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Les textes sur l’éthique, colligés dans ce recueil, n’avaient pas été pensés pour être rassemblés en un tout organisé. Ils avaient été préparés dans le cadre de l’enseignement universitaire et de la formation permanente pour le Centre interdisciplinaire d’éthique de l’Université de Lyon. Ils offrent, cependant, des perspectives fortement intéressantes portant sur l’interrogation contemporaine en matière d’éthique fondamentale dont nul n’ignore l’importance dans les multiples secteurs de la vie humaine.

La première partie de l’ouvrage met en scène les enracinements métaphysiques, anthropologiques, spirituels de l’éthique dans ses principes fondamentaux. Pour l’auteur, l’éthique se construit, à distance des sciences expérimentales de la nature et des sciences humaines — mais sans les rejeter —, au-delà des idéologies, à l’écart des religions. L’éthique ne se construit cependant pas en absence de références transcendantales qui fondent la légitimité de son expression dans son exigence d’universalité.

Reprenant à son compte le débat interminable entre éthique et morale, il distingue, sans les opposer, les deux termes ci-dessus mentionnés. Les notions d’éthique et de morale se distinguent l’une de l’autre, mais ne s’opposent pas : elles traduisent des perspectives différentes de la vie pratique.

Pour l’ancien doyen de la Faculté de philosophie de Lyon, la question éthique doit cependant s’affranchir de toute forme de relativisme. Tenant compte de ce prérequis, l’auteur pose l’exigence métaphysique. On peut thématiser à l’infini les mille facettes de l’existence humaine ; il reste néanmoins que la question de fond se situe au-delà de ce que l’existence donne à voir.

Entre en scène la notion de loi naturelle. Dans la pensée occidentale, il existe bel et bien une histoire philosophique de l’idée de loi naturelle, idée qui précède l’émergence du christianisme, mais intégrée par lui dans la problématique de la création et du salut. L’articulation de la transcendance et de l’immanence qualifie la loi naturelle elle-même. Sans transcendance, l’immanence de la loi naturelle se perd dans la relativité des cultures ; sans immanence, sa transcendance demeure abstraite et inopérante. La dissociation radicale de la conscience et de la loi aboutit à des attitudes opposées et injustifiables sur le plan moral : a) le subjectivisme idéalisé, b) l’objectivisme idéalisé. Tout ceci soulève l’épineuse question de la dépendance et de la liberté humaine dans le don de la création.

La deuxième partie de l’ouvrage constitue une forme d’essai du rapport complexe entre la réflexion éthique et la réalité sociale. L’auteur retient trois pôles : le sens du bien commun, l’effet de la mondialisation, les pouvoirs sur la vie. Le bien commun, critère fondamental des lois justes, s’offre comme le bien suprême de la communauté humaine. Toutes les sociétés affirment ce qui leur est le plus précieux, ce qu’elles ne veulent pas abandonner, ce qu’elles souhaitent transmettre de génération en génération, ce qui doit mesurer leur existence, ce qui motive réellement leur agir. Le bien commun résume cette quête universelle. Ce dernier, faut-il le redire, ne correspond pas à la somme des biens particuliers ni à un bien public. Le bien commun ne peut être que la vie, car celle-ci est simultanément ce que chacun a en propre et ce que la communauté révèle comme son fondement.

Le phénomène de la mondialisation interroge l’auteur et l’invite à proposer une réflexion sur l’anthropologie du travail. Les sociétés se sont littéralement modifiées par l’apport du travail humain. Les rapports sociaux ont été transformés. Le processus même du travail a engendré un mouvement d’impersonnalité croissante. Il ne faut jamais oublier que le travail est un acte de l’homme, qu’il est une manifestation de la vie, et qu’il doit demeurer un chemin d’humanisation de l’homme simultanément inachevé et créateur. Une anthropologie du travail n’a de signification que dans la mesure où elle objective la dimension humaine du travail, à travers ses exigences fondamentales (les potentialités humaines), ses moyens et ses médiations, ses enjeux et ses finalités (humanisation de l’homme, de la société, du monde) dans l’espace-temps de la société où l’appel au droit, à l’éthique et au politique ne cesse jamais de se renouveler.

L’homme est le seul vivant en capacité de donner sens à lui-même, à autrui, au monde, aux événements, à l’action par laquelle il s’exprime. En d’autres mots, qu’est-ce que l’homme veut faire de l’homme ? En Occident, il existe une évolution culturelle importante dans la représentation que l’homme se donne de lui-même. Cette mutation, selon l’auteur, a abouti à une disjonction entre ce qu’est l’homme et ce qu’il fait de lui-même. Il y a une spécificité irréductible du vivant humain (essence de la vie humaine). Cette spécificité se reconnaît à la dimension transcendantale qui s’enrichit de multiples expressions, sans cesse liée aux exigences de la philosophie morale fondamentale.

La troisième et dernière partie présente quelques études relatives à des questions vives de la société contemporaine : le problème du mal, l’expérience de la souffrance humaine, l’euthanasie, les aspects philosophiques reliés à la question du suicide, la violence, le pardon et la miséricorde.

Pour l’auteur, le « pourquoi » du mal et le fait du mal demeurent. Il interroge sur la création, il interroge sur Dieu. Seul le Dieu crucifié de l’Évangile peut laisser espérer pour l’humanité un dépassement radical du Mal, et permet de vivre dans la plus extrême rigueur la problématique humainement insoluble du Mal. La souffrance est l’épreuve aussi de toute vie. Elle a mille tournures. L’auteur insiste sur la nécessité de penser la douleur. Refuser de la penser consisterait à renoncer à l’exigence d’intelligence de la vie qui appelle la pensée. Penser la douleur, c’est se donner des moyens de la réduire, voire de la dominer afin de sauvegarder la vie elle-même. Il y a là un pari en faveur de la vie.

L’auteur, dans la lignée de l’Église catholique, présente l’euthanasie directe comme une prise de position en défaveur de la vie. Le suicide suit la même logique. Envisagé dans une perspective non pathologique, le suicide est un acte du vivant humain qui proteste, par une décision mortifère, contre la vie dont il éprouve en lui-même le difficile passage.

Enfin, l’auteur affirme que la justice et le pardon, l’un et l’autre, sont nécessaires pour réussir une vie humaine épanouie. Sans la possibilité maintenue du pardon, toute société risque de transformer sa justice en pouvoir totalitaire. Quant à la miséricorde, en tant que sensibilité à la misère d’autrui, elle représente une forme de relation de sollicitude dans l’humanité, au-delà des rapports humains institués. Cette logique de l’impossible a son authentique expression dans la miséricorde du Christ.

En résumé, le lecteur reconnaîtra ici, en matière d’éthique fondamentale, la mise en perspective de quelques enjeux essentiels relatifs à l’intelligence humaine, à savoir « l’appel à être » qui inaugure, en son principe transcendantal, l’exigence éthique elle-même, la signification de la référence éthique dans la qualité des rapports humains, l’ennoblissement, par la normativité éthique, de la vie humaine mise à l’épreuve dans l’espace et le temps du monde.