).

D’emblée, les premières pages rappellent que même vers la fin de sa vie, Husserl dénigrait les philosophies orientales ; mais ici, Emmanuel Housset n’accuse pas pour autant le philosophe d’ethnocentrisme, il indique plutôt que cette attitude résulte du profond respect d’une certaine tradition intellectuelle empreinte de classicisme. Pour l’auteur, Husserl « ne parle que d’une façon évasive et méprisante des “philosophies orientales”, qui, selon lui, ne peuvent pas être nommées “philosophies”, non parce qu’elles ne pensent pas, mais parce qu’elles ne partagent pas l’Idée de philosophie telle qu’elle est apparue en Grèce » (p. 32).

Ce sixième ouvrage d’Emmanuel Housset (et son troisième consacré à Husserl) se subdivise en cinq parties. Le premier chapitre est plus général et touche spécifiquement la phénoménologie de la vie religieuse. L’auteur conclut que « le projet de Husserl est plus celui d’une théologie pure de toute dimension anthropologique que celui d’une religion naturelle […] » (p. 69). Le second chapitre porte sur la question centrale de « Dieu comme idée ». Cette idée de Dieu selon Husserl est définie par Emmanuel Housset en des termes qui rappelleraient Descartes : « L’idée de Dieu, c’est Dieu en moi » (p. 72). Le professeur Housset précise : « Dieu est l’idée de l’infini en moi » (p. 72). Suivant méticuleusement la pensée de Husserl dans de nombreux prolongements, Emmanuel Housset n’oppose jamais la philosophie à la théologie ; il affirme que les deux disciplines peuvent coexister : « Si la tâche de la philosophie est de donner aux hommes des yeux pour voir, cela n’exclut en rien que Dieu en son ordre propre donne à voir » (p. 77). Les trois derniers chapitres touchent respectivement l’éthique, « Dieu acte pur », et pour terminer la question de la transcendance de Dieu. Ainsi, l’avant-dernier chapitre sur le « Dieu éthique » examine les différentes formes d’amour d’après les écrits de Husserl : amour de l’art, de la science, de la sagesse, de Dieu, ou l’amour d’une mère pour ses enfants (p. 141). Pour situer ces différentes dimensions en des termes conceptuels et théoriques, le professeur Housset fait preuve d’un style élégant : « Le propre de la phénoménologie est de ne pas vouloir considérer la volonté de se porter vers son devoir comme quelque chose qui va de soi, et c’est pourquoi elle veut élucider le comment d’une telle validation » (p. 141).

Sans prétendre servir d’introduction générale à la pensée de Husserl, cet ouvrage sera néanmoins accessible aux lecteurs n’ayant aucune connaissance des écrits husserliens. Les non-initiés y trouveront en outre une discussion stimulante sur la phénoménologie et notamment sur les nombreux liens possibles entre philosophie et théologie. Terminons ce compte rendu par une remarque hors propos sur le design de l’ouvrage : curieusement, la couverture et la 4e de couverture n’indiquent nulle part le nom de l’éditeur, mais brandissent à trois endroits le nom de la collection « Philosophie & Théologie ». Pourtant, il s’agit bien d’une parution des Éditions du Cerf.

Spécialiste de Husserl, Emmanuel Housset approfondit brillamment l’oeuvre du philosophe allemand et il expose son propos dans un style clair, en dépit de sa profusion de phrases très longues. En guise de confirmation de sa qualité, le livre Husserl et l’idée de Dieu a reçu en 2011 le prestigieux Prix La Bruyère remis par l’Académie française pour récompenser l’auteur d’un ouvrage en philosophie (voir l’annonce de ce prix sur le site Internet de Canal Académie, magazine francophone des Académies sur Internet : http://www.canalacademie.com/ida8112-Rentree-solennelle-de-l-Academie-francaise-2011.html).