Jean-François Mattéi, Heidegger et Hölderlin. Le Quadriparti. Paris, Presses Universitaires de France (coll. « Épiméthée »), 2001, 288 p.[Notice]

  • Mathieu Robitaille

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  • Mathieu Robitaille
    Ruhr-Universität Bochum

Quiconque aborde, ne serait-ce que superficiellement, l’oeuvre de M. Heidegger sait à quel point ce dernier entretint un rapport particulier avec la poésie de F. Hölderlin, à un point tel que la question surgit d’elle-même de savoir quelle fut la nature véritable de ce rapport. Pourquoi, en effet, cette prédilection de Heidegger pour Hölderlin ? Qu’est-ce que Heidegger a vu en Hölderlin qu’il n’a pas retrouvé et ne pouvait retrouver chez Homère, Hésiode, Dante, Shakespeare, Goethe et tant d’autres ? Bref, pourquoi Hölderlin ? — Plusieurs interprètes de Heidegger, qu’ils furent bienveillants ou hostiles à sa pensée, posèrent cette question et tentèrent de la résoudre. J.‑F. Mattéi nous rappelle quelques-unes de ces interprétations qui marquèrent le débat depuis un demi-siècle. Selon T.W. Adorno par exemple, dont l’opposition explicite à Heidegger est bien connue, Heidegger aurait cherché et trouvé en Hölderlin une justification à son idéologie politique autoritaire, débusquant dans l’oeuvre du poète souabe le « culte de l’origine » et le pathos mythologique de la « Germanité » aptes à légitimer ses convictions national-socialistes (cf. p. 20-21). D’autres, plus bienveillants, virent en Hölderlin l’inspiration majeure de Heidegger, celui qui aurait eu sur lui l’influence décisive ; c’est le cas, nous dit Mattéi, de B. Allemann et de O. Pöggeler (cf. p. 264). C’est à ce débat interrogeant le rapport de Heidegger à Hölderlin qu’entend contribuer le présent ouvrage de J.‑F. Mattéi. Cependant, il espère contribuer à ce débat non pas 1) en esquissant la figure poétique de Hölderlin telle qu’elle est présentée dans l’oeuvre de Heidegger ; ni 2) en s’assignant pour tâche de vérifier la justesse de l’interprétation heideggérienne ; ni 3) en souhaitant clarifier le débat en répondant point par point aux détracteurs de Heidegger (cf. p. 24-25). Mais, écrit l’auteur : « Je cherche plutôt à montrer la manière significative dont Heidegger a peu à peu fait apparaître, en s’appuyant sur sa lecture de Hölderlin, la figure quadripartite de l’être qu’il interprète comme le système de la Terre et du Ciel, des Divins et des Mortels, en une quadruple énigme dans laquelle s’enracine la quadrature de l’étant, esquissée de façon obscure par la philosophie d’Aristote et […] de Kant » (p. 25). — En d’autres termes, Mattéi espère élucider dans cet ouvrage la nature du rapport unissant Heidegger à Hölderlin en exposant comment ce dernier révéla à Heidegger cette « intuition constante qui, jusqu’en 1934, restait impensée et inexprimée dans les écrits du premier Heidegger, mais qui, secrètement, l’orientait vers cette Dimension première où la métaphysique trouve son site » (p. 16), c’est-à‑dire l’intuition du monde comme « Quadriparti » (Geviert), intuition qui, assure l’auteur, commanderait de part en part la pensée de Heidegger et en constituerait la clef ultime (cf. p. 15). Ce dont cet ouvrage se veut la preuve, c’est donc d’une part que Heidegger n’a pas puisé dans la poésie hölderlinienne une « échappatoire à sa désastreuse expérience politique » (p. 20) (ad Adorno), mais aussi, d’autre part, que Hölderlin n’a pas à proprement parler influencé directement Heidegger (ad Alleman et Pöggeler), mais qu’il a contribué à consolider l’intuition de départ de Heidegger, éveillée par sa fameuse lecture du livre de Brentano sur La diversité des acceptions de l’être d’après Aristote. Loin d’avoir livré à Heidegger l’intuition du Quadriparti, avance Mattéi, Hölderlin aurait tout au plus stimulé l’élaboration par Heidegger de cette intuition qu’il aurait eue très tôt à sa lecture d’Aristote. Ce serait donc Aristote, conclut Mattéi, qui aurait conduit Heidegger à se tourner vers Hölderlin dans les années 1930 (cf. p. 26). Cette visée principale et directrice …

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