Recensions

André Léonard, Métaphysique de l’être. Essai de philosophie fondamentale. Paris, Les Éditions du Cerf (coll. « La nuit surveillée »), 2006, 448 p.[Notice]

  • Nestor Turcotte

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  • Nestor Turcotte
    Matane, Québec

De nos jours, la métaphysique n’a pas bonne presse. Privé de perspectives métaphysiques, l’homme contemporain possède un goût très vif pour le réel immédiat, mais il lui manque le sens de l’être et sa profondeur mystérieuse. Le métaphysicien s’extasie devant l’étant non pas dans sa nature physique, chimique ou biologique. Il s’émerveille devant lui en tant qu’il est, « en tant qu’étant ». La métaphysique est donc cette science de l’être en tant qu’être. André Léonard a été professeur de philosophie à l’Université de Louvain de 1970 à 1991. Cet essai de philosophie fondamentale est un ouvrage magistral. Il est difficile de le classer tellement il dépasse ce qui est connu et publié dans le domaine philosophique. Le professeur Léonard campe son sujet dès l’introduction. Quand le regard métaphysique vers la profondeur et la hauteur du réel vient à s’éteindre, alors l’intelligence s’épuise dans l’exploration et l’exploitation de la longueur et la largeur des choses. Et parce qu’ainsi elle ne contemple plus jamais ce qui la dépasse, l’intelligence humaine finit par s’occuper en permanence de ce qui est moins qu’elle-même. Sous peine d’asphyxie spirituelle, la pensée doit donc retrouver le chemin de la sagesse métaphysique. L’ouvrage est divisé en deux sections. La première permet à l’A. d’exprimer son point de vue sur quatre philosophes qui ont marqué le questionnement métaphysique depuis le Moyen Âge : Thomas d’Aquin (son maître), Kant, Hegel et Heidegger. L’A. débute donc sa critique en abordant Thomas d’Aquin. Il cerne le coeur de la conception thomiste de l’être. Il y développe la pensée du Docteur angélique à partir de quatre points essentiels : « L’être et l’étant », « L’être et l’intelligence », « L’être et les transcendantaux », « L’être et Dieu ». L’A. expose d’abord le principe « d’universelle intelligibilité » des choses : « Tout est intelligible par l’être ». Toute science est un effort intellectuel à propos d’un objet dont on sait qu’il est (an sit ?) pour comprendre plus facilement sa manière d’être (quid sit ?). L’être est avant tout une nature réelle, indépendante de notre connaissance, et donc extérieur à notre pensée. L’être est de soi une perfection n’exigeant aucune limite. Il est donc réalisable à l’infini. Il est de soi acte. L’ordre de l’être se révèle comme une source intarissable d’actualité où toute réalité puise sa perfection : « esse est actualitas omnium rerum ». L’être est exprimé par une idée analogue. L’être n’est pas un genre. Il est une « nature » si universelle qu’il contient toutes les réalités. Enfin, l’être est une « nature » abstraite. Celle-ci est d’abord réalisée avec limite dans les objets concrets, changeants et multiples, c’est-à-dire que l’être est aussi composé de puissance et d’acte. Dieu, étant l’Être qui réalise pleinement l’être, étant à la Source à la fois réalisatrice et explicative de tous les autres êtres, il est donc la première réalité à expliquer. Après Dieu, vient toute créature qui est une substance composée d’essence et d’existence, comme de deux éléments réellement distincts, quoique inséparables, et ordonnés entre eux comme l’acte et la puissance. Enfin, vient le corps en général, objet de la physique, composé substantiel de matière première et de forme substantielle. Une deuxième grande figure retient l’attention d’André Léonard : Emmanuel Kant. Pour dégager les grandes lignes de ce système si complexe, il pose la question kantienne dans toute sa verdeur : « La métaphysique comme science est-elle possible ? », ou encore : « Y a-t-il une science des objets métaphysiques, à savoir l’âme, le monde et Dieu ? » André Léonard aborde ensuite …