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Essayiste, Pierre Vadeboncoeur n’a plus besoin de présentation. Il domine parce qu’il n’est lié à aucune idéologie et transcende tous les systèmes, les étiquettes à la mode. Capté par l’attention à l’Être, il philosophe sans en porter le nom. Ce dernier ouvrage, tout comme les autres qui le précèdent, montre la seule préoccupation constante qui tisse et structure toute son oeuvre : l’esprit n’est pas au service d’un monde superficiel et aléatoire. Il accepte de servir l’Être dans toutes ses manifestations et ses actualisations.

« On doit mépriser les choses qui sont comme si elles n’existaient pas ; puis garder et rechercher celles qui ne sont pas comme si elles existaient. » Cette petite phrase, tirée d’un texte du xiie siècle, pourrait résumer sa pensée. C’est le leitmotiv qui circule dans toutes les pages de ce petit volume. « Nous relevons sans le savoir d’une ontologie stable et lumineuse ». Voilà l’objet de toute croyance. Comme la raison n’arrive jamais à dessiner le contour de l’Être, celui-ci lui demeure inaccessible et donc reste inépuisable. L’incroyance, par contre — voilà ce qui caractérise la postmodernité —, ne pense que « rien ne règle rien » et se situe à la surface des choses.

En plus d’être une réflexion sur l’Être et la postmodernité, ce petit ouvrage est un plaidoyer en faveur de la liberté. L’A. n’accepte pas d’être limité et enfermé par les faiseurs d’opinions, ceux qui, par les médias, fabriquent le prêt-à-porter des courants de pensée populaires et mouvant. Il se réfère constamment à la tradition où se trouvaient grand espace et appel à l’universel. À l’ouverture qui n’est jamais banalisée.

Il faut revenir vers les valeurs. Une cartographie des valeurs stables et universelles. Celles-ci sont en bonnes parties perdues. Rien n’est plus établi et chacun vit un individualiste qui justifie tout. On vit aux antipodes de l’exemplaire, du modèle, de l’essence. Le monde de jadis avait une sorte d’existence objective, établie sur le dogme qui maintenait un ensemble. La foi de l’A. s’exprime à partir d’une tradition où il y avait des raisons ultimes, qui sont telles par nature, non par convention.

L’idée de vérité traverse l’ouvrage. Elle est au-dessus comme une majesté. Sans la vérité, aucune idée. La vérité existe et est objective, car elle est la stricte mesure de l’être, lequel est dans l’impossibilité de faillir. En ce sens, elle est objet de foi par excellence et en même temps une pensée qu’aucune pensée ne peut nier.

L’A. n’a pas la prétention de livrer ici un traité. Ce n’est « pas une analyse mais une étape », « pas un livre, mais un pas ». Pas une doctrine mais une ouverture. C’est en passant par l’art qu’il amène le lecteur à entrer dans sa démarche. Les visages de Malraux, de Beethoven, de Borduas, de Bach, sont autant de figures qu’il privilégie pour accompagner le lecteur dans son cheminement en constante progression. On est loin des spéculations des philosophes traditionnels. Certains passages ressemblent aux pages des grands mystiques où parfois certains concepts, voire certaines expressions, ne sont pas pleinement définis. L’A. utilise parfois des locutions verbales comme « la personnalité de l’Être », « la personnalité du monde ». Une teinte panthéistique semble envahir parfois son discours, mais l’auteur prend bien soin de s’en dissocier.

Un livre, somme toute, qui reprend des thèmes moult fois traités dans des ouvrages précédents. Ici, la connaissance demeure l’ennemie de la Connaissance. Elle pratique une brèche. Elle casse un conformisme. Elle reprend une liberté.

Il n’est plus permis, suite à la lecture de cet ouvrage, de revenir dans une société où la négation est partout généralisée, où l’emmêlement est si visible et constant, où il est impossible de trouver une ligne indiquant une direction. La réalité étant souveraine, la vérité étant la quête de tout homme, la liberté étant sa voie, on accède ainsi à un autre ordre, supérieur et dégagé, heureux et libre, dans lequel il ne s’agit pas de se poser des questions délétères.