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À l’occasion d’un colloque tenu à l’Université Laval à l’automne 2002, une vingtaine de chercheurs se sont penchés sur le problème des lieux et des modalités d’inscription du christianisme dans la culture[1]. Dans un contexte où les grands récits de la sécularisation sont de plus en plus remis en cause et remplacés par les récits du « retour du religieux » — ou encore de sa « recomposition[2] » —, il nous est apparu important de poser la question de l’inscription culturelle du religieux. En l’occurrence, nous avons posé l’hypothèse que la fragmentation-reconstruction (ou encore le bricolage) constituait une importante modalité d’inscription du christianisme dans la culture actuelle, notamment dans ses productions artistiques.

Dans Lapensée sauvage, Lévi-Strauss décrit le bricolage comme une « incessante reconstruction à l’aide des mêmes matériaux, […] d’anciennes fins […] appelées à jouer le rôle de moyens : les signifiés se changent en signifiants, et inversement[3] ». L’objet fini perd la fin d’origine pour devenir matériau de construction dans un autre projet. Il s’agit dès lors de se demander dans quelle mesure les bricolages des fragments chrétiens sont liés à des quêtes de sens pouvant faire apparaître de « nouveaux visages de la transcendance[4] ». Le répertoire chrétien a survécu à la remise en cause de son support institutionnel. Une analyse rapide de la culture actuelle permet d’observer l’omniprésence de fragments issus de (ou intimement liés à) la tradition judéo-chrétienne. Ces fragments sont l’objet de bricolages engageant un travail — parfois irrévérencieux[5] — de fragmentations-reconstructions dont il est intéressant de mesurer les effets dans diverses productions artistiques. Il nous est apparu possible d’établir un rapprochement entre ces bricolages et certains déplacements identifiables à l’intérieur même de la tradition chrétienne. S’opère en effet la transformation d’une logique de « l’offre de sens » (le christianisme comme héritage) en une logique de « la demande de sens » (le christianisme comme projet ou quête), passage qui affecte directement les modalités de construction de l’identité du sujet-croyant-religieux. Ces trajectoires croyantes impliquent des bricolages dont il convient aussi d’analyser les enjeux théologiques (par exemple, concernant les concepts de révélation, de tradition, d’expérience religieuse, etc.) et épistémiques (par exemple, le déplacement de la question de la vérité vers la question du sens).

Les objectifs poursuivis par les différents conférenciers du colloque « Fragmentation et reconstruction » consistaient plus précisément : 1) à opérer un repérage de ces différents bricolages et en étudier les modalités de construction (renversements, transformations ou approfondissement) par le truchement de certaines productions artistiques ; 2) à poser la question de la rencontre du christianisme avec la culture sous l’angle particulier de cette modalité d’inscription dans la culture ; 3) à identifier et analyser quelques enjeux théologiques sous-jacents à cette modalité du point de vue des sujets croyants.

Un premier groupe de spécialistes s’est attaché au repérage et à l’analyse de quelques bricolages particuliers dans les productions de la culture populaire : au cinéma, à la télévision et dans la musique rock. Un second groupe de chercheurs a étudié l’inscription du religieux dans la littérature séculière et a posé la question du « bricolage du religieux » dans le contexte de la critique littéraire (voir les contributions de Pierre-Marie Beaude, Hans-Jürgen Greif et François Ouellet). Un troisième groupe de spécialistes s’est attaché à poursuivre l’investigation dans le domaine de l’architecture, des expositions et de l’art visuel (voir la contribution de Marcel Viau). Enfin un dernier groupe de chercheurs a adopté un point de vue relevant davantage du domaine des sciences religieuses, de la philosophie et de l’épistémologie théologique, afin de « penser le bricolage » et d’évaluer sa pertinence heuristique (voir la contribution de Jacques Fantino).