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I. Les raisons du désaccord entre Plotin et Proclus

Il est parfois étonnant de constater les divergences importantes entre différents Néoplatoniciens. Les désaccords entre Plotin et Proclus n’y font pas exception.

Si Plotin ne pose que trois hypostases[1], il n’en est plus de même pour Proclus. Le reproche que Proclus adresse à Plotin est d’avoir placé la multiplicité trop « près » de l’Un[2]. En effet, chez Plotin, la multiplicité se rencontre dès le second principe, car c’est en l’Intellect que sont contenues les Formes ou Idées intelligibles. Proclus va donc introduire une « distance » plus grande entre l’Un et la multiplicité. Plusieurs raisons peuvent être avancées pour expliquer ces divergences. Tout d’abord, l’abandon de la coïncidence plotinienne entre l’Intellect et l’intelligible, et le problème d’accorder le platonisme et la théologie orphique. Ensuite, le réalisme logique qui domine la position de Jamblique et qui impose de distinguer en deux hypostases distinctes le nous et le noêton. Enfin, l’apologie du polythéisme, par laquelle la multiplicité des hypostases vient correspondre à la multiplicité des dieux grecs[3]. Ainsi, le système de Proclus va comporter un nombre d’hypostases beaucoup plus important que celui de Plotin[4]. Pour Proclus une procession de dérivés n’est pas possible sans des médiations entre un degré de la réalité et un autre degré[5].

Ainsi, entre l’Un et la multiplicité, Proclus pose deux « types » d’intermédiaires : les hénades et des couples de principes. Bien que certains commentateurs aient affirmé que Jamblique était l’inventeur des hénades, il semble bien que l’on doive aujourd’hui attribuer cette invention à Syrianus, le maître de Proclus[6]. Le Diadoque augmente la « distance » qui sépare l’Un ineffable et la multiplicité des Idées et des Formes. Les hénades sont l’un des éléments qui contribuent à augmenter cette distance. La théorie des hénades est très importante dans la pensée de Proclus[7]. Comme le disait Jean Trouillard, « les hénades sont nées d’un problème capital du néoplatonisme. Si chaque principe agit par son être, comment de l’absolue simplicité l’extrême complexité du réel peut-elle procéder[8] ? ». En d’autres termes, les hénades seraient la solution proclienne au problème qui « hante » la pensée antique : comment expliquer la naissance, la dérivation de la multiplicité à partir de l’Un, de l’Un absolu considéré comme une unité pure ? On sait comment Plotin résolvait cette question[9].

La nécessité des hénades est affirmée pour au moins deux raisons : « […] d’une part en raison de la loi générale des intermédiaires […], et d’autre part à cause du cas particulier du passage de l’Un imparticipable à l’être participé, c’est-à-dire de la dialectique de l’être et de l’avoir[10] ». Ainsi, en faisant provisoirement abstraction des deux principes peras et apeiron, les hénades sont juste « en dessous » de l’Un, elles représentent le premier niveau de réalité entre l’Un et la multiplicité. Elles dérivent directement de l’Un[11]. Ce qu’il importe de retenir, c’est que Proclus place les hénades entre l’Un et la multiplicité, ceci signifie que l’Un n’a pas un « contact » direct avec la multiplicité, les hénades sont des intermédiaires. Elles sont des produits ou, comme le dit Trouillard, des « révélations[12] », directes de l’Un, mais ce sont elles qui vont continuer la procession. Elles ne sont pas des êtres, mais elles sont antérieures à l’être[13]. Ainsi, les hénades sont « les dépositaires du caractère divin le plus important et le plus précieux pour Proclus : l’unitaire, to enoeides[14] ». Comme l’explique Proclus, il y a autant d’hénades que d’êtres ; de même que le nombre d’hénades est le même que celui des Idées[15].

L’Un est la cause des hénades ; plus précisément, il est la cause de la multiplicité des hénades, celles-ci étant la cause de la multiplicité des êtres[16]. Ceci permet de dire que l’Un est la cause de la multiplicité sans toutefois en être trop « proche », ou sans avoir besoin de poser en lui une certaine « préexistence » de la multiplicité. Précisons que la grande différence entre l’Un et les hénades est la « participabilité » : les hénades sont participables, ce qui n’est pas le cas de l’Un.

Proclus pose également les principes peras et apeiron. Ceux-ci reçoivent des traductions différentes. Ainsi, Jean Trouillard les traduit par « déterminant » et « infini ». Dans leur édition de la Théologie platonicienne, Saffrey et Westerink traduisent par « limite » et « illimité ». Enfin, Cristina d’Ancona Costa les traduit par « limite » et « illimitation ». Pour notre part, nous utiliserons cette dernière traduction.

Que sont ces deux principes ? Ils ne sont pas selon Proclus « des composants intrinsèques de l’être, mais des réalités transcendantes, qui dans leur degré participable s’unissent dans un mixte primordial : la monade de tous les êtres véritables, c’est-à‑dire des intelligibles[17] ». Toutefois, il ne faudrait pas en conclure que seul l’être est composé de peras et d’apeiron. En effet, chaque degré de la réalité est « touché » par cette composition[18], celle-ci « est universelle et polymorphe[19] ». Ce qui signifie que chaque hypostase est composée de limite et d’illimitation, même si l’être est leur mixte primordial. Ces deux principes sont les « puissances de l’Un, c’est-à-dire les processus fondamentaux selon lesquels le Principe suprême se manifeste à tous les degrés. Ce ne sont pas des attributs divins […]. L’Un de Proclos n’a aucun attribut, pas même la bonté ou l’unité[20] ». La question qui ne manque pas de se poser est de savoir pourquoi Proclus pose ces deux principes. La réponse est que cela lui permet d’exempter l’Un de la production de la multiplicité. En effet, pour Proclus, c’est dans l’être « que se rencontrent l’un et le multiple pour la première fois : l’on est en effet le mixte primordial des deux matrices de chaque unité et détermination — le peras — et de chaque multiplicité et indétermination — l’apeiron[21] ». En d’autres termes, la multiplicité qui, chez Plotin, se trouvait dans l’Intellect directement émané de l’Un, se trouve chez Proclus dans l’être, à savoir dans l’être produit par l’intermédiaire des hénades et des deux principes peras et apeiron.

Les divergences entre Plotin et Proclus concernent non seulement l’ensemble du système, mais aussi des points plus particuliers. La question de l’âme en témoigne bien. Par exemple, nous savons que, chez Plotin, la partie supérieure de l’âme reste dans l’intelligible : « […] s’il faut oser dire ce qui nous paraît juste contrairement à l’opinion des autres, il n’est pas vrai qu’aucune âme, pas même la nôtre, soit entièrement plongée dans le sensible ; il y a en elle quelque chose qui reste toujours dans l’intelligible[22] ». Or, il n’en est plus de même chez Proclus. Pour ce dernier la totalité de l’âme descend dans le sensible : « […] nous n’admettons pas non plus ceux qui disent que l’âme est une partie de l’essence divine, que la partie est semblable au tout et toujours parfaite[23] ». En d’autres termes, si Proclus refuse cette idée de Plotin c’est parce que selon lui cela reviendrait à dire que notre âme est égale, en dignité, à l’âme divine.

Nous rencontrons aussi des divergences sur les rapports entre l’âme et le temps. On connaît la thèse de Plotin selon laquelle l’Âme cause le temps. Rappelons que pour Plotin, le point de départ de la naissance du temps est à chercher dans l’âme. En effet, « la nature curieuse d’action, qui voulait être maîtresse d’elle-même et être à elle-même, choisit le parti de rechercher mieux que son état présent. Alors elle bougea, et lui aussi se mit en mouvement ; ils se dirigèrent vers un avenir toujours nouveau, un état non pas identique à leur état précédent, mais différent, et sans cesse changeant. Et après avoir cheminé quelque peu, ils firent le temps, qui est une image de l’éternité[24] ». C’est donc l’audace de l’âme qui fait qu’elle chute et ainsi produit le temps[25]. C’est donc l’âme qui produit le temps[26]. Or, l’âme est éternelle par essence, elle doit donc se rendre temporelle, elle doit se temporaliser elle-même afin de produire le temps comme image de l’éternité, et afin d’envelopper le monde sensible avec le temps[27], car ce n’est pas en dehors d’elle-même que l’âme produit ses objets[28]. D’où, on peut dire que le temps ne peut être en dehors de l’Âme, puisqu’elle l’a produit en elle-même. D’un autre côté, il faut ajouter que l’Âme n’est pas dans le temps. Ce qu’elle engendre n’est pas éternel, mais dans le temps. Car les choses sensibles ne peuvent être que dans le temps. Ainsi, les âmes ne sont pas dans le temps, mais leurs oeuvres et leurs opérations le sont. Les âmes sont donc éternelles, et le temps leur est postérieur. Et ce terme « postérieur » n’est pas à comprendre dans un sens chronologique. Plotin explique le mouvement de l’univers en disant que l’univers est comme enveloppé dans l’âme ; ce mouvement est dans le temps. La question est alors de savoir pourquoi le mouvement de l’âme n’est pas dans le temps[29]. La réponse à cela est que, « avant l’âme, il n’y a que l’éternité qui n’accompagne pas le cours de la vie de l’âme et ne lui est pas coextensive. Ainsi l’âme est la première à aller jusqu’au temps, qu’elle engendre et qu’elle possède avec ses propres actes[30] ».

II. Le temps n’est pas un produit de l’âme

L’idée que l’âme cause le temps va être catégoriquement rejetée par Proclus. Bien que celui-ci critique la position d’Aristote et de ceux qu’il appelle les « physiciens », l’essentiel de sa critique porte sur la théorie plotinienne. Même si Plotin n’est jamais nommément cité, il ne fait aucun doute que c’est lui qui est visé. En effet, cette critique se trouve dans un passage qui explique que le temps n’est ni un produit ni une qualité de l’âme. Proclus s’étend longuement sur le sujet et donne six raisons à cela.

La première de ces raisons aborde directement la question de l’interprétation du Timée : « Platon, avec qui nous désirons tous être d’accord, dit que le Temps a été créé par le Démiurge alors que le Monde avait déjà été ordonné quant à son Âme et à son Corps. Il ne dit pas que le temps a été placé par le Démiurge au-dedans de l’Âme même comme les rapports harmoniques, et il n’y a pas de rapport non plus entre le cas du Corporel et celui du Temps[31] ».

Proclus explique que le Démiurge crée le temps dans l’âme, mais que l’âme et le corps étant constitués, « il leur donne le temps comme mesure, afin de les assimiler à leurs principes exemplaires[32] ». En effet, « c’est seulement après avoir traité de l’essence, de l’harmonie, de la puissance, des mouvements et des connaissances diverses de l’Âme que, une fois l’Âme et le Corps complètement achevés, il a fait exister en plus l’être du temps comme essence unique chargée de veiller sur tout cela, de le mesurer et de le rendre semblable aux principes exemplaires[33] ». Et Proclus en conclut que, selon Platon, la cause du temps et de sa procession est le Démiurge et non l’Âme.

La seconde raison aborde la place du Temps dans la hiérarchie. En effet, l’Âme, au moins dans ses activités, participe au Temps, elle est même perfectionnée et mesurée par le Temps. Elle ne peut donc l’avoir engendré, car comment l’Âme (ou tout autre principe) participerait-elle à son effet ? Comme l’écrit Proclus : « […] tout être qui n’a pas le tout de son activité ramassé ensemble tout d’un coup à la fois dès l’instant qu’il existe a besoin du Temps pour s’achever et revenir au point de départ, le Temps grâce auquel il recueille tout le bien qui lui revient, qu’il ne pouvait contenir de façon indivisible et intemporelle[34] ». Cette idée est confirmée par un argument traitant de l’intellection. En effet, si l’Âme saisissait son objet dans une intuition unique, comme l’Intellect au moyen d’une intellection sans passage, alors elle n’aurait pas besoin du temps pour atteindre sa fin : « Mais puisque l’intellection de l’Âme implique passage et récurrence, telle âme a besoin de la totalité du Temps, telle autre de la portion temporelle qui lui suffira pour sa vie intellectuelle et sa vie générative[35] ». Mais une cause n’a pas besoin de son effet pour être achevée, autrement on aboutirait à un paradoxe, puisque cette cause serait à la fois achevée et inachevée. Elle serait achevée car elle doit engendrer, mais aussi inachevée puisqu’elle n’aurait pas encore participé à ce qui l’achève. Proclus en conclut : « […] que ce soit donc là pour toi la preuve la plus forte que le Temps n’est pas le produit de l’Âme, mais qu’il est participé par elle en premier lieu[36] ». Si l’Âme engendrait le Temps, elle ne recevrait pas de lui une perfection. Mais « elle a besoin de lui pour déplier sa pensée, puisqu’elle ne peut saisir son objet dans une intuition unique. Et une cause ne peut être achevée par son effet. De même que l’éternité est supérieure aux principes qu’elle mesure, le temps doit dominer la multiplicité des êtres qu’il règle[37] ».

La troisième preuve a la même forme que l’argument par lequel Proclus établit la primauté de l’on dans la triade onzoênoûs. Pour Proclus, à la différence de Plotin, l’être, la vie et la pensée sont trois hypostases distinctes. Le théorème 138 des Éléments de théologie l’établit avec beaucoup de clarté : « De tous les principes qui participent à un caractère de la divinité et qui sont divinisés, le tout premier et le plus élevé est l’être. Si l’être est au-delà de l’esprit et de la vie, comme on l’a montré, puisqu’il détient après l’un la causalité la plus étendue, il sera la cause la plus élevée. Il est, en effet, plus un que l’esprit et la vie, et il a sans nul doute pour cette raison une plus haute dignité[38] ». Comme on le voit, ce théorème ne se contente pas d’énoncer que l’être, la vie et la pensée sont trois hypostases distinctes. Il pose aussi que l’être possède une primauté sur les deux autres principes. En effet, Proclus nous dit que la causalité de l’être est la plus étendue après celle de l’Un. Ainsi on peut dire que toutes les choses sont, qu’elles « existent » ; en d’autres termes qu’elles participent à l’être. Parmi ces choses qui sont, certaines sont vivantes et d’autres non, certaines participent à la vie et d’autres n’y participent pas. Enfin si nous considérons ces choses qui sont et qui sont vivantes, certaines d’entre elles pensent, c’est-à-dire qu’elles participent à la pensée, à l’Intellect, et certaines autres ne pensent pas, donc ne participent pas à l’Intellect[39]. Donc, le nombre de choses, de réalités participant à l’être est supérieur au nombre d’entités qui participent à la vie, ce nombre étant lui-même supérieur au nombre de réalités participant à l’Intellect. C’est ce qui fait que l’être est le premier élément de cette triade[40]. Cette primauté de l’être est aussi affirmée par le théorème 101 : « Tout ce qui participe à l’esprit est dominé par l’esprit imparticipable, tout ce qui participe à la vie par la vie imparticipable, et tout ce qui participe à l’être par l’être imparticipable. Et parmi ces trois, l’être est antérieur à la vie et à l’esprit[41] ». Aussi « c’est le degré d’universalité qui détermine le rang de chaque principe imparticipable. Mais puisqu’il s’agit de genres générateurs ou constituants, la richesse de compréhension va de pair avec l’ampleur de l’extension[42] ».

Nous retrouvons ici la même argumentation appliquée à la question du temps. Ainsi, ce dernier acquiert un statut d’hypostase[43]. En d’autres termes, le temps dont traite Proclus dans cet argument est un temps que l’on pourrait qualifier de « statique » par opposition au temps présent dans le monde sensible. Ainsi, selon Proclus, tous les objets, tous les êtres sensibles participent au Temps, mais parmi ces êtres sensibles, certains sont inanimés. Ils ne participent donc pas à l’Âme, mais ils participent au Temps, car « il n’est pas un lieu où le Temps ne soit pas[44] ». Si donc certains êtres participent au temps sans participer à l’Âme, il faut en conclure que le Temps est « supérieur » à l’Âme. Par conséquent, il faut admettre que l’Âme ne peut pas avoir produit le Temps[45]. Ici, c’est en montrant que le Temps est une hypostase supérieure à l’Âme que Proclus montre qu’il n’est pas produit par elle. En d’autres termes, le Temps est un principe plus compréhensif et plus englobant que l’Âme, c’est la raison pour laquelle il se situe au-dessus d’elle.

Pour expliquer le quatrième argument, on peut reprendre l’idée suivante : « Outre cela, puisque, et chez les âmes et chez les corps, changements, mouvements, temps de repos, et généralement tous ceux des phénomènes encosmiques qui se présentent comme des opposés sont mesurés par le Temps, il est nécessairement séparé de tous ces phénomènes[46] ». Dans cet argument, c’est la séparation ou la subordination du Temps par rapport au monde sensible qui fournit la trame de l’argumentation.

Dans le cinquième argument, Proclus établit l’hypothèse suivante. Si le Temps n’était pas une essence mais un accident, il n’aurait pas assez de puissance créative pour faire que des êtres aient une durée sempiternelle et que d’autres aient une durée temporelle. Mais si le Temps est bien une « essence créative », il ne peut être ni l’Âme ni une partie de l’Âme. En effet, comme le dit Proclus : « Car autre est la notion d’Âme, autre celle du Temps, et ils sont l’un et l’autre cause d’effets différents, et non identiques. L’Âme donne en part la vie et meut toutes choses — c’est pourquoi le Monde, à peine a-t-il voisiné avec l’Âme, a été rempli de vie et a participé au mouvement — ; le Temps incite les êtres créés à s’achever, il est mesure de toutes choses et il procure une certaine sorte d’éternité. Il ne saurait donc être inférieur à l’Âme[47] ». Cette dernière phrase nous semble importante. Proclus y reconnaît bien que le Temps est mesure. La question est plutôt de savoir ce qu’il mesure et comment il mesure. Quant au fait qu’il procure une certaine sorte d’éternité, ceci est dû à son statut d’hypostase. Cette éternité est sans doute précaire, ainsi on peut tout de même la nommer éternité bien que ce soit certainement d’une façon différente de l’Éternité.

Le sixième argument traite du rapport entre d’une part l’Intellect et l’Éternité, et d’autre part l’Âme et le Temps. Proclus y écrit : « […] si l’Éternité était ou le produit de l’Intellect ou quelque puissance de l’Intellect, il faudrait dire aussi que le Temps est quelque chose pareille de l’Âme. Mais si l’Éternité est une mesure séparée de la multiplicité des Intelligibles et le principe compréhensif de leur sempiternité et perfection à tous, comment le Temps ne jouerait-il pas le même rôle par rapport à l’Âme[48] ? » Et ceci pour deux raisons, la première est que l’éternité mesure d’une façon supérieure au Temps. Tandis que le Temps ne mesure que des âmes premières, l’Éternité mesure les essences des Intelligibles et les hénades. La seconde est la suivante : « Les Intelligibles sont plus unis à l’Éternité que les êtres encosmiques ne le sont au Temps, ils leur sont si fort unis que certains mêmes des philosophes plus spéculatifs estiment que l’éternité n’est rien d’autre que l’Intellect unique et universel[49] ».

On le voit, si les différences entre Plotin et Proclus sont nombreuses et profondes, témoignant d’un changement radical d’attitude de pensée à l’égard de la réalité tout entière, celle qui concerne la nature du temps est particulièrement significative. Entre le temps produit par l’âme que décrit Plotin, et le Temps hypostase et le temps d’autre part présent dans le monde sensible dont parle Proclus, la différence est considérable. Une étude approfondie des autres différences majeures qui séparent ces deux géants néoplatoniciens s’impose.