Recensions

Maria Michela MarzanoParisoli, Penser le corps. Paris, Presses Universitaires de France, 2002, 181 p.[Notice]

  • Isabelle Létourneau

…plus d’informations

  • Isabelle Létourneau
    Université Laval, Québec

Maria Michela Marzano Parisoli nous invite, comme l’indique le titre de son livre, à penser le corps. Se référant à l’étymologie du mot « penser », nous comprenons aussitôt que l’entreprise consistera à « peser » le poids du corps, à « juger » en quelque sorte de sa valeur. Mais, que peut-il bien rester à dire sur ce sujet, qui fut par ailleurs abondamment traité par tant d’anthropologues, de sociologues, de sémiologues, de psychanalystes et de phénoménologues ? Ce que propose l’auteur consiste en une clarification du statut éthique du corps. Pour ce faire, elle s’engage dans l’explicitation du rapport corps-personne, le corps « étant à la fois ce qu’une personne est et ce qu’elle a » (p. 4), ainsi que dans la manifestation des liens entre, d’une part, le corps, et d’autre part, les désirs, les émotions et les sensations, lesquels jouent un rôle essentiel en éthique. La réflexion, toujours empreinte d’un grand souci de distinction conceptuelle, se développe autour de quatre problématiques actuellement liées au corps comme lieu de moralité : la société de consommation, la médecine, la sexualité et le droit. Le premier chapitre, dont le propos consiste à comprendre « non seulement la valeur que l’on donne aujourd’hui au corps, mais aussi les contradictions qu’engendre notre société par rapport à l’existence corporelle » (p. 14-15), présente une analyse des pratiques et des discours socioculturels contemporains sur le corps qui met en relief le problème du rapport entre le corps idéalisé devenu objet stéréotypé de consommation (celui que nous mettons en scène aujourd’hui avec tant de soin) et le corps réel par lequel nous nous distinguons les uns des autres (celui par lequel nos expériences personnelles du désir, des émotions et des sensations se constituent). Le corps idéalisé, dont l’apparence est uniformisée, se manifeste sous forme compacte et resserrée. Il s’agit du « corps musclé des body-builders » et du « corps mince et quasi transparent des mannequins » (p. 19). Ce corps idéalisé manifeste, par tous les efforts de domestication qu’il exige, un extrême contrôle sur soi — qui est « le reflet immédiat de la peur de tout ce qui peut échapper au contrôle » (p. 21) — peur dont nous aimerions bien connaître l’origine —, une capacité déployée à dominer efficacement sa vie. D’où l’équation que posséder le corps idéal est synonyme de droiture morale, laquelle procure du succès social et du pouvoir par l’admiration qu’elle suscite, donc représente la clé du bonheur. Mais à quel prix ? L’auteur nous répond : « […] derrière cette prétendue libre volonté de déterminer notre vie par la domestication de notre corps, se cache une dictature des préférences, des désirs, des émotions » (p. 29, voir aussi p. 9 et p. 23). En effet, il faut comprendre — c’est le point fort du chapitre — que ce nouveau dualisme volonté/corps maintenant démocratisé nous mystifie par son recours au principe d’autonomie personnelle. Pensant faire tout ce que nous voulons de notre corps, nous nous sommes leurrés car une alternative aurait été nécessaire au fait de contraindre nos corps à se conformer au modèle idéal afin de pouvoir exercer notre libre choix. Ceci suppose que la stigmatisation sociale ne puisse être considérée comme une alternative car elle « se traduit par un coût intolérable » (p. 34). Reste donc à nous asservir au modèle idéal du corps, quitte à devenir boulimiques ou anorexiques. Or, ces pathologies montrent bien l’échec du modèle idéalisé puisqu’elles peuvent mener jusqu’à la mort. Par quel moyen, dès lors, se sortir de ce cercle vicieux ? Nous pouvons bien, comme l’auteur, soutenir avec …