Recensions

Gilles Marmasse, L’histoire hégélienne : entre malheur et réconciliation. Paris, Librairie Philosophique J. Vrin (coll. « Bibliothèque d’histoire de la philosophie »), 2015, 409 p.[Notice]

  • Antoine Cantin-Brault

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  • Antoine Cantin-Brault
    Université de Saint-Boniface

Aucune partie de l’oeuvre de Hegel n’a connu un destin comme celui de sa Philosophie de l’histoire. Alors que Hegel, comme nous le rappelle G. Marmasse dans une « note sur les sources textuelles » (p. 391-396) très instructive, n’a consacré dans ses écrits publiés de son vivant que « cinq paragraphes de l’Encyclopédie » et « vingt paragraphes des Principes de la philosophie du droit » (p. 391) à l’histoire en elle-même, plusieurs lecteurs de Hegel ont grossi de façon démesurée les cours sur le sujet publiés après sa mort pour en faire le coeur de son système, puis pour le rejeter en tout ou en partie, en ce que cette philosophie était remplie selon eux d’incohérences. Peut-être le lecteur de Hegel incarnant le mieux cette « abstraction », pour utiliser le langage hégélien, est Karl Löwith : celui-ci donne tort à Hegel du seul fait qu’il ne voit en lui qu’une Philosophie de l’histoire désincarnée de l’histoire réelle parce que reposant sur des schèmes judéo-chrétiens sécularisés. Mais tout le problème est là : à vouloir mettre l’emphase sur un aspect que Hegel, sans le juger secondaire, considérait néanmoins comme devant répondre aux attendus du système en entier, c’est-à-dire au développement de l’Idée même, c’est risquer d’oublier les fondements qui animent et expliquent cette Philosophie de l’histoire. C’est justement à cette tâche de clarification et d’approfondissement des principes de l’histoire hégélienne qu’est consacré ce livre de G. Marmasse. Pour comprendre l’histoire hégélienne, l’auteur nous rappelle l’importance de penser correctement le moment négatif ainsi que le moment rationnel du devenir de l’Idée, l’Idée qui, dans l’histoire, s’est fait esprit objectif. D’abord, la négativité présente à même le devenir de l’Idée nous empêche de penser ce devenir de façon mécaniste, c’est-à-dire comme une simple relation de cause à effet, puisque « Hegel défend une ontologie de la spontanéité et de l’opposition à l’autre. […] D’une certaine manière, il ne faut pas dire : A produit B, mais : B se produit de lui-même et contre A » (p. 53). Les acteurs de l’histoire selon Hegel sont les différents peuples organisés en États, ces peuples qui sont aidés des grands hommes qui incarnent et réalisent de façon intéressée mais responsable la volonté de leur peuple respectif. Cependant si ces peuples se succèdent dans l’histoire, ce n’est pas que le peuple précédant devait conduire à celui qui lui a succédé, au contraire, et en vertu de cette négativité, c’est que le peuple qui lui a succédé s’est librement produit contre le peuple précédant, ce qui oblige à refuser toute interprétation qui ferait de l’histoire hégélienne une sorte de destin implacable. De cette négativité résulte ensuite le moment rationnel du processus, moment « où un principe intérieur gouverne de manière cohérente une extériorité différenciée » (p. 142). « En d’autres termes, la raison, chez Hegel, ne désigne pas une entité qui serait analogue à un Dieu personnel omniscient et omnipotent, mais un mode de relation à soi-même, à savoir l’auto-fondation » (p. 143). Comme la raison est le troisième moment d’un cycle systématique, il faut conclure d’abord qu’il n’y a pas dans l’histoire que de la raison puisque celle-ci doit s’établir à partir d’un matériau extérieur qui n’est pas déjà en lui-même rationnel, ensuite que la raison, qui revient en plusieurs cycles hiérarchiquement organisés, est de qualité différente selon le moment général dans lequel elle se produit, nous invitant donc à penser que la raison dans l’histoire n’a pas un contenu univoque. Et, finalement, cette négativité ainsi que cette rationalité se jouent, dans l’histoire, en fonction de l’esprit objectif, et non …