Recensions

Charles Wackenheim, Quand Dieu se tait. Paris, Les Éditions du Cerf, 2002, 190 p.[Notice]

  • Nestor Turcotte

…plus d’informations

  • Nestor Turcotte
    Matane, Québec

Dans la tradition biblique, juive et chrétienne, l’image de Dieu s’est construite autour d’un rapport original à la parole et à l’histoire. C’est en parlant que Dieu suscite le monde et conduit le destin de l’humanité. Simultanément à cela, plusieurs croyants se disent sensibles et attentifs aux silences de Dieu. Le siècle qui vient de se terminer renvoie à un Dieu absent devant les tragédies de ce monde, les génocides et les horreurs des guerres répétées. Dieu se tait-il et s’efface-t-il devant la bêtise humaine ? « Le silence, disait Heidegger, est le mode authentique de la parole ». Appliqué à la connaissance de Dieu, le silence de Dieu ne serait-il pas, en fait, la meilleure façon choisie par Dieu pour parler à l’humanité ? Cependant, la mesure de l’inadéquation de nos représentations et celle de nos discours par rapport au Dieu tout Autre pose problème. Il y a toujours un écart entre ce que l’homme peut dire et ce qu’il ne doit pas dire lorsqu’il parle de sa relation à Dieu et, à plus forte raison, de Dieu lui-même. L’assertion paradoxale de Thomas d’Aquin étonne toujours : « Tel est l’ultime de la connaissance humaine au sujet de Dieu, qu’elle sache ne pas savoir Dieu ». Dieu, selon le génie hébreu, s’exprime en termes concrets et non en termes métaphysiques, comme chez les Grecs. Dans la Bible, parler (en hébreu : dâvar et âmar ; en grec logos et rhêma), veut dire agir. Le logos grec exprime verbalement une pensée préalablement conçue. Le dâvar hébreu signifie faire la vérité en même temps qu’on l’énonce. La Parole biblique est une force qui réalise ce qu’elle annonce. L’homme n’est pas seulement un animal parlant, comme le pensaient les Grecs, capable d’élaborer des concepts. Il est, de plus, selon la tradition biblique, un répondant de Dieu. Aux yeux des hommes, Dieu semble se taire et ne pas agir. Mais en fait, le dâvar divin ne monte pas du coeur du prophète ou de l’homme qui parle. Il atteste de sa présence en transformant et en agissant dans l’homme qui répond. L’interprétation du silence de Dieu permet à l’A. de passer en revue six propositions où Dieu exprime à la fois sa Présence et son Absence. Dieu parle (agit), par la création, par ses témoins, dans l’histoire des hommes, par l’Écriture sainte, en Jésus-Christ, enfin dans et par son Église. Ce silence de Dieu ne pourrait-il pas alors s’interpréter comme un acte délibéré de retrait pour permettre à l’homme d’exercer pleinement sa liberté d’action et de parole ? L’action transformatrice opérée par l’homme n’indique-t-elle pas l’action de Dieu en l’homme qui répond à son interpellation de transformer le monde qu’il lui a donné ? Les plus anciennes cosmogonies manifestent le désir pour l’homme de connaître son origine. Plusieurs d’entre elles révèlent des tendances polythéistes, parfois panthéistes, timidement monothéistes. Ces imageries nous introduisent dans le langage spécifique et précis de la Création. Le verbe hébreu bâra (créer) est réservé à la Parole ou à l’Agir de Dieu. L’acte créateur biblique ne dépend d’aucune matière préexistante et ne fait appel à aucune collaboration extérieure, comme dans les mythes primitifs. L’idée de création hébraïque ne se confond pas cependant, avec le concept métaphysique de création ex nihilo. Dans la Bible, la notion de création se distingue de celle de la nature, en ce sens que la première a partie liée avec le dessein du salut qui sous-tend toute l’histoire de l’Alliance. La création s’inscrit dans cette histoire, alors que la nature (sens grec du terme) désigne une donnée de fait, accessible à tout venant. La …