Dossier

Liminaire[Notice]

  • Mahité Breton et
  • François Nault

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  • Mahité Breton
    Faculté de théologie et de sciences religieuses, Université Laval, Québec

  • François Nault
    Faculté de théologie et de sciences religieuses, Université Laval, Québec

Le dossier qui suit repose sur un pari : celui d’affirmer qu’il serait fructueux de revisiter les sept péchés capitaux inscrits dans la tradition chrétienne, et de les soumettre à un examen attentif à leur histoire, à leur empreinte, à leur sens et à l’ambivalence qu’ils suscitent. Il part donc d’une franche curiosité pour ces choses (faute d’un meilleur mot) tentantes qui ont donné lieu, au fil de l’histoire, à maints essais pour les épingler, les catégoriser, les combattre ou les réhabiliter. Il revient à Évagre le Pontique (345-399) d’avoir, le premier, établi une liste de « passions » ou de « pensées mauvaises », en reprenant des enseignements déjà existants mais peu formalisés (Traité pratique, ch. 6-15). Évagre distingue huit passions à fuir : la gourmandise (gastrimargía), la luxure (porneía), l’avarice (philarguría), la vaine gloire (kenodoxía), la colère (orgè), la tristesse (lúpè), l’acédie (akèdía) et l’orgueil (huperèphanía). Cette liste a ensuite été reprise et modifiée par Jean Cassien puis par Grégoire le Grand. Il a fallu attendre le quatrième concile du Latran (1215) pour que soit adoptée une liste officielle de sept péchés capitaux. Cette liste a ensuite été incluse dans la Somme théologique (question 84, Prima secundae) de Thomas d’Aquin, qui va contribuer à mieux cerner la notion de « péché capital » et à approfondir l’intelligence de chacun des sept péchés capitaux. Au xxe siècle, le Catéchisme de l’Église Catholique (1997) a repris cette liste, en formulant d’une manière très précise et concise le sens des péchés dits « capitaux » : « Ils sont appelés capitaux parce qu’ils sont générateurs d’autres péchés, d’autres vices » (art. 1866). Ainsi, le qualificatif de « capital » ne renvoie pas à la gravité desdits péchés, mais au fait qu’ils sont des péchés de « tête » (du latin caput), donc susceptibles de conduire à d’autres péchés, d’engager celui qui les commet sur une pente fatale. Les notions de « péché » et de « péché capital » semblent, à certains égards, complètement désuètes sans pour autant avoir cessé de circuler dans la langue courante, ne serait-ce que comme métaphores dont on ne sait plus exactement à quoi elles renvoient. Elles demeurent toutefois une donnée importante de la tradition chrétienne, à tel point qu’il apparaît difficile sinon impossible de la passer totalement sous silence. En fait, la notion de « péché » touche des données anthropologiques de base fondamentales — aux incidences psychologiques, sociales, poétiques et politiques décisives —, qui font que cette notion reste en quelque sorte incontournable. C’est déjà ce qui ressortait de la célèbre « Discussion sur le péché » qui s’est tenue le 5 mars 1944 à Paris, avec des interlocuteurs comme Georges Bataille, Simone de Beauvoir, Jean-Paul Sartre, Maurice Merleau-Ponty, Michel Leiris, Jean Paulhan, Maurice Blanchot, Pierre Klossowski, Jean Hyppolite et Jean Daniélou. Dans un ouvrage paru en 1947, Stanislas Fumet proposait un Éloge des sept péchés capitaux. Dans un livre plus récent, Alain Houziaux affirmait que les péchés capitaux étaient également des péchés… capiteux. Ainsi, les titres de ces livres suggèrent que les sept péchés capitaux ne sont pas complètement négatifs, mais qu’ils recèlent également une certaine forme de bien. Les passions en cause seraient à la fois mauvaises et bonnes, présentant une ambivalence qui mérite réflexion. C’est donc cette réflexion qu’amorce le présent dossier, en se consacrant à la paresse. Parmi les sept péchés capitaux, celle-ci constitue peut-être le lieu où l’ambivalence est la plus visible et la plus forte. Car …

Parties annexes