Recensions

Ivan Boldyrev, Ernst Bloch and His Contemporaries : Locating Utopian Messianism. London, New Delhi, New York, Sydney, Bloomsbury Publishing Inc. (« Bloomsbury Studies in Continental Philosophy »), 2014, 201 p.[Notice]

  • Lucien Pelletier

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  • Lucien Pelletier
    Université de Sudbury

Cet ouvrage constitue la première monographie en anglais consacrée à la pensée d’Ernst Bloch. Jusque-là en effet, seuls quelques livres d’introduction ou recueils d’articles sur ce philosophe étaient parus dans cette langue. Avec la publication récente de plusieurs traductions anglaises des oeuvres de Bloch, cette situation est appelée à changer et le livre ici présenté ouvre de belle manière la voie à de nouveaux commentateurs. L’A. est professeur à l’École des hautes études en économie de Moscou et chercheur invité à l’Université Humboldt de Berlin. Il a publié de nombreux articles en philosophie de l’économie, ainsi que sur Hegel et sur l’histoire des idées en Allemagne au début du xxe siècle. Son livre sur Bloch manifeste une bonne compréhension des idées fondamentales de cet auteur et s’appuie sur une connaissance étendue des commentaires allemands récents. Comme son titre l’indique, le livre a une ambition d’abord historique, celle de situer dans son siècle (et plus précisément dans la période allant des années 1910 aux années 1930) l’oeuvre de Bloch en examinant ses rapports avec certains interlocuteurs privilégiés, principalement Georg Lukács, Walter Benjamin et Theodor W. Adorno. Cette liste prestigieuse de penseurs suffit à signaler la richesse des débats au gré desquels la pensée de Bloch s’est précisée ou infléchie, débats que l’A. restitue amplement, mais aussi dont il présente les enjeux théoriques. En effet, il ne se cantonne pas dans une démarche historique et en vient, au gré de son examen, à porter un jugement sur la pensée de Bloch. Les cinq chapitres composant l’ouvrage sont de longueur inégale : le premier, qui campe la scène en présentant les principales idées de Bloch, et le dernier, consacré au débat des années 1930 avec Adorno et à la réception critique par ce dernier de la notion blochienne d’utopie, sont assez brefs. Il en va de même du chapitre 3, portant sur les rapports de Bloch avec la pensée juive contemporaine (Buber, Landauer, Rosenzweig), mais ce chapitre sert d’entrée en matière pour le suivant, consacré aux rapports avec Benjamin. Ce chapitre 4, et le chapitre 2 portant sur les rapports avec Lukács, couvrent à eux seuls la moitié de l’ouvrage, à juste titre puisque les discussions de Bloch avec ces deux contemporains se sont avérées particulièrement fécondes de part et d’autre. Le long chapitre 2 restitue le dialogue entretenu par Bloch avec Lukács autour de ses grands ouvrages de jeunesse. Dans les années 1910, en effet, Lukács développait une philosophie des formes littéraires que Bloch a discutée dans Esprit de l’utopie. À certains égards, l’A. perçoit dans cette discussion une préfiguration de la controverse qui mettra aux prises les deux amis dans les années 1930 autour de la valeur de l’expressionnisme. Il retire de tout cela l’impression que Bloch a surtout réagi aux thèses de philosophie de la littérature de Lukács, ce qui me paraît inexact : certes, il est indéniable que Bloch a élaboré ses vues esthétiques propres au contact de Lukács et en voulant s’en démarquer, mais une lecture attentive des textes de théorie esthétique rédigés à la même époque par Lukács à Heidelberg (principalement ceux de 1912-1914) aurait donné à l’A. une idée plus complète du commerce intellectuel des deux hommes, ce qui lui aurait permis de voir l’influence profonde exercée par Bloch sur son ami et de mieux comprendre les problèmes métaphysiques ou de philosophie de l’histoire à l’arrière-plan de leurs discussions esthétiques. Cet arrière-plan se fait davantage manifeste dans l’importante recension (où la complicité affichée s’accompagne de quelques réserves lourdes de sens) écrite par Bloch à propos d’Histoire et conscience de classe, un ouvrage …