Recensions

Alfred Loisy, Écrits évangéliques. Un siècle après les « petits livres rouges ». Textes choisis et présentés par Charles Chauvin. Paris, Les Éditions du Cerf (coll. « Textes en main »), 2002, 240 p.[Notice]

  • Paul-Eugène Chabot

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  • Paul-Eugène Chabot
    Missionnaires du Sacré-Coeur, Sillery

Ce livre se recommande d’abord par une excellente biographie de Loisy. Charles Chauvin replace le chercheur méthodique et singulièrement indépendant qu’était Alfred Loisy dans le contexte intellectuel de son époque. Il fait bien voir dans quelle atmosphère de traditionalisme théologique et de méfiance des méthodes modernes d’analyse travaillaient les exégètes de cette époque. Cette biographie montre aussi le caractère complexe de la pensée de Loisy, une pensée toute en méandres, au point de soulever des doutes sur la sincérité de l’homme autant que du chercheur. L’auteur fait également ressortir comment Loisy s’est éloigné peu à peu de l’Église, davantage poussé par les autorités que de son propre mouvement. Car il y a eu de la part de Loisy une certaine naïveté. Il croyait pouvoir réformer le climat des études dans l’Église catholique. Comme le titre de l’ouvrage l’indique, le corps du volume consiste en des commentaires de Loisy sur les écrits évangéliques, parus dans des livres « introuvables aujourd’hui ». Ces textes sont d’un intérêt certain pour prendre la mesure du travail exégétique de Loisy. Il serait évidemment injuste de comparer les commentaires de Loisy à ceux d’exégètes plus récents qui bénéficient de recherches et d’instruments d’analyse que Loisy ne pouvait qu’entrevoir. Le travail de Loisy est plutôt à rapprocher de celui des exégètes éclairés de son temps, et notamment du Père Marie-Joseph Lagrange, qu’il a bien connu. Les textes colligés par C. Chauvin donnent une bonne idée de l’approche exégétique de Loisy. La pensée de Loisy s’élève parfois à une vision lumineuse du texte évangélique. On pense ici à son commentaire sur les noces de Cana (p. 183-196). Mais dans l’ensemble, Loisy s’attache plutôt à dégager les intentions plus ou moins avouées de l’auteur évangélique et il tire des leçons de l’usage plus ou moins habile que l’auteur fait des sources dont il dispose. L’exégèse de Loisy souffre d’une faiblesse récurrente. Il s’attache tellement à discuter de l’historicité des faits rapportés par l’évangéliste qu’il néglige le sens qui ressort de la structure même du texte, tel que l’auteur l’a élaboré. La lecture des analyses exégétiques de Loisy est surtout utile d’un autre point de vue, qui est celui de l’historien. Elle montre que si Loisy a tant inquiété les autorités, ce n’est pas d’abord par son exégèse proprement dite, bien qu’elle parût inacceptable à plusieurs. La force de Loisy venait moins de son exégèse que des conclusions qu’il tirait de ses études exégétiques. Notamment ses conclusions concernant les rapports entre l’évangile et l’Église. On connaît la formule lapidaire de Loisy : « Le Christ annonçait le Royaume et c’est l’Église qui est venue ». Chauvin rapporte cette autre remarque : « […] le progrès doctrinal est dans l’Église enseignée avant de passer dans la (dite) Église enseignante » (p. 27). Loisy excellait dans ce genre d’affirmations qui posent les problèmes dans une lumière crue. Il en était d’ailleurs conscient. « Il y a de par le monde des exégètes catholiques bien plus érudits que moi ; il n’y en a peut-être pas beaucoup qui voient mieux le fond de la question biblique » (p. 17). Le livre de C. Chauvin sera fort utile pour ceux qui veulent connaître la qualité des travaux exégétiques de Loisy. Mais pour prendre la vraie mesure de Loisy comme penseur et pour comprendre pourquoi il a été au coeur de la crise moderniste, il faut aller du côté de ses productions plus théologiques, du côté des petits « livres rouges », dont C. Chauvin veut souligner l’anniversaire.