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Le premier tome de cette collection de traductions d’extraits du Mahābhārata a été publié en 2004. J’en ai fait pour le Laval théologique et philosophique une recension (LTP 60, 3, octobre 2004, p. 587-590) qui aurait pu être beaucoup plus longue et plus nuancée, mais qui, à la lumière de la lecture de ces deux autres tomes, me paraît toujours pertinente.

Le tome II « met l’accent sur le traitement épique de la guerre » (p. [10]) et a été divisé en cinq parties. J’ajoute les références qui n’apparaissent malheureusement pas dans la table des matières, mais auraient facilité la consultation de l’ouvrage. (1) « La mort de Jayadratha » (MBh 7,61-121) ; (2) « L’attaque nocturne » (10,1-18 ; qui comprend aussi « La résurrection de Parikṣit », 14,65-69) ; (3) « Le livre des femmes », divisé en quatre parties : « Les consolations » (9,1-8) ; « Les femmes » (9,9-25) ; « La crémation » (9,26) ; et « L’offrande de l’eau » (9,27) ; (4) « Sāvitrī et autres récits », qui comprend les épisodes suivants : « Histoire de Sāvitrī » (3,277-282) ; « Histoire de Śakuntalā » (1,62-69) ; « Histoire de Sunda et Upasunda » (1, 201-204) et « Histoire d’Ambā » (5,170-193) ; (5) « Histoire de Nala et Damayantī » (3,50-78).

Le tome III « rassemble des textes à portée eschatologique ou philosophique » (p. [7]) et a été lui aussi divisé en cinq parties. (1) « La chute de Yayāti » (MBh 1,70-88, un texte déjà publié en 1992) ; (2) « Le fabulaire indien », qui comprend les épisodes suivants : « Histoire de l’Oie menteuse » (2,38), « Histoire de l’Oiseau Imprudent » (2,41), « Dispute des Deux Oiseaux » (5,62), « Histoire de l’Oie et du Corbeau » (8,28) ; « Histoire de Sukumārī » (12,30), « Histoire du Chacal et du Tigre » (12,112) ; « Histoire du Chameau au long cou » (12,113), « Histoire du Brâhmane et de son Chien » (12,117-119), « Histoire des Trois Poissons » (12,135), « Histoire de la Souris et du Chat » (12,136), « Histoire du Pigeon et de l’Oiseleur » (12,141-145), « Histoire du Vautour, du Chacal et de l’Enfant mort » (12,149), « Histoire de l’Arbre et du Vent » (12,150-151), « Histoire de Jājali et de Tulādhara » (12,253-256), « Histoire du Perroquet et de son Arbre » (13,5), « Histoire du Singe et du Chacal » (13,9) ; (3) « Fins et commencements », qui comprend « Le déluge indien » (3,185), « Les âges de l’univers » (3,186-189), « Les dimensions de l’univers » (12,175-186, extraits), « La création continuée » (12,200-201), « De l’oeuf originel à la résorption finale » (12,298-300), « Les avatāra de Viṣṇu » (12,326), « Le dieu porteur d’une tête de cheval » (12,335-337), et « Nāciketa » (13,70) ; (4) « Le deuxième chant du Seigneur » (14,16-50) ; (5) « Les chants du crépuscule », qui comprend les Livres 15, 16, 17 et 18, in extenso. Ce tome se termine par une bibliographie (p. 861-887), un « Index principalium notionum » (p. 889-906) et quelques pages d’errata (p. 907-910).

Schaufelberger et Vincent s’étaient proposé de faire une lecture thématique du Mahābhārata de façon à mieux faire apparaître le caractère encyclopédique de l’oeuvre (tome I, p. 105-109). Le choix qu’ils ont fait est le plus souvent convaincant. Le lecteur qui a la patience de lire les trois tomes de cet ouvrage, ainsi que les introductions à chacune de ses parties, obtient une idée assez précise des différentes avenues empruntées par le poète épique. Cela dit, outre l’effet de dépaysement, ce qu’un lecteur cultivé souhaite de la lecture d’un ouvrage comme celui-ci, c’est aussi qu’il soit le reflet de ce que les spécialistes disent actuellement de cette oeuvre. C’est précisément ce que je me propose ici de vérifier. Je survolerai donc l’une après l’autre les cinq parties du tome II de cet ouvrage à la lumière de la recherche actuelle en ce domaine. Il me semble que l’examen attentif du tome II de cet ouvrage considérable devrait déjà fournir au lecteur une idée assez exacte de ses qualités, mais également de ses limites.

Pour effectuer le travail, j’ai lu intégralement la traduction de ce tome II en la vérifiant sur l’original en sanskrit, et en consultant au besoin le commentaire traditionnel de Nīlakaṇṭha, puis les traductions de Ganguli et de van Buitenen. Même si le respect de la division en stances (śloka) à l’intérieur de la traduction est discutable, je suis personnellement favorable à cette option qui a, entre autres, l’avantage de faciliter la comparaison avec le texte sanskrit. Une division en paragraphes aurait probablement aidé le lecteur à entrer dans la logique du texte. Sans doute pour répondre à ce souhait, à partir de la p. 396, les auteurs ont attribué à chaque chapitre ou adhyāya un sous-titre, habituellement bien choisi. On se demande pourquoi ils ne l’ont pas fait partout et de façon uniforme. Ce sous-titre, qui apparaît en caractères gras, n’est en règle générale pas suivi de ponctuation ; toutefois il est suivi d’un point aux pages 600 et 603, de points de suspension des pages 642 à 728, et même d’un deux-points des pages 745 à 794. Je note que les stances composées dans un rythme autre que celui des habituels sloka ont été traduites en vers libres, ce qui permet de les repérer immédiatement. La note 767 (p. 654) indique d’ailleurs clairement qu’une disposition typographique différente signalera les changements de métrique, une remarque qui aurait dû avoir été faite une fois pour toutes au début du tome I de l’ouvrage. Quelques passages ne font pas partie du texte de l’édition critique. Ils ont parfois été traduits quand ils ont été jugés utiles à une meilleure compréhension du texte (n. 576, p. 535). La traduction est également émaillée de notes, parfois assez longues, destinées à éclairer le sens de tels ou tels mots ou le rôle d’un personnage particulier. Cette façon de procéder amène des redites qu’il aurait été facile de corriger grâce à un index plus complet et mieux construit. Il me paraît en effet inutile de relire les mêmes notes, souvent recopiées avec les mêmes coquilles. Pour s’en convaincre, on comparera par exemple les notes sur Droṇa (n. 12, 402, 445, 465, 628, 681), Karṇa (n. 20, 414, 558, 626, 656), sur Bhīṣma (n. 22, 415, 556, 625, 865), sur Kr̥ṣṇa (n. 16, 420, 555), sur Kubera (n. 142, 320, 460, 713, 932), sur Dhr̥ṣṭadyumna (n. 101, 206, 277, 412, 688), sur Indra (n. 410, 570, 756, 873). Après ce préambule, voici quelques-unes des réflexions ou remarques qui me sont venues à la lecture de chacune des cinq parties de ce tome II.

I. Première partie : La mort de Jayadratha (p. 11-377)

Cette longue section couvre 60 chapitres du Droṇaparvan (le 7e livre du MBh) et c’est l’une de celles que j’ai lues avec le plus d’intérêt. Elle permet au lecteur de se familiariser avec une narration épique faite d’interminables descriptions de combats, et représentait à cet égard un véritable défi que les auteurs ont brillamment relevé. L’introduction à cette section est particulièrement bienvenue. Elle insiste sur l’organisation du récit, la façon dont s’entrelacent les combats, l’art avec lequel les gestes se répètent tout en donnant l’impression d’une progression, l’insertion de discussions qui interrompent le cours des batailles, les explications concernant les faits prodigieux qui s’y produisent, l’utilisation régulière par le narrateur de comparaisons et de périphrases. J’aurais beaucoup à dire à propos de la traduction du texte et des décisions qui ont été prises à ce sujet. Sans entrer ici dans le détail de la traduction, quelques remarques s’imposent.

prāyam upaviś : Les explications données dès l’introduction donnent d’abord l’impression que l’expression doit se traduire par « entrer en méditation », même s’il est aussitôt expliqué que le guerrier décide alors « de jeûner à mort, de retenir ses souffles et les rassembler en un seul qui rejoint l’unité divine » (p. 42). L’expression figure en 7,118,16 (p. 350), au v. 36 (p. 352) et au v. 38 (p. 353) et les traducteurs parlent chaque fois de « jeûne à mort ». Quand ils traduisent l’expression au livre 10, ils utilisent en p. 419 « était entré en méditation » ; en p. 461, « je me laisserai mourir de faim » (10,11,15) ; et en p. 480, « son jeûne à mort » (10,16,21). La note 402 (p. 400) explique que prāya signifie « entrer en méditation ». L’index final du tome III dira : « Le prāya consiste à renoncer à la vie et à jeûner et à méditer en attendant la mort » (p. 897). Un lecteur attentif risque de s’étonner d’une traduction qui hésite ainsi entre le jeûne et la méditation. À la lumière d’un article de Louis Renou sur le sujet (« Le jeûne du créancier dans l’Inde ancienne », dans L’Inde fondamentale, Paris, Hermann, 1978, p. 164-174), il apparaît cependant clairement que le prāya consiste essentiellement en un jeûne à mort. J’ajoute que la description des rites qui accompagnent ce jeûne (silence, yoga et grande upaniṣad ou corrélation, voir 7,118,18, p. 350) me fait davantage penser à la finale de la Mahānārāyaṇa Upaniṣad qu’à l’Upaniṣad plus tardive portant le nom de Mahopaniṣad (n. 359, p. 350).

pīta et śaikya : En 7,63,4 (p. 61), il est question d’épées « qui remplissaient l’espace d’un éclat jaune » (pītān ākāśasaṃkāśān). En 7,68,11 (p. 89), le même mot pīta qualifie un javelot et est traduit par « bien trempé ». Les auteurs citent en note le commentaire de Nīlakaṇṭha, disent s’inspirer de la traduction de Ganguli, mais assortissent leur explication d’un point d’interrogation (n. 74). Plus loin en 7,91,31 et 36 (p. 216), il est encore question d’une flèche bien trempée (pīta). En 7,95,35 (p. 234), la traduction parle encore de « cuirasses de fer bien trempé », mais cette fois le texte sanskrit porte śaikyāyasāni varmāṇi. En 2000, James L. Fitzgerald a pourtant fait paraître dans le Journal of the American Oriental Society un article bien documenté portant justement sur ces questions (« Sanskrit Pīta and Śaikya/Saikya. Two Terms of Iron and Steel Technology in the Mahābhārata », 120, 1 [2000], p. 44-61) et qui montre à l’évidence qu’il faut traduire le terme pīta par « bien trempé » et le terme śaikya par « fonte ». À la lumière de cet article, il devient clair que les auteurs n’avaient pas à hésiter. En 7,63,4, il fallait comprendre que ces épées étaient « bien trempées et aussi éclatantes que l’espace », tandis qu’en 7,95,35, il est question de « cuirasses de fonte ».

— 7,61,21, n. 16 (p. 53) : À propos de Kr̥ṣṇa, les auteurs renvoient au Bhāgavata-Purāṇa. Dans bien des cas, la référence la plus immédiate est celle du Harivaṃśa, en particulier aux n. 533 (p. 496) et n. 538 (p. 500). Le Bhāgavata-Purāṇa est un texte du 9e ou 10e siècle, tandis que le Harivaṃśa accompagne ou suit immédiatement le Mahābhārata. C’est donc le Harivaṃśa qu’on se serait attendu à voir cité ici.

— 7,63,7 (p. 61) : « D’autres … s’assemblaient avec leurs massues … ». Le texte dit plutôt : « D’autres … obstruaient l’espace avec leurs massues … ».

— 7,63,30 (p. 64) : « … le char de Droṇa avec sa bannière, ses coursiers rouges et ses sièges caractéristiques revêtus de peaux d’antilope noire ». Le texte dit plutôt : « le char avec ses fanions, ses coursiers rouges, et son enseigne orné d’un autel et d’une peau d’antilope noire ». La distinction entre patāka et dhvaja apparaît clairement en 7,80,8-9.

— 7,66,18 (p. 77) : « Les éléphants tombaient au sol, semblables à des sommets de montagnes, des nuages, des édifices réduits en poudre, détruits et brûlés par la foudre, le vent ou le feu. » La structure de cette phrase repose sur une magnifique figure de style appelée yathāsaṃkhya, dont la traduction exige que l’on mette en relation grammaticale et sémantique des éléments apparaissant dans des énumérations successives. Je suggère donc plutôt la traduction suivante : « Les éléphants tombaient comme des crêtes de montagne broyées par le foudre, comme des nuages emportés par le vent, et comme des palais brûlés par le feu » (cūrṇitākṣiptadagdhānāṃ vajrānilahutāśanaiḥ | tulyarūpā gajāḥ petur giryagrāmbudaveśmanām ||).

— 7,68,19 (p. 90) : « Bībhatsu (Arjuna) était allé dans la ville du roi des morts, ô Bhārata. Mais, respirant à nouveau, il revint peu à peu à lui. » Peut-être serait-il plus clair de dire : « Mais Bībhatsu se mit à respirer à nouveau, avec lenteur pourrait-on dire, ô Bhārata, comme s’il était allé à la ville du roi des morts et en était revenu » (pratyāśvastas tu bībhatsuḥ śanakair iva bhārata | pretarājapuraṃ prāpya punaḥ pratyāgato yathā ||). Je ne comprends pas la note 75 qui parle de pretya, alors que le texte porte prāpya.

— 7,68,36 (p. 92) : « … les éléphants dégoulinant de sang semblaient des montagnes à la saison où les torrents se teignent de rouge », alors que le texte dit plutôt que ces éléphants ressemblaient alors à des montagnes qui, à la saison des pluies, suintent une eau rouge d’hématite (kāle gairikāmbusravā iva).

— 7,68,65 (p. 95) : Le guerrier Śrutāyus tomba sur le sol « comme un projectile lancé par un engin de guerre », alors que le texte dit littéralement « comme un étendard d’Indra qui se serait abaissé, son attache étant lâchée par un mécanisme » (indradhvaja ivotsr̥ṣṭo yantranirmuktabandhanaḥ).

— 7,72,16 (p. 115) : Ces guerriers ne sont pas seulement « habiles, et bien préparées au combat », ils sont passés par des périodes d’initiation au combat (raṇadīkṣābhir dīkṣitāḥ).

— 7,72,18 (p. 116) : Il serait banal de dire que ces soldats se trouvent engagés dans la bataille. Le narrateur utilise ici une image de théâtre, qu’il reprendra au verset 20. « Sur la scène du combat (yuddharaṅgagatāḥ), ces hommes s’affrontaient avec rage ». La métaphore est probablement beaucoup plus importante qu’il ne semble et la traduction devrait la mettre bien en évidence.

— 7,73,42 (p. 122) : « Sātyaki (Yuyudhāna) contra ses armes en utilisant des formules magiques pour ses propres armes et le frappa de flèches acérées. Ce fut vraiment un prodige. » La traduction dépasse le texte qui dit simplement que Sātyaki riposte aux armes de son adversaire avec la magie de ses armes (astramāyābhiḥ). Quant à la clausule finale, adbhutam ivābhavat, qui revient à maintes reprises dans le texte, elle veut dire que l’exploit guerrier qui vient d’être décrit « a l’air d’un prodige, relève du prodige, est comparable à un fait inexplicable ». Le narrateur ne dit pas qu’il s’agit d’un prodige, mais que cette action en a toutes les apparences. D’un côté, le combat est comparé à un sacrifice ; de l’autre il est tellement extraordinaire qu’il a l’air de se dérouler sur un théâtre, ou d’être un tour de magie.

— 7,76,6 (p. 135) : « Comme deux poissons qui ont déchiré un grand filet, Kr̥ṣṇa et Arjuna, à l’abri du danger, s’étaient libérés du filet de ton armée ». Jāla veut dire ici à la fois multitude et filet, ce qui n’apparaît pas dans la traduction. « Après avoir percé la multitude (jāla) de leurs armées, les deux Kr̥ṣṇa (Kr̥ṣṇa et Arjuna) ressemblaient à deux poissons, libérés de leur tourment après avoir déchiré un grand filet » (matsyāv iva mahājālaṃ vidārya vigatajvarau | tathā kr̥ṣṇāv adr̥śyetāṃ senājālaṃ vidārya tat ||).

— 7,77,1 (p. 139) : Il n’est pas question ici de courir vers son malheur. Duryodhana « se trouve en pleine détresse » (āpadgatam).

— 7,84,21 (p. 171) : « semblable à une informe masse noire et craquelée » ? Bhinnāñjanacayopamam, semblable à un tas de poudre d’antimoine (cf. Claus Vogel, « On the meaning of skr. (pra)bhinnāñjana », Indo-Iranian Journal, 10 [1967-1968], p. 171-176).

— 7,85,41 (p. 177) : sāṃparāye est commenté par Nīlakaṇṭha par āpadkāle. Il faudrait donc traduire : « Il est temps pour lui de répondre au devoir de l’amitié en temps de détresse (sāṃparāye suhr̥tkr̥tye), car c’est un devoir éternel … ».

— 7,95,8 (p. 231) : La terre n’est pas « hérissée de multitudes de fantassins […] tombés au sol », mais elle est rendue inégale, elle est devenue toute bossuée (viṣamīkr̥tām) en raison de ces multitudes de cadavres. Même image qu’en Harivaṃsa 6,9-10, où il est dit que le roi Pr̥thu a égalisé la surface de la terre qui était auparavant viṣama (inégale).

— 7,98,15 (p. 248) : Il est question de « flèches cuisantes comme des serpents “décochées” par Arjuna », alors qu’en fait il est dit que les flèches d’Arjuna étaient « comparables à des serpents qui viennent de muer » (nirmuktoragasaṃnibhāḥ). Le jeu de mots sur nirmukta n’a pas non plus été compris en 7,113,19 (p. 323) : « La terre était couverte de monceaux de dards, de javelots, d’épées, de haches dont s’étaient servi (nirmukta, lancés, déclenchés par) Karṇa et Bhīma et qui ressemblaient à des serpents qui viennent de muer (nirmukta). »

II. Deuxième partie : L’attaque nocturne (p. 379-502)

Encore ici, un choix avec lequel je ne peux qu’être d’accord. Les dix-huit chapitres du livre 10 (Sauptikaparvan) traitent de la vengeance d’Aśvatthāman qui décide de massacrer de nuit les Pāṇḍava ; la section est complétée par quatre chapitres du livre 14 consacrés à Parikṣit. Dans leur introduction, les auteurs ne citent que Dumézil (Mythe et épopée, Paris, 1971). Mais après Dumézil, il y a eu au sujet de ce texte les travaux de Alf Hiltebeitel (entre autres, The Ritual of Battle, Ithaca, London, Cornell University Press, 1976), un chapitre du livre de Jacques Scheuer sur Śiva dans le Mahābhārata (Paris, PUF, 1982), un important article de Ruth Cecil Katz (« The Sauptika Episode in the Structure of the Mahābhārata », Journal of the South Asian Literature, 20, 1 [1985], p. 109-124) qui ne semblent pas avoir été utilisés, même si les deux livres sont cités dans la bibliographie du tome III. J’ajoute quelques remarques concernant la traduction.

— 10,4,11 (p. 414) : Par distraction sans doute, on a confondu prasahya (violemment) avec prahasya (en riant), ce qui change complètement le sens de la phrase (même erreur en 7,115,14, p. 335).

— 10,5,15 (p. 418) : « Car, à mon avis, un acte blâmable, indigne de toi, souillerait de sang ta pureté. » Pourquoi n’avoir pas conservé l’image figurant dans le texte sanskrit ? asaṃbhāvitarūpaṃ hi tvayi karma vigarhitam | śukle raktam iva nyastaṃ bhaved iti matir mama ||, « Car un acte blâmable est à mon avis indigne de toi, comme le serait du sang sur un vêtement blanc. »

— 10,6,7 (p. 421) : « Impossible de décrire son corps : lui seul le pourrait ». Le texte sanskrit dit plutôt : naiva tasya vapuḥ śakyaṃ pravaktuṃ veṣa eva vā, ce qui veut dire qu’il est impossible de décrire son corps (vapus) ou même son costume (veṣa).

— 10,7,43 (p. 429) : « les ennemis de Brahmān » (brahmadviṣ) ? Il doit s’agir des ennemis du brahman, ou des brâhmanes.

— 10,7,64-65 (p. 432) : āviṣṭa, signifie « pénétré par », mais il s’agit ici du vocabulaire technique de la possession (āvesa), dont traite avec précision Scheuer, p. 308-309 de son livre (supra).

— 10,8 : Les auteurs expliquent au cours de ce chapitre qu’ils ont décidé de traduire le mot rakṣas ou rākṣasa par « ogre » (n. 453, dont le contenu est repris aux n. 620, 795, 943), yakṣa par « génie » (n. 454, dont le contenu est repris aux n. 931 et 940), et le mot piśāca par « goule » (n. 947). Ils considèrent les gandharva comme une « sorte de génies » (n. 456, dont le contenu est repris aux n. 712, 885, 943). Quant au mot asura, qui apparaît dans le même contexte, ils le traduisent par « démon » (n. 411). Je me demande pourquoi ces notes apparaissent si tardivement, alors qu’en 7,69,36 (p. 100), par exemple, yakṣa est déjà traduit par « génie », rākṣasa par « ogre », et asura par « démons », sans autre explication. L’index final (tome III) ne définit pas ces mots, pas plus que les mots r̥ṣi, siddha, etc. Je comprends que le souci de vulgarisation fasse opter pour de telles équivalences. J’aurais aimé que l’on justifie ces choix dans l’index et que l’on ne signale en note que les éventuelles dérogations aux conventions adoptées (par exemple en 14,69,2 [p. 501] où l’on choisit de traduire rakṣas par « démon »), plutôt que de répéter çà et là les mêmes explications.

— 10,8,64 (p. 439) : « La Nuit de la Mort » (kālarātri), ou plus littéralement « la Nuit du Temps ». Cette kr̥tyā (une sorte de sorcière) apparaît ici sous la forme d’une vieille femme noire (kālī strī) et symbolise le temps de la destruction finale. Sa présence est symptomatique et on se serait attendu à une note explicative (cf. Scheuer, Śiva dans le Mahābhārata, p. 316-318).

— 10,8,65ef (p. 439) : « et emporta tous ces guerriers entravés ». Le texte dit : harantīṃ vividhān pretān pāśabaddhān vimūrdhajān. Il s’agit des guerriers qui ont vu Kālarātri « se saisissant des multiples morts, ligotés, les cheveux épars ». La note 451 mentionne le mot vimūrdhaja et évoque les hypothèses les plus invraisemblables : le scalp, la mort qui rendrait chauve, une perruque que les morts n’auraient pas eu le temps de remettre. Sur le symbolisme de la chevelure flottante en Inde, voir Jean Fezas, « Le voleur, le roi et la massue. Expiation et châtiment dans les textes normatifs sanskrits », Bulletin d’études indiennes, 7-8 (1989-1990), p. 47-95, spéc. 55-56 ; Alf Hiltebeitel, Barbara D. Miller, éd., Hair. Its Power and Meaning in Asian Cultures, Albany, SUNY Press, 1998.

— 14,69 (p. 501-502) : Seuls les premiers dix versets de ce chapitre ont été traduits. Rien pourtant ne l’indique.

III. Troisième partie : Le livre des femmes (p. 503-620)

Il s’agit du livre de lamentations qui vient clore la guerre de dix-huit jours et précède le fameux Śāntiparvan et ses longs discours. Les auteurs ont traduit en entier les 27 chapitres de ce livre. L’idée est encore une fois excellente, d’autant plus que ce livre n’avait suscité jusque-là que peu d’études. La situation a changé, puisque James Fitzgerald vient de traduire ce livre et d’en donner une excellente introduction (The Mahābhārata. 11. The Book of the Women ; 12. The Book of Peace. Part One, translated, edited, and annotated by James L. Fitzgerald, Chicago, London, The University of Chicago Press, 2004, p. 1-76) et que Muneo Tokunaga vient de publier une première étude du rituel de deuil qui sous-tend ce Strīparvan et le début du Śāntiparvan (« Udakakriyā and the Śāntiparvan », dans Petteri Koskikallio, éd., Epics, Khilas and Purāṇas : Continuities and Ruptures. Proceedings of the Third Dubrovnik International Conference on the Sanskrit Epic and Purāṇas, Zagreb, 2005, p. 169-181). Voici quelques notes concernant la traduction.

— 11,1,24cd (p. 526) : « et le venimeux Śalya qui a empoisonné l’univers entier ». Bien que la note 564 fournisse un commentaire exact du jeu de mots, cette traduction est trompeuse. Il n’est pas question ici de venin ou de flèche empoisonnée. Il est plutôt dit que Śalya est une pointe qui meurtrit l’univers comme une épine dans la chair (śalyaś ca yena vai sarvaṃ śalyabhūtaṃ kr̥taṃ jagat).

— 11,1,27 (p. 526) : madhyastha. Il ne s’agit pas de s’être tenu au milieu (« Tu te tenais au milieu »), comme une traduction littérale pourrait le suggérer, mais d’être resté « indifférent ». Le même terme revient en 11,2,14 (p. 529) et est également mal traduit. Na kālasya priyaḥ kaścin na dveṣyaḥ kurusattama | na madhyasthaḥ kvacit kālaḥ sarvaṃ kālaḥ prakarṣati || ne signifie pas : « Personne n’est l’ami du temps, ni son ennemi. Le temps jamais ne s’arrête en chemin, le temps entraîne tout », mais « Excellent Kuru, le Temps n’a ni ami ni ennemi (litt. pour le temps il n’y a ni ami ni ennemi) ; le Temps n’est jamais indifférent, le Temps emporte tout. »

— 11,4,2-5 (p. 533) : Le sage Vidura fournit ici un résumé d’embryologie. Écoute, dit-il à Dhr̥tarāṣṭra, ce que sont les activités (kriyāḥ) de l’être humain depuis sa conception. Il demeure d’abord pendant quelque temps dans une sorte de gelée appelée kalala. Jusqu’au cinquième mois, sa chair se forme. Puis un mois plus tard, il a tous ses membres. En raison de la force du souffle (vāyu), il est poussé, tête première, vers l’entrée de l’utérus et les contractions de la mère lui causent de grandes douleurs. La traduction aurait dû être plus précise et une note aurait été la bienvenue pour aider le lecteur à s’y retrouver.

— 11,5-6 (p. 534-538) : L’histoire (ākhyāna, 11,7,1) de l’homme au puits est appelée upamāna (6,4), un mot que les auteurs traduisent par « parabole » (comme Louis Renou, dans L’anthologie sanskrite, Paris, Payot, 1961, p. 107-109). Fitzgerald utilise le mot « allégorie », qui me semble préférable. La traduction de mahati saṃsāre par « l’immense cycle des réincarnations » (5,3), de saṃsārasāgare (5,22) par « dans la jungle de la réincarnation », de mahatsaṃsāra par « réincarnation » (6,5b, en rattachant mahat à kāntāram, sans respecter la césure), de saṃsāragahanam (6,5d) par « la jungle de la réincarnation », et de saṃsāracakra (6,12) par « la roue de la réincarnation » me semble inappropriée. Le terme « réincarnation » est un néologisme qui apparaît vers le milieu du 19e siècle, probablement une invention d’Allan Kardec. J’ai montré ailleurs que ce terme a été créé pour désigner une forme de métempsycose ascendante et dénoncer les renaissances hindoues ou bouddhiques comme une aberration. Le terme « réincarnation » doit donc être évité dans ce contexte. Il est de beaucoup préférable de traduire saṃsāra par « le circuit des renaissances » et le saṃsāracakra par « la roue de la transmigration ».

— 11,7,13 (p. 539) : « Le corps c’est le char, le caractère c’est le cocher, les sens ce sont les chevaux, les actes et les pensées ce sont les rênes, vois-tu. » C’est le mot sattva qui a été ici traduit par « caractère ». Il suffit de comparer avec Kaṭha Upaniṣad 3,3, pour se rendre compte que ce terme doit être un synonyme de buddhi, c’est-à-dire d’intelligence.

— 11,7,15 (p. 539) : « Ce char, en effet, qui fourvoie les insensés, doit être maîtrisé, vois-tu » (yāmyam āhū rathaṃ hy enam muhyante yena durbudhāḥ). Cette traduction n’est pas mauvaise, mais laisse échapper le jeu de mots sur lequel la phrase est construite. En effet, l’épithète yāmya signifie d’abord « relatif à Yama, le dieu de la mort, et donc mortel » : c’est également un verbal d’obligation signifiant « qui doit être maîtrisé ». Pour traduire complètement cette phrase, il faudrait dire : « Les insensés nomment “mortel” (yāmya) ce char (i.e. le corps) qui sert à les confondre et qui doit être maîtrisé (yāmya) [par une sagesse appropriée] ».

— 11,24,16 (p. 602) : une note explique l’épithète « à la taille de guêpe », mais qu’on se serait attendu à trouver un peu plus tôt en 11,18,5 (p. 579).

IV. Quatrième partie : Sāvitrī et autres récits (p. 621-806)

Les quatre récits composant cette partie sont introduits de façon fort originale. Il me semble qu’il s’agit d’un des meilleurs moments de ce deuxième tome. Ces histoires célèbres ont été bien étudiées et j’aurais aimé encore ici que les auteurs fassent bénéficier leurs lecteurs des travaux qui ont déjà été faits sur le sujet. Qu’on me permette de citer pour mémoire : Madeleine Biardeau, « Śakuntalā dans l’épopée », Indologica Taurinensia, 7 (1979), p. 115-125 ; Morton Smith, « The Story of Śakuntalā in the Mahābhārata », Journal of the Bihar Research Society, 46 (1960), p. 163-176 ; Brad Weiss, « Mediations in the Myth of Sāvitrī », Journal of the American Academy of Religion, 53, 2 (1985), p. 259-270 ; Vidyut Aklujkar, « Sāvitrī : Old and New », dans Arvind Sharma, éd., Essays on the Mahābhārata, Leiden, Brill, 1991, p. 324-333 ; Jacques Scheuer, « Śiva dans le Mahābhārata : l’histoire d’Ambā/Śikhaṇḍin », Puruṣārtha, 2 (1975), p. 67-86. J’ajoute encore ici quelques remarques.

— 3,277,12 (p. 644) : La déesse Sāvitrī dit dans la traduction française qu’elle est satisfaite de la « quête spirituelle » du roi Aśvapati. Le terme sanskrit est brahmacarya. Au v. 8, le terme brahmacārin est traduit par « étudiant » (p. 643). La traduction semble éviter ici d’aborder la question de la continence sexuelle, une règle de conduite obligatoire pour celui qui « fréquente le brahman ».

— 1,65,41 (p. 696) : Manmatha (écrit par erreur « Manmatta ») ou Kāma est présenté à la note 826 comme étant le fils de Kr̥ṣṇa (également aux notes 878 et 951). En MBh 1,61,91, on dit que Pradyumna, qui porte un makara sur son étendard, est identique à Sanatkumāra (cf. 10,12,30). Puis en MBh 18,5,11 (tome III, p. 856), il est aussi dit que Pradyumna, le fils de Kr̥ṣṇa, est retourné à Sanatkumāra comme il en était venu (yathāgatam). Ce Sanatkumāra est également présenté comme l’aîné des fils psychiques de Brahmā (cf. Harivaṃśa 12,11-12 ; cf. 1,29-31 et 20,24). C’est parce que ce brahmarṣi est encore l’enfant (kumāra) qu’il était quand il est né, qu’il s’appelle Sanatkumāra (Harivaṃśa 12,16). L’histoire de la naissance de Pradyumna (Harivaṃśa 99) montre bien que cet enfant est une nouvelle manifestation de Kāma, mais il est inexact de dire que Kāma est le fils de Kr̥ṣṇa (voir à ce sujet André Couture, « Noteworthy Resemblances Between Pradyumna’s Childhood and Kr̥ṣṇa’s Childhood », dans Maitreyee Deshpande, éd., Problems in Vedic and Sanskrit Literature, Delhi, New Bhāratīya Book Corporation, 2004, p. 79-86).

— 5,174,2 (p. 742) : Bhīṣma dit : « Certains [parmi les pieux ascètes] disaient : “Reconduisons-la [Ambā] dans la maison de son père” ; d’autres, tout aussi excellents, pensaient : “Nous n’en avons pas le droit !” » (kecid āhuḥ pitur veśma nīyatām iti tāpasāḥ | kecid asmadupālambhe matiṃ cakrur dvijottamāḥ ||). Je ne vois pas comment les traducteurs en sont arrivés à cette traduction. Je dirais plutôt : « Certains ascètes disaient que [cette jeune femme] devait être ramenée chez son père ; certains excellents brâhmanes décidèrent [plutôt] de nous réprimander (asmadupālambha). »

V. Cinquième partie : Histoire de Nala et Damayantī (p. 807-916)

Les auteurs l’indiquent clairement, la traduction de MBh 3,50-78 qui figure dans ce tome II reprend à peu de choses près celle qui a été publiée aux Éditions Publisud en 1991. On notera cependant qu’elle se termine en fait au cinquième verset du chapitre 78, et non à la fin de ce chapitre, comme on pourrait le penser. La translittération a été uniformisée, mais imparfaitement. L’édition de 1991 contenait une liste des personnages qui a été reprise à la p. 820. Les auteurs réfèrent même à la carte qui se trouvait dans l’original, mais qui a été supprimée ici (n. 934, p. 822).

La traduction est souvent très large. Je ferai seulement remarquer ici qu’à la note 935, le terme qui signifie « qui connaît le Veda » est vedavid, plutôt que vedavit ; à la note 949, la vache qui exauce les désirs, c’est kāmaduh (et non kāmadhuk, qui est le nominatif singulier). Je signale également que le mot raṅga n’évoque pas à proprement parler « une tente de cérémonie » (3,54,3 et 8, p. 836-837), comme le mot grec skênê peut le suggérer, mais une salle, un hall, où la future mariée devait se présenter pour être vue des princes venus en solliciter la main.

*

Je n’ai pas encore parlé de la traduction des noms d’oiseaux et on me permettra de terminer cette note critique par quelques remarques à ce sujet. Une note de la page 65 (n. 51) s’étonne de ne pas trouver le terme vaḍa dans les dictionnaires courants, ce qui montre à l’évidence que ces auteurs n’ont pas lu à ce sujet l’article décisif de James L. Fitzgerald, « Some Storks and Eagles Eat Carrion : Herons and Ospreys Do Not : Kaṅkas and Kururas (and Ba-as) in the Mahābhārata » (Journal of the American Oriental Society, 118, 2 [1998], p. 257-261). L’auteur y discute précisément de la traduction de MBh 11,4,7-8 qui contient une liste assez complète des charognards qui se disputent les cadavres sur ces antiques champs de bataille : à part les chacals et les rākṣasa, ce passage mentionne des bala/baḍa/vaḍa, des kākola, des kaṅka, des kāka, des kurara et des gr̥dhra. La traduction française que l’on trouve du même passage en p. 568 est plus qu’approximative. Faut-il redire encore une fois que ni les grues, ni les hérons, ni les orfraies (ou balbuzards) ne sont des charognards, et qu’il est complètement absurde de les retrouver en train de se repaître de cadavres. Selon Fitzgerald (on se reportera à l’article pour plus de détails), les corvidés qui sont susceptibles de se retrouver sur le champ de bataille du Kurukṣetra sont le Grand corbeau (kākola), le Corbeau familier (kāka ou encore vāyasa) et le Corbeau à gros bec (bala/baḍa/vaḍa). Les gr̥dhra sont les habituels vautours. Kaṅka, qui peut signifier héron, est un terme qui s’étend jusqu’aux cigognes. Et les cigognes susceptibles de se retrouver parmi ces charognards sont l’immense Marabout argala ou encore le Marabout chevelu. Quant au terme kurara, il désigne autant les balbuzards que les pygargues. Bien que le Balbuzard pêcheur (en anglais Osprey, l’orfraie est sa femelle), en raison de ses cris perçants, restent l’oiseau tout désigné pour servir de terme de comparaison quand il s’agit d’évoquer de cruelles lamentations, cet oiseau se nourrit exclusivement de la pêche et ne peut se retrouver sur un champ de bataille. Parmi les pygargues, le Pygargue de Pallas, répandu dans toute l’Inde, est probablement l’oiseau dont il est ici question. En français, si l’on suit Fitzgerald, et pour ne prendre que quelques exemples, il faut par conséquent traduire sr̥gālabaḍakākolakaṅkaniṣevitam (11,16,7cd) par « recouvert de chacals, de corbeaux à gros bec, de grands corbeaux, de marabouts » (comparer avec la traduction de p. 568) ; gr̥dhāḥ kaṅkā baḍāḥ śyenā vāyasā jambukās tathā | bahavaḥ pisitāśāś ca tatrādr̥śyanta … || (7,72,13) par « On voyait là des vautours, des marabouts, des corbeaux à gros bec, des busards, des corbeaux familiers, des chacals ainsi que de nombreux carnassiers … » (comparer avec la traduction de p. 115 ; śyena est un terme générique que j’ai traduit par busard, mais qui pourrait aussi désigner l’omniprésent milan) ; gr̥dhrakaṅkabaḍāśanam (5,179,3) par « dévoré par les vautours, les marabouts et les corbeaux à gros bec » (comparer avec la traduction de p. 760).

Plusieurs autres noms d’oiseaux se rencontrent au fil de l’ouvrage. Les auteurs auraient dû utiliser ici le livre de K.N. Dave, Birds in Sanskrit Literature (Delhi, Motilal Banarsidass, 1985) ; l’édition de 2005 contient un index des noms en langues indiennes anciennes, avec les équivalents latins, anglais et français, dont j’ai publié une première mouture dans le Bulletin d’études indiennes (16 [1998], p. 179-229). En 7,72,27 (p. 116), un śyena qui pique sur sa proie dans les bois est plus vraisemblablement un épervier qu’un faucon. En 7,65,18 (p. 73), les éléphants touchés par les flèches ne font pas que pousser des cris rauques, ils « craquetaient à maintes reprises comme des grues » (krauñcavad vyanadan muhuḥ). Balākavarṇa (7,75,31, p. 134) ne signifie pas « couleur de héron », mais couleur d’aigrette, c’est-à-dire blanc. En 7,101,37 (p. 262), un cāṣa affamé dévorant un moustique n’est pas le geai (plutôt rare), mais plutôt le rollier typiquement attiré par les feux où il poursuit les insectes et que l’on trouve dans toute l’Inde (cf. Dave, Birds in Sanskrit Literature, p. 146). En 10,7,17-19 (p. 427), il est question d’êtres qui apparaissent sous toutes sortes de déguisement : des faces de corbeau (kāka), de cormoran (plava), de perruche (śuka, il n’y a pas de perroquets en Inde), de pic (dārvāghāṭa), de rollier (cāṣa), de singe (hari), de grue (krauñca), de pigeon (kapota). Enfin, je note que le bhūliṅga de la fable présentée à la page 190 du tome III est le Pluvian fluviatile (cf. Dave, Birds in Sanskrit Literature, p. 362-363).

Inutile de poursuivre cette discussion par une analyse détaillée du tome III. Dans cette déjà trop longue notice, je reconnais évidemment le mérite qu’ont eu ces auteurs à traduire toutes ces pages pour les rendre accessibles à un large public. Je reconnais que ces auteurs ont visé juste en décidant de se consacrer à la vulgarisation du Mahābhārata. Je répète que le choix des passages me semble tout à fait judicieux et méritait un tel effort. Je ne veux pas ici enfoncer une porte ouverte et j’ai volontairement passé sous silence les approximations, les traductions trop larges, les améliorations souhaitables, les choix discutables, etc. J’ai cru également inutile de souligner les trop nombreuses fautes de translittération, les erreurs de ponctuation, les maladresses, les coquilles, etc. J’en suis plutôt encore à l’étape de l’étonnement et de la déception. Je m’étonne qu’une maison d’édition aussi sérieuse que les Presses de l’Université Laval ait accepté de publier l’ouvrage dans l’état où il se trouve actuellement. Les aléas du processus d’édition et le désir d’en réduire les coûts font qu’il se glisse de plus en plus de coquilles de toutes sortes dans les publications des meilleurs éditeurs. Ce n’est pas de cela qu’il s’agit ici. Ce que je déplore, c’est que le tome II de l’ouvrage que je viens d’analyser (mais également les deux autres tomes) n’ait pas été révisé par un spécialiste de ces textes et que les traductions et annotations qu’on y trouve ne reflètent pas l’état actuel de la recherche. Jusqu’à preuve du contraire, un bon ouvrage de vulgarisation repose sur des connaissances éprouvées et exige davantage de collaboration avec les spécialistes du domaine.