Recensions

Charles Chauvin, L’abbé Migne et ses collaborateurs (1800-1875). Paris, Desclée de Brouwer, 2010, 178 p.[Notice]

  • Philippe J. Roy

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  • Philippe J. Roy
    Université Laval, Québec

Historien et éditeur, auteur de plusieurs biographies, Charles Chauvin vient de publier chez Desclée de Brouwer un ouvrage sur un homme plutôt négligé par l’historiographie. Jacques-Paul Migne (1800-1875) fut pourtant un personnage célèbre à son époque. Aujourd’hui, son nom n’est connu que par les spécialistes des premiers siècles du christianisme qui travaillent à partir de ses Patrologies grecque et latine. Encore moins nombreux sont ceux qui connaissent ses autres activités d’éditeur, d’imprimeur et de libraire, le quasi-millier de livres qu’il fit paraître, et son projet de créer une Bibliothèque universelle du clergé. Jacques-Paul Migne est né en 1800 à Saint-Flour, région qu’il quitta pour Orléans en 1817. Après son ordination sacerdotale, en 1824, il desservit différentes paroisses avant d’être nommé à la cure de Puiseaux dans le Gâtinais. Là, après la Révolution de 1830, il provoqua un scandale lors de la traditionnelle procession de la Fête-Dieu de 1831 en refusant de s’arrêter aux reposoirs où était arboré le drapeau tricolore. Il justifia sa conduite dans une brochure intitulée De la liberté, par un prêtre, mais son évêque s’opposa à sa publication. Il décida alors de quitter la région et rejoignit Paris à la fin de l’année 1833. Son projet était de créer un quotidien pour défendre les droits de l’Église. Ce fut L’Univers religieux, journal dont Louis Veuillot prendra la tête en juillet 1842. À Paris, Migne s’installa rue des Fossés-Saint-Jacques, près du séminaire des spiritains où il se lia d’amitié avec le père Mathurin Gaultier, professeur de morale et canoniste, personnage sur lequel une étude sérieuse serait nécessaire. Il semble en effet qu’il eut une influence considérable sur le catholicisme antilibéral et contre-révolutionnaire français. En 1836, Migne laissa la direction de son journal à Emmanuel Bailly, car il avait d’autres plans. Il avait en effet le projet de constituer une Bibliothèque universelle du clergé. Après la Révolution, pendant laquelle un grand nombre de bibliothèques furent spoliées, les prêtres étaient nombreux à ne plus avoir à leur disposition les livres nécessaires pour étudier. L’abbé Migne avait l’ambition de combler ce vide : son but était de réimprimer, à bon prix, les meilleurs ouvrages du catholicisme depuis ses origines, de « proposer sous forme commode et bon marché des encyclopédies catholiques dont tout membre du clergé tirera le plus grand profit » (p. 48). Ce passionné « se consacre pleinement à cette tâche immense et il s’y lance à corps perdu. Il a l’occasion de rappeler qu’il travaille seize heures par jour, qu’il abrège ses repas et écourte ses nuits » (p. 50). En 1838, il fonda une imprimerie, « Les Ateliers catholiques », pour publier ses ouvrages à moindre coût. À celle-ci, il adjoignit non seulement une librairie, une bibliothèque, un appartement et une chapelle, mais aussi une banque. Pendant 30 ans, il fit paraître un volume tous les dix jours en moyenne. Pour travailler à cette entreprise, il employa jusqu’à cinq cent quatre-vingt-seize ouvriers, dont une partie était composée de femmes et une autre de prêtres en difficultés avec leurs évêques, cherchant du travail ou de quoi vivre, ou ayant des enfants à nourrir. Migne finançait ses projets par le biais de souscripteurs, par un magasin d’objets de culte, par des emprunts auprès de prêtres, et par le trafic des messes. Mais ce n’était pas tout de produire, il fallait écouler les stocks. Aidé par son ami Augustin Bonnetty (1798-1879), il développa « une réclame tapageuse, triomphaliste, répétitive, charlatanesque ! » (p. 66-67)… mais qui fonctionna ! Il commença par éditer un Cours complet d’Écriture sainte (28 volumes), suivi d’un Cours complet de théologie …