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Pour présenter le présent livre de droit à un public composé principalement de théologiens et de philosophes, il nous paraît nécessaire en premier lieu de dire un mot sur le contexte dans lequel s’inscrit cet ouvrage, de même que sur le groupe qui le parraine, à savoir le European Consortium for Church and State Research.

La création de l’Union Européenne (UE) repose, au premier plan, sur le développement d’une nouvelle législation commune aux pays membres, et sur l’effort d’harmonisation et d’intégration des diverses législations nationales en fonction des traités internationaux et communautaires. Ces développements sont venus bouleverser considérablement l’ordre des compétences juridiques : des matières qui étaient de la compétence exclusive des États se sont retrouvées sous la compétence d’instances européennes. Les religions, qui jouissaient souvent au niveau étatique d’un statut juridique particulier en raison de leur ancrage culturel et historique, ne sont évidemment pas exemptes de ces développements. Bien au contraire, le statut juridique des religions est affecté à au moins deux niveaux. En premier lieu, la législation communautaire s’applique parfois directement ou indirectement aux religions. En deuxième lieu, l’effort d’harmonisation des législations nationales, dans un contexte de pluralisme religieux croissant, affecte particulièrement le statut des religions traditionnelles.

Cette situation fait l’objet d’une surveillance et d’interventions de la part des Églises européennes depuis assez longtemps. Par exemple, déjà en 1953, Pie XII, s’adressant aux juristes catholiques italiens, avait attiré leur attention sur le fait que les nouvelles législations européennes ne devaient pas venir affecter les droits traditionnels de l’Église et les ententes concordataires (DC, 1953, col. 1601-1608). Toutefois, du côté de la communauté juridique comme telle, il n’y avait pas vraiment de travaux concertés avant la création du European Consortium for Church and State Research (www.uni-trier.de/eurocon), en 1989. Celui-ci a rassemblé un groupe de juristes spécialisés en droit civil ecclésiastique et a ainsi entrepris un travail de recherche constant sur le statut juridique des religions dans l’UE. Depuis sa fondation, le Consortium a tenu plus d’une quinzaine de congrès consacrés à la comparaison de divers aspects du droit civil ecclésiastique à l’intérieur des pays membres de l’UE. Il a publié les Actes de ces congrès, publie une revue, la Revue européenne des relations Église-État, de même qu’un bulletin d’information.

Le présent livre, premier tome d’une série de trois, offre, au terme de nombreuses années de travail, une recension des textes législatifs concernant les religions dans l’UE et dans les pays membres. Il va sans dire que cette collection de lois est fort utile pour les juristes, mais elle ne l’est pas moins pour les recherches en sciences religieuses. En effet, depuis quelques décennies, on assiste à un nombre croissant de recherches sur le droit à l’enseignement religieux public, sur le statut juridique des divers mouvements religieux, ou encore sur de nouvelles applications de la liberté de conscience. Or, dans ces recherches, il est souvent nécessaire de se référer aux textes juridiques en vigueur. Le présent ouvrage devient un outil fort utile à cette fin et permet ainsi de développer des arguments sur une base juridique comparative.

La division des trois tomes suit une base géographique. Le premier tome rassemble les textes législatifs de l’Union Européenne et des pays de la Méditerranée, soit l’Espagne, la France, la Grèce, l’Italie et le Portugal. Le deuxième tome rassemblera les pays de langue allemande (Allemagne, Autriche) et les pays du Benelux (Belgique, Pays-Bas, Luxembourg). Enfin le troisième tome sera consacré aux pays du Nord de l’Europe (Danemark, Finlande, Suède) et aux Îles Britanniques (Royaume Uni, Irlande). Ce partage géographique, comme le suggère S. Berlingò, est le compromis dont les limites sont les plus acceptables. Par exemple, l’Espagne, la France, l’Italie et le Portugal partagent certainement un même bassin de développement historique pour le droit, mais peut-on en dire autant de la Grèce. Dans un autre ordre d’idée, en France la région de l’Alsace-Moselle jouit d’un régime de droit particulier qui remonte à la « Loi Falloux de 1850 », qui, sous plusieurs traits, échange des parentés avec le droit allemand. Néanmoins, en raison de la diversité juridico-historique importante qui partage les pays européens, le partage géographique proposé est sans doute le plus acceptable et celui qui assure la meilleure base comparative.

La division de chacun des volumes est, évidemment, faite en fonction de chacun des pays et prend soin de tenir compte de la législation qui concerne toutes les religions et non pas seulement l’Église catholique, anglicane ou protestante. Là encore, la mise en parallèle de traditions juridiques centenaires a imposé ses limites. Il aurait été fort utile pour les chercheurs de diviser la législation de chacun des pays sous les mêmes matières, par exemple, l’enseignement de la religion, le financement des Églises, etc. Néanmoins, la nature des diverses législations empêche une telle division. En effet, il arrive qu’un texte législatif contienne des références à plusieurs matières, par conséquent il devient impossible de le diviser et de le présenter en plusieurs endroits. Il n’est donc rapporté qu’à une seule place. Par ailleurs, les textes législatifs concernant les religions peuvent avoir différentes valeurs juridiques. Il peut s’agir de texte de droit constitutionnel, d’ententes internationales (concordats), de simples règlements, etc. Ces catégories peuvent varier considérablement d’un pays à l’autre. Il peut arriver, par exemple, que dans un pays ce qui concerne les religions ne soit pas régi au plan constitutionnel. En raison de toutes ces distinctions possibles, on a suivi la division la plus appropriée pour chacun des pays.

En ce qui concerne les textes législatifs et réglementaires de l’UE, le lecteur doit garder présent à l’esprit que la législation européenne est encore en pleine ébullition. Ce qui veut dire que dans l’éventualité d’une recherche qui s’y rapporterait, il faudrait prendre soin de vérifier la nouvelle législation communautaire en matière religieuse. De plus, il faut être conscient que la législation de l’UE n’est pas la seule législation internationale qui vienne déterminer la juridiction des pays européens. Il faut prendre en compte les traités provenant de nombreux organismes des Nations Unies, ceux du Conseil Européen, ceux de l’Organisation pour la Coopération et la Sécurité en Europe.

Pour effectuer des recherches comparatives à partir de ce livre, le seul outil qui nous est offert est la table des matières située à la fin du volume et qui cite chacun des textes juridiques recensés. Celle-ci comporte de sérieuses limites. Il arrive parfois, en effet, que le titre d’une loi ne livre aucune indication quant à son contenu. Dans ce cas, il devient difficile, à moins de lire tous les textes, de savoir s’il se rapporte à la question qui nous intéresse. Il aurait été utile que le livre contienne un index des principales matières traitées. Bien sûr, nous sommes conscient des limites d’un pareil outil de même que de la difficulté de sa conception, il n’en demeure pas moins que cela aurait été d’une grande utilité pour la recherche.

À notre avis, ce livre constitue un ouvrage de référence pour les recherches en sciences religieuses. Il s’agit de la première compilation du genre opérée par une équipe de juristes spécialisés.