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Dès l’avant-propos, l’A. donne une réponse à la question qui lui sert de fil conducteur pour déployer sa réflexion tout au long de l’ouvrage : qu’est-ce qu’argumenter en matière éthique ? Ainsi, après avoir posé les prémisses épistémologiques du fait de l’argumentation et de l’éthique en tant que discipline à vocation scientifique en vogue aujourd’hui, Michel Métayer propose trois pistes pour guider le lecteur dans la démarche d’argumentation éthique. 1) L’introduction présente la structure des arguments éthiques ; ceux-ci sont au nombre de six : la cohérence, la diversité des critères, la pertinence des analogies, la véracité des faits, les intentions et la responsabilité. 2) Correspondant à ces critères, le domaine des stratégies — au nombre de six également —, est la partie centrale de l’ouvrage ; il comprend : la mise en contradiction, le changement de terrain, le passage au crible des analogies, l’appel aux faits, le dévoilement des intentions, et la responsabilité. En troisième partie, l’A. traite de ce qu’il nomme « deux débats perpétuels » : principes contre résultats ? et égalité contre inégalités ? Répartis à différents endroits de l’ouvrage, à la fin de chaque chapitre traité, treize exercices sont proposés qui permettent de tester nos connaissances, des ruelles conduisant à une intelligence de la logique argumentative proposée par le « guide ». Les solutions de l’auteur, à la fin du livre, sans prétendre à la normativité, permettent de vérifier si l’on ne s’est pas égaré en cours de chemin.

L’ouvrage est donc un « guide », selon le mot de l’A. lui-même, qui avertit le lecteur de ne pas y voir un traité achevé sur l’argumentation éthique ni une somme de recettes applicables à la réflexion éthique. Il offre néanmoins une réponse à cette question au sujet de l’argumentation : quelle est cette aptitude humaine universelle qui procède d’une tendance encore plus universelle, celle d’avoir des opinions et de les défendre ? (p. 1). Des exemples puisés dans des univers socioculturels variés, allant du Québec à l’Amérique du Nord dans son ensemble, en passant par l’Europe, jusqu’au continent asiatique et l’Afrique, permettent au lecteur d’appréhender l’argumentaire qui sous-tend le traitement dans les aires géographiques et culturelles considérées, les problématiques éthiques contemporaines. Ils confortent l’idée que si la capacité de défendre une position morale est un trait humain universel, celle-ci se joue désormais dans l’espace public, conférant ainsi une dimension collective au débat éthique. Selon l’A., le développement de l’argumentation éthique est consécutif à la « vogue éthique » ayant entraîné une « technocratisation » de la discipline éthique. L’éthique ne relève pourtant pas du domaine des certitudes, elle « nous plonge parfois dans une incertitude et une confusion inextricables » qui posent la question même de l’utilité de l’éthique. C’est alors que la fonction de l’argumentation s’avère utile pour expliquer les enjeux, stimuler la réflexion, mettre à l’épreuve ses propres positions, mieux comprendre les positions d’autrui.

Pour l’A., l’argumentation éthique vise à convaincre son interlocuteur, non pas de la supériorité de son propre point de vue, mais que celui-ci est crédible et défendable, et par là, elle ouvre la voie à la recherche de solutions de compromis. Le « guide » ainsi proposé met en relief l’idée que la morale met en jeu des convictions, des attitudes, des mentalités, des intérêts vitaux, des ressorts qui ont un ancrage profond et qu’on ne saurait penser briser uniquement par le coup de baguette magique d’un argument bien tourné. L’opposition perpétuelle entre principes et résultats, égalités et inégalités participe de cet état de fait. Si l’A. montre qu’il n’y a pas de fossé infranchissable entre ces réalités qui sont constitutives de la nature humaine, il suggère que les accepter comme deux faces de la morale avec les inévitables tensions qui en découlent est déjà une posture éthique visant à chercher les solutions de compromis appropriées lorsqu’elles s’avèrent nécessaires et possibles.

On découvre tout au long du livre que l’argumentation éthique fait une place de choix au discours, mais aussi qu’un mystérieux travail de l’imagination intervient dans ce processus critique qui comporte une part d’intuition. L’argumentation diffère de l’incantation, elle va au-delà des passions du moment. L’ouvrage intéressera certainement toute personne qui envisage d’entreprendre « un premier voyage au pays de l’argumentation éthique ». Il ne sera pas moins utile à quiconque, praticien ou théoricien de l’éthique, voudrait avoir un outil simple et précis, pour l’accompagner dans sa tâche de discernement, face à l’enjeu de la conciliation entre ses convictions propres et celles des autres, aux prises avec des décisions parfois à prendre hic et nunc.