Recensions

Marcel Conche, L’aléatoire. Paris, Presses Universitaires de France (coll. « Perspectives Critiques »), 1999, 240 p.[Notice]

  • Jean-Pierre Fortin

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  • Jean-Pierre Fortin
    Université Laval, Québec

La thèse centrale sur laquelle repose tout ce livre nous semble être la suivante : « […] le réel n’est que de l’aléatoire se réalisant, une telle réalisation de l’aléatoire est elle-même aléatoire et l’aléatoire ne cesse que lorsque l’avoir lieu cède la place à l’avoir eu lieu » (p. 163). Si on résume cette idée en une formule clé, on obtient ceci : « Le réel est cela même : l’événement » (p. 163). Marcel Conche dit encore « notre thèse est celle de la priorité ontologique de l’événement » (p. 157). « “Aléatoire” se dit de ce qui arrivera, ou de ce qui arrive mais n’est pas encore arrivé, donc d’un événement futur devant s’accomplir ou d’un événement présent s’accomplissant, mais non encore accompli […] » (p. 145). Or le futur est par définition indéterminé et le présent s’accomplissant est la définition même de ce qui est présentement sujet au mouvement. Par conséquent, la réalité même en tant que telle est l’événement, c’est-à-dire le mouvement. Si la réalité fondamentale à toutes choses est le mouvement lui-même, il s’ensuit qu’il ne saurait être possible qu’il repose sur une « substance » au sens aristotélicien du terme, sous peine d’être dépouillé de son statut de réalité première. Pour admettre cette thèse, il faut donc réfuter la physique d’Aristote, ce que Marcel Conche se propose de faire en montrant qu’il existe une « confusion aristotélicienne de la grammaire et de l’ontologie » (p. 109). Selon lui, « Aristote part de la proposition, qu’il ramène à la forme : Sujet est Prédicat ; ensuite, il définit le réel — la structure du réel — d’après la proposition, forme du discours humain » (p. 109). Par voie de conséquence, la distinction faite par Aristote entre la substance et les accidents qui affectent cette dernière est due d’abord et avant tout à la division grammaticale entre sujet et prédicat. Soulignons que cette thèse est également pour M. Conche celle du sens commun. La conclusion est claire : Aristote ne parle pas tant de la réalité en tant que telle que des mots qui l’expriment. « Bref, [Aristote] conclut de la structure grammaticale à la structure réelle, de la grammaire à la réalité. Dès lors, il n’y a pas immédiateté, mais médiation grammaticale » (p. 110). Un second argument est présenté contre ce que l’on pourrait nommer « l’ontologie » d’Aristote : en divisant les choses en fonction d’un sujet du mouvement (lui-même immobile) et de ses accidents ou entre un sujet et son prédicat, on subordonne le mouvement à l’être, on va même jusqu’à le nier. « Chez Aristote, l’événement se trouve subordonné à l’être, à l’ousia individuelle, substance substantive. Mais, de plus, il substantifie l’événement lui-même en réduisant le verbe de mouvement et d’action au couple copule (est) + prédicat, c’est-à-dire à deux immobilités » (p. 147). Le fait est que selon Marcel Conche, la physique d’Aristote n’est pas en mesure de répondre du « tout s’écoule » d’Héraclite, au devenir constant de toutes choses. Ce dernier implique, selon lui, que le réel est mouvement, et il n’est d’ailleurs pas surprenant qu’il soit fait mention de Bergson : « Puisqu’il n’y a rien qui ne change, le changement n’est plus le changement de choses qui changent, le mouvement n’est plus attaché à un mobile. » Il ne reste que le « changement sans rien qui change » : « Ce changement se suffit, il est la chose même » (p. 156). Si tout change et si le mouvement baigne dans l’aléatoire, alors une conséquence évidente apparaît : il est impossible de connaître …