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Cet ouvrage est un collectif et a été publié avec l’appui de la Faculté de théologie et de sciences des religions de l’Université de Lausanne et la Fondation du 450e anniversaire de l’Université de Lausanne.

Croire ou ne pas croire. Telle est l’interrogation posée par le théologien Pierre Gisel, lors de l’ouverture et de la présentation de cet ouvrage. Il semble que personne n’échappe, aujourd’hui comme hier, à cette interrogation. Les façons de croire en Occident sont nombreuses et elles sont traversées de multiples contradictions. Les façons de croire en Orient et dans l’Antiquité sont tout aussi multiples et diversifiées. Croire recouvre tout un univers de significations. Les réflexions proposées ici s’attachent à définir quelques constellations à l’intérieur desquelles le terme inscrit ses ambivalences. Les opinions émises ne visent pas à conclure, ni à trancher d’une interprétation d’ensemble.

Le parcours se poursuit par deux textes qui reprennent ce qui est centralement inscrit dans nos héritages occidentaux liés au christianisme. Luc Thomas Somme s’intéresse, pour sa part, au vocabulaire thomasien du credere et fides. Thomas d’Aquin, lorsqu’il examine la foi infusée par Dieu, note que l’acte de foi requiert deux éléments, à savoir, d’une part, que les credibilia soient proposées à l’intelligence du croyant et, d’autre part, l’assentiment du croyant à ce qui est proposé. Pour croire en Dieu, il faut croire Dieu se révélant à nous, c’est-à-dire accorder foi à sa Parole, accueillir, pour ainsi dire, l’autotémoignage de sa véridicité. Il n’y a pas d’assentiment à la Parole de Dieu sans confiance en lui et à la vérité de ce qu’il dit ; il n’y a pas de confiance en lui et en sa vérité sans assentiment à sa Parole.

Le second texte, de Hans-Christoph Askani, faisant écho à la théologie de Luther, déplace la conception « naturelle » de l’être humain pour l’introduire dans un tout autre espace que celui de l’être, des modes de participation et d’existence via intelligence et volonté, terrain classique développé par Thomas d’Aquin. Le « croire » cesse d’être une vertu parmi d’autres mais concerne l’être humain tout entier, l’humain en son mystère profond. La foi est le point de vue à partir de quoi tout s’organise. Dieu est celui qui vient de fait vers nous et nous donne d’exister réellement. Il y a ici un caractère d’exclusivité. La foi seule sauve. Le tout s’opérant sur fond juridique, supposant vulnérabilité et altérité. La foi s’appuie sur un ordre de parole et de réponse, et pour commencer sur ce qui relève de l’aveu : un péché pour une Parole, et une Parole pour un péché.

Les quatre autres textes sont délibérément articulés autour de la situation contemporaine. Celui de Carlos Mendoza s’inscrit dans la ligne d’une critique du sujet moderne. Les puissances de l’expérience des penseurs dits postmodernes sont mises en lumière par opposition à une ontologie forte venant des théologies classiques. Cette façon de voir donne une nouvelle consonance à la compréhension du christianisme et engendre une logique du dépassement, faite d’un geste critique et d’une attention centrale accordée à la question du sujet.

Le texte de Thierry Laus s’écarte de la tradition occidentale, christiano-théologico-centrée. Y a-t-il Quelqu’un ? Ou simplement plutôt du corps, pris dans des corpus, et ainsi que du devenir, du changement, des disparitions. En multiplicité. Bref, du monde. Mais inappropriable.

Le point de vue de Christian Indermuhle se concentre sur une problématique qui met en rapport mortalité et sujet, lieu de nomination du monde et lieu du « messianique » qui suppose, à l’arrière-plan, une ouverture et un geste de récapitulation. Le désir est ici à l’oeuvre, au coeur d’un monde souvent négatif, mais appelle vers quelque chose qui échappe à la mort. La pensée de l’auteur reprend un héritage du christianisme profond, repris par une philosophie moderne, changeant tout simplement les noms mais non le registre employé.

Le dernier texte, de Serge Margel, permet de revenir sur la signification du croire en modernité. Il souligne qu’en modernité se donne toujours une dialectique entre la « religion » (en ses formes constituées) et du « religieux » ou une « religiosité ». On assiste alors à l’émergence d’une foi qui se connaît au-delà de tout objet de connaissance, une foi comme savoir de sa finitude, une foi qui, au terme, va même penser que l’inconnu propre à tout au-delà favorise la bonne disposition qui peut être la sienne : cet inconnu rend le sujet meilleur comme sujet. Il devient plus authentique. Croire, ici, c’est avouer ce qu’il en est du sujet. Croire pour le sujet moderne, c’est avouer la mort de Dieu. Naissance alors d’un nouvel ordre. La croyance s’enracine dans le fondement ultime de chaque subjectivité.