Recensions

Bernard Bourdin, Le christianisme et la question du théologico-politique. Préface de Philippe Capelle-Dumont. Paris, Les Éditions du Cerf, 2015, viii-558 p.[Notice]

  • Caroline Maillet-Rao

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  • Caroline Maillet-Rao
    Université Laval, Québec

Dominicain, professeur à l’Institut Catholique de Paris, Bernard Bourdin est l’auteur d’un premier ouvrage remarqué et traduit en anglais sous le titre The Theological-Political Origins of the Modern State. The Controversy Between James I of England and Cardinal Bellarmine (Washington, Catholic University of America Press, 2010, 282 p.). Dans un second ouvrage (La médiation chrétienne en question. Les jeux de Léviathan, Paris, Les Éditions du Cerf [coll. « La nuit surveillée »], 2009, 249 p.), il poursuivait sa réflexion sur le phénomène du théologico-politique chrétien, en cherchant à démontrer que la médiation chrétienne eut une signification dont on ne saurait faire l’économie dans la genèse de la modernité séculière, avec l’avènement de l’État et de l’État libéral. Dans ce troisième ouvrage, Bernard Bourdin approfondit la question de la place des religions dans l’espace public et politique par le biais d’une étude de la philosophie politique contemporaine. La première partie, consacrée à la tension irrésolue entre le christianisme et la sphère publique politique, reprend la thématique de la médiation chrétienne aux prises avec la raison occidentale dans la genèse de l’État moderne. Ces quelque dizaines de pages, portant sur les pensées politiques de Thomas d’Aquin à Hegel, permettent à l’auteur d’introduire la philosophie politique contemporaine aux prises avec la modernité séculière. Il passe ensuite en revue les points de vue de Hannah Arendt, Leo Strauss, Hans Blumenberg et Marcel Gauchet. Bourdin conclut le premier chapitre de cette première partie, consacré aux mutations de la notion de sphère publique, en soulignant que la Modernité séculière est impuissante à résoudre le dilemme qui lui est inhérent : la conjugaison de l’autonomie séculière collective et de l’autonomie séculière individuelle, parce que « pensés uniquement en référence à eux-mêmes, […] individu et collectif sont incapables d’articuler unité et altérité » (p. 128). Seule « l’autonomie », poursuit-il, « les réunit dans un conflit permanent » (p. 129). Après avoir été conçu en opposition avec le pouvoir spirituel depuis l’Empire romain jusqu’à l’époque médiévale, le pouvoir temporel a ensuite été défini comme autonome à partir du xive siècle avec Marsile de Padoue. Plusieurs facteurs ont « affranchi la sphère publique politique du Siège romain » : les Réformes protestantes et anglicane en s’appuyant notamment sur le concept de nature (Richard Hooker), les guerres civiles de religion ayant permis l’émergence du concept de souveraineté de l’État (Bodin). Ces différents facteurs ont mené à une crise de la médiation chrétienne au xvie siècle. Cela dit, l’instabilité de la médiation chrétienne la rend paradoxalement opératoire dans la genèse théologico-politique de la Modernité séculière. L’affranchissement du temporel par rapport au spirituel a mené à une autre conception de l’histoire, point fort de notre auteur, articulée autour du concept d’État de nature. Des philosophes tels que Rousseau, Locke, Spinoza ou Hobbes ont postulé un fondement prépolitique à l’entrée en société : la nature. Ces systèmes politiques rompent avec l’ordonnancement de la temporalité historique du christianisme : Création, péché, salut, eschatologie, et réduit le christianisme à une signification morale. Relativement au conflit permanent des deux autonomies séculières collective et individuelle, la Révélation chrétienne, insiste l’auteur, « dispose des potentialités pour le résoudre » (p. 129). Ni le collectif ni l’individu ne peuvent faire l’économie d’une altérité. Il ne s’agit pas pour autant de réhabiliter la conception de l’histoire antérieure à la genèse de la Modernité séculière, mais bien plutôt de poser deux questions essentielles : qu’est-ce que la sphère publique politique ? Et : est-ce que le concept de sécularisation est pertinent pour rendre compte de la Modernité ? En explorant la philosophie politique contemporaine, l’auteur a dégagé …