Dossier

Liminaire. Regards chronologiques sur un thème de gnoséologie et d’épistémologie à travers l’Antiquité et le Moyen Âge[Notice]

  • Valeria Buffon,
  • Claude Lafleur et
  • François Lortie

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  • Valeria Buffon
    Département de philosophie
    Université de Montréal

  • Claude Lafleur
    Faculté de philosophie
    et Institut d’études anciennes
    Université Laval, Québec

  • François Lortie
    Faculté de philosophie
    Université Laval, Québec
    et École Pratique des Hautes Études, Paris

Dès l’Antiquité classique, Platon et Aristote ont voulu justifier la connaissance de l’universel et la saisie des premiers principes de la science en réfléchissant sur la nature de l’intuition et de l’abstraction, cette dernière jouant aussi au sens strict et au sens large (celui de séparation) un rôle déterminant dans la distinction épistémique traditionnelle du trio aristotélicien des philosophies théorétiques. Le présent dossier traite de cette thématique dans la pensée ancienne et médiévale, d’Aristote à Thomas d’Aquin, en passant par le néoplatonisme grec et le péripatétisme arabe. Par l’étude des sources grecques, arabes ou latines, chaque contribution cherche à définir l’intuition ou l’abstraction par rapport aux autres activités de l’âme humaine, dont la pensée discursive et la perception sensible. Pris dans leur ensemble, les articles qui composent ce dossier illustrent les continuités et les ruptures doctrinales au sein des traditions platoniciennes et aristotéliciennes. En ouverture de notre dossier, Paolo C. Biondi examine l’extrait du chapitre II, 19 des SecondsAnalytiques où Aristote affirme que la perception porte toujours sur l’universel. Contre une interprétation qui n’attribue à l’intellect qu’une fonction nominale dans la connaissance des principes de la science, l’auteur montre qu’Aristote fait de l’activité intellectuelle la condition même du processus d’induction, en soutenant que l’intellect est déjà impliqué dans la perception sensible. Après avoir situé l’affirmation d’Aristote dans le contexte des Seconds Analytiques, en soulignant en quoi sa position épistémologique se distingue de celle de son maître, Platon, l’auteur défend la cohérence de la doctrine aristotélicienne par l’exégèse de passages clés du De Anima. Le rapprochement de l’analyse des trois objets de la perception sensible (DA, II, 6) et de celle des deux objets indivisibles de l’intellect (DA, III, 6-8) montre que c’est la substance individuelle qui garantit l’unité de la perception de l’universel par le sujet. La perception implique donc l’activité complémentaire de l’intellect et des sens. Toutefois, puisque l’intellect est une faculté supérieure à la sensation, c’est celui-ci qui permet la saisie de l’universalité contenue dans l’objet particulier de la perception. Thomas Vidart se concentre pour sa part sur la relation entre l’intellection et la sensation dans la gnoséologie de Plotin. L’auteur cherche à apporter une solution à cet apparent paradoxe de la philosophie plotinienne : alors que la sensation et l’intellection portent sur des réalités différentes, qui appartiennent respectivement à des mondes distincts, Plotin décrit l’intellection comme une forme de sensation. L’étude du rôle attribué à la dianoia, que Plotin définit comme la faculté médiatrice de la connaissance humaine, montre que l’intellection et la sensation se rapportent à celle-ci de manière analogue. Plotin se sert entre autres du paradigme de la sensation visuelle pour témoigner de l’activité intellective de l’âme, en s’inscrivant ainsi dans le prolongement des dialogues platoniciens (Phèdre, République) où la primauté est accordée à la vue. L’auteur des Ennéades a également recours au vocabulaire du toucher afin de souligner le caractère unitif de la connaissance intellectuelle. L’étude des passages où Plotin traite de l’intellection en des termes empruntés au lexique de la sensation permet d’en arriver à cette conclusion : la sensation et l’intellection diffèrent seulement par le degré de clarté qu’ils atteignent, et non en raison d’une différence de nature. Ainsi l’intellection n’est pas une sensation que par analogie, mais, selon l’auteur, « une sensation plus véritable » que la perception sensible. Dans une étude portant sur les rapports entre l’intuition et la pensée discursive, François Lortie s’intéresse à la fonction conceptuelle de l’epibolê dans les Ennéades de Plotin. Après avoir retracé l’histoire de ce concept à partir des écrits d’Épicure ( …