Recensions

Harold Tarrant, Plato’s First Interpreters. Ithaca, New York, Cornell University Press, 2000, viii-263 p.[Notice]

  • François Renaud

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  • François Renaud
    Université de Moncton

Osons d’abord une petite série de questions redoutables. Quel est le rapport, dans les dialogues de Platon, entre la dimension dramatique et la pensée philosophique ? Comment peut-on extraire la doctrine platonicienne de l’immense variété de positions formulées dans les dialogues ? Platon a-t-il un ou des porte-parole ? Comment interpréter la célèbre ironie de Socrate ? Platon est-il lui-même ironique ? Platon est-il un penseur foncièrement sceptique, ou défend-il des doctrines qu’il souhaite communiquer à ses lecteurs ? Les dialogues pointent-ils au-delà d’eux-mêmes vers des « doctrines non écrites », comme le suggèrent certaines des Lettres ? Quels sont les dialogues les plus importants pour connaître les doctrines (écrites) ? Par quels dialogues devrait-on commencer ? Quels dialogues forment un groupe et devraient être lus ensemble ? Les approches herméneutiques à adopter sont-elles les mêmes pour tous les dialogues, ou diffèrent-elles d’un dialogue à l’autre, voire d’une section à l’autre ? C’est le grand mérite de l’ouvrage de Harold Tarrant de montrer, en détail, que toutes ces questions, à la fois fondamentales et particulièrement difficiles, ont déjà été débattues par les lecteurs anciens, et d’expliquer — dans la mesure où les sources lacunaires le permettent — les principes d’interprétation et les débats auxquels ces principes ont donné lieu. L’auteur propose des reconstructions minutieuses, et les défend au moyen d’arguments nuancés, souvent ingénieux, qui ne prétendent jamais à l’exclusivité. L’ouvrage couvre environ sept siècles de tradition platonicienne, de l’ancienne Académie jusqu’aux premiers néoplatoniciens, mais se concentre principalement sur le moyen platonisme. Il se divise en trois parties. En premier lieu, l’auteur aborde les grandes questions herméneutiques (p. 1-41). Il offre ensuite un survol historique (p. 42-98), et traite enfin des interprétations des dialogues eux-mêmes, en particulier le Gorgias et le Théétète (p. 99-215). Tarrant vise à faire mieux comprendre les choix herméneutiques auxquels étaient confrontés les anciens, et a comme but ultime de clarifier nos propres choix aujourd’hui et ainsi de renouveler notre lecture de Platon. Soulignons que cet ouvrage, d’une grande érudition, s’inscrit dans le prolongement de publications précédentes de l’auteur sur la tradition platonicienne ancienne. Résumons quelques résultats de cette vaste étude. Tarrant rappelle que les interprètes anciens s’intéressent tout particulièrement à la question du sujet ou, plus précisément, du but (skopos) de chaque dialogue. Ces interprètes supposent l’unité, la cohérence du corpus platonicien, et ne se préoccupent guère de questions de chronologie. D’où l’importance capitale, pour eux, du classement des dialogues par types, et non par périodes comme nous avons tendance à le faire depuis le xixe siècle. Ce classement par types de dialogues répond à la principale tâche interprétative d’alors, soit réconcilier la grande variété de textes du corpus platonicien de manière à démontrer que les différences entre les dialogues ne sont pas révélatrices de contradictions doctrinales, mais plutôt de diverses approches ou de types de traitements (p. 78). Le classement ancien habituel distingue d’abord deux catégories de dialogues à visée fondamentalement différentes : le dialogue d’exposition (hyphêgêtikos) et le dialogue de recherche (zêtêtikos ; Diogène Laërce, III, 49-50 ; Albinus, Prologue 3, 19 ; p. 77). Le dialogue d’exposition se divise en deux orientations, l’une théorique et l’autre pratique ; la théorie se divise en physique et logique, alors que la pratique se divise en éthique et politique. Le dialogue de recherche se sépare à nouveau, et selon les exigences des interlocuteurs, en dialogue d’exercice (gymnastikos) et en dialogue de controverse (agonistikos). Le dialogue d’exercice se subdivise à son tour en deux : celui qui ne vise qu’à tester des rivaux intellectuels (peirastikos) …

Parties annexes