Recensions

François Dermange, Le Dieu du marché. Éthique, économie et théologie dans l’oeuvre d’Adam Smith, Genève, Éditions Labor et Fides (coll. « Le Champ Éthique », 39), 2003, 310 p.[Notice]

  • Dominic Desroches

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  • Dominic Desroches
    Centre de recherche en éthique et droit, Copenhague

Cet excellent travail sur l’éthique, l’économie et la théologie dans l’oeuvre d’Adam Smith (1723-1790) est en fait la version remaniée d’une thèse soutenue à la Faculté autonome de théologie protestante de l’Université de Genève. Il vise à comprendre les rapports qu’entretiennent l’éthique et l’économique dans la pensée libérale de Smith, une pensée qui s’est développée, Dermange (A.) le rappelle fort justement, à l’intérieur d’une vision théologique du monde. Or, l’objectif du livre est de saisir l’oeuvre de Smith « objectivement », ce qui pose un problème de taille, comme nous le signale l’A., au début de son ouvrage : Avant de juger si l’A. relève le défi qu’il s’est proposé, peut-être convient-il de dire un mot sur lui. Qui est François Dermange ? Quelle est sa formation et qu’a-t-il écrit ? En fait, l’A., un ancien élève des Hautes Études Commerciales, est docteur en théologie et enseigne l’éthique à l’Université de Genève. Il a publié, avec L. Flachon, aux mêmes éditions, Éthique et Droit. Cela dit, que propose précisément Dermange sur Smith ? De quelle manière parviendra-t-il à rattacher l’économique et l’éthique dans l’oeuvre de Smith ? Voilà ce qui doit nous occuper ici. L’A. se propose d’entrée de jeu de présenter le projet « philosophique » de Smith. Cette présentation, qui occupera tout le premier chapitre, entend surtout inscrire Smith dans son époque, c’est-à-dire le xviiie siècle. On apprendra ici que Smith, qui veut devenir « le Newton de la morale » (p. 21), se voit très tôt influencé par les écrits de Hume et de Hutchison, qu’il lit des auteurs français, Rousseau et La Rochefoucauld notamment, et qu’il maîtrise la pensée des philosophes importants de son temps. Mais on retiendra surtout de ce premier chapitre que Smith est très ambitieux puisqu’il veut « refonder » l’ordre moral. Cette refondation devra rouler sur la théologie, comme Dermange se plaît à le souligner (p. 34-40). Le deuxième chapitre se penche sur la question des liens entre l’éthique et l’économique. Y a-t-il une harmonie entre ces deux sphères chez Smith ? L’A. croit que oui. Pour le démontrer, il résume rapidement l’éthique de Smith au moyen de concepts d’amour de soi, de sympathie, de conscience et de justice (p. 52-64). Sans surprise, l’économique se voit caractérisée par la notion d’intérêt. L’économique se pense aussi, cependant, avec les concepts de division du travail et du capital. Ici, nous cherchons le point de passage, dans l’anthropologie Smith, de l’éthique vers l’économique et sa fondation dans la religion (p. 80). L’A. démontre que dans l’esprit de Smith, il y a une adéquation naturelle entre le comportement juste (éthique) et le développement économique, car si les deux sphères naissent de la passion humaine — qui se rattache toujours à la Bonté divine —, alors l’homme s’améliore grâce à la « sympathie naturelle », laquelle « finit par l’emporter dans la tension qui l’oppose à l’égoïsme du self-interest » (p. 75). Le chapitre suivant repose à nouveau le problème de l’harmonie chez Smith, mais en termes juridiques. Il s’agit alors de déplacer les questions posées jusqu’alors pour les projeter dans le champ plus large, disons plus normatif ou restrictif, du droit et de la justice. On se demandera par exemple si l’économique est essentiellement injuste. L’A. poursuit ici sa reconstruction de la pensée de Smith et propose de nouvelles articulations théoriques, notamment à partir des concepts de rémunération, d’effets pervers du travail et de division du travail. Le lecteur d’aujourd’hui sera heureux d’apprendre comment, pour Smith, la concurrence, qui doit être organisée par l’État, face à l’Église, doit s’inscrire dans un cadre « libéral …