Note critique

À propos de Jacques Maritain ou la fidélité à l’Éternel, d’Yves Floucat[Notice]

  • Lionel Ponton

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  • Lionel Ponton
    Faculté de philosophie
    Université Laval, Québec

Dans ce livre de grande érudition, Yves Floucat s’efforce non de « prendre en compte les divers aspects » de la pensée de Jacques Maritain, ni de passer en revue « l’intégralité de ce qu’il a écrit », mais de dresser un tableau des thèmes récurrents sur lesquels il lui est arrivé « d’ouvrir quelques portes ». Au dos de la couverture, le directeur de l’Institut Jacques Maritain de Toulouse précise que son livre « offre un panorama des divers secteurs de la réflexion de Jacques Maritain, mené avec une sympathie qui n’interdit pas une certaine distance critique ». Il n’entend pas mettre en doute la fidélité du philosophe à l’esprit et à la lettre de saint Thomas « ce qui serait l’objet d’une autre étude » (p. 77, n. 165), mais il précise, contre les contestataires éventuels, que le thomisme de Jacques Maritain « est fait essentiellement d’un sens aigu de la vivante tradition de la sagesse chrétienne et de son caractère organique capable d’intégrer toute vérité d’où qu’elle vienne en rejetant l’erreur sans concession ». Certains secteurs que l’auteur privilégie, notamment L’entrée en métaphysique, La personne en société, La morale « adéquatement prise » et La poésie, la beauté et l’art, permettent toutefois de noter un certain décalage du thomisme « maritanien » vers une pensée qui doit beaucoup à l’époque où elle est apparue et dont elle a tenté de résoudre, avec originalité, quelques problèmes. Jacques Maritain serait un grand métaphysicien. Pourtant, il ne parvient pas à déterminer le sujet de la métaphysique. Dans Sept leçons sur l’être publié en 1934, c’est par l’intuition de l’être et le concept analogique, oeuvre de la première opération de l’esprit, que se fait l’entrée en métaphysique. L’être, sujet de la métaphysique, est obtenu par abstraction. Le Court traité de l’existence et de l’existant daté de 1947 ajoute à l’intuition de l’être déjà mentionnée le jugement d’existence qui exprime l’acte d’exister. La première et la deuxième opération de l’esprit sont ici impliquées. L’ouvrage posthume Approches sans entraves, qui a paru en 1973, innove de façon inattendue : dans et par le jugement d’existence, l’acte d’exister serait en quelque sorte conceptualisé. Ce concept d’existence ne serait pas un concept abstractif, mais « un concept judicatif de l’esse » (p. 94). La deuxième opération de l’esprit retient seule l’attention. À bon droit, sans sous-estimer l’existence, Yves Floucat formule la critique suivante : « Le seul concept dans lequel l’existence est objectivée, c’est et ce ne peut être que le concept quidditatif de l’étant, de provenance abstractive, mais enrichi et fécondé par l’acte judicatif qui l’ouvre ainsi sur la primauté absolue de l’esse au coeur de l’étant » (p. 95). Trois conceptions de l’être se succèdent ainsi d’un traité à l’autre, la troisième rencontrant une réprobation unanime. L’esse n’est pas un concept, croit Étienne Gilson, « il n’est que le signe d’un acte ». En ce qui concerne l’analogie de l’être, Yves Floucat ne tergiverse pas : « En bon disciple de Cajetan, Maritain privilégie d’une part l’analogie de proportionnalité propre “(a est à son exister propre comme b est à son exister propre)”, mais d’autre part et en plus, il pense que cette analogie est perçue d’emblée dans toute son amplitude sans limite… jusqu’à pouvoir atteindre l’Esse subsistant lui-même “analogiquement connu quoique infiniment au-dessus de nos prises” » (p. 99). Jacques Maritain opte pour la théorie de l’analogué transcendantal rejetée par Étienne Gilson avec fermeté. Les expressions qu’utilise Jacques Maritain dans ses exposés toujours très personnels : l’intuition (Henri Bergson), le mystère …

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