Recensions

Paul C. Dilley, Monasteries and the Care of Souls in Late Antique Christianity. Cognition and Discipline. Cambridge, New York, Cambridge University Press, 2017, xii-350 p.[Notice]

  • Kelly Harrison

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  • Kelly Harrison
    Université de Fribourg, Suisse

Le récent ouvrage de Paul C. Dilley explore la relation entre communauté, cognition et pratiques corporelles dans les institutions monastiques de l’Antiquité tardive, avec une focale sur les monastères cénobitiques, les traditions pachômienne et chénoutéenne, et la figure de Théodore. Cette étude riche et originale, qui s’inscrit dans une perspective historiciste cognitive en même temps qu’elle emprunte à d’autres disciplines, adopte une vision holistique de la vie intérieure des moines et des règles qui la gouvernent. Précédées d’une introduction, trois parties principales forment le corps de l’ouvrage, qui compte sept chapitres en tout et une conclusion générale. On y trouve aussi une bibliographie comportant de nombreuses sources primaires et des contributions en histoire, en anthropologie, en science des religions, en sémiologie, en psychologie, en sociologie et en philosophie, ainsi que deux index lexicographique et thématique. L’introduction permet à l’auteur d’exposer les points de départ de son questionnement, de contextualiser son étude dans le temps et l’espace, et de présenter ses thèses principales. Parmi celles-ci, le monastère comme lieu d’instruction, de discipline et de soin (care), qui suppose l’intervention des moines d’autorité dans la vie physique et psychique des disciples ; le monastère comme famille de substitution, qui contraint ses membres à l’obéissance à ses règles sous peine d’exclusion ; le monastère comme structure à la hiérarchie top-down et à l’organisation complexe, empreinte de relations de pouvoir ; ou encore, l’auteur s’inspirant sur ce point de Bentley Layton, le monastère comme système au caractère totalitaire, régi par un ensemble de règles et de pratiques spécifiques qui conduisent à une socialisation primaire de substitution pour ses membres. L’intérêt premier de l’ouvrage tient d’une part à l’accent qui est mis sur les individus qui font exister ces communautés, d’autre part à la démarche encore peu connue, du moins dans la recherche francophone, de l’historicisme cognitif. Cette approche a pour principal objectif, d’après Dilley, d’examiner les sources — en l’occurrence des règles monastiques, des lettres, des discours et des biographies en grec, copte, latin et syriaque principalement — dans leur contexte historique et idéologique tout en exposant les mécanismes de pouvoir qui sont propres aux représentations culturelles de l’époque (p. 12). La première partie de l’ouvrage, plus descriptive, retrace les débuts des cénobies dans le bassin méditerranéen et romain entre le 4e et le 6e siècle après Jésus-Christ, et identifie le rôle capital qu’y ont joué Pachôme et Chenouté. Dilley explore également le monachisme tel qu’il s’est développé plus tard sous l’égide de Moïse d’Abydos, Apollô et Phib, Jérôme de Stridon, Jean Cassien, Augustin, Barsanuphe et Jean de Gaza, Cyrille de Scythopolis, Paul d’Élusa, Basile de Césarée, Rufin d’Aquilée, Jacob de Nisibe, Julien Saba ou encore Jean d’Éphèse et Justinien. Ces premiers chapitres mettent en avant l’importance que les moines en autorité accordaient aux motivations des personnes qui souhaitaient rejoindre leurs couvents. Dilley montre que ces candidats ou candidates (postulants) formaient une population très hétéroclite qui comptait des individus de tout âge, des deux sexes, mariés ou célibataires, et de toutes les catégories sociales, y compris des esclaves et des affranchis, voire des criminels. Pour l’auteur, cet hétéroclisme, accompagné du confort matériel qu’offraient les monastères, explique l’attitude soupçonneuse que nombre de responsables exprimaient envers les candidats. Ainsi est justifiée la mise en place de procédures d’admission, dont la description occupe l’essentiel des deux premiers chapitres : renoncement à la propriété, examen méticuleux des motivations de chacun, classification selon l’état des personnes, épreuves sondant la sincérité des vocations et de l’engagement, serments monastiques, etc. La deuxième partie du livre, très riche et plus audacieuse, décortique ce que Dilley nomme …