Recensions

Camille Tarot, Le symbolique et le sacré. Théories de la religion. Paris, Éditions La Découverte, 2008, 911 p.[Notice]

  • Michel Despland

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  • Michel Despland
    Université Concordia, Montréal

Le nombre de pages est impressionnant. Plus encore sont le sérieux des discussions et la qualité de l’argument patiemment élaboré. L’ouvrage est bâti sur un socle édifié dans De Durkheim à Mauss. L’invention du symbolique. Sociologie et science des religions (La Découverte, 1999 ; voir mon compte rendu dans Religiologiques, 19 [printemps 1999], p. 257-259). Ce que Mauss nous apprend sur la fonction symbolique prolonge (et corrige) ce que Durkheim avait écrit sur le sacré. Le lecteur qui commence l’ascension de cet Everest part d’un camp de base bien organisé. Le parcours est soigneusement balisé. La langue est d’une clarté admirable. Certaines phrases sont marquées du sceau du bon sens ou de l’humour. Le livre limite l’enquête aux frontières de l’Hexagone. C’est une de ses forces. On ne réfléchit pas sur la religion à partir de Mars ou de Vénus. Tout penseur dépend d’une culture avant d’entrer dans un projet scientifique. L’admettre permet de faire face aux soupçons de crypto-catholicisme (ou d’anti-catholicisme) dans l’univers sémantique qui traîne en France autour du mot. Cela permet aussi de cerner le suivi (ou son manque) dans un milieu intellectuel précis. L’A. n’est pas un chien qui change d’os trois fois par jour. La première des quatre parties fait un état des lieux. Il faut y voir un déblayage de questions préliminaires qui structurent (ou grèvent) les débats contemporains. Les thèmes sont : impérialisme culturel occidental, herméneutique, aliénation, définitions de la religion, mémoire, tradition. Le cadre de l’argument se dégage peu à peu. Toutes les religions combinent du sacré — qui sépare et repousse — avec du symbolique — qui relie et substitue (p. 212). Le sacré est ainsi toujours pris dans une construction symbolique (p. 222). La deuxième partie, « Théories », est un grand exercice d’hygiène intellectuelle. Huit auteurs sont présentés avec politesse, précision et brièveté (relative). Après Durkheim et Mauss viennent les six têtes d’affiche. Eliade, ou le retour à l’indistinction entre le sacré et le symbolique ; Dumézil, le dernier prince des philologues et le maître de la très longue durée ; Lévi-Strauss, ou le symbolique sans le sacré ; Girard ou le réalisme du sacré à l’origine du symbolique ; Bourdieu, ou le symbolique médiateur de la domination en l’absence du sacré ; et Gauchet ni sacré ni symbolique. Je ne résumerai pas ces pages, mais signale que tout enseignant en mal de préparation de cours y trouvera ce qu’il lui faut. C’est dans la troisième partie, « Confrontations », que les Romains s’empoignent. L’A. déplore que les étoiles des maisons d’éditions françaises s’ignorent les uns les autres et font des oeuvres pertinentes à l’étude de la religion mais quasiment enfermées dans une tradition disciplinaire propre à chacun ou une école de pensée. Après avoir intériorisé huit de ces oeuvres (qui lui ont donné du plaisir intellectuel), l’A. s’efforce de les comparer, de les soupeser pour les rendre opératoires. Eliade sort amoindri de ce processus. Il veut penser l’histoire dans le sacré, au lieu de penser le sacré dans l’histoire. Il fait du dionysisme le révélateur d’une expérience religieuse absolue. Cela rejoint des courants romantiques et aboutit à l’idéalisation des mentalités archaïques. L’A. ne tait pas son parcours politique (ni ses efforts pour le cacher) et n’y voit pas un accident sans incidence sur le travail du savant. Dumézil est loué pour avoir découvert le dispositif structural et idéologique de ses textes. Lévi-Strauss fait reposer la scientificité de son structuralisme sur le seul exemple de la linguistique. Cela aboutit à un pur intellectualisme. Il voit que les hommes échangent des femmes, des biens et des mots, mais sa …