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Ainsi que le rappelle Lionel Ponton dans le magistral historique qu’il fait paraître dans le Supplément que nous publierons en 2006, notre revue aura consacré, au fil des ans, de nombreuses pages à la théorie de l’évolution biologique. Il y a lieu de s’en féliciter. Dès octobre 1936, Charles De Koninck avait mis sur pied un symposium de philosophie pour l’étude de l’évolution, auquel participa le Frère Marie-Victorin, botaniste célèbre de grande culture, qui, s’appuyant sur la paléontologie et l’expérience de la continuité de la vie, se déclara convaincu « que les types vivants naissent non seulement les uns après les autres, mais les uns des autres ». Après avoir cité cette déclaration dans le Rapport de ces journées, Charles De Koninck ajoutait pour son propre compte : « D’autre part, rien, ni dans les Écritures, ni dans les décisions ecclésiastiques, ni dans la philosophie, ni dans la théologie n’en contredit la possibilité ». En 1936 également paraissait Le Cosmos, par Charles De Koninck, dont de larges extraits comportant, entre autres, des considérations positives sur l’évolution biologique, furent republiés beaucoup plus tard dans le Laval théologique et philosophique (50, 1, 1994, p. 111-143). Le Laval théologique et philosophique publia d’abord en 1948 un article remarquable du professeur W.R. Thompson, intitulé « L’évolution des êtres vivants » (4, 1, 1948, p. 37-48). Deux ans plus tard, Charles De Koninck reprit, dans le Laval théologique et philosophique (6, 2, 1950, p. 362-367), la préface en forme de pastiche qu’il avait rédigée pour le tome II du livre de l’abbé Louis-Eugène Otis : La doctrine de l’évolution (Montréal, Fides, 1950), issu d’une thèse qu’il avait dirigée et dans laquelle il s’était fortement impliqué personnellement. En 1952, ce furent les principales communications d’un nouveau symposium sur l’évolution que publia notre revue, dont un excellent texte de nul autre que Ludwig von Bertalanffy, intitulé « On the Logical Status of the Theory of Evolution » (8, 2, 1952, p. 161-169).

Enfin, la théorie synthétique de l’évolution fut réexaminée par Michel Delsol et ses collègues de l’Université catholique de Lyon dans le numéro thématique de février 1994. Le hasard et la sélection expliquent-ils l’évolution ? La réponse des auteurs était nuancée et complexe, comme il se doit, mais un point majeur s’en dégageait nettement : « Le hasard n’explique que ce qui était possible, c’est-à-dire les processus suivant lesquels les lois du cosmos ont fabriqué la vie. Le hasard n’apporte aucune réponse à la grande question : pourquoi tout ceci était-il en possibilité ? On comprend, en somme, que l’homme de science cherche à décrire la matière vivante et à en connaître les possibilités, tandis que le métaphysicien, se posant des questions globales, cherche à en dégager les enjeux et le sens » (50, 1, 1994, p. 41).

Le dossier que nous publions à présent, « Hasard et déterminisme dans l’évolution biologique », s’inscrit dans cette continuité. Il est cette fois le fruit du groupe d’étude « Évolution biologique, philosophie et théologie », réuni à Louvain-la-Neuve le 8 octobre 2004 ; il a été préparé sous la direction de Michel Delsol, Marie-Claire Groessens et Bernard Feltz. On y retrouve toujours cet égal respect des points de vue, chaque fois autonomes, de la science, de la philosophie et de la théologie, en même temps que le souci de faire progresser notre vision intégrale de l’être humain et de l’univers par des échanges constructifs et dynamiques. Nous remercions vivement ses auteurs d’avoir tenté de répondre ainsi de concert, avec autant de compétence et d’honnêteté, au besoin toujours plus pressant de sens et de discernement qui accompagne les magnifiques découvertes scientifiques de notre temps, faisant ressortir du même coup la nécessité accrue aujourd’hui du dialogue interdisciplinaire, certes, mais aussi d’une authentique philosophie de la nature.