Recensions

Isabelle de Montmollin, La philosophie de Vladimir Jankélévitch. Sources, sens, enjeux. Paris, Presses Universitaires de France (coll. « Philosophie d’aujourd’hui »), 2000, 395 p.[Notice]

  • Daniel Moreau

…plus d’informations

  • Daniel Moreau
    Université Laval, Québec

Vladimir Jankélévitch (1902-1985), philosophe français d’origine russe, a laissé une marque originale dans la philosophie occidentale contemporaine. Esprit vif et déroutant, il s’est démarqué par ses réflexions sur la morale et la musique. Isabelle de Montmollin est le premier auteur à réaliser un ouvrage systématique sur sa pensée. Dans le but de faire ressortir son caractère existentiel et spirituel, elle privilégie une approche heuristique. Selon elle, en effet, ce « philosophe maïeutique » (p. 6) ne peut être compris qu’en cheminant avec lui, sa pensée étant éminemment aventurière, en plus d’être profondément vivante et unitaire. Elle désire encore réconcilier l’homme avec la plénitude du réel dans une joie fervente. La culture occidentale étant fortement affectée par le morcellement des savoirs, la solitude et la tristesse, pareils éléments suggèrent déjà la pertinence d’un tel philosophe pour aujourd’hui. Fort détaillé, l’ouvrage se divise en cinq chapitres. En développant alternativement des thèmes d’apparence équivoques, comme le vécu du temps, et d’autres plus immédiatement interpellants, comme la conquête d’un esprit d’enfance, l’auteur entend dégager l’indicible « essentiel » au fond des choses, qui aimante toute la pensée du philosophe et constitue l’horizon à poursuivre par l’homme dans une odyssée passionnée. La nette dimension éthique de sa philosophie apparaît également de manière croissante dans la progression de l’ouvrage, elle-même très organique, où tous les sujets sont d’emblée présents pour ensuite se développer successivement. Auparavant toutefois, l’auteur consacre un chapitre entier aux sources inspiratrices de Jankélévitch. Le panorama s’étend des Grecs à la tradition russe — trait notable en Occident — en passant par les Pères de l’Église, le courant romantique, dont Schelling, et les penseurs vitalistes, comme Bergson. Isabelle de Montmollin expose déjà que selon Jankélévitch, la philosophie vise à comprendre, « enrichir qualitativement » le voyage qu’est notre existence (p. 14), l’objectif étant une conquête de soi-même qui permet conjointement de découvrir et goûter le monde. Pour ce faire, il faut épouser l’élan propre à la vie, c’est-à-dire le suivre à l’endroit plutôt que de récapituler abstraitement sur son compte. Jankélévitch propose ainsi l’idéal d’un « savoir vivant » (55) dans une « conciliarité mystique », ou « Sobornost » (p. 40). Contre l’univers figé des concepts, l’intuition apparaît comme seule capable de saisir, quoique dans une étincelle seulement, la réalité totale et vivante de toutes choses. Ce volumineux chapitre inaugural s’avère très précieux pour la suite, révélant d’emblée le souci de clarté et la méthodologie avisée de l’auteur. Le second chapitre chemine dans la subtile philosophie du je-ne-sais-quoi et du presque-rien. Selon Jankélévitch, percevoir le fait que les choses sont revient à les poser soi-même à nouveau, dans l’instant, action à même laquelle nous découvrons leur charme et leur mystère profond. Cette intuition fugitive du monde même se déploie comme la fine fleur, les premier et dernier mots de l’univers comme de notre propre existence. Pareille « philosophie de l’événement et de la présence » (p. 87) révèle ainsi un lien intime entre l’instant et la métaphysique, et montre l’esprit de la méthode de Jankélévitch : pour connaître, ce n’est pas l’objet mais bien notre manière de l’approcher qui constitue le véritable centre. En effet, on ne peut atteindre la vérité à moins de l’aimer, et celle-ci consiste en cet indicible évoqué, qu’il nomme « je-ne-sais-quoi » : une étincelle, une « apparition disparaissante » (p. 94), qui se manifeste dans ces « presque-rien » sans lesquels il manque tout ; qu’on songe à ce qu’inflige l’absence de grâce à un mouvement techniquement irréprochable. Du reste, cette connaissance ne pouvant être définitive, Jankélévitch ajoute que ce mouvement est toujours à recommencer, ce …