Liminaire[Notice]

  • Marie-Andrée Ricard

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  • Marie-Andrée Ricard
    Faculté de philosophie
    Université Laval, Québec

Le présent dossier, consacré à l’« idéalisme allemand », porte bien son nom. En plus d’embrasser plusieurs des penseurs rattachés à ce vaste courant de pensée, les articles ici rassemblés ont le mérite de mettre en lumière certains traits spécifiques de l’idéalisme en question. En particulier, que ce soit du point de vue de sa genèse ou de sa signification, l’articulation du couple absolu/extériorisation se retrouve au centre de l’attention. L’article de Claude Piché tente de lever l’ambiguïté qui entoure le concept fichtéen de phénoménologie. Formant, après l’ontologie, la seconde partie de la Doctrine de la science de 1804, la phénoménologie est définie, d’un seul tenant, comme une « théorie du phénomène et de l’apparence ». Comprendre comment Fichte peut bien réunir sous une même appellation des concepts au sens certes voisin, mais également très différent, est d’autant plus difficile que Fichte ne révèle jamais ses sources. Piché choisit dès lors de passer en revue la signification attribuée aux notions de phénomène et d’apparence par les principaux acteurs philosophiques de son élaboration, afin de dégager, avec toute la prudence requise, des analogies structurelles susceptibles d’éclairer le projet fichtéen. L’enquête porte d’abord sur Lambert, le père du terme de phénoménologie, ensuite sur Kant, et sur Reinhold enfin. Comme Kant en vient à distinguer nettement le phénomène de l’apparence, malgré que le premier se trouve toujours à la base de la (fausse) apparence, c’est le détour par Reinhold qui permet de saisir la manière dont Fichte parvient à concilier les deux notions. Les similitudes relevées entre la conception fichtéenne du phénomène et celle de Reinhold sont en effet frappantes. Comme Piché le souligne en passant, l’origine du terme de phénoménologie chez Hegel reste elle aussi nébuleuse. Sans s’attaquer directement à cette question, Mathieu Robitaille fait toutefois ressortir un élément déterminant dans la genèse d’une « phénoménologie de l’esprit » : l’influence du spinozisme sur le développement de la pensée de Hegel dans les années d’Iéna. À l’issue de la fameuse querelle du panthéisme, le spinozisme est compris comme une doctrine de l’absolu en tant que totalité substantielle. Les idéalistes privilégient cette doctrine par rapport au théisme de Kant, mais ils entendent néanmoins la concilier avec le point de vue de la liberté de ce dernier. Robitaille soutient que c’est à travers la réception d’abord, puis la « rupture » avec ce spinozisme que Hegel a pu passer d’une conception de l’absolu-substance à celle d’un absolu-sujet se réalisant comme esprit et intégrant la dimension de la liberté. Encore prévalente dans la Différence, la conception spinoziste finit selon lui par céder la place à la seconde précisément dans un fragment de l’été 1803. Seule une telle conception subjective de l’absolu était à même de rendre compte de la négativité, sans rabaisser celle-ci au rang d’une simple apparence, sans consistance propre. L’absolu sera pensé désormais comme un « être-devenu ». Le statut de cet être-devenu est au coeur du propos d’Iain Macdonald. Celui-ci défend le caractère idéaliste de la pensée hégélienne, en se confrontant à la lecture pragmatiste récente de l’esprit selon laquelle toute position de savoir renvoie à des pratiques sociales (Terry Pinkard) ou, autrement dit, toute constitution transcendantale, à une institution sociale (Robert Brandom). La question se pose comme suit : Hegel est-il un philosophe transcendantal, ce terme à prendre au sens très large de ce qui a trait à une condition a priori de l’expérience et du savoir ? Il en va donc ici du concept même du Concept ou de l’esprit en tant que quelque chose d’antérieur à ses manifestations. Macdonald répond affirmativement à cette question, en faisant valoir …