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Ouvrage religieux mais aussi historique et patrimonial, qui plus est publié par un petit éditeur parisien assez peu connu sur le continent américain, il semble que Cathédrales, symboles et lumières soit passé inaperçu auprès de la critique. C’est bien dommage, car l’anthropologue Félix Schwarz nous propose un exposé fort pertinent sur l’architecture et la symbolique des lieux consacrés de la chrétienté en France.

D’emblée, l’auteur débute en rappelant qu’en tant qu’objet chargé de symboles devant être décodés, la cathédrale européenne du Moyen Âge se voulait au départ un « modèle du cosmos » et une « image de la Cité céleste » ; elle est fondée sur une conjonction parfaite entre l’art, l’architecture, la technique et le message religieux : « Dans l’architecture romane ou byzantine, la structure était un moyen nécessaire mais invisible de parvenir à la finalité artistique » (p. 22). Ici, la symbolique servait initialement de support à un récit d’histoire religieuse dans la France médiévale à l’époque où la population était majoritairement analphabète ; alors, « on tente d’instruire, en dehors des sermons et discours, par le langage des cathédrales » (p. 17). Évidemment, la symbolique étudiée ici n’a rien d’ésotérique, de cabalistique ou de psychanalytique ; au contraire, la cathédrale gothique reste éminemment fondatrice pour toute la culture occidentale, car on a vu réapparaître ses manifestations dans une multitude de récits et d’oeuvres, aussi bien sacrés que profanes, qui reproduisent en d’infinies variations ce récit des origines inspiré de la Bible : « […] les images de pierre, les fresques, les plans et les volumes de l’édifice recréent-elles dans l’imaginaire de ces hommes les ambiances qu’ils connaissent » (p. 17). Ainsi, l’orientation des cathédrales en fonction des quatre points cardinaux ne résulte jamais du hasard et constitue une règle bien connue dans la chrétienté où le point cardinal de l’Est « rappelle les origines » tandis que « l’Ouest symbolise la fin du cycle, le passage du visible à l’invisible » (p. 30).

Ouvrage soigné, Cathédrales, symboles et lumières se subdivise en cinq sections qui touchent successivement la symbolique des premières cathédrales, l’exemple de la cathédrale Saint-Denis, la symbolique des vitraux, une étude plus approfondie de Notre-Dame de Paris, puis enfin une réflexion comparative sur le rôle de la lumière dans quelques grandes cathédrales françaises. Une large part du commentaire de Félix Schwarz se concentre sur la fonction symbolique des éléments qui composent la cathédrale ; ainsi, la façade est le « symbole du seuil entre la vie de ce monde et l’éternité » (p. 58). Par ailleurs, les gargouilles sculptées au xiiie siècle évoquaient des légendes locales voulant qu’elles servent à éloigner le Mal (p. 168).

Ce livre de grand format, richement illustré par David Bordes, magnifie ces lieux sacrés de France qui figurent parmi les plus beaux et les plus visités au monde : Notre-Dame de Paris, Chartres, Saint-Denis, Rouen, Reims et Strasbourg. Chaque cathédrale a sa particularité : ainsi, celle de Saint-Étienne de Sens est considérée comme la plus ancienne représentante de l’art gothique (p. 13) ; mais celle de Saint-Denis est vraiment la première à porter dans sa conception et son édifice même ce que l’auteur nomme « une vision métaphysique » (p. 14). Quant à Notre-Dame de Paris, sa rosace ouest se caractérise par ses trois cercles concentriques et subdivisés, comme un symbole du « miroir moral avec les douze vertus et les travaux de chaque mois » (p. 121). D’ailleurs, un cliché réalisé à partir d’un angle inhabituel (en contre-plongée) et montrant le portail du jugement dernier situé à l’entrée de Notre-Dame de Paris impressionne par son audace et sa splendeur (p. 102).

Sans prétendre se substituer à un dictionnaire d’architecture ou à un guide de visite, le livre Cathédrales, symboles et lumières se veut une présentation générale et non systématique de la symbolique chrétienne issue du Moyen Âge à travers ses plus beaux exemples architecturaux. Visuellement, le travail des Éditions Nouvel Angle est impeccable. Pour l’étudiant de moins de quarante ans, n’ayant pas reçu d’éducation religieuse, ce livre instructif regorge d’explications claires et parfois ferventes sur ces sites patrimoniaux parmi les plus anciens de France. En cette période de mise en valeur et d’interprétation du patrimoine, ce bel ouvrage est le bienvenu, particulièrement pour les bibliothèques publiques, car il explique au non-initié le sens caché de ces lieux exceptionnels. On reprocherait à l’auteur d’avoir terminé son ouvrage sans proposer de conclusion ni de récapitu- lation, mais ce serait oublier la beauté de ce livre splendide que l’on relit avec intérêt et que l’on parcourt chaque fois avec plaisir et enchantement[1].