Dossier

Liminaire[Notice]

  • Nicolas Pujol

…plus d’informations

  • Nicolas Pujol
    Faculté de théologie et de sciences religieuses, Université Laval, Québec

Les quatre textes qui font partie de ce dossier ont été élaborés dans le cadre d’un séminaire commun suivi à l’automne 2012 et l’hiver 2013 par les étudiants du doctorat en sciences des religions de l’Université Concordia, de l’Université du Québec à Montréal et de l’Université Laval. La première partie de ce séminaire a été animée à l’Université Laval par Monique Cardinal et André Couture ; la seconde par André Couture. Travaillant à l’intérieur d’une thématique très large, celle des « Traditions religieuses : tensions et transformations », les étudiants de l’Université Laval ont choisi d’illustrer, à partir de leurs propres préoccupations de recherche, l’éventuel blocage que peut constituer l’utilisation de certaines catégories quand on oublie d’examiner leurs limites. Des catégories qui devraient servir de levier à la recherche deviennent alors des constructions figées et même des sortes d’absolus irrévocables, définis une fois pour toutes, qui empêchent les chercheurs d’analyser la réalité religieuse dans ses tensions internes et de se faire une vue exacte de ses transformations. Accepter de penser les traditions religieuses comme des lieux de tensions et de transformations, c’est nécessairement les considérer non pas comme des systèmes clos et statiques, mais comme des réalités fluides et dynamiques. L’enjeu de la recherche scientifique est de faire progresser un savoir qui se rapprocherait le plus possible du réel tel qu’il est « vraiment », et ce « vraiment », en ce qui nous concerne ici, doit être pensé comme une succession de phénomènes divers (initiatives, contacts, emprunts, cristallisations, etc.). Les traditions religieuses sont traversées par des tensions, elles se transforment, elles évoluent. Pour le dire autrement, c’est parce qu’il y a tensions et transformations entre des réalités fluides qui semblent, malgré leurs différences, partager une commune nature, qu’apparaissent ce qu’il est convenu d’appeler des traditions. Ce renversement dans la formulation rappelle que ce que l’on nomme une « tradition religieuse » est une catégorie qui se construit en aval de la confrontation aux différents problèmes posés à l’entendement par tel ou tel phénomène. Une catégorie est une grille qui permet de lire une réalité diverse et diffuse qui résistait jusque-là au savoir. Il arrive, en sciences des religions, que l’utilisation de certaines catégories soit remise en question. Le collectif Rethinking Religion in India. The Colonial Construction of Hinduism, publié en 2010, rassemble diverses études postcoloniales qui interrogent la pertinence de la catégorie de « religion hindoue » pour désigner un ensemble de phénomènes religieux divers. Derrière son apparente neutralité, ce terme révélerait un passé colonialiste européen et chrétien, ce qui a conduit les chercheurs qui ont participé à cette publication à se demander s’il ne servirait pas moins à comprendre la culture de l’autre qu’à l’essentialiser et à la dominer. Cet exemple, qui constitue un cas extrême, permet de mesurer l’acuité du problème qui nous occupe, celui des présupposés épistémologiques nécessaires à l’étude scientifique de la religion. Est-il possible d’adopter une posture parfaitement neutre et d’utiliser des catégories universellement valables ? Se poser la question, c’est déjà reconnaître que tout chercheur évolue au sein d’une culture particulière et d’une discipline spécifique, et qu’il observe le monde qui l’entoure à travers le prisme de sa culture et les outils de sa discipline. Si les catégories utilisées pour analyser participent par définition de la connaissance, elles peuvent également, nous l’observons avec cet exemple, entraver la recherche. Considérer qu’une catégorie peut constituer un obstacle épistémologique, c’est également se rendre compte avec Gaston Bachelard que « c’est dans l’acte même de connaître, intimement, qu’apparaissent, par une sorte de nécessité fonctionnelle, des lenteurs et des troubles ». Tenter de connaître le réel, c’est …

Parties annexes