Recensions

Le Mahâbhârata. Tome I. La genèse du monde. Textes traduits du sanskrit et annotés par Gilles Schaufelberger et Guy Vincent. Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2004, 890 p.[Notice]

  • André Couture

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  • André Couture
    Université Laval, Québec

Ces auteurs ne sont pas des inconnus. Gilles Schaufelberger est de Marseille ; il est ingénieur à l’École polytechnique de Zurich, et est actuellement en semi-retraite. Guy Vincent est d’Aix-en-Provence ; il est docteur ès lettres et chargé de cours à l’Université de Provence III. Ils se sont rencontrés à des cours de sanskrit à Aix-en-Provence et ont découvert ensemble la beauté du Mahâbhârata. Ils ont déjà publié l’Histoire de Nala et Damayanti. Conte sanskrit du Mahâbhârata (Publisud, 1991) et La Chute de Yayâti. Extraits du Mahâbhârata (Gallimard, 1992), des extraits qui seront intégrés dans la suite du présent ouvrage. Ils disent avoir entrepris la traduction de cette immense épopée indienne il y a 22 ans (quatrième de couverture), et promettent d’ajouter à ce fort volume deux autres tomes. Une longue « Introduction générale » (p. 10-144) discute de questions générales et propose un résumé succinct de ce texte (p. 111-118) ainsi que des tableaux de généalogies, utiles mais parfois difficilement lisibles. Suivent trois grandes parties : (1) Le sacrifice des serpents (p. 145-328) ; (2) Le guide du pèlerin (p. 329-769) ; (3) Skanda (p. 771-890), qui contiennent chacune plusieurs pages d’introduction spécifique. Le tome I de cet ouvrage est intitulé La genèse du monde. On s’attend donc à trouver ici des récits de création ou de mise en place d’un certain ordre cosmique. On a beau lire la table des matières, impossible de se faire une idée précise de l’orientation de cet ensemble de textes. Quiconque a déjà lu Mythe et épopée I (Gallimard, 1968) de G. Dumézil, Le Mahâbhârata de Jean-Michel Péterfalvi et Madeleine Biardeau (Flammarion, 1985-1986), ou le récent Mahâbhârata en deux gros tomes de Madeleine Biardeau (Seuil, 2002), et qui est déjà familier avec le déroulement de ce livre, devrait s’y retrouver sans trop de mal. Mais le néophyte risque de se décourager. Il faudrait peut-être d’abord lui conseiller d’aller sur le site Web des auteurs et de lire le résumé complet du Mahâbhârata qu’on y trouve, livre par livre, chapitre par chapitre, un résumé malheureusement trop long pour figurer dans ce livre. La première chose dont ce lecteur devra ensuite se rendre compte est qu’il trouvera ici une approche plutôt thématique qui s’éloigne de ce qu’on pourrait appeler le cadre narratif ou l’intrigue de cette épopée. Les auteurs ont en effet cherché à regrouper par thèmes un certain nombre de récits qui surgissent çà et là comme en marge de la trame narrative de ce long texte qui doit faire environ trois fois la longueur de la Bible. Ils paraissent d’emblée fascinés par la comparaison du Mahâbhârata avec les épopées grecques. La théorie dumézilienne des trois fonctions les intéresse quand elle permet d’établir une base plausible en vue de la comparaison (ils citent surtout N.J. Allen et C. Vielle). On dirait qu’ils recherchent davantage des thèmes qui perdurent à travers une série de transformations narratives qu’un contenu narratif ou un message. Et cela correspond à l’idée qu’ils se font de l’épopée : « Au lieu d’une chronologie événementielle, d’une série de péripéties à valeur romanesque, d’épisodes gradués se référant à la palette des expériences humaines, l’épopée est un lieu où se génèrent des situations impossibles, irréductibles à une norme, briseuses de toute symétrie, sur le fil du rasoir du déséquilibre » (p. 69-70). Il semble donc que l’épopée indienne donne naturellement lieu à ce que les auteurs appellent des bourgeonnements, des excroissances qui prolongent le texte de façon souvent inattendue, qui s’y incorporent et font désormais partie intégrante de ce que la tradition nous a légué. On trouvera sur ces …