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L’innovation religieuse fait partie du nom même du Centre de ressources et d’observation de l’innovation religieuse (ou CROIR). Par ceux et celles qui animent ce centre à l’Université Laval, cette notion a d’abord été perçue comme une formule générale censée englober toutes les nouvelles formes de religion ou de spiritualité qui ne cessent d’apparaître autant à l’intérieur qu’en marge des grandes traditions religieuses. Elle permet également d’éviter le terme ambigu de secte. Il est vrai par ailleurs que la notion d’innovation religieuse s’utilise dans l’analyse scientifique des phénomènes religieux et mérite en tant que telle qu’on s’y arrête. C’est justement pour mieux circonscrire l’utilisation qui a déjà été faite ou que l’on peut faire de ce concept qu’un certain nombre de chercheurs (professeurs et étudiants) de la Faculté de théologie et de sciences religieuses se sont réunis pour une journée d’étude le 29 octobre 2015. Ce liminaire se propose de présenter un aperçu des données recueillies dans la littérature scientifique concernant la question de l’innovation religieuse. L’objectif poursuivi est simplement d’aider à contextualiser les articles réunis dans le présent dossier.

Dès 1968, Dario Sabbatucci[1] critiquait le concept supposément objectif de syncrétisme. Utilisé à l’intérieur de la polémique qui a suivi la Réforme protestante, repris au xixe siècle en sciences des religions (entre autres, par Max Müller et Ernest Renan), ce concept entérine indirectement l’existence d’un certain christianisme authentique, pur d’une pureté primitive, parfait, et par conséquent immuable, ce qui ramène indirectement les autres formes de religions à n’être que des agglomérats de croyances, de rites et d’institutions dénués d’unité. L’histoire, plaide Sabbatucci, n’accorde aucun statut particulier au christianisme, qui, comme les autres religions, est lui aussi soumis aux aléas du temps qui transforme tout. En considérant que le syncrétisme est le sort de toutes les religions, y compris du christianisme, Sabbatucci, qui n’utilise toutefois pas le terme d’innovation, fait prendre conscience que les innovations, les mutations, les métamorphoses apparaissent normalement dans toutes les traditions religieuses du fait même que ces traditions font partie de cultures qui bougent et se modifient chaque jour.

On peut dès lors formuler quelques postulats de départ, que l’on retrouvera, en partie du moins, dans un article d’André Couture publié en 1997[2].

  • Les religions ne sont pas des monolithes immuables, fixes et figés dans le temps ; au contraire, ce sont des systèmes en perpétuel mouvement et en constant changement.

  • Les religions ne sont pas non plus des systèmes clos, hermétiques et repliés sur eux-mêmes sans influences de l’extérieur. Elles sont d’abord constituées d’individus qui s’inscrivent dans des dynamiques sociales caractérisées par des échanges constants entre diverses communautés, traditions, cultures, et civilisations. Ainsi, les religions se construisent et construisent leur identité d’abord et avant tout par les contacts que leurs membres entretiennent entre eux et avec les groupes qui les entourent.

  • Pour décrire les sociétés contemporaines sur le plan religieux, il paraît adéquat de parler d’une situation de pluralisme, une situation sociale où cohabitent une pluralité de formes religieuses, de groupes, de croyances et de pratiques qui entrent en contact les uns avec les autres. C’est ce contexte (surtout urbain) qui devient propice à la multiplication des échanges et des innovations au sein des groupes religieux, et aux recompositions des univers croyants chez les individus.

  • Si le contexte de pluralisme religieux des sociétés contemporaines favorise la multiplication des innovations et les recompositions des univers croyants, il n’en est pas pour autant la condition sine qua non. Dans la mesure où les religions se construisent d’abord par des contacts et des échanges (qui peuvent être plus ou moins importants selon les cas), force est de conclure que l’innovation fait partie de l’évolution de toutes les religions de l’histoire.

Devant un tel constat, une question se pose : peut-on faire de l’innovation un concept opératoire et l’utiliser pour analyser l’évolution des traditions religieuses au fil de l’histoire tout en évitant les lieux communs concernant l’étude de la modernité religieuse ? L’impression des rédacteurs de ce liminaire est que l’innovation religieuse risque d’être une réalité trop générale pour servir en tant que telle d’outil d’analyse. L’innovation, explicitement acceptée ou gommée par la tradition — les deux situations étant également intéressantes —, renvoie plutôt à la condition historique des religions. L’innovation religieuse peut très bien faire partie du nom d’un centre comme le Centre de ressources et d’observation de l’innovation religieuse (CROIR), ou servir de titre accrocheur pour un colloque, mais cela ne suffit probablement pas à transformer cette notion en outil de recherche. S’il est vrai que les religions sont tissées d’innovations au sens large de toute transformation, adaptation, création modifiant la tradition, on peut cependant penser que la recherche a déjà développé divers outils pour rendre compte de cette réalité. Ce sont quelques-uns de ces outils que l’on se propose de présenter maintenant. Il est impossible d’être exhaustif, et l’on n’abordera pas ici par exemple l’immense champ de l’herméneutique, sinon par le biais des théories de la réception. Les outils et auteurs retenus, même si leur présentation sera forcément rapide, devraient permettre de mieux cerner les défis que cache la notion d’innovation religieuse et de susciter la réflexion.

I. L’innovation religieuse a-t-elle déjà, en tant que telle, fait l’objet de recherches ?

Quelques auteurs ont déjà proposé des amorces de réflexion à propos de la notion d’innovation religieuse. Trois de ces travaux ont retenu notre attention.

Dans un article de Social Compass publié en 1972, Jean Estruch[3] retrace l’utilisation du concept d’innovation dans différents domaines. Bien qu’il cherche « à établir un cadre théorique de référence permettant une analyse sociologique du phénomène », il ne propose cependant pas de concept opératoire bien défini et se limite généralement à constater que des transformations religieuses sont visibles dans les sociétés contemporaines. Dans une optique bergerienne, il s’appuie sur les théories de la sécularisation en vigueur à cette époque. En tant que phénomène sociologique, l’innovation apparaît à l’intérieur de ce qu’il appelle les « sociétés différenciées », c’est-à-dire des sociétés caractérisées par la sécularisation (elle-même définie par l’autonomisation et la spécialisation des domaines d’activité humaine, dont le religieux) et la pluralisation des légitimations.

Estruch rappelle d’abord que, dans la majorité des définitions de ce terme, tout domaine confondu, l’innovation comporte deux grandes caractéristiques : elle est associée au progrès, et elle possède une valence positive. Il établit ensuite une distinction entre les innovations découlant d’un processus créatif (donc apportant une véritable nouveauté) et celles découlant d’un processus d’adaptation. En contexte séculier et pluraliste, c’est davantage les processus de cette dernière catégorie qui seraient à l’oeuvre :

Aussi, même si à d’autres moments historiques la religion a pu agir en tant que variable indépendante — ce qui la faisait apparaître comme une force capable de promouvoir une innovation créatrice — et sans écarter la possibilité qu’elle puisse agir de nouveau en tant que telle à l’avenir, dans la situation actuelle, l’innovation religieuse se présente plutôt comme adaptation à une société dotée d’une pluralité de systèmes de légitimation et qui s’autonomise après avoir dépossédé la religion de tout monopole dans le système culturel, et ceci — peut-être — de manière durable[4].

Estruch en conclut que l’innovation est un élément-clé de toute tradition religieuse, tout en introduisant une nette distinction entre l’innovation produite par les sociétés prémodernes et celle produite par les sociétés pluralistes et séculières contemporaines.

Plutôt que d’étudier le même phénomène uniquement du point de vue de la demande, comme cela se fait souvent, Roger Finke et Laurence R. Iannaccon[5] étudient les innovations religieuses du point de vue de l’offre religieuse qui se transforme tout au long de l’histoire des États-Unis :

This article has made a case for supply-side scholarship in religion. It has sought to counteract a bias of traditional scholarship that reduces most every innovation to a psychic shift among religious consumers : « cultural realignments, » « crisis of faith, » « flight from modernity, » and so forth. In a series of examples that run from colonial times to the present, from constitutional amendments to apparently minor regulations, we have shown how market forces govern the incentives and opportunities facing religious producers… We are struck by the number of religious innovations that occur in response to religious deregulation. The colonial sects began their meteoric rise when the support for established religions faded. Evangelical preachers rushed to the airwaves when new FCC [Federal Communications Commission] ruling facilitated their entry. Eastern religions gained a serious following when new rules allowed their teachers to immigrate. In each case, freer access to the religious marketplace expanded and invigorated the supply of religion[6].

C’est lorsqu’une société permet au religieux de s’exprimer librement en diminuant les modes de régulation (en particulier les lois et règlements) qu’apparaissent diverses nouveautés qui n’avaient pas la chance auparavant de se manifester.

Michael A. Williams, Collett Cox et Martin S. Jaffee proposent plutôt trois contextes d’analyse pour comprendre les innovations religieuses :

  • l’innovation analysée dans la perspective d’une réponse à un stress ou à une crise individuelle ou sociale ;

  • l’innovation analysée dans la perspective d’un mouvement provoqué par un « génie » du religieux (religious genius), c’est-à-dire une personne dotée d’un charisme particulier (au sens de M. Weber) ;

  • l’innovation analysée comme une modalité naturelle de toute tradition religieuse :

    We would argue that the motivation of religious innovators may often be misunderstood precisely because tradition and innovation are so often wrongly perceived as entirely distinct and opposite religious complexions. Innovation is approached only as a « break » with tradition, and with the religious mindset that is bent on preserving rather than creating […]. Yet the analysis presented in this volume suggest that it may usually be much more helpful to think of religious innovation as something « natural » to religious tradition, as a modality of religious tradition itself [7].

Même s’ils reconnaissent la validité des deux premières perspectives d’analyse, les auteurs s’entendent pour dire que les cas relevant de celles-ci restent peu nombreux dans l’histoire et que la troisième perspective est beaucoup plus prometteuse pour l’analyse et plus pertinente pour la compréhension des phénomènes religieux dans leur évolution historique.

Sans pour autant faire de l’innovation religieuse un concept opératoire, et bien qu’ils ne proposent en fait aucun outil précis pouvant servir à l’analyse des dynamiques en jeu à l’intérieur et à l’extérieur des traditions religieuses, ces travaux montrent que l’innovation intéresse la recherche dans le domaine de l’étude des religions[8]. Cette idée de concevoir l’innovation comme une modalité intrinsèque à toute tradition religieuse est une piste intéressante à explorer. Cela veut dire que l’innovation n’est pas comprise comme une coupure d’avec la tradition, l’histoire ou la culture, mais bien comme une composante fondamentale de la religiosité et comme une condition de l’évolution et de la survie des traditions religieuses. Elle peut donc s’observer à tout moment de l’histoire et dans n’importe quel contexte culturel et social. C’est bien ainsi que l’innovation religieuse est comprise dans les travaux qui suivent.

II. Des innovations analysées en termes de stratégies

Dans un petit livre de présentation de l’hindouisme, Louis Renou avait défini les sectes hindoues comme des groupements parfois minuscules mais « à l’origine de la plupart des développements nouveaux qu’a pu traverser l’hindouisme classique ». Il ajoute immédiatement : « Sans les sectes, c’eût été dans une large mesure l’immobilité, et probablement la décadence[9] ». En 1983, dans un article intitulé « Hindu Formulas for the Facilitation of Change », Norvin Hein affirmait qu’en dépit du fait que certains interprètes considèrent l’hindouisme comme immuable, il est facile de se rendre compte que les innovations sont présentes d’un bout à l’autre de l’histoire de cette religion. Ce n’est donc pas le fait de l’innovation qui est intéressante, mais la manière dont elle est gérée[10]. Les Upaniṣad proposent un message radicalement neuf par rapport à ce que disent les hymnes du Veda et les Brāhmaṇa. Au lieu d’accentuer cette rupture, cet ensemble de petits textes est présenté comme « la fin du Veda » (vedānta). Les Upaniṣad sont les derniers textes védiques, ceux qui conduisent le Veda à son ultime accomplissement. Pour Hein, le mot vedānta résume toute une histoire : c’est « a one-word history of the domestication of an innovation » (p. 41). Il ajoute que l’on découvre quelque chose de semblable dans la notion de smr̥ti (tradition) censée faire suite à la śruti (le Veda en tant que ce qui a été entendu par les antiques r̥ṣi) mais qui réunit et légitime une série de traditions qui ne figuraient pas à l’intérieur des textes védiques.

Hein met ensuite en évidence une tactique généralisée qui consiste à énumérer une suite d’éléments qui font l’unanimité et à demander à l’auditeur de faire un tout petit pas de plus en considérant l’existence d’un élément supplémentaire, qui est en fait sans commune mesure avec les éléments de cette série parce qu’il contient une véritable innovation. Voici comment Hein présente ce qu’il appelle la méthode du « Just-one-more » (ekottaropāya).

The preceptor of the art of ekottaropāya counsels his radical young disciples thus : « When you must present a teaching that is a recent fabrication, acknowledge only such degree of novelty as is absolutely unconcealable. Attach your new doctrine to the sequence of an unimpeachable old formula. Speak well of that old formula. Do not suggest that its author knew little, but that you know a little more. Present your addendum as something that completes rather than contradicts, like the full orb of the waxing moon emerging from shadow. Invite your hearer to move forward with the rhythm of your impeccable counting : ask him to take only one short leap, a leap irresistible in its naturalness and totally faithful to the old direction of his logic »[11].

On connaît par exemple dès les Brāhmaṇa une liste de trente-trois dieux, mais certains passages font de Prajāpati (le Père des créatures) une divinité qui les dépasse tous et appartient à un ordre supérieur : il devient alors un trente-quatrième dieu. On sait qu’il y a trois Veda qui constituent le triple savoir, mais il s’en ajoute finalement un quatrième, l’Atharva-Veda, constitué d’hymnes de toute évidence étrangers au corpus primitif.

L’étude de l’innovation à l’intérieur de l’hindouisme a récemment fait l’objet d’une série d’articles dans un numéro thématique de la revue International Journal of Hindu Studies. Dans l’article de présentation, Jonathan Edelman présente les théologiens et philosophes de l’Inde comme des « creative and constructive thinkers[12] », capables d’innovations et de réflexions destinées à légitimer celles-ci au sein de leur tradition. De ce dossier, on n’évoquera que la substantielle contribution d’Amanda Lucia au sujet des gourous indiens contemporains qui répandent leur message spirituel de l’Inde vers le reste du globe.

The global gurus who emerge from Indic Hindu traditions are highly adaptive religious leaders who tailor their messages to particular times, circumstances, and populations. They spread their religious sentiments around the globe by combining Hindu elements with personal adaptations, actively developing what Thomas J. Csordas describes as the two primary features necessary for the dissemination of a religion into a new environment : a « portable practice » and a « transposable message » (2009: 4). In order to develop a following of disciples, gurus must present something to the public that is not available elsewhere, something unique. In many cases, this uniqueness — whether it is expressed through a particular method, product, philosophy, appearance, sanctity, or charisma of the guru — translates into something entirely new. With this in mind this paper suggests that contemporary global gurus are some of the most vibrant innovators in the field of Hindu religiosity[13].

Lucia note d’abord que les messages de ces nouveaux gourous apparaissent comme des réponses à l’ancien colonialisme religieux qu’a jadis subi l’Inde. Mais en débordant le champ religieux et spirituel pour s’engager activement dans des domaines aussi variés que la médecine, la politique, l’éducation, ces gourous contribuent également à transformer l’attitude face à la religion tant en Inde que dans le reste du monde. De plus, leur multiplication fait que ces gourous sont de plus en plus en compétition les uns avec les autres, et doivent donc rivaliser d’innovations pour s’imposer à leur nouvel auditoire mondial. Lucia discute de la façon dont ces gourous justifient, et même réinventent, leurs nouveaux messages. Pour parvenir à séduire leurs disciples de par le monde, note-t-elle d’abord, ces gourous utilisent divers upāya, des habiles moyens ou des stratégies, dont l’une consiste à interpréter paradoxalement ces nouveautés comme autant de façons de renouer avec la tradition la plus ancienne[14]. La richesse même de la tradition hindoue permet souvent de justifier de telles innovations à même une légende ou un rituel dont personne ne s’était soucié jusque-là. Par contre, le développement d’attitudes nouvelles face aux divisions de castes, face à l’égalité des genres, à l’existence d’autres religions, à la « désindianisation » de l’hindouisme, pose à ces gourous des défis inédits. À ce sujet, Lucia évoque Susan Palmer qui remarquait que ces nouveaux mouvements religieux deviennent des

« supervised group experiments » that create confined utopias challenging secular norms of family structures, gender roles, and sexual relations. Devotees (often mostly in their twenties and thirties) experiment with celibacy, polyamory, plural marriage, and so on, for a limited period of time in a closely supervised environment before returning to secular society and conventional forms of family structure, gender roles, and sexual relations after they have left the movement […][15].

Dans l’article de l’Encyclopédie des religions cité plus haut et intitulé « La tradition et la rencontre de l’autre », mais qui devait d’abord s’intituler « Les religions en contact », André Couture propose également une analyse des traditions religieuses en termes de stratégies, dans le but explicite de s’éloigner des définitions statiques de la religion et de mieux cerner les traditions religieuses sous l’angle même de leur dynamisme, et donc de leur capacité d’adaptation et d’innovation[16]. En faisant allusion à la définition classique de Durkheim, il note : « Une tradition religieuse vivante représente certes un ensemble solidaire de croyances, de rites, d’institutions, mais c’est en même temps un ensemble de stratégies destinées à maintenir vivante cette tradition[17] ». Les traditions religieuses prennent conscience de leur existence spécifique dans la mesure où elles entrent en interaction avec d’autres traditions. L’identité se forge dans les conflits, la concurrence, l’opposition à la culture ambiante. Au lieu de guerroyer entre eux (ce qui leur arrive également), les croyants « élaborent tout naturellement des stratégies qui leur permettent d’accepter l’inévitable présence de l’autre sans pour autant renoncer à exister le plus pleinement possible[18] ». On trouvera dans ce texte une distinction de trois types de stratégies servant aux croyants d’une tradition spécifique à maintenir vivante leur tradition, et qui s’accompagnent nécessairement de micro-innovations de toutes sortes.

  • Les stratégies de sauvegarde agissent sur les frontières immatérielles, et plus ou moins poreuses, séparant les traditions les unes des autres. Elles servent à définir lentement ces frontières en fixant des limites à l’acceptable à l’intérieur d’une tradition ; elles permettent à une tradition de se réapproprier d’autres croyances ou rites, par exemple en les réinterprétant. Ce type de stratégies vise en même temps à sauvegarder l’originalité de ce qui se vit dans le groupe.

  • Les stratégies de légitimation agissent au coeur même de la tradition, en son centre névralgique, qu’il faut défendre à tout prix. Elles peuvent prendre la forme d’affirmations péremptoires touchant la perfection de la tradition, son antériorité sur toutes les autres traditions, son universalité et sa pureté ; elles peuvent inversement consister à diaboliser toute forme d’opposition ; elles peuvent également consister en de véritables traités d’apologétique, destinées à produire des « anticorps » susceptibles d’immuniser les traditions religieuses contre les dangers du monde extérieur ; toute forme de théologie réflexive fait également partie de ces stratégies.

  • Les stratégies de persuasion agissent sur l’extérieur : elles cherchent à persuader ceux qui sont extérieurs à cette religion de la validité de ce qui se vit à l’intérieur. Il ne s’agit plus pour le croyant de se construire une frontière ou de doter sa foi de fondations solides, mais plutôt d’intéresser les autres à ce qu’il vit à l’intérieur de son groupe, éventuellement de les convaincre de l’intérêt de ces croyances y compris pour eux.

Ces trois types de stratégies, qui supposent des actions soit à la frontière, soit à l’intérieur, soit en direction de l’extérieur, impliquent en toute tradition religieuse des innovations petites ou grandes, souvent minimisées, et qui pourraient être analysées systématiquement. Bien que général, le terme de stratégie met l’accent sur le dynamisme qui habite toute tradition. L’intérêt d’une analyse en termes de stratégies, de tactiques, ou d’habiles moyens, est de faire prendre conscience que l’innovation religieuse se situe à l’intérieur d’une tradition qui, en tant que telle, valorise la permanence du message, et que, dans ces conditions, toute nouveauté doit, avant de s’imposer, lutter pour faire sa place.

III. Les théories de la réception au service de l’innovation religieuse

Réagissant au formalisme des théories littéraires classiques, qui ne s’intéressent qu’à l’oeuvre et à son auteur, les théories de la réception se proposent de façon générale d’introduire une troisième variable, le lecteur, et d’analyser l’expérience ou l’effet que procure la lecture d’une oeuvre littéraire, ce qui permet du même coup de rendre compte des transformations de celle-ci au fil du temps. Cette approche s’appuie sur l’idée que le sens d’une oeuvre apparaît (aussi) au moment de la lecture, c’est-à-dire au moment où un individu décide de prendre un livre, de l’ouvrir et d’en lire le contenu. Les théories de la réception se fondent, entre autres, sur les travaux de Hans Robert Jauss[19], qui reprend à son compte les notions gadamériennes d’horizon (qui devient chez Jauss l’horizon d’attente) et de fusion des horizons. Le reader response de Stanley Fish[20] ajoute à ces notions celles de communauté interprétative et de stratégies interprétatives, c’est-à-dire de communautés de lecteurs qui partagent des stratégies pour interpréter une oeuvre littéraire.

Différentes variantes de cette approche ont été utilisées par des chercheurs en sciences humaines pour analyser des films ou d’autres objets culturels[21]. La même approche peut s’appliquer à l’étude de la réception des croyances, des pratiques, en somme de tout élément de traditions religieuses qu’on « lit » pour lui donner un sens en fonction d’un horizon d’attente particulier, un horizon qui peut être amené à changer lorsqu’un individu ou un groupe arrive tout à coup avec une nouveauté (de nouvelles croyances, une nouvelle vision du monde, de nouveaux rites, de nouveaux textes, de nouvelles interprétations des textes existants, de nouvelles manières de vivre en communauté, etc.). Dans ce contexte, l’innovation religieuse peut se définir comme ce qui vient changer l’horizon d’attente du religieux dans une société donnée et vient redéfinir les normes du « genre religieux/spirituel ».

C’est une approche de ce genre que Dominic LaRochelle a utilisée pour analyser la réception des traditions d’arts martiaux en Occident, en particulier celle du taiji quan[22]. Cette thèse étudie entre autres comment les adeptes occidentaux d’arts martiaux reçoivent une tradition étrangère, comment ils incorporent celle-ci à la culture occidentale, et de quelle manière ils donnent par là un sens à leur pratique. La compréhension de cette superposition de deux horizons culturels, l’horizon chinois et l’horizon occidental, se fonde dans ce cas particulier sur l’analyse du contenu d’une trentaine de livres de vulgarisation du taiji quan publiés en Occident dans la deuxième moitié du xxe siècle. Il en ressort que les adeptes occidentaux d’arts martiaux se construisent des stratégies discursives spécifiques pour interpréter et légitimer la pratique de leur art.

Les auteurs de livres sur le taiji quan utilisent ces stratégies pour faire valoir d’abord que le taiji quan est un art martial à caractère spirituel ; ensuite que ce caractère spirituel tire son origine des traditions taoïstes chinoises ; et finalement que cette « spiritualité taoïste du taiji quan » répond parfaitement aux attentes des Occidentaux contemporains en matière de spiritualité. L’identification de telles stratégies fait saisir les mécanismes herméneutiques qui se mettent en place à l’intérieur d’une communauté de pratiquants d’arts martiaux. Il en ressort que ce qu’on appelle la « spiritualité du taiji quan » puise beaucoup moins aux traditions religieuses de la Chine, ou même de l’Asie, qu’à une religiosité répondant à des attentes typiquement occidentales, le tout enrobé d’un vocabulaire oriental. Cette approche par stratégies aide également à comprendre en quoi l’adoption de pratiques martiales chinoises en Occident peut s’analyser en tant qu’innovation religieuse.

IV. L’innovation religieuse analysée en termes d’appropriation et de réappropriation

L’acculturation, qu’en 1936 Redfield, Linton, et Herskovitz avaient définie comme l’« ensemble des phénomènes qui résultent d’un contact continu et direct entre des groupes d’individus de cultures différentes et qui entraînent des changements dans les modèles culturels initiaux de l’un ou des deux groupes[23] », a déjà fait couler beaucoup d’encre. Cette notion est apparue aux États-Unis dans un contexte où l’on cherchait entre autres à planifier l’intégration dans le giron américain (ou l’accès à la culture américaine) des cultures amérindiennes censément inférieures.

Les concepts d’appropriation/réappropriation sont au point de départ beaucoup plus polémiques, puisqu’ils se sont développés à l’intérieur de la réflexion des Subaltern Studies (ou Critique postcoloniale) qui est apparue en Inde dans les années 1980 dans la foulée du célèbre livre, Orientalism, d’Edward Said[24]. Émanant de spécialistes autochtones, longtemps laissés sans voix propre puisqu’ils s’étaient « approprié » inconsciemment celle du colonisateur, ces études dénoncent entre autres l’appropriation par des puissances étrangères de biens ou de valeurs culturelles autochtones et revendiquent le droit à une réappropriation de leur patrimoine. Cette approche accepte au point de départ l’existence de cultures distinctes et imparfaites, tout en dénonçant le jeu colonial qui a indûment établi une hiérarchie entre la culture du dominant et celle du dominé. La rencontre des cultures amène celles-ci à se transformer, de sorte que les zones de contact deviennent des lieux d’échanges : on s’approprie, mais on peut également se réapproprier.

Par ailleurs, Said fait valoir qu’en contexte colonial on s’approprie également un savoir spécifique sur l’autre. Le discours orientaliste construit un savoir, une image de l’autre (arabe, asiatique, etc.) qui ne correspond pas toujours à la réalité, et qui sous-tend des intentions non avouées. Il est intéressant de constater que ce phénomène est présent dans le contexte impérialiste de la deuxième moitié du xixe siècle et de la première moitié du xxe siècle, alors que les puissances occidentales cherchent à dominer le Moyen-Orient et l’Asie (c’est la thèse de Said), mais qu’il est également présent, de manière plus insidieuse, dans certains mouvements spirituels contemporains qui prétendent « redécouvrir » des traditions ancestrales, mais qui ne font en fait que s’approprier un savoir qui est lui aussi construit de toutes pièces en fonction d’un projet culturel précis (dans ce cas-ci, une critique contre-culturelle de l’Occident). D’aucuns ne voient, dans cette redécouverte de traditions comme le bouddhisme, l’hindouisme, le taoïsme ou le shamanisme amérindien, qu’une nouvelle forme de colonialisme (ou à tout le moins d’appropriation culturelle) de la part d’Européens et d’Américains en quête spirituelle, qui refusent eux aussi de laisser parler l’« autre », et qui n’envisagent que leurs propres intérêts, que leurs propres attentes, et que leurs propres interprétations. On comprend alors que les concepts d’appropriation et de réappropriation puissent s’entendre dans les sens les plus variés, et devenir un outil pour analyser les innovations religieuses.

Le collectif Rethinking Religion in India. The Colonial Construction of Hinduism[25] constitue un bel exemple de la façon dont la notion même de « religion » (que l’on a pris l’habitude de rendre en Inde par le mot dharma) ne serait en fait qu’une simple appropriation par l’Inde d’un concept occidental inadapté à traduire ce qui se passe dans ce pays, et le mot « hindouisme » une sorte de calque du mot « christianisme » ne servant qu’à asservir une population complètement étrangère à ces notions. Ce livre montre en fait, au fil de contributions souvent contradictoires, que la réalité est beaucoup plus complexe, et que les termes de hinduism ou de hindu dharma ont été à l’origine le fruit de discussions élaborées entre missionnaires occidentaux et érudits hindous.

Vincent Goossaert et David A. Palmer[26] ont mis en lumière un phénomène d’appropriation semblable en Chine. En effet, les politiques chinoises sur la normalisation du religieux au xxe siècle se sont construites à partir d’une appropriation du concept occidental de religion. En adoptant le néologisme zongjiao (littéralement « l’enseignement des ancêtres », mais qui, dans l’esprit des législateurs chinois, renvoyait spécifiquement au modèle chrétien de religiosité), l’État chinois a été en mesure de mieux légiférer (et donc de mieux contrôler) ce qui constituait à ses yeux d’une part des pratiques religieuses légitimes et d’autre part des pratiques superstitieuses à proscrire.

Ce jeu d’appropriations et de réappropriations est également à l’oeuvre en Inde où les échanges entre sectes différentes ont donné lieu aux transactions les plus étranges. Dans un ouvrage de 2014, André Couture montre comment en particulier les Jaina, grâce à toutes sortes de coupures, de transformations, de réécritures, de réaménagements, se sont littéralement réapproprié l’histoire du dieu hindou Kr̥ṣṇa. L’analyse de ces récits montre que « les Jaina se sont montrés capables de réécrire toute l’enfance de Kr̥ṣṇa avec l’autorité et la conviction de personnes qui considèrent désormais cet ensemble d’épisodes comme une partie importante de leur propre histoire[27] ».

V. L’innovation religieuse analysée comme une invention/réinvention de la tradition

Les concepts d’invention et de réinvention des traditions, mis de l’avant par Eric J. Hobsbawm et Terence O. Ranger, permettent également de saisir comment la notion de tradition peut évoluer en contexte moderne, tout en conservant ses prétentions traditionnelles, à savoir l’autorité d’une continuité avec le passé. La tradition implique effectivement une idée de continuité, quoique, dans certains cas, cette continuité peut littéralement avoir été « inventée ». Bien que les traditions inventées fassent référence à un passé historique, la continuité qu’elles proposent n’en reste pas moins factice. Les traditions inventées sont donc des réponses à des situations nouvelles mais qui prennent la forme de références à des situations anciennes[28].

En définitive, une tradition religieuse inventée est une tradition religieuse qui est passée par un processus d’innovation, mais qui se fait passer pour une tradition restée identique depuis ses débuts. En construisant une continuité fictive avec un passé (quelquefois lui aussi fictif), on confère une autorité à la tradition et, en quelque sorte, on la « fige » dans le temps, ce qui a pour effet de donner du poids au message initial qui viendrait d’un passé soi-disant lointain et faisant autorité (par exemple, une lignée de maîtres, un mythe de création du monde et de l’humanité, un texte normatif ancien). Que cette autorité se fonde sur une continuité factice n’a que peu d’importance, l’essentiel étant que la tradition réussisse à faire accepter qu’elle se fonde réellement sur une telle continuité. L’invention d’une tradition religieuse relève dans bien des cas d’une réception particulière de pratiques, de rituels ou de propositions d’ordre philosophique, moral ou religieux, qui sont « inventés » et très souvent « réinventés » à un moment donné de l’histoire. On peut alors réellement parler d’innovation religieuse, tout en précisant qu’il s’agit en fait d’une innovation masquée par une rhétorique traditionnelle.

C’est l’interprétation que fait valoir Danièle Hervieu-Léger dans un article publié en 1997 lorsqu’elle tente d’expliquer l’évolution des religions en modernité. Pour la sociologue, les institutions religieuses sont toutes soumises au même « impératif de la continuité », tout en évoluant dans une société « massivement gouvernée par l’impératif du changement ». C’est en effet la permanence dans le temps qui garantit et légitime le caractère absolu de la tradition[29]. Elle explique :

[…] cela ne signifie pas que les institutions religieuses ne changent pas. Cela signifie que le changement ne peut s’y imposer que dans la mesure où il est intégré à la représentation collective d’une continuité absolument préservée ; ainsi, les entreprises de réforme religieuse se présentent-elles le plus souvent comme des opérations de retour à une tradition authentique contre une tradition dénaturée par l’usage présent qui en est fait, ou encore comme le résultat d’un approfondissement de cette tradition justifiant une rénovation ou une innovation religieuse[30].

L’évolution des arts martiaux chinois et japonais, telle qu’illustrée par Dominic LaRochelle[31] ainsi que par d’autres avant lui, est un bel exemple de traditions qui ont su se réinventer en modernité. Dans un monde où la technologie militaire a rendu obsolète l’utilisation de techniques de combats à mains nues ou avec armes blanches, les adeptes ont su réinventer la pratique des arts martiaux en lui donnant une dimension religieuse ou spirituelle. Ces adeptes se sont donc construit de toutes pièces des lignées de maîtres remontant à des maîtres bouddhistes et taoïstes, ce qui a pour effet d’insérer la pratique à l’intérieur d’un cheminement menant à une forme d’éveil spirituel, à l’exemple de grands personnages religieux. Parallèlement, la modernisation des arts martiaux, tant en Chine qu’au Japon, s’est également faite sur fond d’identification nationale et patriotique, alors que Japonais et Chinois ont cherché dans leurs traditions martiales, soi-disant ancestrales et associées à une pratique spirituelle, la source de leur identité nationale.

Marion Bowman[32] a donné un autre bel exemple d’une telle réinvention dans le cas de la tradition celtique dont se réclament plusieurs groupements spirituels contemporains. Alors que les spécialistes qui maîtrisent les langues celtes et les données de l’archéologie s’entendent pour dire que l’on ne sait pratiquement rien d’assuré sur les anciens Celtes, des amateurs d’antiquités (antiquarians) aux xviie-xviiie siècles se sont littéralement créé des Celtes et des druides au goût de leur époque, et c’est vraisemblablement sur ces sources fictives que se sont appuyées les spiritualités contemporaines de type Nouvel Âge pour se réinventer à leur tour des Celtes et des druides répondant davantage aux préoccupations spirituelles d’une nouvelle clientèle moderne.

La notion de réincarnation est le fruit d’une telle invention et réinvention. André Couture a montré que ce concept a littéralement été créé au xixe siècle[33]. On connaissait jusque-là la métempsycose des Grecs (appelée transmigration chez les Romains) ou les renaissances des hindous et des bouddhistes. Dans toutes ces conceptions, l’idée de naissances multiples incluait la possibilité d’une renaissance dans des corps d’animaux réputés inférieurs. Après la découverte, surtout au xviiie siècle, de la notion de progrès matériel, l’idée de génie de certains spiritualistes du siècle suivant (entre autres Pierre Leroux et Jean Reynaud) fut d’étendre à l’âme ce qui paraissait évident dans le domaine physique. S’il est vrai que l’âme évolue, il faut également en conclure qu’il est en fait impossible de rétrograder dans des corps d’animaux. C’est ainsi que s’est reconstruite une « métempsycose ascendante » tout à fait inédite, en prenant le contre-pied de la résurrection chrétienne jugée insuffisante, de la métempsycose des Grecs à qui manquait la notion de progrès, ainsi que des naïves spéculations hindoues et bouddhiques, une nouvelle notion que le spirite Allan Kardec a le premier désigné, selon toute vraisemblance, du néologisme de « réincarnation » vers 1850-1855. C’est ce concept, qui a eu la popularité que l’on sait, que le Nouvel Âge remodèlera à partir des années 1970-1980[34].

Ce long liminaire nous est paru nécessaire pour faire comprendre les enjeux sous-jacents à la notion d’innovation. Cette toile de fond permettra au lecteur de mieux situer les questions spécifiques abordées dans les quatre articles suivants :

  • Dans un texte intitulé « Pour une approche des processus d’innovation religieuse : quelques réflexions conceptuelles et théoriques », Steeve Bélanger et Frédérique Bonenfant rattachent l’innovation religieuse à un processus collectif de volonté et/ou de désir de changement. Ils distinguent ainsi ce qu’ils appellent « innovation religieuse » de toute autre transformation à l’intérieur des religions et proposent alors de ce concept plus spécifique une définition précise et opérationnelle.

  • Dominic LaRochelle, dans « La réception et la réinvention du taoïsme en Occident. Une réflexion autour de deux outils pour analyser les innovations religieuses », reprend et approfondit certaines des idées présentées dans le liminaire. Il utilise tout particulièrement les approches de la réception et de l’invention des traditions pour analyser la réception et la réinvention du taoïsme dans les sociétés occidentales au xxe siècle. Son analyse décrit comment s’opère un changement dans l’horizon d’attente occidental, menant à la réinvention du taoïsme en vue de combler certaines attentes spécifiques en matière de spiritualité.

  • Dans « L’innovation religieuse en question. Notes de recherche sur l’innovation, la jeunesse et l’imaginaire contemporain », tout en reconnaissant que les idées de nouveauté, de progrès et d’innovation soient au coeur de la recherche et de l’intervention auprès des jeunes, en particulier dans le domaine du religieux, Jean-Philippe Perreault réfléchit à la jeunesse-innovation en tant que construction sociale, avec les continuités et les ruptures que suppose une telle construction. Il cherche les repères pouvant permettre de problématiser l’innovation religieuse dans le monde des jeunes.

  • Dans « La prise en compte de l’expérience spirituelle en soins palliatifs : un cas de mutation des représentations de la spiritualité », Guy Jobin resitue la production de pratiques et de discours spirituels inédits dans le contexte québécois d’un monde de la santé récemment laïcisé, de façon à rendre compte des mutations qui s’y sont opérées. Il s’interroge entre autres sur la pertinence du terme « innovation » pour qualifier l’ensemble d’un phénomène qui contient certes une part de nouveauté mais se construit également à partir de matériaux existants.